Texte intégral
Ce matin, la CFDT demande-t-elle aux pilotes de reprendre le travail ou soutient-elle leur grève ?
- « Nous leur demanderions, que j’ai cru comprendre que nous aurions peu d’effets. Ils ont déclenché un coup de force qui se transforme en épreuve de force, qui rend les autres salariés, qui sont quand même nombreux, très inquiets et je les comprends car ces gens-là ont fait d’énormes efforts pour le redressement de l’entreprise qui est acquis aujourd’hui. Ils pouvaient espérer devenir une grande compagnie aérienne dans le monde, se développer. Ils n’ont pas envie de voir gâcher tout cela. Il faut que les pilotes se disent que s’ils volent c’est parce qu’il y a des personnels au sol. Donc, ce syndicalisme de métier qui pense à ses intérêts, qui oublie les intérêts des autres, je crois que l’on voit bien là les limites de ce type de défense des salariés. »
Mais ils sont dans une entreprise publique qui s’en est pris aux rémunérations de ses salariés. Est-ce que c’est un bon exemple ? On peut dire qu’ils estiment qu’ils ont eux aussi des raisons. Essayons de les défendre à un moment ?
- « Toutes les catégories de salariés ont des revendications. Ce n’est pas cela la question. Le problème est de savoir à un moment donné si les revendications posées, les problèmes que peuvent ressentir un certain nombre de salariés justifient de tels moyens d’action, justifient d’oublier les autres personnels, justifient même que cela puisse pénaliser les autres personnels sans penser à l’entreprise tout entière. Je crois qu’il ne s’agit pas de nier la nécessité de l’expression de revendications chez des catégories, je crois qu’il faut qu’elles discutent entre elles les catégories. Il faut que les intérêts collectifs priment sur les intérêts particuliers. »
Le président d’Air France, J.-C. Spinetta, a convoqué un conseil d’administration pour demain au plus tôt ou peut-être pour jeudi. Il y aura probablement avant un ultime rendez-vous. Est-ce que vous comprendriez-vous si les concertations n’aboutissent pas, que le président d’Air France décide d’autorité une nouvelle grille des salaires pour obtenir les économies dont il a besoin ?
- « Je ne vais pas anticiper sur ce à quoi le président d’Air France est en train de réfléchir. A l’évidence s’il réunit un conseil d’administration, je pense que c’est pour faire avaliser par ce conseil d’administration un certain nombre de décisions qui auront, à ce moment-là, valeur d’application. »
Et vous comprendriez qu’il le fasse ? Comment sort-on d’un conflit qui a l’air inextricable ?
- « Ce conflit aujourd’hui, c’est la preuve qu’il y a un échec quelque part. C’est la preuve que rendu à ce point de durcissement, rendu à ce point de bras de fer, j’ai le sentiment aujourd’hui qu’il n’y a plus de sortie négociée possible. Donc, nous sommes dans une épreuve de force. Nous sommes dans une situation de blocage. Effectivement, s’il n’y a pas de possibilité de dialogue, il est de la responsabilité de l’entreprise - mais je crois alors quand même dans la concertation avec le reste du personnel et des autres organisations syndicales - de permettre à la compagnie de pouvoir continuer à vivre. »
Et le Premier ministre qui est intervenu, samedi, vous pensez qu’il a bien fait de s’engager, qu’il doit aller au-delà ?
- « Moins l’État en général et moins les responsables politiques s’occupent des conflits de ce genre, encore que bien évidemment dans ce cas de figure l’État est concerné en première ligne, mais il est bon de laisser le président, la direction d’Air France négocier comme cela se fait dans des entreprises normales. »
En France et peut-être ailleurs. On dit que les pilotes français ne sont ni les pilotes allemands, ni les pilotes anglais, même pas les pilotes italiens.
- « C’est vrai, en Italie, il y a quelques jours, j’apprenais que les pilotes d’Alitalia discutaient, pour l’année 1999, des jours sur lesquels ils décidaient de ne pas créer de mouvement, de ne pas faire grève, de ne pas empêcher la compagnie de fonctionner parce que c’était des jours importants pour la vie en Italie. C’est Noël, c’est des fêtes, c’est des jours fériés. C’est tout à fait le contraire du système français c’est-à-dire que le service public annonce : voilà ces jours-là nous vous assurons la continuité du service public, nous serons en capacité de vous transporter. J’aimerais bien qu’effectivement ce soit la nouvelle conception, qui préserve le droit de grève parce qu’il n’est pas question de le mettre en cause, mais qui le rend compatible avec un vrai service public. »
La droite réclame à cor et à cri une privatisation qu’elle n’avait pas, elle-même, réalisée. La gauche va ouvrir en septembre le capital de 20 %, est-ce que cela vous semble suffisant ? Est-ce qu’Air France ne va pas finir comme toutes ses rivales privées ?
- « Moi, je ne lis pas dans les marcs de café : j’entends les positions que le Gouvernement a prises. Je pense que ce débat, le débat sur les privatisations, sur l’ouverture du capital des entreprises est un débat qui a été lancé, je pense que c’est un débat qui n’a pas été clos. Le pire serait de le passionner, le pire serait que les uns et les autres se mettent dans des tranchées, où se pratiquent la guerre des tranchées sur ces questions. Je crois que ce sont des questions qu’il faut ouvrir et discuter calmement. »
Pour la première fois M. Seillière et Mme Notat se sont rencontrés, tête à tête, ou à la tête de leur délégation. Entre le CNPF et CFDT qu’est-ce qu’il y a de commun ?
- « S’il y a une chose en commun c’est la compréhension que dans les relations sociales l’un ne peut pas fonctionner si l’autre est aux abonnés absents. Moi, aujourd’hui, voilà ce que je demande à M. Seillière : le CNPF est-il aux abonnés absents ? »
Il répond maintenant ?
- « Je crois qu’il n’est pas encore en situation de répondre et d’être l’interlocuteur que je souhaiterais pouvoir trouver, comme organisation syndicale qui pense qu’il y a beaucoup de choses à faire par la négociation avec le CNPF. »
Dans trois jours il y a la Conférence sur la famille : L. Jospin rétablirait les allocations familiales pour tous les ménages, il y aurait une réforme du quotient familial : est-ce que vous êtes d’accord sur ce principe ?
- « Oui, je crois que c’est une bonne décision. Nous l’avions demandé lorsque le Gouvernement, un peu dans la précipitation avait décidé de la mise sous condition de ressources, car nous pensons, bien sûr, qu’il faut mettre plus de justice dans l’attribution de l’aide aux familles, mais la vraie justice est celle qui passe par les injustices à supprimer qui existent aujourd’hui, dans l’aide que provoquent les réductions d’impôts via le quotient familial. »
C’est-à-dire que cela passe par la fiscalité ?
- « Cela passe par la fiscalité qui est plus progressive et qui est mieux ajustée à ce que nous voulons faire. »
Je voudrais terminer avec un drame qui aurait eu lieu au Mans, il y a une dizaine de jours. Le Figaro en a parlé puis Marianne le confirme. Une sorte de silence de plomb autour de cette information, je voudrais savoir si cela est vrai et ce que vous en pensez. Au cours d’un meeting, il y a eu une querelle entre les responsables d’association de chômeurs et de vrais chômeurs. Elle s’est terminée par la mort d’une jeune femme de 27 ans : une vraie chômeuse militante. Pourquoi ce silence de plomb et qu’est-ce que vous en pensez ?
- « Pourquoi ce silence de plomb ? C’est peut-être la première question que je me pose aussi parce que j’ai découvert - il n’y a pas très longtemps - cette information qui est distillée au compte-gouttes. C’est odieux et c’est vrai que si tout cela se passe comme on le dit, on a vraiment envie et besoin - et c’est nécessaire pour la démocratie - d’en savoir plus. »
C’est-à-dire la violence dans les relations sociales ?
- « La violence entre catégories, entre clans, la violence dans l’action qui conduit à la violence dans les rapports humains. Non, franchement cela est odieux. »