Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les moyens consacrés à la réduction des risques de contamination du sida et à la prise en charge des malades et sur les principes de la lutte contre le sida, Nanterre le 11 mars, Paris les 5 et 31 mai 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature d'une convention pour un plan triennal dans les Hauts-de-Seine, le 11 mars-conférence de presse pour la publication d'une brochure d'information sur le Sida, Paris le 31 mai 1994.

Texte intégral

Intervention de monsieur Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé, à l'occasion de la signature de la convention pour le plan triennal solidarité-Sida dans les Hauts-de-Seine, vendredi 11 mars 1994

Monsieur le ministre d'État, Président du Conseil Général des Hauts-de-Seine,
Mesdames,Messieurs,

Je suis à la fois fier et heureux d'être aujourd'hui à vos côtés, monsieur Pasqua à l'occasion de la signature de la convention qui va unir des efforts de l'État et du Conseil Général des Hauts-de-Seine, pendant trois ans, dans la lutte contre le Sida.

Il y a trois mois, nous avions ici même déclaré notre intention commune d'agir ensemble et de réunir nos moyens pour conduire une politique globale de lutte contre le Sida dans ce département.

Nous voici réunis pour donner le départ de cette action commune et j'en suis particulièrement heureux.

Ce que nous enseigne le drame du Sida, c'est que la lutte doit se faire pied à pied, dans la volonté et l'acharnement, dans la fraternité et l'union.

Pourquoi avons-nous réussi à bâtir ensemble une stratégie, à mobiliser des moyens ? Parce que nous avons adhéré à un objectif commun, celui de la lutte contre le Sida.

Nous avons compris que la lutte contre le Sida, pour réussir ne pouvait être menée indépendamment de la lutte contre la toxicomanie. Que nous ne pouvons plus développer des stratégies différentes de lutte contre ces deux fléaux, tant ils sont étroitement imbriqués.

Nous avons compris que les joutes et les affrontements qui avaient divisés nos prédécesseurs étaient stériles pour la France, et que nous perdrions la bataille sur les deux fronts si nous ne changions pas fondamentalement nos stratégies sanitaires et sociales.

Que de temps perdu à ces circonvolutions politiciennes, alors que le Sida ne cessait de se développer dans notre pays, que les toxicomanes devenaient l'une des catégories les plus touchées par la contamination non seulement du virus du Sida, mais des autres maladies telles les hépatites.

Aujourd'hui le nombre de décès par overdose est moins important que celui dû à la contamination par le virus du Sida.

Aujourd'hui, la contamination de nombres de femmes est due à une pratique toxicomaniaque par voie intraveineuse ou à des rapports avec les toxicomanes ou d'anciens toxicomanes.

Et les enfants du Sida sont très souvent les enfants de la drogue.

En ce 11 mars 1994, nous allons, monsieur Pasqua, concrétiser une triple union. Celle qui s'est faite entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Santé, sur un objectif commun, celle qui s'est faite entre le Conseil Général des Hauts-de-Seine et l'État, sur une stratégie commune de lutte contre le Sida dans les Hauts-de-Seine, celle enfin qui s'est faite entre deux hommes qui ont pour leur pays le même espoir et la même volonté.

Entre la mort cachée et la vie, nous avons choisi la vie.

Entre l'exclusion et la solidarité nous avons choisi la solidarité.

C'est ce que nous avons fait.

Et depuis dix mois, nous avons fait bien plus qu'en dix ans.

1. Nous avons commencé à renouer le lien social

Lien social avec les malades en développant les appartements thérapeutiques.

Lien social avec les personnes atteintes en soutenant les permanences sociales.

Lien social avec les plus démunis, ceux qui vivent dans des conditions de précarité et d'insécurité, en créant des dispensaires de vie.

2. Nous avons engagé une politique de réduction des risques de contamination

Réduction des risques de contamination chez les jeunes à l'aube de leur vie sexuelle. Nous avons décidé, avec le ministre de l'Éducation nationale, d'inscrire dans le programme des collèges deux heures annuelles de cours consacrées à l'éducation sur le Sida et les maladies sexuellement transmissibles, dans une perspective plus large de prise en charge du corps et de la santé.

Nous savons décidé de mener des campagnes ciblées de prévention et d'incitation au dépistage.

Nous avons enfin développé toute une série d'actions orientées vers la réduction des risques de contamination des toxicomanes par le virus du Sida, et dans ce domaine presque tout était à faire.

Il fallait élargir l'accessibilité aux seringues.

L'accès aux seringues propres, c'est vital pour le toxicomane. Il ne s'agit pas d'une incitation à la toxicomanie mais d'une lutte pour la vie. Une lutte pour la vie des toxicomanes, mais aussi une lutte pour la vie de tous ceux à qui ils peuvent transmettre le virus, les femmes, les enfants.

D'abord les pharmacies. L'expérience de distribution de seringues à toute heure du jour et de la nuit, en développant les programmes d'échanges de seringues et en favorisant l'installation de distributeurs-échangeurs sous la responsabilité d'associations ou de pharmaciens, afin de veiller à ce qu'il n'y ait pas de dérapage.

Enfin, nous avons décidé de ne pas rester sourds aux appels au secours des toxicomanes qui n'arrivent pas à s'en sortir, à ceux pour lesquels les traitements de sevrage et de postcure ont été des échecs.

Certains produits de substitution, tel que la Méthadone, offrent la possibilité aux toxicomanes d'abandonner leurs injections de produits, et donc leurs pratiques à risques, de renouer le lien avec les médecins, la famille et la société.

Nous venons avec Madame Veil, de mettre en place une nouvelle commission des traitements par substitution de la toxicomanie, qui sera chargée d'étudier et d'évaluer chaque projet d'unité de traitement par Méthadone proposée à l'agrément du ministère de la Santé.

Cette commission pourra, compte tenu du résultat d'évaluation des programmes, proposer des adaptations au protocole médicalisé de prise en charge.

3. Nous avons décidé de renforcer la recherche

Dans ce domaine, les équipes françaises ont joué un rôle très important. Elles ont identifié le virus et son rôle causal dans la maladie, mis au point les premiers tests sérologiques de dépistage, déterminé son mécanisme pathogène.

Mais la recherche sur les traitements piétine.

Certes, l'Agence nationale de recherches sur le Sida a effectué un travail remarquable depuis 1989.

Mais il faut augmenter son efficacité. Et nous avons décidé d'ouvrir son champ d'actions à la recherche épidémiologique et aux sciences sociales.

4. S'agissant de la prise en charge des malades, nous avons également pris des décisions importantes

Celle d'accélérer la procédure d'autorisation de mise sur le marché de nouveaux médicaments.

Celle de renforcer l'effort entrepris pour mettre en œuvre des soins palliatifs correspondants aux besoins des malades.

Celle d'augmenter la capacité de prise en charge des malades, en moyen séjour et à domicile.

5. Enfin, dans l'esprit des propositions du professeur Montagnier, nous avons décidé de réorganiser notre dispositif institutionnel, en créant un Comité Interministériel de Coordination de la Lutte contre le Sida, en renforçant les compétences de la Direction Générale de la Santé qui exercera désormais les missions de prévention et de communication concernant le Sida, auparavant confiées à l'Agence Française de Lutte contre le Sida, et en créant au sein des directions régionales et départementales, une cellule de lutte contre le Sida.

Cinquante postes supplémentaires de médecins, inspecteurs et infirmières de santé publique ont été obtenus.

Le département des Hauts-de-Seine va donc pouvoir être renforcé.

Une véritable décentralisation de la mise en œuvre du plan de lutte contre le Sida va pouvoir voir le jour, accompagnée d'une déconcentration des moyens correspondants.

La Convention que nous allons signer est la première qui concrétise ce nouveau tournant de notre action, que nous souhaitons la plus proche possible des besoins locaux.

L'observatoire commun qui est créé dans les Hauts-de-Seine, réunira pour la première fois, outre les représentants de l'État et du Conseil Général, les représentants des élus locaux qui participent à la mise en œuvre des actions, et des experts.

Je salue la présence des maires des communes des Hauts-de-Seine. Nous avons besoin de leur participation active au plan commun d'actions que nous avons décide de mettre en œuvre.

Sans eux, sans les associations qui vont mettre en œuvre les actions, notre action ne pourra prendre son plein essor.

Il est urgent d'agir. Il est urgent de se mobiliser.

Notre jeunesse a traversé de nombreuses crises. Mais aucune n'était de même nature que celle qui la frappe aujourd'hui.

Nous devons l'aider à surmonter celle du Sida. C'est dans ce contexte du Sida que je vous appelle à agir, et travers vous, que j'appelle tous les conseils généraux, toutes les communes à agir.

Cette solidarité que j'appelle de mes vœux doit dépasser les frontières. Le Sida peut ébranler des continents entiers.

Puissions-nous prendre ici la résolution de combattre pour tous ceux auxquels on peut donner la vie, pour tous ceux auxquels on veut sauver la vie, pour tous ceux auxquels on doit rendre l'espoir.


Allocution de Philippe Douste-Blazy ministre délégué à la Santé, à la conférence de presse du jeudi 5 mai 1994, à l'occasion de la publication de la brochure « Au fil de la vie » éditée par Arcat-Sida, avec le soutien du ministère de la Jeunesse et des Sports

Madame le ministre,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de cette rencontre à l'occasion de la sortie de la brochure « Au fil de le vie » éditée par Arcat-Sida avec le soutien du ministère de la Jeunesse et des Sports.

Vous savez que la prévention chez les jeunes est pour moi une priorité, en particulier en ce qui concerne le Sida, mais aussi les autres risques de santé et en particulier la toxicomanie.

Le ton de cette brochure va tout à fait dans le sens que nous pouvons souhaiter en mettant l'accent sur la vie, l'espoir, mais aussi en soulignant la difficulté de l'amour, la pudeur, la tendresse.

Il faut remercier l'association Arcat-Sida pour cette rédaction et pour les illustrations qui l'accompagnent, alternant optimisme et sérieux, comme c'est bien souvent le cas chez les jeunes.

Je voudrais répéter une fois de plus que le Sida n'est pas une fatalité, qu'il est donc impératif de se protéger et de protéger les autres pour éviter la contamination.

Cela veut dire tout d'abord lutter contre l'ignorance, et nous n'aurons jamais trop de ces brochures dans lesquelles les jeunes peuvent trouver des messages positifs de prévention.

Mais cela veut surtout dire adapter ses comportements, qui pour certains sont la fidélité, qui pour d'autres passeront par l'utilisation des préservatifs, qui dans tous les cas tiendront compte des projets que font ces garçons et ces filles lorsqu'ils atteignent leur maturité : penser au couple que l'on désire former, penser au foyer que l'on désire fonder, et aux enfants qui seront souhaités.

La coopération entre le ministère de la Santé et le ministère de la Jeunesse et des Sports s'inscrit dans le droit fil de l'application des mesures proposées par le professeur Montagnier dans son rapport. La première des propositions du rapport Montagnier suit le renforcement de la coopération interministérielle. Cette conférence de presse commune est la manifestation que le rapport Montagnier n'est pas resté lettre morte.

Je suis particulièrement heureux que se soit avec ce ministère là qu'une des premières actions communes se fasse, car il est non seulement celui de la Jeunesse mais aussi celui des Sports.

Sports et Santé sont naturellement partenaires dans la prise en charge du corps, et de son épanouissement. Le sport développe le sens de la solidarité, de la compétitivité loyale et de refus de l'exclusion.

Lutter contre l'exclusion de ceux qui malheureusement ont été contaminés par le virus VIH est notre premier devoir : ils doivent pouvoir avoir une vie normale parmi les autres, à la crèche, à l'école, dans les familles, dans les entreprises, dans la vie quotidienne.

Il faut surmonter ses craintes, ses réticences, ses jugements de valeur.

Il faut recréer ensemble un nouvel humanisme, dans nos rapports aux autres, entre les parents et les enfants, entre les jeunes et les moins jeunes, entre les malades et les médecins.


Allocution de monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé, à l'occasion du débat sur le Sida à l'Assemblée nationale, le 31 mai 1994

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,

La lutte contre l'épidémie de Sida est pour le Gouvernement une priorité absolue.

L'épidémie de Sida est en effet – Madame le ministre d'État vient de le rappeler – une véritable tragédie – pour les malades et leurs proches, pour les médecins, auxquels la science n'a pas encore donné les moyens de vaincre la maladie, pour le corps social tout entier, qui doit faire preuve de solidarité au moment même où les réflexes de peur et les égoïsmes menacent de l'emporter.

Je voudrais que nos premières pensées soient pour les malades qui, avec un courage extraordinaire, font face au mal. Je pense aussi aux hommes et aux femmes qui apprennent leur séropositivité dont tous les projets se trouvent en un instant fragilisés, et qui doivent, envers et contre tout, apprendre à vivre avec le fléau.

Mes pensées vont également aux associations, qui font preuve d'une compétence, d'une disponibilité et d'une générosité exceptionnelles. Quelles soient assurées quelles trouveront toujours auprès de moi et des services du ministère de la santé des interlocuteurs attentifs et soucieux de répondre à leurs préoccupations.

Mes pensées vont enfin à l'ensemble des personnels sanitaires et sociaux qui prennent en charge les personnes séropositives et les personnes malades. Ils savent, mieux que quiconque, quelle est la souffrance, la détresse des malades, et combien les qualités de cœur sont essentielles dans la tâche qui est la leur. Sans elles, rien n'aurait été possible.

Qu'elles trouvent ici l'expression de la gratitude des pouvoirs publics et de tous nos concitoyens.

Ce débat doit être l'occasion, pour le Gouvernement, d'exposer devant la représentation nationale les principes directeurs et la logique de l'action qu'il mène depuis plus d'un an contre l'épidémie de Sida, mais aussi, je l'espère, de faire prendre conscience à tous de l'ampleur du fléau, de ses enjeux.

Mesdames et Messieurs les Députés, nous sommes en guerre.

150 000 personnes contaminées, plus de 32 000 cas de Sida déclaré depuis l'apparition de l'épidémie, 10 familles en deuil par jour !

Notre époque, habituée aux statistiques a eu tendance à sous-estimer la difficulté d'évaluer l'importance et l'évolution de l'épidémie. Chacun se souvient des annonces successives et contradictoires du nombre de personnes séropositives évalué à 200 000 voire 500 000 personnes. Aujourd'hui nos méthodes sont plus affinées. Il n'en est que plus indispensable de renforcer les études épidémiologiques pour mieux adapter nos messages de prévention à l'évolution des modes de contamination. Les dernières études disponibles nous montrent ainsi que plus de 30 % des nouveaux contaminés le sont par voie hétérosexuelle.

Désormais, nul ne peut en douter : le Sida est bel et bien devenu un enjeu majeur de santé publique – même si nous avons parfois trop tardé à l'admettre et à le dire. Un enjeu majeur de santé publique, non seulement pour les groupes dits « à risques » – je pense, par exemple, aux toxicomanes – mais aussi pour l'ensemble de la population – c'est-à-dire pour chacun d'entre nous.

Voilà pourquoi j'ai dit, à plusieurs reprises, que, face au Sida, la mobilisation doit être générale.

La mobilisation générale, Mesdames et Messieurs les Députés, ce n'est pas un slogan : ce sont deux choses : des actes, c'est-à-dire des moyens, et des principes.

Des moyens, d'abord.

Le Gouvernement les a dégagés, dans un contexte budgétaire et économique pourtant extrêmement tendu : 266 millions de francs inscrits au budget 1994, soit une augmentation des crédits de plus de 26 % par rapport à l'année précédente !

À cette somme, il faut ajouter 60 millions de francs débloqués par décret d'avance en application des recommandations du Professeur Montagnier, et, tout dernièrement, 100 millions de francs de crédits exceptionnels dégagés par le Premier Ministre, au lendemain de l'opération « Sidaction ».

Il ne faut pas oublier, bien sûr, pour être complet, les crédits mis à la disposition des hôpitaux afin de prendre en charge les malades, dans les meilleures conditions possibles : plus de 4 milliards de francs.

Les dépenses supportées par les hôpitaux s'accroissent considérablement sous l'effet de l'évolution des traitements et des pathologies. Ainsi des comparaisons par rapport à 1990 montrent des différences importantes :

1. Le nombre de patients sous médicaments antiviraux est passé de 14 700 à 23 000 soit une forte augmentation, ce qui signifie une augmentation du coût hospitalier.

2. Par pathologie, on note une augmentation impressionnante des atteintes par cytomégalovirus de plus de 255 %, des toxoplasmoses cérébrales de plus de 78 % et, à un moindre degré, des pneumocystoses de plus de 49 % tandis que le taux de tuberculose, contrairement à ce qui a pu être redouté à un certain moment, est resté stable.

3. Le nombre de personnes présentant des altérations importantes de leur autonomie c'est-à-dire dans un état grave est passé de 2 750 à 7 800 soit une augmentation de 180 %, alors que le nombre de patients présentant une perte totale d'indépendance – c'est-à-dire en fin de vie – est resté stable. On peut interpréter ces chiffres comme significatifs du résultat positif des traitements des complications. En effet ces traitements prolongent notablement la survie des malades mais entraînent un nombre plus élevé d'hospitalisation.

C'est dire tout le rôle que joue l'hôpital dans la prise en charge des malades du Sida.

C'est au total, près de 5 milliards de francs qui seront consacrés par la collectivité nationale à la lutte contre le Sida cette année.

Cet effort exceptionnel, je sais qu'il est – qu'il ne peut être – qu'insuffisant.

Et pourtant, permettez-moi de rappeler que nous devons encore progresser. Aussi bien ce qui concerne la prévention, l'information et le dépistage qu'en ce qui concerne la prise en charge et le traitement des malades.

J'attache un grand intérêt au développement beaucoup plus rapide des programmes d'éducation pour la santé, qu'elles prennent le canal de grandes émissions de télévision ou celui de l'enseignement dans les lycées et les collèges. Je ne peux passer sous silence le fait que, après l'émission Sidaction du 7 avril dernier, le nombre de personnes qui se sont fait dépister à augmenter de plus de 40 %. C'est dire tout le rôle que peuvent et doivent jouer les chaînes de télévision.

Avec monsieur Bayrou, ministre de l'Éducation nationale, nous avons décidé de favoriser le développement de l'éducation pour la santé à l'école. Certaines actions ont déjà été arrêtées, après le rapport de monsieur Montagnier. Il faut sans délai les amplifier.

Je voudrais rappeler à nouveau toute l'importance que j'attache au développement de la prise en charge extrahospitalière des malades et à l'humanisation de la vie quotidienne. L'hospitalisation à domicile (HAD) et les soins à domicile (SAD) constituent un élément majeur de cette prise en charge. Une étude multicentrique réalisée en 1992 sur 75 % des patients infectés par le VIH et suivis en hospitalisation à domicile a montré ainsi que 15 % des patients suivis étaient dans un état très altéré, et que 50 % nécessitaient des soins nouveaux.

Pourtant de nombreux problèmes restent à résoudre pour permettre à l'hospitalisation à domicile de prendre toute sa place dans le dispositif de soins.

Que ce soit pour les infirmières qui se heurtent aux problèmes majeurs de l'élimination des déchets.

Ou que ce soit pour les malades eux-mêmes qui doivent supporter le coût des compléments alimentaires, et des petits matériels comme les tubulures de perfusion qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale.

On notait en 1992 que les 3/4 des malades recevaient l'aide d'une personne extérieure, pour 48 % d'entre eux d'un parent, 36 % des amis, 15 % d'une association, seulement 10 % d'une personne rémunérée.

Une politique très volontariste était donc nécessaire pour développer la prise en charge extrahospitalière.

Ainsi, dès mai 1993, les capacités d'aide au maintien à domicile ont été doublées : le nombre d'heures d'aides ménagères et de garde-malades est passé de 80 000 à 160 000 heures !

À la fin de 1993, les réseaux ville / hôpital ont été renforces : réunissant des médecins de ville et des médecins hospitaliers des Centres d'Information et de Soins de L'Immunodéficience Humaine (CISIH), ils permettent de prendre en charge quelque 10 000 patients, soit près de 80 % des malades.

Une politique ambitieuse de réduction des risques était indispensable pour maîtriser la diffusion de l'épidémie chez les toxicomanes. Elle s'est attachée à développer les programmes d'échanges de seringues et les programmes de substitution.

En avril 1993, seuls trois programmes d'échange de seringues étaient opérationnels. Fin 1993, il y en avait 14.

Lorsque ce Gouvernement est arrivé aux affaires, il n'existait que 52 places de traitement par méthadone.

Aujourd'hui, plus de 525 places de méthadone ont été agrées ; elles seront un millier à la fin de cette année.

Quand on sait qu'aujourd'hui en France, sur 150 000 héroïnomanes dépendants, un sur trois est séropositif – je dis bien un sur trois –, on mesure quel est le véritable état d'urgence sanitaire auquel nous devons faire face !

Un millier de places de méthadone, c'est beaucoup, c'est mieux, mais ce n'est pas assez !

Ce sont plusieurs milliers de places dont nous devons disposer afin d'éviter que ces deux fléaux terribles, le Sida et la toxicomanie, ne se renforcent mutuellement.

Je souhaite également à rappeler, Mesdames et Messieurs les députés, l'action résolue de réorganisation conduite par les pouvoirs publics à la suite du rapport de monsieur Montagnier, afin de renforcer la coordination et la mobilisation de tous dans la lutte contre le Sida :

– nomination d'un délégué interministériel ;
– affirmation du rôle de la Direction Général de la Santé ;
– réintégration au sein de la DGS des missions de prévention jusqu'alors confiée à l'agence française de lutte contre le Sida ;
– mobilisation pour faire face à la situation de l'épidémie dans les départements et territoires d'outre-mer.

Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, quelques-unes des actions entreprises au cours de l'année écoulée, auxquelles je pourrais ajouter ce qui a été fait pour l'hébergement des malades, le soutien des personnes contaminées, le développement de l'usage du préservatif, le renforcement des campagnes de prévention, ou la formation des personnels soignants.

Je sais, autant que quiconque, que cela n'est pas encore assez, et que l'effort devra être poursuivi durant plusieurs années pour porter ses fruits : tel est d'ailleurs le sens des diverses mesures annoncées par le Premier Ministre.

J'ai dit tout à l'heure que, pour engager la mobilisation générale, il fallait des moyens, des actes. Il faut également des principes.

L'épidémie de Sida n'est pas seulement un redoutable problème de santé publique, auquel il serait possible de faire face par la seule augmentation des moyens, humains et financiers.

Je crois profondément, Mesdames et Messieurs les Députés, que la maîtrise, à tous les sens du terme, de l'épidémie de Sida ne peut nous être donnée sur le seul terrain de la technique.

Je crois profondément que l'éthique doit être une dimension incontournable de notre action contre l'épidémie.

Et c'est peut-être le défi le plus difficile à relever.

Aussi me semble-t-il indispensable que des principes clairs guident l'action des Pouvoirs Publics.

Ces principes, qui sont les miens, sont au nombre de trois : non-coercition, non-exclusion, responsabilisation.

Non-coercition d'abord : nous savons désormais que l'épidémie de Sida menace de bouleverser l'équilibre de la relation entre médecins et malades.

Cette relation repose, comme on a pu le dire, sur la confiance du malade et sur la conscience du médecin. Elle est la pierre angulaire de notre système de soins, et nous devons tout faire pour la préserver. Si elle venait à s'effriter, non seulement l'efficacité de la lutte contre l'épidémie n'y gagnerait rien, mais c'est toute notre médecine humaniste qui s'en trouverait fragilisée, avec des conséquences incalculables.

Voilà pourquoi j'ai dit qui me paraissait dangereux – dangereux, mais aussi inefficace et inutile –, en matière de prévention, d'imposer par la loi la pratique du dépistage obligatoire.

Rappelons-le chaque année plus de 6 millions de test de dépistage sont pratiqués, 3 656 000 dans les centres de transfusion et les hôpitaux, 860 000 en médecine de ville. Les actions de dépistage constituent un élément fondamental de la politique de lutte contre le Sida. Et je souhaite rappeler tout l'effort mené depuis plusieurs années par les chercheurs et les laboratoires pour accroître la sensibilité et la spécificité des tests de dépistage. Désormais, une évolution permanente des réactifs est mise en place qui permet de retirer du marché un produit dès lors qu'un autre, plus spécifique ou plus sensible est disponible.

Le succès d'une politique de dépistage repose sur le volontariat et l'adhésion de ceux qui s'y soumettent. La contrainte serait inefficace et dangereuse.

Inefficace, parce qu'il n'est nul besoin de légiférer pour imposer ce qui se pratique déjà, dans le respect des règles déontologiques : je pense en particulier au test du VIH chez les patients atteints de tuberculose ou d'une pathologie infectieuse grave.

Inefficace, parce que, tous les spécialistes le savent, compte-tenu du délai de séroconversion, la sécurité apportée par un test négatif à un moment donné n'est ni absolue ni durable : la sécurité ne peut résulter que de la responsabilité individuelle – de la responsabilité de chacun d'entre nous vis-à-vis d'autrui.

Inefficace, le dépistage obligatoire serait, enfin dangereux.

Pour préserver la relation médecin-malade – et ce doit être pour nous tous un impératif catégorique, un devoir absolu –, la loi ne doit pas, Mesdames et Messieurs les Députés, entrer par effraction dan le cabinet du médecin : le colloque singulier n'a que faire de la coercition !

Ayons, nous aussi, sur qui pèsent la responsabilité de faire la loi, le courage de faire confiance : confiance au colloque singulier entre le médecin et le malade, qui est aussi vieux que la médecine occidentale. Il est le plus solide rempart contre toutes les dérives. Précisément parce que le Sida affecte spontanément, et de manière profonde, la relation médecin-malade, il faut tout faire pour la préserver. Je suis heureux que le rapport remis il y a quelques jours à peine par l'Agence Nationale de Recherche sur le Sida confirme la pertinence des options retenues par le Gouvernement.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les Députés, je suis résolument hostile à toute mesure d'exception qui viserait à remettre en cause les règles du secret médical : il s'agit d'un enjeu majeur, non seulement pour l'avenir de notre médecine, mais aussi en termes de libertés individuelles.

En l'État actuel de nos connaissances, et compte-tenu des caractéristiques de l'épidémie, toute mesure en ce sens comporterait beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages.

Je me félicite que telle soit aussi la position exprimée dans le rapport que le docteur Louis René, ancien président de l'Ordre National des Médecins, vient de remettre au Gouvernement ; tel est également le sens de l'avis rendu tout récemment par le Conseil National du Sida.

Sachons donc convaincre, et non contraindre.

Dangereux, le dépistage obligatoire le serait pour une autre raison encore ; et ici, nous touchons au second principe que j'ai mentionné tout à l'heure.

Le principe de non-exclusion : il s'agit ici, non plus seulement des risques que fait courir l'épidémie à la relation entre médecin et malade, mais de menaces pour la collectivité tout entière.

Nous avons tous, Gouvernement, Parlement, Professionnels de Santé, conscience d'être confrontés à un problème sanitaire grave : le plus grave auquel nous ayons eu à faire face depuis longtemps.

Ne nous laissons pas entraîner sur le terrain sécuritaire !

Il n'y a qu'un pas, en effet, de la contrainte à la logique de ségrégation, de discrimination et, pourquoi pas ? d'enfermement.

De cela, je ne veux pas pour les malades, pour tous nos concitoyens !

Sachons donc – et les associations nous y aident puissamment – être ouvert et à l'écoute des personnes contaminées, des malades.

Persuadons-nous – car telle est la réalité – que le Sida nous concerne tous, et que toute stratégie de discrimination ou d'exclusion, notamment vis-à-vis des groupes à risques, est non seulement vouée à l'échec, mais aussi porteuse d'un coût moral exorbitant pour le corps social tout entier.

Responsabilisation, enfin : tout montre que c'est de la responsabilité individuelle, d'un surcroît de responsabilité, que peut procéder la réduction des comportements à risques, et donc, à terme la stabilisation de l'épidémie.

Aussi devons-nous retrouver le sens de la responsabilité individuelle.

Je crois, Mesdames et Messieurs les Députés, qu'il s'agit de l'un des défis que nous lance l'épidémie de Sida.

Nous avons, trop souvent, désappris les évidences, et d'abord celle-ci : que le risque de la maladie est aussi, et peut-être d'abord, l'affaire de l'individu.

Que l'on me comprenne bien : il ne peut être question pour l'État d'abdiquer ses responsabilités.

Mais l'épidémie nous rappelle que, alors que nous sommes habitués à raisonner en termes de droits, et droits collectifs, la responsabilité individuelle, celle de chacun d'entre nous, ne peut pas et ne doit pas être élidée.

Les historiens diront peut-être un jour que l'une des leçons de cette terrible épidémie aura été de nous contraindre à réfléchir autrement à la conciliation de la responsabilité sociale et de la liberté individuelle.

Mesdames et Messieurs les Députés, l'historien Mirko Gremek a écrit : « l'apparition du Sida est un événement prémonitoire. Nous nous sommes leurrés en croyant à la victoire définitive dans la lutte contre les maladies infectieuses : elles reviennent ou prennent des formes nouvelles ».

Le défi qu'elles nous lancent n'est pas seulement sanitaire ; il est aussi politique et social : ce n'est que par la solidarité, la responsabilité et la générosité que nous le relèverons, dans le respect des principes qui fondent notre société.