Interview de M. Alain Deleu, président de la CFTC, à RTL le 23 juin 1998, sur l'augmentation du SMIC, la réduction du temps de travail, la maîtrise des dépenses de santé et la politique familiale du gouvernement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Votre réaction à l’augmentation du Smic : + 2 %, l’année dernière c’était 4 %. Est-ce une déception ?

- « Écoutez, c’est un coup de pouce. Prenons-le, c’est toujours ça. Cela étant dit, on est quand même là, sur une paye de pièces de 10 francs pour une heure de travail. On discute les pièces jaunes si j’ose dire. Bon. »

Q - C’est une déception quand même ?

- « Nous aurions souhaité un peu plus, au moins la croissance. Et nous pensons qu’il est bien d’aller un peu plus vite pour les bas salaires. »

Q - Le CNPF était opposé à tout coup de pouce, notamment à cause des 35 heures. Pensez-vous que cette revalorisation est compatible avec la réduction du temps de travail ?

- « Soyons clairs : que touchera le smicard, dans quelques années, quand il sera à 35 heures ? Si on abaissait son salaire à cette occasion-là, ce n’est pas acceptable. Donc on sent bien qu’on est sur une perspective où il faut garantir le niveau d’évolution des salaires du Smic, des 35 heures. »

Q - C’est ce que dit Mme Aubry.

- « Elle l’a dit, mais pour l’instant la discussion sur cette évolution n’est pas réglée. On la renvoie à la deuxième loi. Et donc nous restons un peu dans l’inconnu sur ce qui va se passer. Et j’ai un peu peur quand même qu’on se retrouve au bout du compte avec un Smic qui soit à 35 heures, en-dessous de ce qu’il était à 39 heures. Et ça me gêne de dire à un smicard vendredi midi : c’est terminé, rentrez chez vous, votre paye est celle-là, débrouillez-vous avec ça ! »

Q - Le Smic ou les Smic ?

- « Je pense qu’il faudra un Smic ; un Smic à 35 heures, d’un niveau correspondant au moins à ce qu’il était à 39 heures auparavant. Et donc, peut-être, il faut un passage avec deux Smic pour y arriver, comme transition. Mais le but c’est qu’il n’y ait pas de perte de salaire, au contraire, pour les smicards à 35 heures. Ce ne serait pas digne. »

Q - Vous êtes plutôt favorable au Smic à double détente que propose le Gouvernement ?

- « Oui, alors vous savez, si c’est pour mettre ce double Smic, quand la loi entrera en vigueur - la deuxième loi entrera en vigueur - à quoi ça sert ? On peut très bien arriver directement au bon Smic. 35 heures au niveau des 39 avant. Donc, c’est utile pour un passage maintenant - peut-être, et encore ! Ça l’est beaucoup moins dans la deuxième loi. »

Q - Venons-en aux dépenses médicales : les dérapages du mois d’avril. Le Gouvernement décide de retarder les augmentations prévues en juillet pour les dentistes. La CNAM qui n’est pas d’accord visiblement. Qu’en pensez-vous ?

- « On a une situation de plus en plus tendue entre le Gouvernement et la CNAM, parce qu’on a mis en place une réforme de la Sécurité sociale - qui était nécessaire, mais qui était forcément assez technique et administrative - qui ne donne pas entièrement satisfaction. Et donc les points de vue se tendent. Au bout du bout, on ne réussira pas à maîtriser les dépenses de santé, pour une santé de qualité, si on n’a pas vraiment su trouver le contrat avec les médecins et les professions de santé. C’est le jeu essentiel de l’affaire. Et je trouve que là, on a pris du retard à nouveau. Il faut revenir à un meilleur dialogue avec les professions de santé. Et faire en sorte qu’au bout du compte, qualité et bonne gestion se concilient mieux. »

Q - Mais est-ce que vous tenez les médecins collectivement responsables de ce que M. Aubry appelle une « dérive injustifiée ». Certains postes renouent avec une progression proche de 10 %…

- « Ça n’a pas de sens de faire des procès collectifs ; toutes les situations existent. Et d’ailleurs, les sanctions collectives sont mal perçues par les médecins qui s’efforcent de faire au mieux pour la gestion de la Sécu. »

Q - Certains annoncent un conflit majeur avec le Gouvernement.

- « Oui, mais que voulez-vous ? On est dans un rapport de forces depuis pas mal d’années entre les gouvernements successifs et les médecins. Il faut qu’on en sorte. Mais on a aussi un problème de comportement, et ça concerne tout le monde. Chacun de nous doit s’interroger par rapport à sa dépense, à sa consommation médicale. Et c’est dans la relation entre les médecins et les patients que les choses peuvent se gérer au mieux. »

Q - Le débat sur la famille a mis ce week-end en évidence les divergences entre J. Chirac et le Gouvernement. Qui pratique la politique en trompe-l’oeil ? Le Gouvernement, comme l’estime J. Chirac, ou le gouvernement précédent qui a augmenté la TVA, mesure touchant directement les familles ?

- « Oui, on peut beaucoup discuter sur les différents choix fiscaux. Je dirai simplement qu’en un an, on n’a pas beaucoup avancé. Le Gouvernement a reculé sur l’affaire des questions de ressources ; Je crois qu’il a bien fait. Et donc ça a été un peu un palier. On redéploie autrement fiscalité ici, fiscalité là. Je crois que si on ramenait la TVA à un taux plus bas ce serait mieux. Et je pense surtout qu’il faudra qu’on ait un jour, tiens ! Un Smic pour les familles - c’est-à-dire que le niveau de vie des familles évolue au moins aussi vite que le niveau de vie moyen des Français - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »