Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France-Inter le 31 janvier 1994, sur son élection à la tête du PCF, le programme du PCF et la politique de l'emploi et M. Balladur.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Pourquoi vous à la tête du PCF ?

R. Hue : Je suis mal placé pour répondre, il faut poser la question aux membres du comité national du parti qui m'ont élu. Je me sens en phase totale avec la politique décidée au congrès. Je me suis beaucoup investi dans l'élaboration du manifeste du PCF. Il fallait un secrétaire national. Mon objectif est d'être digne de la confiance des communistes. D'autres camarades auraient pu être à ma place.

A. Ardisson : Êtes-vous là pour 20 ans ?

R. Hue : J'arrive. Je suis plein d'enthousiasme.

A. Ardisson : Est-il vrai que vous n'êtes pas sous tutelle, malgré la présence de G. Marchais au bureau politique ?

R. Hue : C'est moi qui ai insisté pour que MARCHAIS reste au bureau national. Ce n'est un secret pour personne : jusqu'au dernier moment, il a refusé. J'estime que lorsqu'on a un dirigeant de la stature de G. Marchais, il serait vraiment inconséquent de se priver de son expérience. G. Marchais a beaucoup impulsé la rénovation du PCF. Je connais beaucoup mieux l'homme avec qui j'ai beaucoup travaillé. Ce n'est pas une révolution de palais qui vient de se produire au PCF. On entend beaucoup d'évocations freudiennes : « il faut tuer le père ». Je n'ai pas à le tuer. Je m'assume moi-même.

A. Ardisson : Où est le renouvellement dans votre programme ?

R. Hue : Ce congrès a été un grand congrès qui prolonge les renouvellements des précédents congrès, mais il donne une dimension nouvelle à l'effort de rénovation des communistes français. Nous entrons dans une nouvelle période de la vie politique, au lendemain de l'effondrement des pays de l'Est. La novation du congrès, c'est qu'il a tiré les leçons. La conclusion est en un mot : démocratie. Pour changer cette société de l'argent-roi si dure pour des millions de gens, il faut que les gens se rassemblent, qu'ils interviennent pour modifier le cours des choses. Les choses bougent : regardez ce qui s'est passé avec le rassemblement sur l'école publique, les luttes sociales qui se développent. Il faut que tout cela traduise des convergences nécessaires pour aller à une nouvelle construction politique. On ne peut pas supporter longtemps ce régime Balladur qui écrase les gens. Avec ce congrès, nous nous sommes donné les moyens pour être à la disposition du peuple, pour essayer de trouver les chemins d'une autre solution. Le PC va réussir.

A. Ardisson : Plus de tonus à défaut d'un programme neuf ?

R. Hue : Non. Il y a un programme neuf. Il y a un projet de société dont les éléments de cohérence vont être mis à la disposition du peuple. Nous voulons construire avec lui les chemins d'un autre avenir. C'est nécessaire. Il y a des millions de gens de gauche, des forces de progrès qui attendent et veulent trouver une force politique dans laquelle ils puissent s'exprimer. Ils la trouveront avec le PCF.

A. Ardisson : Vous avez été mêlé à une sombre histoire liée de délation à la drogue à Montigny-lès-Cormeilles. Regrettez-vous cette action ?

R. Hue : Je me suis levé avant l'heure. La drogue est un poison, un fléau. Quand un maire voit des enfants mourir de la drogue, quand on voit des dealers, si on n'intervient pas, on adopte une attitude criminelle. Je ne laisserai jamais des enfants mourir de la drogue. J'interviendrai en toutes circonstances. Si c'était à refaire, je recommencerais.

A. Ardisson : Tout est-il négatif dans les mesures annoncées par E. Balladur sur l'emploi ?

R. Hue : Ce problème est terrible. Une nouvelle fois, E. Balladur annonce à grands fracas médiatique un nouveau plan. Il me paraît s'inscrire totalement dans les plans précédents l'aide sans conditions aux entreprises et de nouveaux transferts sur les collectivités territoriales. Tout cela va se traduire par des impôts locaux supplémentaires. Quand on branche une perfusion sur l'emploi, il faut commencer par stopper net l'hémorragie. Il faut donc arrêter les plans de suppression d'emplois qui se multiplient dans le pays et qui vont aggraver la situation. Je demande des comptes à E. Balladur ; il doit rendre des comptes aux Français. Il en est ainsi à son troisième plan en la matière. Il a accordé 80 milliards d'argent public pour l'emploi, soi-disant. Il faut de la transparence. Où sont passés ces milliards ? Les Français doivent savoir où sont ces milliards. Si ces emplois n'ont pas été créés, où sont ces milliards ? Quand on accorde une subvention à un maire, l'État procède à des contrôles. C'est normal. Là, 80 milliards ont été accordés aux entreprises, les emplois ne suivent pas : où sont ces milliards ? Ils vont à la spéculation, pas aux investissements il y a là quelque chose de dramatique. C'est l'argent-roi qui domine, Cela ne peut pas continuer.

A. Ardisson : Que demandez-vous à E. Balladur ?

R. Hue : Je lui demande de prendre réellement des mesures efficaces en matière d'emploi, notamment avec une relance de la consommation, pas ce qui vient d'être pris qui est secondaire. Il y a tellement de choses à faire !

A. Ardisson : Les petits ruisseaux font les grandes rivières, pourtant !

R. Hue : Dans les collectivités locales, nous avons des écoles des routes à construire, cela permettrait de créer des emplois. Ils ne prennent pas ces mesures. L'essentiel va à la spéculation. On est dans une société où l'argent-roi écrase tout et où l'essentiel est de faire flamber la Bourse. Ça ne marche pas. Il faut autre chose. Je suis décidé à engager la bataille dans ce domaine.