Texte intégral
France 2 le mercredi 2 septembre 1998
Yves Le Tranchant : La semaine dernière, L. Viannet, de la CGT, annonçait des luttes nombreuses. Voyez-vous la rentrée chaude, tiède ou froide ?
Marc Blondel : Tout cela, ce sont des formules. En définitive, ce que je sens, c'est la nécessité d'accélérer les choses. Le problème immédiat, permanent, incontournable maintenant, c'est le chômage. La tendance du chômage est en légère baisse. Encore que là, vous voyez, ce mois-ci, il y aurait stabilisation. D’où peut-être, un effet du Mondial, qui avait suscité des demandes. Il faut, maintenant, des décisions rapides pour accélérer le mouvement, utiliser la croissance économique pour essayer de réduire, mais de manière substantielle maintenant, le chômage, parce que c'est ce que tous les Français attendent et parce que c'est ce qui est souhaitable pour le pays. À partir de ce moment-là, nous allons voir, dans chacun des secteurs, quelle est la situation et quel est l'aspect revendicatif que nous allons mettre en avant. C'est aussi simple que cela. Alors, je ne peux pas vous dire si cela sera chaud. Je n'en sais rien pour l'instant. On va voir. Moi, j'ai, de la part des instances internes de Force ouvrière, mandat de conduire, le cas échéant, une action. Encore faut-il que je sente si, dans les secteurs d'activité, les gens sont prêts à s'exprimer.
Yves Le Tranchant : Est-ce qu'il y a justement matière à revendiquer, quand on voit qu'un L. Jospin, Premier ministre, est au sommet dans les sondages, que plusieurs indicateurs économiques ou sociaux sont plutôt au vert ? Est-ce que cela vous gêne un petit peu ?
Marc Blondel : Non, au contraire. Que les indicateurs économiques soient bons, au contraire, cela nous permet de revendiquer, en sachant que l'on peut répondre à nos revendications. Deuxièmement, que Jospin soit bien dans les sondages : bravo. Est-ce que le fait que Jospin ait 50 ou 60 % de bonnes appréciations, cela modifie le fait qu'il y a 2,9 millions de chômeurs ou 3 millions de chômeurs ? Moi, j'interviens pour les chômeurs. Ce n'est pas pour la satisfaction de M. Jospin. J'aime autant, d'ailleurs, que les gens l'apprécient. Il a un style particulier, il a une expression particulière, il veut jouer la sincérité. Je crois que tout cela est assez vrai. Ceci étant, il faut maintenant, compte tenu justement des circonstances économiques, profiter du mouvement pour essayer de faire plus vite et plus fort. Je vais ressortir mes revendications sur ceux qui ont commencé à travailler très tôt - à 14 et 15 ans -, qui ont 40 ans de cotisations et qui devraient pouvoir partir en retraite, de manière à créer ou à libérer des emplois pour qu'il y ait des embauches. Je vais maintenir la revendication d'avoir un niveau de salaire suffisamment élevé pour, justement, soutenir, par la consommation, la démarche économique. Voilà. Nous nous retrouvons dans une situation assez habituelle.
Yves Le Tranchant : Est-ce que la loi sur les 35 heures va créer des emplois ? Vous avez signé l'accord dans l'industrie de la métallurgie. Vous n'avez pas signé l'accord sur le sucre. Vous signez un petit peu à la demande ?
Marc Blondel : Nous ne signons pas à la demande. Ce n'est pas du tout comme cela. Pour différentes raisons : d'abord, poser la question - est-ce que la loi sur les 35 heures va créer des emplois ? - c'est, à la limite, d'ores et déjà y répondre. Moi, j'ai toujours dit que la création d'emplois ne serait pas automatique et systématique. La preuve que j’ai raison, c'est que Mme Aubry, dans sa loi, prévoit des incitations financières pour les employeurs qui embaucheront. Si c'était automatique, elle ne mettrait pas de l'argent de l'État. Si elle met de l'argent de l'État, c'est qu'il faut inciter, encourager les employeurs à le faire. Ce n'est pas vrai partout. La vérité n'est pas identique dans la métallurgie, dans le bâtiment, dans les grands magasins, dans les professions de services, etc. Et quand on regarde dans chacun des secteurs, ce n'est pas vrai pour les mêmes gens. Prenez l'exemple, ici - je ne voudrais pas mettre la panique sur le plan syndical - mais si on réduisait la durée du travail, ce n'est pas du tout la même chose pour ceux qui sont toujours en direct, pour ceux qui travaillent et qui font de la documentation, et puis les administratifs. C'est la même chose pour une entreprise. Cela veut donc dire que ce que nous avons fait - et on tente de nous le reprocher, y compris le ministre - c'est de négocier avec l'UIMM pour 1, 8 million de salariés touchés par cet accord métallurgie, nous avons mis en place et en musique la loi de M. Aubry. Eh bien, nous la sauvons en faisant cela, parce qu'il n'était pas sûr que les patrons acceptent de négocier quoi que ce soit en la matière. Nous avons atteint leur résistance et nous avons - et cela c'est un problème technique, mais c'est parce qu'on juge rapidement les choses, nous avons effectivement accepté un quota d'heures supplémentaires qui peut apparaître, comme cela, très important. Mais en vérité, je rappelle que ce quota, c'est la possibilité de faire des heures supplémentaires sans demander l'autorisation au ministère du Travail. Ce ne sont pas des heures supplémentaires obligatoires. Personne n'a dit cela. Et même, le quota d'heures supplémentaires réduit la durée du travail par rapport, en ce moment, au nombre d'heures supplémentaires effectuées sur la base des 39 heures. Je vous signale, au passage, qu'en l'an 2000, dans la métallurgie, on fera 35 heures et on sera payé, en valeur, 39 heures.
Yves Le Tranchant : On a un petit peu l'impression que certains accords sur les 35 heures favorisent plutôt la flexibilité, donc vont plutôt dans le sens des patrons. Alors est-ce que vous ne jouez pas un petit peu le même jeu qu'eux ?
Marc Blondel : Je suis navré : la flexibilité est la contrepartie que demandent les patrons partout. L'accord des sucreries, que nous n'avons pas signé, est basé sur la flexibilité. Tous les accords sont basés sur la flexibilité. Et c'est d'ailleurs Mme Aubry qui dit que c'est la contrepartie. Et nous avons, là, une vision qui est effectivement différente. Moi, je pense que la réduction de la durée du travail doit se faire sur la base de la revendication initiale : 35 heures payées 39 heures. C'est clair. Je ne pense pas que ce soit normal que ce soit les salariés qui, par leur sacrifice en matière de salaires ou par trop de flexibilité, payent les gens qu'on embauche. Ce n'est pas une redistribution entre salariés, qu’il faut faire, c'est une redistribution entre les bénéfices des entreprises et les salariés, c'est tout à fait différent.
Yves Le Tranchant : Est-ce que justement le risque de cette loi, ce n'est pas de favoriser, finalement, les gens qui ont déjà un emploi, et non favoriser ceux qui n'en ont pas ?
Marc Blondel : Nous ne sommes pas dans un régime autocratique ou socialiste et ce n'est pas Mme Aubry qui va décider que Renault embauche. Vous me permettrez de faire remarquer que M. Bon, qui est le patron de France Télécom, a dit qu'il allait faire les 35 heures sans embauche. Je rappelle que France Télécom est encore sous le contrôle de l'État majoritairement. Est-ce que Mme Aubry va imposer à M. Bon une embauche ? Ce serait peut-être pas mal. Ce n'est pas au moment où le Gouvernement a tendance à plutôt désocialiser, à plutôt privatiser les entreprises, qu’il va dire : sur le plan de la gestion, nous allons les socialiser et nous allons leur imposer des embauches. Je ne crois pas à ce genre de choses. L'emploi ne doit pas être artificiel. Il faut qu'il corresponde à un besoin, sinon il n'existe pas, il ne tient pas. Je crois qu'il faut nous laisser négocier tout cela avec les patrons selon les lieux, les circonstances. Déjà, au sujet des 35 heures, nous avions dit que, dans la métallurgie, il y avait 40 % du personnel qui serait touché par une réduction des 35 heures, les autres étant en deçà, ou en delà, et très nettement avec les forfaits, etc. Il faut regarder cela de manière objective.
RMC le lundi 7 septembre 1998
Philippe Lapousterle : Rentrée sociale étrangement calme cette année! C’est la première fois depuis des lustres qu’on n’entend pas parler d’un automne chaud.
Marc Blondel : C'est une question de lecture. C'est peut-être votre état d'esprit ? Regardez, demain, il y a une grève européenne. Il y a un mouvement qui est lancé et qui, à mon avis, sera bon pour les chauffeurs routiers. Au passage, cela confirme bien que les mouvements de 1996 et 1997 n'ont pas été suffisants pour modifier de manière radicale les choses.
Philippe Lapousterle : Mais le climat social ?
Marc Blondel : L'expression d'automne chaud, etc, nous l'avons tous plus ou moins employée. Cette année, tout le monde a été prudent et on a dit il n'y aura pas de petites phrases. Alors, il y a différentes raisons. Vraisemblablement, chez mes camarades, comme ils sont à la veille de leur congrès, il y a un petit peu d'expectative. Quant à chez moi - enfin quand je dis chez moi, je veux dire dans la mouvance Force ouvrière, etc - mes camarades les hospitaliers sont assez déterminés, il va y avoir des mouvements assez rapidement, parce que les effets de la contre-réforme Juppé se font sentir dans les hôpitaux de manière sérieuse. Il y a toute une série de choses de cette nature qui se préparent, mais il n'est pas exclu, compte tenu du contexte international - ce qui est en train de se passer en Russie, etc - que les gens disent : « dans le fond, en France, on n'est pas aussi mal que cela. » Moi, mon travail, et je viens de recevoir confirmation du mandat que j'avais eu à Clermont-Ferrand, est de prendre en compte les choses et puis d'éveiller les gens. Nous allons commencer, les secrétaires confédéraux et moi-même, faire le tour de France. Je m'en vais, demain à Nîmes, et ensuite à Clermont-Ferrand à nouveau. Nous allons présider les commissions exécutives pour faire le point avec nos camarades des syndicats
Philippe Lapousterle : Vous, vous avez utilisé le mot crise. Est-ce que ce qui se passe à l’étranger vous inquiète et va changer le climat économique et social ?
Marc Blondel : Ce qui se passe à l'étranger m'inquiète beaucoup quand il s'agit des modèles capitalistes. Il y a encore quelques mois, on parlait de la Corée en disant : « regardez ce que l'on peut réussir à faire ». D'autres disaient : « regardez, la Russie : du collectivisme intégral, elle devient capitaliste. Vous allez voir tous les gens vont faire fortune. » Je me rends compte que le système capitaliste ne réussit pas. Ce n'est pas la loi naturelle. Ce n'est pas de facto une réussite. La preuve : sauf erreur de ma part, on pourrait craindre en Russie - et ce serait dramatique - la famine, c'est-à-dire que les gens ne puissent pas manger. J'indique au passage - parce qu'on ne sait pas beaucoup de choses, mais on connaît quelques informations - : 60 % de l'économie russe est une économie de troc. C'est-à-dire que quand on travaille dans une usine, comme on n’est pas payé, parce que les clients ne payent pas, si vous travaillez dans une usine qui fabrique des roues de vélo, on vous dit à la fin du mois: « vous prenez des roues de vélo et vous allez les vendre sur le marché pour acheter de la viande. » Cela se passe comme cela et je ne ridiculise pas. C'est quand même, le moins qu'on puisse dire, une société particulière.
Philippe Lapousterle : Qu'est-ce qu'il se passe entre M. Aubry et vous ?
Marc Blondel : Cela se voit, cela se ressent ?
Philippe Lapousterle : Vous ne voyez pas ?
Marc Blondel : Nous nous voyons. Mais depuis, effectivement, l'accord de la métallurgie, il y a entre Martine et Force ouvrière, vraisemblablement, je dirais, une différence d'appréciation.
Philippe Lapousterle : Est-ce que vous reprenez le mot d'E.-A. Seillière dans Libération, le patron des patrons, qui parle du mépris de Mme Aubry ?
Marc Blondel : Je ne sais pas si c'est du mépris, parce que Mme Aubry à la tête près du bonnet, comme on dit, ce qui veut dire que ces gens-là n'ont pas de mépris, ils s'engueulent, c'est clair. Justement, je suis en période d'engueulades avec elle. Au moins par communiqués et par déclarations. Je ne comprends d'ailleurs pas son obstination. Permettez-moi - c'est une peu technique - deux ou trois petites informations. Comment voulez-vous qu'à partir du moment où l'on signe un accord de réduction de la durée du travail dans une branche de 1,8 million salariés...
Philippe Lapousterle : Ce que vous avez fait pour la métallurgie.
Marc Blondel : Oui. Comment voulez-vous qu'on puisse conclure, avec le nombre d'entreprises de la métallurgie - petites, grandes, moyennes, etc - qu'on va embaucher ? Ou alors, on est dans un régime collectiviste et le chef du personnel est Mme Aubry ? Et elle dit à M. Schweitzer, chez Renault : « vous allez en prendre 200 » et elle dit à l'aérospatiale : « vous allez en prendre 400 » et au petit atelier de mécanique du coin : « vous allez en prendre deux.
Philippe Lapousterle : Elle a dit de cet accord, par parenthèses, qu'il était virtuel.
Marc Blondel : C'est justement le combat que je n'accepte pas. Qu'est-ce que c'est que cela ? Un accord signé par certaines organisations syndicales, plus le patronat, deviendrait un accord virtuel parce que Mme le ministre du Travail le nommerait ainsi ? Un accord, cela a toujours été fait pour anticiper sur la loi. Elle dit : « vous anticipez sur la seconde loi ». Mais c'est le rôle d'un accord. On est déjà en situation de subsidiarité, compte tenu des circonstances, parce que la revendication est devenue une promesse électorale et que c'est par la loi qu'on a réglé le problème. D'habitude, c'est par la négociation qu'on règle le problème et ensuite la loi généralise.
Philippe Lapousterle : Vous n'avez jamais aimé les 35 heures ?
Marc Blondel : Attendez, moi, j'aime les 35 heures. Ce que je ne tolère pas, c’est qu'on puisse laisser supposer que les 35 heures, de facto, automatiquement, provoqueront l'embauche. Si c'était vrai, il n'y a aucune raison de mettre une incitation. Si c'était vrai qu'en mettant les 35 heures dans les entreprises, la réduction de la durée du travail amènerait immédiatement des embauches, pourquoi l'État donne-t-il de l'argent ? Pourquoi Mme Aubry a-t-elle invité... Vous ne pensez pas qu'il y a quelque chose de surréaliste ? Quand les étrangers se baladent dans Paris, ils voient des affiches : le Gouvernement, et son ministre des Affaires sociales, dit : réclamez les 35 heures. Mais si l'aspiration aux 35 heures était telle, il n'y aurait pas besoin que le Gouvernement incite les gens à les réclamer.
Philippe Lapousterle : Les 35 heures, ce ne sont des emplois nouveaux, franchement ?
Marc Blondel : Ce n'est pas automatiquement de l'emploi nouveau. Et l'accord de la métallurgie en question - je demande aux gens de faire un petit calcul - c'est simple. C'est 47 semaines travaillées multipliées par 35 plus, peut-être, 180 heures - parce que les 180 heures supplémentaires, c'est une faculté, et pas une obligation. On n'a pas les heures supplémentaires obligatoires. Avant, c’était 47 multiplié par 39 plus 94. Vous verrez qu'il y a deux heures par semaine de différence. Ce qui veut dire, quand même, qu'on travaillera moins, globalement, dans la métallurgie. Si on travaille moins pour la même production : il y a un choix entre l'amélioration de la productivité ou l'embauche. C'est le choix qu'auront tous les patrons.
Philippe Lapousterle : Et baisser les charges sur les petits salaires, comme elle le propose ?
Marc Blondel : C'est du bidon. D'ailleurs, nous allons parler de cela, aujourd'hui, et dans les jours à venir avec elle.
Philippe Lapousterle : Vous allez la voir ?
Marc Blondel : Bien sûr que je vais la voir. Je suis un responsable syndical, si je ne peux plus discuter avec le ministre des Affaires sociales, dans quel pays sommes-nous ?
Philippe Lapousterle : Baisser les charges sur les petits salaires ?
Marc Blondel : Baisser les charges sur les petits salaires, c'est une fausse bonne idée, parce que, dans la pratique, cela ne fera pas embaucher les gens sans qualification, parce que les patrons prendront, quand même, les gens les plus qualifiés. Vous n'y pouvez rien, c'est comme cela. Et d'ailleurs, si vous étiez patron, vous feriez comme cela : à choisir entre un garçon qui a le certificat d'études et un garçon qui a bac +3, le patron prendra celui qui à bac +3, parce qu'il le sait plus adaptable, etc... Donc, cela n'aspirera pas les gens sans qualification et deuxièmement, il faut quand même comprendre que sur le plan économique, ce que nous gagnons en échange, et le commerce extérieur, c'est intra-européen. Pour l'essentiel. Ce qui veut donc dire que si nous faisons cela, les Allemands vont en faire autant, les Italiens, les Espagnols, etc. Et nous allons entrer dans la mécanique qui est réclamée par l'Union des patrons européens, à savoir la baisse du coût du travail pour les personnes les moins qualifiées. Ce qui veut dire, en termes clairs, que l'on va en plus faire des seuils. Vous avez vu qu'elle parle d'exonérer une partie des cotisations sur les salaires les plus bas, les cotisations patronales, mais elle veut augmenter sur les salaires... En plus, vous savez comment cela se passe dans les entreprises quand les types ont des gros salaires, quand on ne peut plus leur remettre de l'argent, on fait du stock-option, il y a le tailleur qui vient, il y a des voitures. Vous ne l'empêcherez pas. Moi, j'aime autant qu'au niveau salarial, on intéresse à la fois aux petites et aux catégories les plus élevées. J'aime autant que la classe ouvrière fasse un tout et que cela ne soit pas des saucissons, qu'on ne soit pas saucissonné.
Philippe Lapousterle : L'énergie ne vous manque pas, ce matin !
Marc Blondel : Cela va.
RTL le mardi 8 septembre 1998
RTL : Estimez-vous que cette journée d’action des salariés du transport routier européen sera suivie d’effet : c’est-à-dire peser sur les discussions communautaires concernant l’harmonisation des conditions de travail ?
Marc Blondel : Je crois que cette journée d'action a été suivie correctement ; c'est une première. Le phénomène nouveau c'est qu'avant il y avait des actions surtout en France, et là nous avons réussi à engager les organisations syndicales sœurs de pays comme la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne. Et le mot d'ordre que nous avons lancé a été suivi. Ça veut donc dire que nous sommes en mesure, maintenant, de peser au niveau de la Communauté européenne, pour essayer d'obtenir des textes qui rendent la concurrence beaucoup plus loyale, et notamment éviter de faire faire plus de 60 heures par semaine, notamment aux routiers français. Vous savez que nous en sommes pratiquement en moyenne à 63 heures. Et on sait que les routiers, ils le disent eux-mêmes, quand ils font plus de 200 heures par mois, 240, ils sont un danger pour eux-mêmes et pour les autres. Alors je pense que ce phénomène que nous avons, en quelque sorte, européanisé, va dans le bon sens, et qu'il nous permettra, non seulement de montrer que nous pouvons mobiliser sur cette affaire, et que ce n'est pas aussi simple que ça - parce que le droit de manifester dans les autres pays est différent mais aussi parce que nous sommes confrontés à l'ouverture du cabotage depuis juillet 1998 : ce qui veut dire qu'une entreprise de transport allemande peut très bien faire du transport entre, je vais dire, Nîmes pour des raisons de circonstances et puis Biarritz. Ça veut donc dire qu'il y a sur ces camions des chauffeurs qui viennent notamment des pays de l'Est et qui acceptent de travailler pour 600 dollars par mois, soit 3 600 francs. Les chauffeurs français, à travail comparable, gagnent à peu près 8 000 francs. Vous voyez que ça ne peut pas durer comme ça. Il est clair qu'il y a des distorsions qui sont inacceptables.
RTL : Cette coopération syndicale européenne pourrait-elle vous donner d'autres idées dans d'autres secteurs ?
Marc Blondel : Bien entendu. Le secteur des transports, puisque l'objectif est de rendre fluides les possibilités de transports dans tous les pays européens, on a en quelque sorte une assise quasi-naturelle. Mais ça pourrait nous permettre-là, c'est Blondel en tant que secrétaire général de la confédération - sur le plan interprofessionnel d'envisager des actions de même nature dans des secteurs d'activité différents.
RTL : Les 35 heures : il y a un bras de fer actuellement avec Mme Aubry avec M. Seillière, vous avez donc la même cible !
Marc Blondel : Pardon ! Vous savez très bien qu'il y a des différences entre l'expression du syndicat FO et l'expression du patronat. Je rappelle d'ailleurs que l'une des difficultés sur l'histoire de la réduction de la durée du travail, c'est qu'au départ le patronat n'a pas voulu accepter la discussion et que ça s'est transformé en revendication sociale qui est devenu ensuite engagement électoral. Ensuite, comme l'opposition a gagné les élections, c'est devenu une loi. Or cette loi ne règle pas tout et ne pouvait pas tout régler. Elle ne pouvait surtout pas régler un gros problème qui est celui du maintien des salaires quand il y a réduction de la durée du travail. La revendication était de dire : nous voulons 35 heures payées 39. Ce que nous avons essayé de faire par voie de négociations - le patronat ayant accepté de négocier - notamment dans le secteur de la métallurgie, c'est de maintenir les salaires. Dans la métallurgie, les 1,8 million de travailleurs de la métallurgie seront payés 35 heures payées 39 au 31 décembre 1999. Sur ce plan-là, ce que je n'ai pas accepté... Vous dites bras de fer : en fait, c'est une vision, une appréciation différente entre le ministère du Travail et nous. Mme Aubry a dit : ce n'est pas un bon accord. Je ne lui reconnais pas le droit de dire que ce n'est pas un bon accord. Cet accord correspond à la demande des salariés de la métallurgie. Je vais m'en servir comme précédent pour essayer d'en faire autant dans d'autres secteurs d'activité. Ce faisant, nous allons sauver la loi sur les 35 heures. Les accords vont être conclus au niveau des branches, ce qui n'exclut pas des négociations au niveau des entreprises, et les entreprises qui voudront bénéficier des mesures incitatives financières pour embaucher les gens le feront. Ceci étant, ce n'est pas possible au niveau d'une branche, on ne peut pas dire : « 1,8 million de salariés, on va créer 6 %, c'est-à-dire cent et quelques, mille emplois » et dire « Renault, vous allez en prendre 400, l'Aérospatiale 300, et la petite entreprise de 50 salariés à Nîmes, Biarritz ou Strasbourg, vous en prendrez 2. » De quel droit ? Ce n'est pas possible ! Il y a là un point de désaccord assez clair d'appréciation avec Mme Aubry.
Propos recueillis par Jean-Marie Lefebvre et Jean-Pierre Defrain