Interview de M. Charles Millon, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à France Inter le 19 mai 1994, sur les perspectives d'évolution de l'Union européenne élargie, le débat sur l'aménagement du territoire et le conflit en Bosnie.

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Média : France Inter

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A. Ardisson : Les 11 otages français ont été libérés par les Serbes. Le versement d'une caution ne vous gêne-t-il pas un peu, dans la mesure où ça pourrait donner des idées à d'autres groupes armés en Bosnie ?

C. Millon : Bien sûr que le président du groupe UDF de l'Assemblée nationale se réjouit de cette libération. Il faut se rappeler que trois semaines de suite, les députés UDF ont interpellé le gouvernement le mercredi après-midi, sur cette prise d'otages de 11 Français partis en Bosnie pour des buts humanitaires. Aujourd'hui, on ne peut que se réjouir de leur libération. Le mode de cette dernière est un peu cocasse, avec une rançon. Je crois qu'aujourd'hui, on n'a pas de commentaires à faire. Je pense que le gouvernement français a choisi la meilleure solution, compte tenu des interlocuteurs. Il est simplement souhaitable aujourd'hui, que le gouvernement français et que la France continuent à garantir le chemin vers la paix, de la Bosnie.

A. Ardisson : À Propos de la Bosnie, le débat a été relancé par les intellectuels, un débat qui concerne la gauche mais aussi la droite, savoir s'il faut ou non lever l'embargo sur les armes, donner des armes aux Bosniaques pour qu'ils se défendent. Votre avis ?

C. Millon : Deux raisons ont motivé l'intervention de la Communauté internationale et l'engagement de la France en Bosnie : 1/ la Communauté internationale et la France, ont reconnu la Bosnie et à partir de ce moment-là, ont pris l'engagement de garantir l'intangibilité des frontières. 2/ il s'agit de la stabilité dans cette région de l'Europe. La Communauté internationale et la France, veulent mettre en œuvre une procédure qui écarte les risques d'un embrasement de la région des Balkans. Ces deux raisons, qui ont amené l'engagement de la Communauté internationale et de la France, sont toujours là. Aujourd'hui, il y a un risque d'embrasement et il y a violation, par les Serbes de Bosnie, des frontières de la Bosnie. La conclusion, c'est que je suis très réservé sur un retrait des troupes françaises. Ceci, car les raisons qui ont motivé notre engagement sont toujours là. J'accepterais ou je comprendrais un redéploiement pour des raisons de sécurité ou un regroupement des troupes françaises. Mais je ne souhaite pas que la Communauté internationale et la France surtout, se dégagent. C'est pourquoi, aujourd'hui, je ne suis pas favorable à la levée de l'embargo. Je souhaite que la Communauté internationale continue à intervenir et que les négociations continuent parallèlement.

A. Ardisson : Vous n'êtes pas hostile à une réorganisation des forces d'interposition en Bosnie ?

C. Millon : C'est ce que je viens dire : je suis favorable à tout redéploiement et à tout regroupement pour des raisons de sécurité. Mais je suis très réservé sur un, retrait des troupes françaises qui, actuellement, sont en Bosnie pour garantir la sécurité et l'intangibilité des frontières et empêcher l'embrasement des Balkans.

A. Ardisson : D. Baudis, hier, ici, a en quelque sorte abjuré son fédéralisme. Or Baudis est tête de liste de la liste UDF/RPR, mais il l'est au titre de l'UDF. Je ne croyais pas, que vous aviez, vous, abandonné l'idée fédérale…

C. Millon : Baudis a fait un diagnostic terrible. L'agrandissement de l'Europe a changé la nature de la construction européenne. C'est vrai qu'une Europe à 12, 14, 16, 18, ne peut être l'Europe dont ont rêvé les constructeurs de l'Europe, que cette Europe-là, est en train de devenir, peu à peu, une zone d'harmonisation économique et sociale. Ce ne sera pas cette communauté politique dont on a rêvé. Je crois que le diagnostic est terrible, mais je crois que maintenant, il faut que D. Baudis et ses colistiers tracent les perspectives. Car ce qu'attendent nos concitoyens, eux, c'est une Communauté européenne qui puisse leur garantir la sécurité, conférer à l'Europe une autorité internationale, enfin défendre une identité européenne. Or cela ne peut se faire que dans une communauté politique. C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je souhaite que l'on relance le couple franco-allemand et qu'autour de ce couple, se construise une communauté politique, qui évidemment, sera construite sur une mode fédéral. Je pense que le diagnostic de D. Baudis c'est sur l'Europe qui est en train de se faire, 12, 14, 18 et qui sera une zone économique et de concertation. Mais il faut qu'en face, dedans, l'on construise un noyau dur qui puisse permettre à l'Europe de parler haut et fort dans le monde, garder son indépendance, rayonner, de ne pas tomber sous les jeux d'influence entre l'Asie d'un côté et les USA de l'autre. Si les hommes politiques d'aujourd'hui ne réfléchissent pas à cette évolution, ne font pas des propositions, ne prennent pas des engagements pour l'avenir, ils prennent une très lourde responsabilité. Car dans 10, 20 ans, on leur dira : qu'avez-vous fait de la construction européenne ? Au moment où la France, l'Angleterre, l'Allemagne, seront simplement devenus des petits pays, qui subiront l'influence soit des USA d'un côté, soit des grands pays d'Asie de l'autre, alors il y aura en fait de la part d'une nouvelle génération, un jugement très sévère sur les hommes politiques qui n'auront pas voulu aujourd'hui prendre leurs responsabilités.

A. Ardisson : On en sait plus sur le schéma d'aménagement du territoire concocté par C. Pasqua : il semble que l'on aille vers cet espace d'aménagement du territoire, autrement dit, cette super-région à dimension européenne. Votre avis, en tant que président de la région Rhône-Alpes et président de la Mission d'information sur l'aménagement du territoire ?

C. Millon : L'aménagement du territoire, ne peut être une démarche technocratique. Or la carte qui a été publiée hier par un journal du soir et qui vient de la DATAR, est l'illustration type, de la démarche technocratique. Il y a des techniciens, dans un bureau, en fonction d'élucubrations mathématiques ou géométriques, ont tiré des traits sur la carte de la France. Si c'est ça l'aménagement du territoire, je serais le premier combattant contre cette démarche. Par contre, si c'est concevoir de nouvelles procédures de concertation, mettre en place une diffusion des responsabilités pour mobiliser les élus locaux, régionaux, départementaux, si c'est concevoir un nouvel équilibre entre Paris et la province, entre la ville et la campagne, alors oui j'y suis favorable et en tant que président de la Mission, je mettrai tout en œuvre pour changer le paysage politique de la France et changer les procédures de décisions.

A. Ardisson : C. Pasqua, qui n'est pas un technocrate, a avalisé…

C. Millon : Non, je l'ai rencontré hier soir et je lui ai officiellement posé la question. Il a démenti avoir donné son accord à cette carte. Ce sont des élucubrations. En tous les cas, je m'y opposerai.

A. Ardisson : Tout le monde dit depuis des années, que les régions françaises sont trop petites, que c'est l'un des problèmes…

C. Millon : Le problème, de la taille des régions françaises peut se poser, cela n'exige pas des réponses de technocrates. Un exemple : c'est évident que pour pouvoir concevoir un TGV entre Paris et Marseille, il y a plusieurs régions concernées et que l'on fera une entente inter-régionale pour pouvoir porter ce problème. Mais on n'a pas besoin en fait, d'une démarche technocratique. Il faut que l'aménagement du territoire soit une démarche politique. C'est un problème politique qui touche à l'égalité des chances, à la liberté des initiatives et qui touche à la cohésion sociale. Je souhaite que le gouvernement comme le Parlement, abordent l'aménagement du territoire comme cela.