Texte intégral
Y. Levaï : Vous disiez hier soir que la gauche en avait terminé avec son pain noir et que la droite terminait son pain blanc, à la lumière des chiffres, est-ce que c'est aussi simple ?
M. Rocard : Aucun sondage, aucun pronostic, ne nous a donné le score que nous faisons finalement, c'est un très net redressement, il faut se souvenir que le Parti socialiste a fait quelque chose comme 17 % en mars 1993, et avec ses alliés divers-gauche, pas plus de 19 %. Nous sommes à 29 %, avec les alliés divers-gauche, c'est tout de même une assez belle progression, mais nous sortons de la moitié des conseils généraux élus en 1988, et là nous avions eu un des meilleurs scores de notre histoire, et nous sommes en effet largement en-dessous. Si tout le monde est content, c'est que le retrait socialiste a laissé de l'espace à tout le monde, mais dans l'état où nous étions après le coup à l'estomac, la défaite terrible de mars 1993, je considère que le redressement est largement amorcé.
P. Le Marc : Est-ce que ce scrutin s'explique par un quitus donné à E. Balladur, ou tout simplement par le constat que la gauche n'est toujours pas crédible et qu'elle n'a pas de projet ?
M. Rocard : Ni l'une ni l'autre de ces deux formules ne sont rigoureuses, la droite fait un score honorable, que l'on peut qualifier de consolidation, n'oublions pas que chaque élection met en évidence une structure du corps électoral, une attitude moyenne, les élections cantonales sont probablement les meilleures pour la droite, elle fait d'ordinaire quatre points de plus aux cantonales qu'aux législatives. En 1988, elle avait fait 44 %, son score actuel pour les cantonales, et elle faisait 40 % aux législatives. C'est donc une stabilisation, mais la dynamique de croissance à droite est largement arrêtée, et je crois ; que le gouvernement et E. Balladur auraient tort d'y voir un quitus pour leur politique sociale. Si l'interprétation est que la politique sociale est validée, nous allons vers des tensions croissantes.
A. Ardisson : N'y a-t-il pas un décalage entre le soulagement des politiques dans leur ensemble, et les manifestations, comme s'il n'y avait pas de rapport exact entre la mobilisation sociale et le résultat des élections ?
M. Rocard : Il n'y a en effet pas de rapport immédiat, cette tension paye créée par l'idée incroyable de sous-valoriser les salaires des jeunes, de sous-payer les jeunes, parce qu'ils sont jeunes, et en même temps de dévaloriser le diplômes, cette tension elle est gérée par les syndicats, nul n'a voulu en faire une affaire politique. On a vu que ces manifestations ont fait l'unité syndicale, la tension est donc bien là. Nous sommes dans des élections cantonales, à dominante rurale, le passage n'est pas immédiat. Je pense tout de même que le gouvernement pouvait espérer faire d'avantage, il est simplement dans une consolidation, et je rappelle que les cantonales sont toujours des élections bonnes pour la droite française.
Y. Levaï : Est-ce que vous n'êtes pas frappé de la déconnexion entre le politique et le social ?
M. Rocard : Ce sont quand même des élections pour élire des conseils généraux, de quoi parlaient les candidats, de construction d'un collège, d'usine d'incinération, on de choses de cc genre. Pour des cantonales la politique vient en plus, dans le plus nous voyons que le Parti socialiste et ses alliés sont en progrès de dix points par rapport à la déroute, c'est déjà pas mal, mais comme cela ne refait pas toute la distance depuis 1988, c'est ce retard qui laisse de l'espace aux autres.
P. Le Marc : Mais vous mangez la laine sur le dos de qui ?
M. Rocard : Nous progressons assez notablement, le Parti communiste se stabilise simplement, la progression du Front national est bloquée. Pour les écologistes, le jugement est difficile, car ils n'étaient pas présents partout. On verra le second tour, de plus en plus ils nouent le dialogue avec les socialistes. Cette reprise de contact est très positive, mais c'est vrai que les écologistes représentent encore une force et un espoir politique non négligeable.
Y. Levaï : Un commentaire sur la remonté du Parti communiste ?
M. Rocard : Ce n'est pas une performance remarquable, mais c'est une stabilisation.
Y. Levaï : C'est l'allié de demain ?
M. Rocard : On retrouve la situation de toujours, cc que l'on appelle la discipline républicaine, le soutien mutuel des différentes forces de gauche au second tour, elle remonte au 19e siècle, cela va se traduire une fois de plus, mais cela ne vaut pas seulement que pour les communistes, cela vaut pour les radicaux de gauche et de plus en plus pour les écologistes.
P. Le Marc : E. Balladur sont renforcé de ce scrutin, donc J. Chirac en sort affaiblit, est-ce pour vous une bonne chose ?
M. Rocard : Je suis indifférent à l'identité du candidat à droite, notre problème à tous est de convaincre les Français que la droite n'a pas de traitement miracle en ce qui concerne le traitement des problèmes sociaux, et que nous, nous proposons d'attaquer le chômage avec des moyens infiniment plus vigoureux. Si nous arrivons à trouver confiance, peu importe l'adversaire.
Y. Levaï : Que pensez-vous d'E. Balladur, finalement il tient bon ?
M. Rocard : On ne peut pas porter des jugements si forts sur des élections cantonales, que monsieur Balladur se soit consolidé, c'est incontestable, l'écho de ces élections porte la trace de l'implantation de la droite française, je ne crois pas qu'il faille faire un lien rapide entre la situation sociale et le résultat de ces cantonales, mais il n'est pas mauvais pour E. Balladur, c'est incontestable.
P. Le Marc : Avez-vous le temps de remonter la pente d'ici aux présidentielles ?
M. Rocard : Un commentateur disait hier soir que nous avions fait la moitié du chemin, c'est un bon rythme. Cela dépend de notre capacité à convaincre que nous avons la capacité à faire une alliance rénovée, des projets rénovés, un parti rénové. Ce furent nos états généraux qui ont vraiment permis que la maison se redresse, puis un congrès qui a fait découvrir des socialistes enfin unis, une convention sur l'emploi. Maintenant nous sommes dans une situation où nous pouvons enfin nous adresser à l'électorat, nous avons fait la moitié du chemin en un an, j'espère que l'on fera l'autre.
P. Le Marc : Les européennes ne risquent-elles pas de donner un résultat moindre ?
M. Rocard : Nous sortons d'une élection cantonale où il y avait en moyenne cinq candidats par canton, nous allons à des élections européennes où il y aura une douzaine de listes, ce qui veut dire qu'avec la même intensité de participation envers les socialistes, le score de 29 % nous met dans la tranche des 20 %, et c'est déjà considérable puisque nous venons de 17 %, nous ferons moins, ce n'est pas un risque, c'est une certitude.
Y. Levaï : B. Tapie a l'air d'arriver très près de la mairie de Marseille, cela vous fait plaisir ?
M. Rocard : Je ne peux que me féliciter des progrès que les hommes de gauche marquent partout où ils se présentent.
Y. Levaï : Et dans la Nièvre, le passage possible des amis de F. Mitterrand ?
M. Rocard : Je préfèrerais que la gauche garde son influence, il y a déjà 75 départements qui sont contrôlés par la droite, il n'est pas utile de donner des moyens de puissance supplémentaires à une droite qui n'en a que trop.
A. Ardisson : A. Touraine annonçait dans la Journal du dimanche, la fin de la social-démocratie, est-ce que c'est une bonne définition de la crise actuelle ?
R. La fin d'une référence très étatique à l'État-providence, nous le savons tous, il faut organiser les choses autrement. De là à penser que l'on a plus besoin de forces de gauche qui se battent pour plus de justice dans la société, sûrement pas, mais c'est vrai que les formules de la fin du 19e siècle sont caduques, je suis un peu le responsable de ce redressement, de ce renouvellement des socialistes de France.
Lundi 28 mars 1994
RTL
P. Caloni : Divine surprise ?
M. Rocard : Divine, restons laïque ! Forte surprise et retournement de situation absolument pas attendu. C'est rare dans la vie politique française qu'une défaite attendue se découvre comme victoire, même, courte.
P. Caloni : Vous n'aviez pas senti que la gauche pouvait se refaire une santé ?
M. Rocard : Si. J'y travaillais. Mais je ne pensais pas que ce serait à ce rythme. Il y a moins de 10 jours, on nous donnait perdant entre cinq et huit départements. Nous en avons gagné deux. La Martinique n'est pas encore arrivée. C'est inattendu. Quant au nombre des sièges, on nous donnait des pertes entre 100 et 200. Nous allons finalement en gagner au moins trois. Au PS et divers gauche, nous allons en gagner dix. C'est un très beau résultat.
P. Caloni : On recommence à parler de la gauche. On pensait ce terme disparu du discours politique français.
M. Rocard : Chez les commentateurs ! Je n'ai pas cessé d'en reparler. Il est vrai que nous refaisons le chemin mieux encore que nous le pensions.
P. Caloni : Une nouvelle gauche se dessine-t-elle ?
M. Rocard : On peut le dire comme cela, en ce sens que les forces classiques de gauche ont retrouvé entre elles la discipline républicaine. On voit clairement que les divers-gauche louent moins les indépendants : ils sont clairement dans une alliance. Le monde de l'écologie commence à choisir son orientation. L'écologie est un grand problème contemporain. On ne peut pas espérer que le marché suffise à protéger l'environnement. Les écologistes sont en train de le comprendre. Ils ont joué leur rôle, petitement. Ces cantonales ne sont pas bonnes pour eux. Ils sont dans la scène politique. Des façons d'être nouvelles se nouent.
P. Caloni : Vous allez maintenant récupérer les deux partis écologistes ?
M. Rocard : Quel mot affreux ! Tous les partis en France ont mis trop de temps à prendre conscience du fait que la planète était sous menace de destruction chimique que la pollution de l'environnement créait des maladies et des dangers et qu'il fallait avoir une vision écologique de la puissance publique. Par conséquent, nous avons besoin de faire la synthèse avec ce courant d'idées. J'espère que les écologistes vont récupérer la pensée politique. Si la gauche classique devait ramener ses archaïsmes et son absence de perception en récupérant l'espace occupé par les écologistes, ce serait un drame national.
P. Caloni : Le sondage Sofres montre que la gauche n'est toujours pas crédible pour revenir au pouvoir.
M. Rocard : Il n'y a aucune surprise à cela : le gros travail que fait le PS pour rénover ses propositions pour en faire de nouvelles a été rendu public il y a moins d'un mois. Il est encore assez peu connu. Combien de minutes a-t-il eu de commentaires sur vos antennes ? Très peu. Les Français ne le savent pas. Ce sondage est antérieur au premier tour. Nous venons de vivre une quinzaine assez charnière. On a découvert qu'E. Balladur faisait des erreurs. Cet homme, bien meilleur communicant que gouvernant, s'est même trouvé mal communiquer parce qu'il a fait des fautes, notamment cette insulte à la jeunesse qui est la sous-valorisation des salaires. C'est ce qui se passe en ce moment. Comme le sondage a été fait avant, il enregistre peu. Il y aura sans doute des sondages ultérieurs qui donneront des résultats meilleurs.
P. Caloni : L'erreur n'a-t-elle pas été de présenter ces cantonales comme une élection-test ?
M. Rocard : Je ne sais pas. Toute élection cantonais a à la fois valeur d'élection de terrain : 40 % des motifs de vote des Français étaient l'avenir du département. C'est important. Mais il y a en même temps un aspect de test. Ce qui a beaucoup compté, c'est que le gouvernement perd la main, entre la loi Falloux, le CIP. Je suis persuadé que beaucoup clé Français n'ont pas aimé que la France viole sa signature au bas d'une convention d'extradition avec la Suisse à propos de deux terroristes. Tout cela n'était pas très convenable. E. Balladur enregistre le résultat.
P. Caloni : Avez-vous toujours des tentations centristes, comme lorsque vous étiez à Matignon ? Avez-vous changé de cap ?
M. Rocard : Pas le moins du monde. Dans le centrisme français, il y a beaucoup de gens qui sont intègres, qui ne veulent pas voir l'État gouvernant au seul profit des riches et du monde des affaires et qui ont une fibre sociale. À ceux-là, il faut faire comprendre que la gauche est toujours une combattante efficace pour la justice sociale, pour l'équité. Cette alliance peut remonter ici ou là. D'ailleurs, dans les divers-gauche qui ont fait un très beau résultat dans ces cantonales, beaucoup de gens relèvent de cette définition.
Lundi 28 mars 1994
Europe 1
F.-O. Giesbert : Ça y est, "la gauche revient". Vous avez un grand sourire, ça fait longtemps qu'on ne vous avait pas vu comme ça ?
M. Rocard : Exactement. C'est la première situation électorale satisfaisante pour la gauche depuis cinq ans. Nous étions donnés battus et nous gagnons d'une courte victoire.
F.-O. Giesbert : Les dernières élections cantonales comparables étaient en 88 avec des résultats comparables. Pour celles-ci on annonçait des résultats catastrophiques.
M. Rocard : Il y avait des raisons, il y avait menace. Le solde, c'est avec nos alliés divers-gauche puisque nous avons négocié avec les radicaux de gauche et ici ou là, les écologistes ; dans près de 80 départements, le solde est à plus 10. Ce qui est tout à fait imprévu. Quant aux présidences, nous en prenons trois, nous en perdons une, pour le moment. Il nous manque la Martinique.
F.-O. Giesbert : Les divers-gauche ont 18 élus et les divers-droite, 33 élus, Est-ce que ces divers ne devraient pas conduire les partis à s'interroger ?
M. Rocard : Pas du tout, ce n'est le résultat de notre politique. Nous avons cherché à nouer des alliances avec des courants politiques, je pense aux radicaux de gauche, ou avec des individualisés en les négociant plutôt mieux et plus largement que nous ne l'avions fait. Donc nous avons le résultat de notre politique et en plus on a dû bien choisir nos alliés. Nous nous interrogeons sur le fait d'élargir et de continuer.
F.-O. Giesbert : Pour vous, le morale de tout ça c'est quoi ? Un retour à la bipolarisation gauche-droite ?
M. Rocard : Il faut faire attention à ces mots puisque ce qui fait la différence change. Pendant 40 ans, gauche-droite, c'était lié au PCF et à la relation que d'autres forces avaient avec lui, ce qui avait complètement disparu. On a aussi vu dans le rapport gauche-droite, une relation à l'État qui devait tout faire. Je suis personnellement un décentralisateur, plutôt un Girondin. En fait, la gauche se définit comme une volonté de progrès, de justice et d'équité quels que soient les moyens. À ce titre, la volonté de justice remonte dans ce pays mais avec des forces nouvelles puisque dans ce rapport, il y a beaucoup d'éléments qui viennent de l'écologie et qui commencent à choisir leur camp qui savent que ce ne sont pas les forces du marché qui préserveront notre environnement et qui commencent à choisir. Et je pense à un homme comme B. Kouchner, par exemple, ou B. Tapie, qui sont des apports nouveaux dans la gauche française et qui représentent autre chose.
F.-O. Giesbert : Pour résumer, vous êtes en train de récupérer les écologistes ?
M. Rocard : Je n'aime pas ce mot récupérer, nous sommes en train de découvrir que nous avons des choses à faire en commun. Nous avons tiré de la période précédente une bonne leçon : l'arrogance est mauvaise ne politique. Nous avons géré ces alliances avec la modestie qui sied à des gens qui n'avaient pas été tout à fait admirables au pouvoir. Je suis lucide là-dessus.
F.-O. Giesbert : Vous êtes dur ?
M. Rocard : Lucide. Je pense qu'un style politique nouveau est nécessaire, je l'ai dit dans mon fameux discours de Montlouis, nous essayons.
F.-O. Giesbert : Ce n'est pas gentil pour F. Mitterrand ?
M. Rocard : Pourquoi réfléchissez-vous comme si les responsabilités étaient toujours personnalisées sur des têtes. C'est tout un style et c'est 50 ans d'histoire ou de façon d'être en politique dont les Français, à l'échéance, ne veulent plus guère. Et il faut s'adapter à de nouveaux comportements. Mais ça aussi c'est collectif. J'essaye simplement d'y conduire nos amis et nos camarades.
F.-O. Giesbert : Quand on voit les bons reports à gauche, n'est-ce pas le début du big bang ?
M. Rocard : On peut le dire comme ça mais ces élections cantonales sont encore très classiques. Dans les grands débats nationaux, nous verrons d'autres forces s'exprimer plus vivement. Je pense par exemple que les écologistes qui ont fait ces mauvais résultats et qui étaient peu présents dans ces élections cantonales n'en ont pas terminé avec ce qu'ils ont à apporter à la société. Et il faudra bien travailler avec eux. Nous ne sommes pas au bout de processus. Mais c'est vrai qu'on commence à le mesurer pour la première fois.
F.-O. Giesbert : C'est ce qui a surpris les politologues : le bon résultat de candidats socialistes qui étaient donnés battu à tout coup au premier tour ?
M. Rocard : Ces bons résultats sont liés à beaucoup de choses mais notamment au fait que nous avons fait une campagne extrêmement active, nous nous sommes battus. Je suis allée moi-même faire un meeting pour soutenir P. Moscovici. De même que nous prenons le département de la Dordogne, le combat de nos amis a été vigoureux, vaillant, tenace, ils ont fait du porte-à-porte, j'y suis allé également. J'ai beaucoup tourné, et j'ai bien choisi mes lieux de tournée, en général, ça produit des résultats.
F.-O. Giesbert : R. Hue vous propose une nouvelle construction politique de la gauche, allez-vous la prendre ?
M. Rocard : Ce que ce deuxième tour montre, c'est que tout le moule a su rassembler les forces. Et nous voulons renouer le dialogue et chercher plus profondément les convergences, les solutions dont le pays a besoin avec tout le monde dans la gauche. Les communistes sont toujours bien entendus, leurs réformateurs qui ont posé les vraies questions plus tôt qu'eux, mais aussi les radicaux de gauche, les écologistes, les forces qui se reconnaissent sous le signe d'une dominante humanitaire, je pense à Bernard Kouchner (ndlr).
F.-O. Giesbert : Donc ce n'est pas la gauche d'antan ?
M. Rocard : Non, ce sera une convergence plus ouverte, plus large et probablement plus approfondie sur le plan des propositions à faire à la France et aux Français.
F.-O. Giesbert : Hier soir, vous avez fêté chaleureusement B. Tapie pour son triomphe, c'était sincère ?
M. Rocard : Regardez les chiffres, il a fait de très bons scores.
F.-O. Giesbert : Mais n'avez-vous pas peur d'une dérive populiste ?
M. Rocard : Je ne travaille pas avec la peur en politique. Il est clair que B. Tapie apporte à la politique française un discours plus neuf et plus frais, il inquiète par une certaine façon d'être.
F.-O. Giesbert : Il vous inquiète vous aussi ?
M. Rocard : Moi pas, parce que je le connais bien, mais il est clair qu'il faudra que lui-même apprenne à distinguer peut-être un peu plus qu'il ne l'a fait, que le monde de la création industrielle, de l'activité et des affaires n'est pas exactement le monde de la politique et que les règles y sont différentes. Mais B. Tapie est un homme intelligent qui apprend vite, et je ne doute pas qu'il tiendra toute sa place.
F.-O. Giesbert : La gauche renait dans les sondages mais pas dans les têtes. Notre sondage BVA dit que 68 % des Français juge qu'elle n'a pas de politique de rechange à apporter ?
M. Rocard : Ils ont bien raison. Le point central du drame français, c'est le chômage. Nous avons approfondi, modifié notre vision du chômage et nous proposons maintenant toute une politique qui est faite de trois aspects : retour à la croissance, financement d'emplois de service, réduction de la durée du travail, ces propositions ont moins d'un mois. C'est tout de même bien normal qu'elles n'aient pas été encore beaucoup diffusées. Je ne suis pas inquiet.
F.-O. Giesbert : Sincèrement, pensez-vous que le PS incarne une politique de rechange pour la jeunesse ?
M. Rocard : Je vous en prie, vous êtres désagréable. Est-ce que c'est de la langue de bois que de vous rappeler qu'il y a un mois, nous tenions une convention pour dire des choses qui sont en effet nouvelles mais que tout le monde n'a pas encore lue. C'est une vérité évidente. D'autre part, ce n'est pas d'aujourd'hui que le mouvement des électeurs va plus vite que les sondages. Et nous venons de remporter les cantonales, il y a tout de même des raisons derrière.
F.-O. Giesbert : 53 % des Français, d'après ce sondage, toujours, pensent que les socialistes feraient moins bien que l'actuel gouvernement, qu'est-ce que cela vous fait ?
M. Rocard : Même réponse qu'à la question précédente, puisque les électeurs se sentent pas encore et ne connaissent pas vraiment encore l'importance de nos propositions, naturellement ils n'ont pas intégré que nous pouvions faire autre chose et mieux.
F.-O. Giesbert : Rassurez-vous, le sondage n'est pas très bon pour E. Balladur. Comment expliquez-vous ce changement ? À sa place, vous retireriez le CIP ?
M. Rocard : Ce n'est pas une question pour moi, je ne l'aurais pas fait, le CIP. Cette idée de dévaloriser la jeunesse…
F.-O. Giesbert : Mais maintenant, n'est-ce pas dangereux pour un pouvoir de reculer ?
M. Rocard : Le Premier ministre a, hier, dit avec un peu de solennité qu'il entendait renouer le contact avec la jeunesse, il ne le peut que s'il retire le CIP. J'ai compris qu'il allait le faire, c'était implicite dans son propos hier. Et là, je dis : il a raison. Il était temps.
F.-O. Giesbert : Vous n'avez pas l'impression que la révolte des jeunes dépasse le CIP, qu'elle risque de continuer après ?
M. Rocard : L'inquiétude des jeunes dépasse le CIP, leur colère devant une société qui les accueille mal dépasse le CIP, c'est vrai. Mais il est né d'une bataille très symbolique. Retirons le chiffon route et déjà, cela permettra de calmer le jeu et de réfléchir de manière approfondie à un meilleur traitement du chômage des jeunes dans ce pays.
F.-O. Giesbert : Vous remontez mas F. Mitterrand aussi, vous croyez à l'hypothèse d'un troisième mandat de F. Mitterrand ?
M. Rocard : C'est à lui de réponde, respectons la dignité du Président de la République en fonction. Mais toute la gauche remonte de toute façon et c'est bien normal que nous remontions ensemble.