Article de Mme Lucette Michaux-Chevry, ministre délégué à l'action humanitaire et aux droits de l'homme, dans "La Croix" du 7 septembre 1994, sur la nécessité de punir les coupables du génocide au Rwanda et le retour des réfugiés, intitulé "Quel espoir pour le Rwanda ?".

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Média : La Croix

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Le feu avait longtemps couvé sous la cendre.

Car, depuis que la plupart des pays d'Afrique avaient accédé à l'indépendance, régulièrement, au Rwanda, des massacres interethniques endeuillaient plus ou moins gravement le pays : dès 1959, puis en 1963, puis encore en 1966 et en 1973 ; une accalmie s'était alors produite, mais la guerre civile se rallumait en 1990 puis en 1992 ; enfin, en 1994, tout s'embrasait…

À ce moment-là, la tragédie de ce peuple a pris une dimension jamais égalée : des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont disparu dans cet holocauste.

Aux Nations Unies, c'est notamment à la demande de la France que la Commission des droits de l'homme a désigné un rapporteur spécial, chargé de rechercher au Rwanda les causes profondes et les responsabilités des atrocités commises. De plus, la France s'est portée coauteur de la résolution 935 qui instaurait une commission d'enquête sur les massacres commis au Rwanda.

Il n'est pas inutile de rappeler que l'action de la France au Rwanda a permis de protéger des centaines de milliers de vie, en les mettant à l'abri dans la zone humanitaire sûre et en fournissant des approvisionnements à tous ceux qui se trouvaient dans le dénuement, soit à l'intérieur du Rwanda, soit dans les camps de réfugiés, qui se sont créés au Zaïre, au Burundi et en Tanzanie.

La France, qui a été la première à intervenir massivement au Rwanda, a réussi à mobiliser la communauté internationale.

J'ai écrit personnellement aux responsables des agences humanitaires des Nations Unies, au directeur général de l'Office européen d'aide humanitaire et au président du CICR (1), pour les sensibiliser à l'ampleur du drame rwandais. J'ai eu la satisfaction de mesurer le 1er août dernier à Genève, lors de la réunion qu'a présidée le secrétaire général adjoint des Nations Unies, M. Peter Hansen, combien l'action de notre pays faisait l'objet d'un consensus d'approbation débouchant sur l'octroi de crédits multilatéraux, à hauteur de 350 millions de dollars, en vue d'apporter des solutions concrètes et durables au malheur de ces populations traumatisées et souffrantes.

Il ne suffit pas de panser les plaies, de relever les blessés et d'enterrer les morts puis de convaincre les réfugiés de regagner leur foyer si, à nouveau, dans quelques semaines, tout doit recommencer !… Et proche du Rwanda, un autre pays, le Burundi, voit s'amonceler sur lui des périls sensiblement identiques.

C'est pourquoi la première des exigences sur lesquelles doivent se retrouver les démocraties présentes dans la communauté internationale est la juste punition des coupables, avec l'effet d'exemplarité que l'on peut en attendre, par une instance internationale impartiale.

C'est ce que j'avais déjà demandé le 25 mai dernier, à Genève, lors de la première conférence qui s'était tenue sur le Rwanda : la France, patrie des droits de l'homme, ne peut se satisfaire de vagues pétitions de principe quant à l'éventualité de poursuivre et de juger les responsables d'exactions.

La deuxième exigence qui doit prévaloir dans la communauté internationale, c'est qu'à partir de la protection dont la Minuar est en charge en faveur de toutes les catégories de populations du Rwanda, se crée bientôt un climat de confiance favorable au retour des réfugiés. C'est la responsabilité exclusive des nouvelles autorités gouvernementales rwandaises.

Mais il est une troisième exigence qui ne doit pas être passée sous silence : des centaines de milliers de Rwandais ont soif d'espoir, de l'espoir d'un monde meilleur, fait de solidarité, de liberté et de paix.

C'est pour la communauté internationale une ardente obligation que de faciliter au Rwanda les conditions de l'émergence d'une véritable culture des droits de l'homme, par la mise en oeuvre de programmes d'éducation humanitaire ambitieux, qui aillent de pair avec une coopération concrète avec les autorités de ce pays pour la mise en place d'une organisation judiciaire digne d'inspirer confiance et respect aux justiciables.

Enfin, après que la justice sera passée, après qu'une organisation administrative et judiciaire convenable se sera durablement mise en place au Rwanda, il faudra aussi que sonne l'heure de la rémission, c'est-à-dire que le passé soit assumé sans haine et sans crainte, chaque famille devant inculquer à ses enfants les vertus de la réconciliation et, comme le disait encore récemment Nelson Mandela, leur apprendre la grandeur qui s'attache au pardon de ceux qui leur ont fait du mal.


(1) Comité international de la Croix-Rouge.