Texte intégral
Europe 1 : Lundi 5 septembre 1994
F.-O. Giesbert : Vous avez annoncé que vous serez candidat si vos idées ne sont pas représentées. Ça veut dire quoi.
P. de Villiers : Si mes idées, celles qui ont remporté le succès que vous savez, ne sont pas représentées, alors sans aucun doute, je serai candidat.
F.-O. Giesbert : Quels sont les gens qui représentent vos idées aujourd'hui, P. Séguin et C. Pasqua ?
P. de Villiers : La phrase telle que je l'exprime donne tout son sens à ma pensée. Nous sommes un certain nombre de responsables dans la majorité, à considérer que la question qui est posée en avril 1995, c'est tout simplement la question de survie de la France. En d'autres termes : est-ce qu'on veut vraiment en préparant l'Europe du troisième millénaire, que la France survive ou qu'elle disparaisse en tant que nation souveraine ? Est-ce qu'on accepte que la France disparaisse pour devenir une sorte de province européenne sous un gouvernement bruxellois monstrueusement technocratique et devenir, pourquoi pas, un satellite allemand.
F.-O. Giesbert : Vous nous annoncez que vous allez faire une campagne anti-européenne ?
P. de Villiers : Je serai présent dans le débat présidentiel. Je suis pour la candidature unique, c'est naturellement la situation idéale, mais à condition que la candidature unique s'appuie sur la représentation, la prise en compte des idées qui me paraissent fondamentales.
F.-O. Giesbert : Vous pensez qu'il peut y avoir une candidature unique anti-européenne ?
P. de Villiers : Je pense que le candidat unique, ce qui est aujourd'hui un peu compromis, devrait avoir à cœur de représenter les deux sensibilités de la majorité. Il devrait répondre à un certain nombre de questions. Par exemple, 1) est-ce qu'on veut oui ou non sortir la France du chômage libre-échangiste, ce qui veut dire rompre avec l'idéologie mondialiste, la logique du GATT et exiger la protection communautaire de nos emplois ? 2) Est-ce qu'on veut oui ou non sortir la France du socialisme ?
F.-O. Giesbert : Vous voyez E. Balladur accepter cela ?
P. de Villiers : Je pense qu'E. Balladur qui a rendu du style et de la tenue de l'État, a été très gêné par la cohabitation. Fallait-il l'accepter ? Vous savez ce que j'en pensais, que c'était une erreur. Mais je c rois qu'il peut répondre à la question de savoir si on veut faire de la France un grand pays créateur alors que la France est aujourd'hui asphyxiée par les prélèvements puisqu'on continue à s'enfoncer dans le socialisme ; savoir si on va réapprendre en France la responsabilité personnelle par l'école, la famille, alors qu'aujourd'hui sur l'école, on a renoncé à toute réforme et qu'il faut faire une grande réforme de l'école sans laquelle nous perdrons notre identité et nos valeurs ; savoir si on est décidé, oui ou non, à lutter contre la corruption en France qui est en train de corroder le crédit des hommes politiques et de tous les décideurs. Voilà de grandes questions qui se posent et qui sont des réformes fondamentales, sinon l'élection présidentielle sera un non-événement et une simple querelle de personnes.
F.-O. Giesbert : Maintenant que vous avez été viré du PR, vous vous situez toujours dans la majorité ?
P. de Villiers : Viré du PR ? Il y a des procédures pour exclure quelqu'un. Même en URSS, il y avait des procédures, alors je pense que le PR, s'il veut exclure l'un de ses membres doit adopter un certain nombre de procédures, ce n'est pas le cas pour l'instant.
F.-O. Giesbert : F. Léotard a parlé des snipers de la majorité, il vous visait ?
P. de Villiers : Je ne sais pas, plutôt A. Juppé peut-être.
F.-O. Giesbert : Il a même dit qu'il fallait les mettre hors d'état de nuire. C'est pour vous ça ?
P. de Villiers : Monsieur Léotard file la métaphore varoise. Je pense que ce langage d'exclusion et d'intolérance n'est pas opportun aujourd'hui dans la majorité parce qu'on aura besoin de tout le monde. M. Léotard devrait le savoir. Mais sur le fond, si les partis politiques devaient exclure de la majorité et les mettre hors de la vie politique, tous ceux qui sont contre Maastricht, pour une autre conception de l'Europe et pour une lutte implacable contre la corruption, alors il y aurait beaucoup de monde dans le bourg.
F.-O. Giesbert : Au RPR, les couteaux sont tirés. Ça vous gênerait que J. Chirac soit le candidat parce qu'il chasse un peu sur vos terres ?
P. de Villiers : Je ne sais pas ce que veut dire l'expression. Je pense que J. Chirac comme E. Balladur est une personnalité qui a fait ses preuves. Je suis fier d'avoir appartenu à son gouvernement entre 86 et 88, je le connais bien. Ce qu'il faut bien voir, ce sont les programmes. Quel sera le programme de J. Chirac ? Quel sera celui d'E. Balladur ? S'ils doivent être candidats tous les deux, que ce ne soit pas une querelle de personnes, que ce soit une vraie querelle au sens où le général de Gaulle entendait la politique, une querelle qui porte sur la question de l'avenir de la France.
Q: Faisons un rêve : vous vous présentez, vous faites un bon score au premier tour et au deuxième tour, on retrouve E. Balladur et J. Chirac, pour qui vous prononcez-vous ?
P. de Villiers : Je ne fais pas de projection fantasmatique. On n'est pas des pantins, on n'est pas guignol. Je me bats pour des idées qui me paraissent fondamentales. Je me prononcerai pour celui qui parlera le mieux de la France et de sa survie et qui en parlera de manière concrète en prenant des engagements sur sa souveraineté, son identité, ses valeurs et son rayonnement créateur parce que le septennat qui vient finalement c'est l'an 2000. Celui qui aidera les Français à passer le siècle et à refaire de la France un grand pays créateur, moi je l'aiderai.
F.-O. Giesbert : Vous êtes soumis à un choix entre vos mandats, vous avez choisi ?
P. de Villiers : Je choisirai ce que ma mission nationale m'impose, le débat présidentiel ou le débat européen, ou les deux en mêmes temps. Je ferai le choix à la fin de l'année.
Le Monde : 16 septembre 1994
Le Monde : Quel jugement portez-vous sur François Mitterrand, tel qu'il se présente face à sa maladie et face à son passé ?
P. de Villiers : En ce qui concerne la santé du président, j'ai un sentiment de grande retenue face à un homme de plus en plus seul avec sa conscience et sa souffrance. Pour ce qui est du passé, c'est la fin d'une imposture imposée par la gauche, selon laquelle il y aurait eu deux France pendant la guerre : celle de la Résistance, progressiste, donc de gauche, et celle de la collaboration, nécessairement de droite. On sait bien, aujourd'hui, que c'est faux : il y a eu une droite authentiquement résistante et une gauche collaborationniste.
François Mitterrand a toujours pris soin d'entretenir un double réseau, au sens idéologique et au sens relationnel. Dans le livre de Pierre Péan, il dit que Bousquet attirait l'amitié. Cette formule caractérise l'ambiguïté fondamentale du comportement de François Mitterrand, qui ne pouvait pas ignorer le mot de Himmler au sujet de Bousquet : « C'est un collaborateur précieux. »
Le Monde : Partagez-vous le souci de réconciliation nationale exprimé par le président de la République ?
P. de Villiers : On ne peut considérer Vichy autrement que comme une parenthèse. Il est impensable de criminaliser un pays comme la France. C'est ce que dit François Mitterrand. Quand il parle avec un ton juste de la nécessité de la réconciliation nationale, dans notre vieux pays aux mille cicatrices, il remplit sa fonction de souveraineté, mais la réconciliation ne peut se concevoir que dans la vérité – sur Vichy, et sur François Mitterrand. Comment a-t-on pu occulter des éléments aussi essentiels de la biographie de celui qui a la charge suprême depuis quatorze ans ? On ressent un profond malaise à partir du livre de Pierre Péan, et le mandat de François Mitterrand s'achève dans une atmosphère délétère. Je pense, en cet instant, à tous les militants de gauche, portés par la mystique du socialisme et finalement brisés par la mystification du mitterrandisme.
Le Monde : Croyez-vous que la campagne présidentielle réhabilitera la politique ?
P. de Villiers : Je l'espère. Que s'est-il passé depuis l'été ? On a installé un décor médiatique, auquel les Français s'habituent de plus en plus : la double candidature implicite d'Édouard Balladur et de Jacques Chirac. Je fais partie des polytraumatisés de 1981 et 1988. J'essaye de faire une analyse de la pathologie de l'échec. Il y a aujourd'hui, à droite, deux pilotes virtuels qui se disputent le volant, mais personne ne sait quelle direction ils nous proposent. Il nous faudrait un seul pilote et une seule direction. C'est pourquoi j'interpelle l'un et l'autre en leur disant : « Arrêtez l'hypocrisie ! Vous êtes tous les deux candidats ; alors, de grâce, entendez-vous ! »
Le Monde : Et s'ils ne s'entendent pas ?
P. de Villiers : Si la querelle des personnes et la multiplication des candidatures empêchent l'ouverture d'un débat de fond, je peux vous dire que je n'hésiterai pas à l'ouvrir moi-même. Si les convictions exprimées le 12 juin par deux millions et demi d'électeurs ne sont pas prises en compte, je les représenterai moi-même sans hésitation.
Le Monde : Avez-vous justement l'impression que ces convictions sont prises en compte par la majorité depuis le 12 juin ?
P. de Villiers : Je n'ai pas ce sentiment. Les états-majors de la majorité s'égarent trop souvent dans une vision archaïque, qui leur laisse penser que l'élection présidentielle se gagne au centre de l'échiquier politique, alors qu'elle se gagne au centre de gravité de son propre camp. La grande leçon du 12 juin, c'est justement, qu'il y a deux sensibilités dans la majorité. Je pose donc trois questions à M. Balladur et à M. Chirac, qui ont tous les deux souhaité Maastricht et assumé la cohabitation.
Premièrement, êtes-vous prêts à vous engager à ce que le prochain septennat soit un septennat de reconquête de la souveraineté française ? Autrement dit, la France n'a-t-elle plus comme seule vocation que de devenir une province européenne, un comparse ou un satellite allemand ?
Deuxièmement, êtes-vous prêts à vous engager à ce que le prochain septennat soit l'occasion de stopper la dérive du chômage structurel généré par l'idéologie libre-échangiste, ou va-t-on s'en tenir à une analyse conjoncturelle du chômage en invoquant les mânes de la reprise ? Allons-nous ainsi ratifier le GATT ou réclamerons-nous avec force la préférence communautaire ?
Enfin, êtes-vous prêts à vous engager à ce que le prochain septennat soit l'occasion de sortir du socialisme et de refaire de la France un grand pays créateur ? C'est-à-dire un pays jeune, grâce à une vraie politique familiale ; un pays qui jouisse d'une grande liberté, avec des prélèvements obligatoires en baisse d'un point par an alors qu'ils sont en augmentation depuis dix-huit mois ; un pays qui libère son école et qui ait des valeurs fortes, avec un vrai plan de lutte contre la corruption.
Le Monde : Vous n'êtes donc pas satisfait par le bilan du Premier ministre ?
P. de Villiers : Il a rendu de la tenue et du style à l'État. Tout le monde doit lui en savoir gré. Pour le reste, les Français pensent que la cohabitation a entravé les réformes. Ces deux années de cabotage. Chacun voit bien que tout reste à faire. Par exemple, l'atmosphère de corruption dans laquelle le socialisme nous a plongés reste la même. Le langage convenu et cotonneux, au nom du tabou de l'union, nous étouffe comme un caisson phonique. L'union pour quoi faire ? S'il s'agit de faire l'union autour d'un grand projet social-démocrate, alors Jacques Delors sera le mieux placé pour y parvenir. S'il s'agit de sortir du socialisme, il faut dire comment, avec quel programme et quelles échéances.
Le Monde : Voteriez-vous la confiance au gouvernement aujourd'hui ?
P. de Villiers : La question n'est plus d'actualité. À l'approche de la présidentielle, il ne s'agit pas de bilan, mais de projet. Tout dépend du projet qui est proposé. Compte tenu du combat que j'ai mené, il me paraîtrait difficile d'accepter le projet d'une Europe définitivement intégrée, dans laquelle la France se verrait imposer une vision impériale, contraire à toute son histoire.
Le Monde : Le PR engage une procédure d'exclusion à votre encontre, quels sentiments vous inspire-t-elle ?
P. de Villiers : Être exclu, aujourd'hui, pour délit d'opinion, c'est cocasse. Pourquoi être exclu ? Parce que nous représentons une sensibilité forte de la majorité ? Parce que nous avons une autre conception de l'Europe ? Parce que nous sommes contre la corruption ?
Il est ensuite, paradoxal de voir les chantres de l'union mettre en marche la machine à exclure. L'exclusion est un mode de fonctionnement antédiluvien, que seuls pratiquent encore le Front national et le Parti républicain. Le drame de Gérard Longuet, finalement, n'est-il pas d'être toujours déchiré entre sa nature et sa culture ? Sachez que ce n'est pas parce que l'on m'exclurait que l'on me ferait taire. Bien au contraire !