Extraits du rapport présenté par Alain Obadia, secrétaire de la CGT, devant la commission exécutive le 4 mars 1994 et publiée dans "Le Peuple" du 10 mars, sur l'action syndicale contre le CIP qualifié de "SMIC jeunes" et la nécessité d'unité de l'action syndicale.

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Circonstance : Réunion de la commission exécutive de la CGT, le 4 mars 1994

Média : Le Peuple

Texte intégral

L'état d'esprit des salariés : un point d'appui que nous devons saisir partout avec audace

Extraits du rapport présenté par Alain Obadia, secrétaire de la CGT au nom du bureau confédéral

Note commission exécutive se lient à une semaine de l'échéance majeure que constitue le 12 mars et dans une actualité sociale en pleine évolution. Tout ce bouillonnement confirme bien nos analyses sur la nécessité d'une CGT à l'initiative, ouverte sur l'état d'esprit des salariés, constamment animée par la volonté de dialoguer, de favoriser avec audace l'unité et le rassemblement pour l'action. (…)

Indéniablement la parution du décret d'application de la loi quinquennale concernant le Contrat d'insertion professionnelle a joué un rôle majeur dans l'accélération des événements. De très nombreuses organisations : syndicats de salariés, d'étudiants, associations de jeunesse, etc., ont porté une appréciation identique à la nôtre. Au-delà des périphrases, le texte instaure bel et bien un Smic-jeune dont l'application aurait des résultats catastrophiques. Une masse importante de jeunes salariés, qualifiés et non qualifiés, se verraient condamnés à des salaires indécents, des phénomènes de transfert d'emplois s'opéreraient vers ces emplois sous-rémunérés, mettant ainsi gravement en cause les grilles de salaires, les qualifications, la reconnaissance des diplômes. Il conduirait aussi à instaurer une sorte de sas de six mois de chômage avant l'insertion, les patrons préférant embaucher sous contrat à durée déterminée des jeunes leur permettant de bénéficier de cette régie particulièrement avantageuse pour eux. Je m'en tiendrai à quelques enseignements.

Le premier d'entre eux est qu'au-delà des intentions ou des réticences affichées la journée d'hier a bel et bien été marquée par une action unitaire, nationale et populaire dans l'opinion pour le retrait du décret en liaison étroite avec l'exigence d'une véritable formation pour les jeunes, de créations d'emplois avec de bons salaires, et de la reconnaissance des qualifications.

Dès lundi soir 35 organisations, dont la CGT, la FSU, la FEN, les deux UNEF, la JOC et de très nombreuses organisations de jeunesse ont appelé à des manifestations le 3. Cela a conduit les quatre Confédérations syndicales qui sciaient réunies à part à y participer elles aussi, de fait à Paris, sur la base de déclarations communes avec la CGT et d'autres organisations dans plus de 40 départements en Province.

Une fois de plus c'est la démonstration que lorsqu'un problème est sensible, toutes les considérations tacticiennes subalternes sont balayées par la volonté qui s'exprime de refuser ce qui est inacceptable et de se défendre pour ouvrir d'autres perspectives. Sensible, le mot est en l'occurrence parfaitement adapté. Il y a peu de sujets sur lesquels nous ayons les uns et les autres, rencontré autant de détermination. À la fois chez les jeunes mais aussi chez les parents et donc chez de nombreux salariés révulsés à l'idée de l'avenir que l'on prépare à leurs enfants et plus généralement aux générations montantes.

Dans ces circonstances cela a modifié également le déroulement et le contenu de la table ronde : initialement prévue par le Premier ministre pour discuter de l'accélération de la mise en œuvre de la loi quinquennale et pour présenter le plan Veil sur la protection sociale, cette opération spectacle, a d'abord été marquée par l'affirmation dont la CGT avait été porteuse dès le dimanche par la voix de Louis Viannet, de la nécessité de retirer le décret.

Le Premier ministre a formulé des propositions visant à permettre la poursuite de la discussion. Il est certes obligé de manœuvrer un recul en remplaçant 80 % du Smic par 80 % du salaire conventionnel pour les diplômes. Mais lesquels ? Toute démontre que très peu ! Mais sur le fond le contenu de ces propositions ne modifie pas la perversité du décret et toutes les appréciations dont je viens de parler.

Dans ces conditions, la délégation CGT a indiqué qu'elle ne participerait pas à la discussion de l'après-midi. Et nous poursuivons l'action pour que l'ensemble de ce texte très dangereux soit effectivement annulé. Mais indéniablement la situation porte des conditions encore plus favorables pour la réussite d'un très grand 12 mars. Celui-ci est, de fait, positionné comme la prochaine grande échéance d'action allant très largement au-delà des rangs de la CGT, dans son impact auprès de l'opinion publique, et sur l'ensemble des questions de l'emploi, et sur le Smic-Jeune.

Il est intéressant, également, de noter les évolutions intervenues dans l'attitude de la Fédération syndicale unitaire. Intéressant aussi de constater l'espèce de synergie qui existe entre l'appel pour le 3 mars et l’appel du 12 mars avec des organisations qui sont présentes dans les deux cas et d'autres qui commencent à être sensibles à la dynamique créée.

Deuxième élément, une fois de plus le gouvernement est place en difficulté dans sa volonté de faire passer les mesures de régression. Nous ne devons pas lâcher prise sur l'exigence de l'annulation du décret.

De la même manière qu'il a été obligé de renvoyer au placard la révision de la loi Falloux après le 16 janvier, de ne pas appliquer le plan Attali pour Air-France à l'automne (même si à l'évidence la lutte est loin d'être terminée dans cette entreprise), de reculer sur la transformation de France Telecom en société anonyme, de louvoyer sur la suppression de 22 000 lits d’hôpitaux, nous pouvons l'obliger à reculer sur cette mesure ! (…)

Quatrième élément, cela conforte tous ceux qui veulent favoriser le développement de l'action, la mobilisation collective et la dynamique du mouvement social et qui par conséquent se battent sui un terrain de rassemblement et d'unité d'action.

Au contraire cela vient bousculer les emportements de ceux qui y résistent. Il y a vraiment beaucoup de distance entre les schémas envisagés par certains pendant le week-end et lundi dernier et ce qui s'est passé réellement hier. Cela va probablement favoriser des rebondissements intéressants dans les débats internes aux différentes confédérations sur la question de l'action et de l'unité.

Et puis, pour ce qui est de la CGT, nous sommes, me semble-t-il, très bien positionné dans ces événements. (…)

Et puis surtout nous venons de faire une expérience grandeur nature, qui n'est pas si fréquente, du fait que la sensibilité dans l'opinion publique et dans les entreprises, ainsi que les initiatives à tous les niveaux (au niveau des départements en l'occurrence compte tenu des délais) permettent de surmonter dans les faits des blocages confédéraux. Tout cela crée donc une situation très intéressante. (…)

Réflexion sur l'unité d'action

La situation que je viens de décrire pose avec force la nécessité d'un approfondissement de la réflexion et de la discussion collective de la commission exécutive sur l'unité d'action. Tout simplement parce qu'il s'agit d'une question centrale par rapport aux objectifs de rassemblement des salariés dans l'action et de construction du mouvement social du niveau nécessaire.

Ce constat nous ne le faisons pas seulement depuis quelques semaines. Il était déjà au cœur de notre réflexion au second semestre 1993. Nous avions constaté, et nos initiatives y avaient contribué, des avancées nouvelles quant à la possibilité de déboucher sur des actions plus rassembleuses. Bien sûr depuis ce moment-là, marqué notamment par le 15 octobre, le 18 novembre, de nombreuses actions communes à toutes les organisations syndicales dans plusieurs branches professionnelles : aux PTT, à EDF, dans les organismes sociaux, dans les transports, etc., nous avons constaté ensuite un retrait indéniable au niveau confédéral.

La gestation d'un grand mouvement unitaire sur l'emploi puis les conditions de la décision du 12 mars ont bien illustré cette situation.

Mais en même temps, force est de constater qu'au-delà de ces blocages confédéraux nous avons connu des replis à d'autres niveaux : au plan des unions départementales, de certaines fédérations. Mais, malgré tout cela, une constatation reste vraie : l'aspiration des salariés à l'unité non seulement ne s'est pas démentie mais s'est encore renforcée. À tel point qu'on peut dire que depuis maintenant de nombreux mois toutes les actions significatives de masse, celles qui ont fait la une de l'actualité et oui ont été ancrées dans l'entreprise, ont été des actions pleinement unitaires dans lesquelles la volonté des salariés de défendre leurs revendications tous ensemble a été la plus forte. De la même manière il s'est très largement confirmé que tout ce qui pouvait apparaître artificiel ou plaqué d'en haut, ne passait pas la rampe. Cela était vrai pour nous, mais cela a été vrai plus globalement pour toutes les organisations syndicales.

Au total cet état d'esprit des salariés est un point d'appui que nous devons saisir partout avec audace. Oui, la recherche de l'unité d'action est l'un des éléments constitutifs de l'identité de la CGT. Nous ne développons pas notre activité, nous n'agissons pas en nous posant comme la finalité, nous ne nous battons pas pour nous-mêmes avec esprit de secte ou de chapelle. Bien sûr cela ne signifie en rien, bien au contraire, que nous ne devrions pas nous préoccuper de notre santé, de nos forces, c'est-à-dire de notre capacité de peser sur les événements. Mais nos ambitions ne s'arrêtent pas à nos propres limites même si nous voulons largement les faire reculer, nous nous battons bel et bien pour que les salariés dans leur plus grand nombre agissent efficacement pour faire avancer leurs revendications et défendre leurs intérêts, pour faire en sorte que les luttes se développent et qu'elles pèsent effectivement sur la situation dans le bon sens. Le nombre, c'est la condition essentielle pour une action syndicale de masse, cela va de soi. Et la faculté réelle à imposer dans la vie des rapports de forces permettant de mettre en échec les objectifs du patronat et du gouvernement et permettant de faire progresser les intérêts des salariés c'est l'un des éléments majeurs du syndicalisme de classe. Car celui-ci ne se mesure pas à la dureté des épithètes et au caractère enflammé des discours, mais bien, je le répète, à sa capacité à peser vraiment et dans le bon sens sur la situation.

Si l'on revient bien sur ces questions, alors oui la division syndicale est bien l'un des obstacles principaux au développement de l'action et à sa crédibilité. Même si à elle seule elle n'épuise pas le sujet, elle est un des éléments importants de la crise du syndicalisme dans notre pays, un des facteurs qui aboutit à ce que la désyndicalisation y soit encore plus forte qu'ailleurs. Ainsi, surmonter la division de manière durable dans un processus d'action est un point de passage obligé pour tout le syndicalisme, pour la CGT et pour son avenir. Cela fait bel et bien partie des défis que le syndicalisme et que la CGT doit relever parmi tous ceux que nous avons commencé à pointer au 44e Congrès. (…)

Nous le savons tous, aucune organisation syndicale ne peut prétendre dans la situation de notre pays rassembler les salariés autour d'elle seule Nous le constatons évidemment tous les jours mais tout nous montre que c'est une situation durable et structurelle. (…)

Cette constatation confère toute son importance à notre vision de l'unité d'action syndicale pour rassembler les salariés, pour donner force et efficacité à leur action, pour donner du poids à leurs revendications. Elle se relie de façon nette à la démarche que rappelait et que voulait pousser plus loin notre Congrès : placer la construction et le développement de l'unité d'action à tous les niveaux sous la responsabilité des salariés eux-mêmes qui doivent en être les acteurs et les auteurs, et en même temps, afin d'aider ce processus, développer des initiatives et des propositions unitaires là encore à tous les niveaux. (…)

Loin d'être une démarche tactique, conjoncturelle, notre conception de l'unité d'action a vraiment une dimension fondamentale. Elle recouvre une question clé qui nous est aujourd'hui très concrètement posée : serons-nous capables ou pas de favoriser l'émergence d'un mouvement social de nature à porter des exigences de haut niveau, et pour cela de créer toutes les conditions pour le rassemblement des salariés. N'y-a-t-il pas débat sur cette question du caractère fondamental ou non de notre démarche unitaire ? Nous savons tous que cela existe. Et ce n'est ni surprenant, ni dramatique. Nous savons tous qu'une conception de l'unité d'action conçue en termes de rassemblement autour de la CGT est loin d'avoir disparu de nos rangs. (…) Il est intéressant de constater que depuis plusieurs mois le débat sur l'unité d'action se développe dans toutes les organisations syndicales (…)

Chacune des organisations syndicales du pays à une stratégie, une culture, une sensibilité. Mais nous voyons bien en même temps comment les questions de fond qui travaillent le mouvement social contribuent largement à faire évoluer tout cela.

C'est d'autant plus vrai que les besoins d'unité d'action sont riches aujourd'hui d'aspects nouveaux. La rapidité des mutations technologiques, par exemple, l'ampleur de leur conséquence et la question fondamentale de la capacité à les maîtriser dans le sens du développement et du progrès social et humain ou au contraire d'en subir les contrecoups sous forme de véritables cataclysmes sociaux : tout cela impose au mouvement syndical tout entier de trouver les moyens et les voies pour peser efficacement sur cette situation. (…)

Dans les mutations dont je parle, on voit aussi comment l'existence même d'un nombre très important de garanties collectives est menacée. Elles sont attaquées par tous les bouts. Quels enjeux revendicatifs cela nous pose-t-il et notamment en matière de droits nouveaux permettant aux salariés de dire leur mot et d'avoir les moyens de se défendre et de se doter justement de garanties collectives nouvelles absolument indispensables pour assumer ces mutations et y faire face. Comment cela renforce-t-il et transforme-t-il le rôle du syndicalisme à l'entreprise ? (…) Mais cela renforce et transforme aussi le rôle du syndicalisme dans les localités sur les questions de l'emploi, de l'avenir des entreprises, de l'action avec les chômeurs et les exclus, de leur organisation collective, de la définition avec eux de revendications concernant les crédits à la consommation, les logements vides, etc. C'est encore le cas s'agissant de nombreux problèmes revendicatifs qui sont sensibles parmi les salariés qui se situent en dehors de l'entreprise. Par exemple la défense et le développement des services publics, dans les villes comme dans les zones rurales. La défense de l'environnement, du cadre de vie, les problèmes du logement, des équipements collectifs, de l'école, de la consommation, etc.

La dimension européenne

Autant de questions qui possèdent également une dimension particulière au niveau de la région : aménagement du territoire, développement du tissu industriel et des activités de service, formation, recherche à un moment où elle est menacée par les orientations du rapport Fillon. C'est également dans ce cadre qu’il nous faut intégrer la portée nouvelle de la dimension européenne du syndicalisme. À ce propos, je renvoie pour l'essentiel à ce qu'indiquait le rapport présenté par Alphonse Véronèse à la commission exécutive du mois de janvier concernant la dimension internationale de notre activité.

Mais, depuis ce moment, un certain nombre d'évolutions sont intervenues dont certaines doivent être mentionnées aujourd'hui.

La première d'entre elles concerne le développement de l'action. (En Allemagne, en Espagne, en Belgique…). Ce que je veux simplement indiquer c'est que ces éléments sont significatifs de l'étendue du mécontentement, de l'existence d'une volonté d'action et surtout d'immenses possibilités de convergences de luttes qui au total portent sur des problèmes très comparables au-delà des différences de législation ou de traditions syndicales.

Nous avions souligné en son temps l'importance de l'eurogrève des cheminots, mais ce mouvement commence à exister de manière plus significative dans des groupes, dans des professions. Par exemple, nous sommes à la veille d'une action unitaire au plan européen de tous les syndicats du transport aérien contre les privatisations et pour l'emploi ; action dans l'existence de laquelle la CGT a joué un grand rôle.

De même importance l'accord sur le statut des cadres signé par l'UGICT, la CGIL et les Commissions ouvrières de Barcelone.

C'est dans ce même mouvement qu'il nous faut intégrer le développement de relations concrètes entre les organisations de la CGT et certaines structures de la CES au niveau de branches professionnelles importantes ou au niveau de concertations interrégionales. Cela ne signifie en rien que les obstacles à notre adhésion à la CES pourraient s'évanouir soudainement. Cela signifie par contre que l'absence de la CGT des instances de coordination syndicale en Europe est de plus en plus largement ressentie comme un handicap par beaucoup d'organisations syndicales.

Bien sûr la vie reste faite d'avancées, de stagnations, parfois de reculs, puis à nouveau d'avancées dans nos relations bi ou multilatérales. Mais, quoi d'étonnant à cela. C'est bien le reflet des contradictions multiples qui existent pour la construction d'une dynamique syndicale unitaire en Europe. Dans ce contexte le rôle des organisations syndicales françaises n'est évidemment pas nul. Je pense néanmoins que la tendance principale est bien celle qui pousse dans le sens d'une présence de la CGT à tous les niveaux dans la coopération syndicale en Europe, et qui renforce notre détermination à voir lever l'ostracisme archaïque qui bloque encore notre adhésion à la CES.

Il n'est évidemment pas surprenant qu'au fur et à mesure que cette réalité appelait de manière plus forte les enjeux s'élèvent. Car il est bien clair que toute avancée significative sur le terrain de l'unité d'action en Europe a des répercussions très positives sur l'unité d'action en France mais l'inverse est vrai aussi. Il est donc normal que beaucoup de monde s'intéresse de très près à ces questions.

La conclusion que nous devons en tirer est bien de renforcer notre capacité d'initiatives dans les branches professionnelles, dans les régions, dans les entreprises, dans les groupes sur la base de communautés d'intérêts qui apparaissent avec une évidence grandissante. (…)

Plus que jamais la nécessité de surmonter durablement la division syndicale se pose comme un impératif concret ; partie intégrante des priorités de la CGT, partie intégrante de la mise en œuvre de ses orientations, des conditions de son développement, de l'accroissement de ses forces organisées et de son influence. C'est dire que loin de s'opposer au rayonnement de la CGT, la mise en œuvre, en grand, de nos orientations offensives sur le terrain de l'unité d'action est au contraire un élément de développement de l'organisation.

Mais tout cela est encore accentué par le fait que les phénomènes de division du monde du travail ne sont pas qu'idéologiques. Nous le savons tous. Nous le vivons tous. Même si l'antagonisme fondamental d'intérêt oppose bien les salariés dans leur ensemble et le patronat, il existe aussi au quotidien, et de manière très ressentie, des contradictions entre les salariés eux-mêmes. Certaines sont induites par l'organisation du travail et les stratégies mises en œuvre par les directions. Elles ne sont pas statiques. Il est évident par exemple que l'on ne peut plus parier aujourd'hui des relations hiérarchiques dans l'entreprise, de l'état d'esprit des ingénieurs, des cadres, des agents de maîtrise et des techniciens dans des termes identiques à ceux d'il y a dix ans. Dans leur diversité ces catégories sont aujourd'hui tout particulièrement frappées par la crise, par les suppressions d'emplois. Elles sont très directement attaquées dans la reconnaissance de leurs qualifications, dans leur pouvoir d'achat, dans leurs capacités à mettre en œuvre leurs compétences. C'est dire que l'idéologie présentant les cadres comme une sorte de catégorie médiane entre les salariés et le patronat perd beaucoup de sa crédibilité. Cela conforte pour l'essentiel la manière dont la CGT, avec son UGICT, se bat pour conquérir les forces et l'influence nécessaires pour une action syndicale efficace avec ces salariés. Cela explique aussi la véritable crise d'identité que vit depuis maintenant plusieurs années la CGC qui voit son schéma de représentation largement bousculé par la vie, qui est conduite dans bien des domaines à faire des constats identiques aux nôtres ce qui, sans aucun automatisme mais de manière réelle, crée des conditions plus favorables à un champ d'action unitaire avec elle.

Cela étant rappelé avec force car c'est important, il n'en reste pas moins que les contradictions n'ont pas disparu comme par magie. Elles se focalisent notamment sur le contenu et l'organisation du travail, sur la maîtrise des technologies, sur la mise en œuvre des critères de gestion capitalistes, sur l'application par les directions d'entreprises de formes de décisions décentralisées qui placent nombre de cadres y compris de cadres moyens en situation de fer de lance de la mise en œuvre de stratégies décidées totalement en-dehors d'eux au nom de stratégies financières sur lesquelles ils n'ont aucune prise.

Autre aspect de ce problème, celui des identités professionnelles qui sont à la fois facteur de rassemblement et en même temps de contradiction. Là encore les choses sont évolutives. Sans que qui que ce soit puisse lire dans le marc de café il semble que les phénomènes que nous avions connu il y a cinq ou six ans d'affirmation d'identité professionnelle contre d'autres catégories de salariés aient beaucoup reculé. Globalement on observe quand même beaucoup plus de compréhension mutuelle. Souvent confuse quant aux racines de la situation, quant à la communauté d'intérêts mais quand même ressentie comme telle. Cela étant dit le développement de nombreux mouvements sociaux se fait désormais sur un terrain d'affirmation identitaire. Nous avons su le comprendre et c'est très important car cela a permis à la CGT, dans les difficultés de la situation, de jouer son rôle et de permettre aux salariés concernés de mettre en avant les revendications qui leur semblaient les plus essentielles y compris les revendications qualitatives, identitaires.

La Commission exécutive de la CGT du 4 mars 1994 a convoqué le CCN les 26 et 27 mars

En même temps, il reste toujours très difficile de créer les grands moments de convergence de lutte qui seraient pourtant nécessaires.

Indéniablement le 12 mars peut jouer un rôle considérable dans ce sens, dès lors que chacun peut trouver des raisons de se sentir concerné, rencontrant celles des autres. Dès lors que nous voyons monter la volonté de faire vivre de manière nouvelle la solidarité. Mais nous avons tous conscience que pour l'essentiel ce processus reste à gagner. Au-delà du 12 et dans la dimension de construction d'un mouvement social puissant susceptible de changer effectivement le cours des choses, n'est-ce pas l'une des tâches les plus importantes qui se présente à nous pour la période qui vient ? Même raisonnement à propos de ce qui reste puissant dans l'inconscient collectif d'aujourd'hui en matière d'opposition entre les secteurs protégés et les secteurs exposés, entre le secteur public et le secteur privé, entre les "stables" et les précaires, entre les chômeurs et les salariés. (…)

Démarche avec créativité

Sur le plan plus général prendre en compte tous ces aspects nous permet d'aboutir à un certain nombre de conclusion : quand nous nous situons de manière systématique à l'initiative, sur tous les terrains, nous pouvons générer ou accélérer ou bénéficier en retour, d'une dynamique qui existe bel et bien chez les salariés. C'est le sens de la proposition faite par le bureau confédéral pour nous positionner avec force sur l'après 12 mars. Il nous semble indispensable ainsi qu'à tous les niveaux on fasse vivre la même démarche avec créativité en se basant sur les problèmes concrets de l'entreprise, de la branche, de la localité, du département. Et il nous semble aussi que sur un certain nombre de contenus revendicatifs on peut aboutir à créer des situations nouvelles. (…)

Oui, la recherche du rassemblement des salariés et de l'unité d'action est bien l'un des éléments essentiels des orientations de la CGT qui dans le même temps exprime ce qu'elle estime juste pour apporter sa contribution irremplaçable à la montée de l'action et des revendications et qui mène sa bataille pour convaincre de la pertinence de ce qu'elle avance.

C'est un des éléments essentiels de nos orientations parce qu'il se situe en perspective : en liaison étroite avec ce que nous disons à propos de l'impérieuse nécessité du renouveau syndical, en liaison étroite avec la nécessité de trouver des formes d'unité d'action dont ta mise en œuvre pourrait permettre de surmonter durablement les phénomènes de division tant il est vrai que cette question est devenue d'actualité.

N'est-ce pas comme cela que nous pouvons faire vivre dans les conditions d'aujourd'hui le besoin d'unité syndicale ? (…)