Ensemble des interventions faites au cours du conseil national du PS à Paris le 19 juin 1994 (notamment celles de MM. Michel Rocard, Jean Poperen, Louis Mermaz, Pierre Mauroy, Henri Emmanuelli, Jean Glavany et Lionel Jospin), parues dans "Vendredi" du 1er juillet 1994, sur l'orientation politique du PS et l'élection de M. Henri Emmanuelli à la tête du PS en remplacement de M. Michel Rocard.

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Circonstance : Réunion du Conseil national du PS à Paris le 19 juin 1994

Média : La Lettre de Vendredi

Texte intégral

Henri Emmanuelli, Premier secrétaire

Pour la qualité de la vie démocratique de notre Parti, il est nécessaire que chacune et chacun d'entre vous puisse prendre connaissance du compte rendu quasi littéral des débats de notre Conseil national. Trop de commentaires, parfois contradictoires, souvent infondés, ont en effet surgi à l'issue de notre réunion du 19 juin dernier. Présenter sincèrement, dans la transparence, ce que furent réellement ce jour-là nos échanges, nos discussions, nos oppositions et nos convergences, est donc, plus que jamais, un véritable impératif pour notre Parti, un devoir à l'égard de ses militants.

En relisant ces interventions, en repensant à cette journée, deux remarques s'imposent à moi :

La première est pour constater la sérénité, contrairement à ce que j'ai souvent lu, qui a marqué nos travaux. Ceci nous le devons en grande partie à Michel Rocard à qui le tiens à rendre hommage. En choisissant lui-même, en toute liberté, en toute responsabilité, de remettre son mandat entre les mains du Conseil national, il a non seulement agi courageusement et logiquement, mais en outre, tirant avec une très grande dignité les conséquences de notre vote, il a fait la preuve des qualités militantes et humaines qui ont toujours été les siennes.

Il y a eu débat. Il y a eu vote démocratique. Conformément à nos statuts, chacun a su en prendre la mesure et en discerner les conséquences pour lui-même.

Ma seconde observation porte sur la qualité de nos travaux. C'est bien de politique et de rien d'autre dont il a été question durant cette journée. C'est bien la volonté d'ouvrir un débat, de sortir des demi-postures dans lesquelles nous nous étions installées, qui nous a animés. Depuis plusieurs mois, j'avais répété à chaque occasion qui m'était donnée qu'il n'y avait d'autre possibilité en ce 19 juin. Le plus grand nombre de mes camarades ont partagé mon analyse.

Dès lors, la nécessite d'infléchir nettement à gauche notre positionnement, de redonner la priorité absolue aux questions sociales, seule susceptible de nous permettre de retrouver les préoccupations de notre électorat, a motivé nos votes. Il n'a pas pour autant résolu toutes les questions mais seulement permis d'ouvrir la discussion.

Le débat est aujourd'hui ouvert.

Mais il est désormais entre vos mains.

En prenant ses responsabilités le Conseil national vous a donné la parole car, s'il a en effet entamé un processus, seuls les militants dans le cadre de notre Congrès pourront le mener à son terme. Il s'agira alors pour chacune et pour chacun de trancher par des positions claires qui nous engageront nous tous auprès de l'opinion.

C'est la logique des choix que nous avons opérés le 19 juin.

C'est celle dont je souhaite, comme Premier secrétaire, être le garant.

C'est la seule, j'en suis persuadé, qui nous ouvrira les voies de la reconquête.


Michel Rocard

Chers camarades, parce que la séquence États généraux-congrès-cantonais avait paru bien se passer, nous pouvions nourrir des espoirs. Le résultat de dimanche dernier a montré que si le Parti socialiste peut rassembler contre la droite, il ne sait pas encore, loin s'en faut, attirer toute la gauche.

Ce qui a fait le succès des cantonales, c'est le poids, la qualité de l'implantation des élus. Mais, dans les élections européennes de dimanche dernier, où le rôle des élus locaux est forcément moindre, où le Parti est ramené à son influence nationale, le score a traduit un fort recul.

La campagne a été mauvaise. Les thèmes n'ont pas été assez clairs. Moi-même, tête de liste, je n'ai pas réussi dans ce rôle. Soit !

Mais autant j'accepte par avance toutes les critiques qui m'ont été faites et qui me seront faites, autant je suis sûr qu'elles ne serviront qu'à dissimuler une partie de l'essentiel si nous n'allons pas bien au-delà.

Une ligne politique est une stratégie incertaine, un isolement confirmé, un fonctionnement absurde, ce sont nos trois grandes failles, celles qui exigent des changements radicaux.

Une ligne politique est une stratégie incertaine car, sur tous les sujets, nous sommes devenus le parti du ni-ni. Ni libéralisme ni étatisme, mais aussi ni trop européen, ni pas assez, ni pourvoyeur de rêve ni gardien d'un réalisme, ni ceci ni cela. Sur tous les sujets nous avons tendance, après bien des débats, à choisir un entre-deux qui n'est finalement, aux yeux ses Français, qu'un creux qui ne peut les convaincre, un vide dans lequel nous tombons.

Alors, il faut commencer par rebâtir une analyse anguleuse, une stratégie charpentée, un discours clair.

Les axes s'éclairent chaque jour davantage. Partout l'économique martyrise le social. Partout cette priorité s'impose, avec la menace, pour qui la méconnaîtrait, de créer plus de chômage encore. Mais nous savons tous qu'à continuer comme cela, c'est peut-être une explosion qui se prépare, lorsque la partie croissante des exclus de la société n'en pourra plus, mais c'est en tout cas et d'ores et déjà le désespoir social.

Face à cela, notre première priorité est de nous adresser à la fois aux classes moyennes et aux classes populaires, de parler à la fois à ceux qui ont une place dans la société et à ceux qui n'en ont pas ou n'en ont plus. Leur tenir un discours commun pour les unir dans un combat commun. Car ceux qui, aujourd'hui, ont leur place dans la société, peuvent la perdre du jour au lendemain tandis que, malheureusement, ceux qui l'ont perdue ont de plus en plus de mal à la retrouver.

Nous sommes, depuis des années, écartelés entre deux électorats. L'un, essentiellement les classes ou les catégories moyennes, apprécie un réformisme responsable et manifeste un fort attachement à l'idée européenne. L'autre plus populaire, plus ouvrier, plus jeune, nous suit de moins en moins, n'a vu ni dans notre action d'hier, ni dans nos propositions d'aujourd'hui, assez de raisons d'espérer pour nous soutenir.

Il n'est possible de réunir ces deux électorats qu'autour d'une société plus sûre pour tous.

Cela exige d'offrir une alternative claire. Cela exige souvent d'aller à contre-courant, car le courant actuel, il tend, rapport après rapport, expert après expert, mesure après mesure, à limer des droits des travailleurs, à nier les droits de la jeunesse, à amputer les droits des immigrés, à abaisser les salaires. Le courant, il est celui-là. Alors, oui nous devons à nouveau être à contre-courant.

C'est en France, en Europe et dans le monde que le libéralisme impose sa stratégie globale, celle qui, faisant tomber toutes les règles qui font qu'une société tient debout, concentre la finance, accroît les inégalités, saccage l'environnement, multiplie les exclusions. Et c'est donc en France, en Europe et dans le monde que nous devons opposer notre stratégie globale à celle-ci, une stratégie antagonique fondée sur la démocratie partout, jusque dans l'entreprise, et des règles justes chaque fois qu'elles sont nécessaires, et fondée aussi sur une éthique intransigeante.

Il ne s'agit évidemment pas de « tomber à gauche », comme on le dit trop souvent. Il s'agit au contraire de remonter à gauche sans rien perdre de notre réalisme récent, mais en renouant avec nos exigences et nos espérances de toujours.

Tout cela peut avoir des traductions concrètes. À la première réunion des Assises, j'avais dit que notre premier engagement devrait être d'offrir à chaque jeune au sortir de l'école un emploi ou une activité. Dans la campagne, cette proposition a été étouffée par une autre, apparemment plus simple, consistant à déclarer le chômage illégal. Je ne crois pas à ce moyen, mais je crois à cet objectif. Nous n'avons pas le droit de laisser les jeunes démarrer leur vie dans une salle d'attente. C'est une obligation qui nous est faite, le devoir immédiat de notre société, que d'offrir un travail à tout jeune de moins de 25 ans.

C'est un exemple important, prioritaire, mais il y en a bien d'autres : maintenir la priorité à l'éducation, protéger les emplois existants et abaisser le temps de travail, assurer le passage d'une logique de prélèvements sociaux fondée sur le seul travail à une logique de prélèvements mettant davantage à contribution le capital, rebâtir de vraies villes en banlieue, permettre aux femmes d'avoir la place égale qui leur revient, offrir aux personnes âgées l'attention dont elles ont besoin... Et c'est sur tout cela et sur bien d'autres choses encore qu'il soit possible d'élaborer les rennes d'un contrat social qui rassemble des catégories différentes. C'est sur tout cela et sur bien d'autres choses encore qu'il nous faille un projet précis, concret, ambitieux et je dirai dans un instant comment nous en doter.

Mais une fois ceci fait, il nous faudra aussi sortir de l'isolement. Sortir de l'isolement, cela veut dire, bien sûr, rassembler tous les éléments épars de cette gauche qui serait très puissante si elle n'était pas à ce point dispersée. Mais cela veut dire aussi choisir le bon moment.

J'ai cru que le bon moment serait celui qui suivrait les élections européennes. Pour être plus précis, il faut distinguer sur ce point les niveaux national et local. Sur quoi, nationalement, irions-nous discuter aujourd'hui avec des partenaires potentiels ? Sur une stratégie ? Il nous faut la clarifier. Sur un programme précis ? Il nous faut le reformuler et c'est l'une des choses que je vais vous proposer.

Alors, je dis qu'il faut respecter l'ordre logique. Que des contacts soient pris localement dans la perspective des élections municipales par les premiers des socialistes que nous devrons désigner très tôt, c'est une bonne chose à faire. Que les efforts fructueux engagés avec les Assises de la Transformation sociale se poursuivent, c'est une évidence et une nécessité.

Mais, nationalement, la discussion utile ne pourra pas aboutir avant que nous n'ayons mis de l'ordre dans nos idées, dans nos propositions, dans notre stratégie. Ne présumons pas de la forme organique que ce rassemblement pourra prendre. Elle dépendra avant tout de la ligne politique et de la stratégie que nous aurons définie.

Cela doit aller vite, je songe au mois de septembre, mais cette étape est évidemment indispensable.

Encore faut-il, dans cette perspective, que nous nous donnions les moyens d'avancer. Et le meilleur moyen d'avancer, c'est de sortir enfin de la paralysie que provoquent nos modes de fonctionnement.

Nos modes de fonctionnement, c'est un unanimisme de façade qui dissimule bien mal des divisions réelles. Et ces divisions réelles, ce n'est pas d'abord sur des idées qu'elles se font mais, plus souvent sur des ambitions, sur des arrière-pensées ou sur des nostalgies.

Je respecte parfaitement les liens d'amitié, les affinités électives, les communions de pensée, mais pas quand tout cela ne sert qu'à composer des bataillons. Qu'un problème surgisse et, aussitôt, il est traité à travers le prisme des positions de courant : si untel fait ceci, nous avons intérêt à faire cela ; s'il dit blanc, il nous faut dire noir ou au moins gris, ou au moins blanc-cassé. Et combien d'entre vous ont été amenés, parfois, à voter selon les vœux de leur courant plus que selon leurs sentiments profonds ?

Moi-même, avec mes amis, je m'y suis laissé prendre. Il y a quinze ans, mon courant représentait une vraie singularité, face à d'autres courants qui représentaient d'autres singularités. C'était utile, c'était digne, et le Parti s'en portait bien.

Plus rien de tel aujourd'hui. Depuis plusieurs années, le soutient et la fidélité de mes amis, tout en restant fondés sur des convictions ont été pris au piège des rapports internes, et c'est vrai de tous ici. Eh bien, c'est fini. Je demande à tous ceux qui m'ont fait l'amitié de m'accompagner au nom même des principes que nous partageons, de se déterminer désormais dans le Parti en fonction de ce qu'ils croient vrai, de ce qu'ils croient juste.

Bref, de ce qu'ils croient socialiste et non plus en fonction de ce que je leur demande, ou de la défense de mes intérêts.

Aux autres courants de se poser les mêmes questions et d'y apporter la réponse de leur choix.la mienne est claire, seules compteront désormais les majorités d'idées, par les majorités d'appareil. C'était, souvenez-vous, la demande unanime et enthousiaste des socialistes aux états généraux. Mais pour que ne reste pas à nouveau sans lendemain cette volonté de dépasser les courants, aussi souvent manifestée que souvent demeurée lettre morte, il faut enfin la concrétiser.

Je sais bien que nos statuts nous imposent en principe de ne toucher à rien avant un prochain congrès. Mais je sais aussi qu'à des situations exceptionnelles, il faut réagir par des mesures exceptionnelles. Celles que je vous propose de prendre sont les suivantes :

Que quelques membres supplémentaires fassent aujourd'hui leur entrée du Bureau national, non pas justement pour constituer une majorité, mais bien pour enrichir nos débats, par l'arrivée de personnalités qui ont fait la preuve qu'elles ont des choses à apporter.

Je songe à Martine Aubry qui, sous réserve du vôtre m'a donné son accord, mais aussi à Elisabeth Guigou, à Ségolène Royal, à Bertrand Auban, François Hollande, Jack Lang, Thierry Mandon, Bernard Roman et Jean-Pierre Sueur.

Qu'un groupe restreint sous ma direction travaille pendant l'été à un programme clair qui sera soumis aux militants en septembre et que le Parti proposera aux Français.

Qu'un autre groupe prépare également pour septembre des propositions de rénovation des modes de fonctionnement du Parti, orientées toutes vers le souci de redonner vraiment la parole et le pouvoir à la base.

J'insiste sur le fait que tout en veillant à ce que des points de vue différents soient présents dans ces deux groupes de travail, je n'entends pas confier aux courants le soin d'un désigner des représentants. Et ce sera désormais la règle permanente : la concertation oui, bien sûr, le verrouillage préalable non. Je ne peux plus, pour y avoir trop longtemps participé moi-même, de ces réunions du Bureau national, du Conseil national, voire du congrès, où tout est terminé avant même d'avoir commencé, où il y a la scène sur laquelle chacun tient le discours convenu et les coulisses où se prennent les vraies décisions, où les votes, et parfois même les applaudissements n'enregistrent pas la force convaincante des orateurs, mais traduisent l'efficacité des appareils de courants. Être chef de parti, ce n'est pas être le point central sur lequel repose toutes les contradictions d'un appareil fermé. Mes prédécesseurs en ont souffert. Mes successeurs en souffriraient autant si rien ne changeait.

Je ne sais effectivement pas gérer un faux unanimisme, et je refuse de continuer à tenter de le faire. Mais que sur chaque débat apparaissent des clivages que traduisent des majorités et des minorités, et le rôle du Premier secrétaire, moi ou un autre, retrouvera aussitôt un sens, une vérité, une lisibilité.

Voilà tout ce vers quoi je souhaite entraîner le Parti. Voilà les propositions précises sur lesquelles je vous demande votre confiance. Toute cette rénovation n'a déjà que trop tarder. De ce retard, je me trouve à la fois complice et victime. Mais à ce double titre, je suis décidé à agir, si vous le souhaitez, et je ne resterai pas dans une situation où je serai paralysé même si vous m'y invitiez.

Je pense qu'aujourd'hui je pourrais sans doute sans poser de condition, obtenir un vote favorable. Il ne serait pas la marque de la confiance que vous me faites, mais traduirait seulement la difficulté à trouver un accord sur le nom d'un remplaçant. Je sais que beaucoup sont prêts à me soutenir, non parce que ma force les y conduit, mais au contraire parce que ma faiblesse actuelle ferait que je ne gênerais personne.

Eh bien à cela moi je n'entends pas me résigner. Je ne veux pas rester pour rester. Je veux rester pour agir, et j'en veux les moyens que j'estime nécessaires. Pour agir avec vous tous, pour faire face à l'urgence, pour entamer à fond le renouveau.

Ce renouveau devra aussi être le mien propre. C'est mon affaire. Cela supposera naturellement que, plus que je n'ai pu le faire jusqu'à présent, je délègue à d'autres les tâches quotidiennes de gestion du Parti.

Vous allez tous, tout à l'heure, avoir à vous prononcer. Pour remettre le Parti sur les rails, j'aurai besoin de chacun d'entre vous, non pour qu'il m'apporte sa voie, ou son contingent de voix, mais pour qu'il nous apporte à tous sa conviction, ses idées, son espérance.

Jusqu'ici trop de socialistes estimaient n'être pas assez entendus dans le Parti, et avaient pris l'habitude de l'interpeller de l'extérieur. Désormais, tous ceux qui, de bonne foi veulent le bien du Parti y trouveront la parole, l'écoute et donc les moyens de peser sur nos choix collectifs.

Si ce que je propose ne vous convient pas, parce que vous avez une solution meilleure, choisissez-la. Ce que je vous demande n'est pas de faire confiance à ma personne. Ce que je vous demande c'est d'approuver le programme d'actions que j'entends conduire dès maintenant : un axe stratégique et un élargissement de la Direction. Pour septembre : un programme pour les Français et des propositions de rénovation pour le Parti. Ensuite et sur ces bases : le travail nécessaire de rassemblement de tous les électeurs de gauche derrière la bannière du candidat que le Parti se choisira le moment venu.

Vous pouvez faire appel à un autre, mais si c'est moi qui exerce la fonction de Premier secrétaire, alors je ne le ferai pas sur un autre mandat d'ensemble que celui que je viens de définir.

La droite française a les moyens de dominer l'avenir, et nous avons compris que ce sera une droite dure. Nous n'avons pas le droit de ne lui opposer qu'un parti incertain, nous n'avons pas le droit de ne lui opposer qu'une stratégie indécise. À son conservatisme, nous devons opposer notre mouvement, à ses scléroses nous devons opposer notre rénovation et à sa division notre rassemblement.

Ne vous y tromper pas : c'est bien plus que mon poste que vous avez entre les mains, c'est l'avenir du Parti, c'est l'avenir du socialisme en France.


Jean Poperen

J'ai en effet, souhaité intervenir pour présenter le projet de texte qui est d'abord d'orientation, qu'avec certains d'entre vous, et certaines, j'ai préparé.

Nous sommes au début de la journée. Il y aura donc, échanges et réflexions, et même si d'autres propositions sont faites, dont celles-là que je vais présenter, nous nous prononcerons d'abord, et c'est logique, par rapport aux propositions que vient de nous faire le Premier secrétaire.

Un grand décalage existe entre l'enjeu énorme, finalement vital et puis les solutions exprimées.

Nous ne sommes pas allés au bout des raisons pour lesquelles une partie importante de ceux qui nous avaient portées au pouvoir, qui nous avaient fait confiance s'était détachée de nous. Pour la première fois, nous allons vers le marché unique de l'économie libérale capitaliste. Nous sommes dans la phase d'internationalisation, de mondialisation, pas seulement de l'économie mais des médias, de la communication, d'un peu tout… c'est cela que nous vivons ! Les conséquences sont énormes. Soit dit au passage, elles justifient, s'il en était besoin, notre ligne européenne. Cela met en miettes la stratégie menée dans certains pays et même chez nous finalement, avec tant de succès, et qui fut la stratégie de la social-démocratie. Elle met bas le contrat sur lequel on a vécu et, en France, le contrat de fait qui a été globalement tellement profitable aux forces du travail, aux salariés classes moyennes et classes plutôt populaires – je retiens tout à fait ta distinction – même s'il y a convergence sur l'essentiel.

Ce contrat, dont l'histoire est balisée par les Accords Matignon, du Front Populaire, par les grandes réformes de la Libération, par les accords de Grenelle, et par un certain nombre d'avancées, d'autres avancées, nous avons vécu là-dessus. C'est fini !

C'est pourquoi nous disons que ce contrat-là ne peut plus être. Il faut en imaginer un autre. Et celui qui vous parle, pas plus que personne ici, j'imagine, n'a la recette en poche, encore que nous ayons encore une démarche qui allait dans ce sens.

Voilà à quoi il faut travailler : le contrat de notre temps… de l'ère de la mondialisation ; mais il y a urgence parce que, de l'autre côté, le rouleau compresseur est en marche.

Monsieur Pineau Valencienne disant dans une interview, il y a un mois environ, en substance « le mal, pour nous, ce sont ces acquis sociaux dont le Président de la République nous dit qu'il faut les préserver » … c'est au cœur du sujet et, depuis, un rapport de l'OCDE a dit en effet « c'est là le mal, c'est là qu'il faut frapper ! »

Est-ce que nous devons les préserver tels qu'ils sont ces acquis ? Il y a sans doute matière à négocier. On ne peut pas vivre, je viens de le dire, sur les acquis, les contrats de 1936, de 1945, de 1968… Mais il faut négocier et nous revenons là à l'exigence du rapport de forces.

Pour le moment, il n'y a pas de rapport de forces. Il y a le rouleau compresseur et rien en face : un salariat qui plie l'échine parce qu'il y a la menace formidable du rétrécissement du marché du travail. C'est évidemment une arme presque irrésistible, en tout cas irrésistible si on ne fait rien contre, si on ne se bat pas, si on n'organise pas une action.

Le choix d'une telle stratégie est le préalable absolu. Il ne saurait, en tout cas de notre part, de ceux qui co-signent ce texte, n'y avoir aucun soutien à une équipe qui ne serait pas résolue à s'engager dans cette voie.

Notre réflexion sur hier et demain est centrée là-dessus. Cela ne règle pas tout. Ce n'est jamais si simple mais c'est le préalable central. Il faut aller vers cela. Y aller avec quelles forces ?

Les forces de la gauche, telles qu'elles sont, pour commencer. Cela ne suffira pas, mais il faut au moins celles-là.

Je n'ai pas entendu dans ce qu'a dit Michel beaucoup de précisions sur ce point. J'ai lu, ici ou là, notamment depuis huit jours, des suggestions dont certaines, je vous le dis tout cru, m'ont paru cocasses...

Les forces de la gauche telles quelles sont et donc les organisations politiques de la gauche telles qu'elles sont, c'est-à-dire dans la grande majorité des cas plutôt mal en point, soit dit entre nous. Je ne veux pas m'y arrêter. Si on polémique là-dessus, je suis tout prêt à contre-polémiquer, mais allons à l'essentiel.

Et naturellement entre autres avec le MRG. Nous sommes les alliés du MRG depuis un quart de siècle, tant bien que mal. Comme toutes les alliances, cela va, cela vient. Mais enfin, on est allié.

Et c'est au moment où, peut-être pas durablement (là aussi il faut relativiser les perspectives) mais enfin, au moment où il attrape un 12 % qu'on dirait : « horreur ! Cachez... » j'allais dire ce « saint », mais ce n'est pas vraiment cela, quelle que soit l'orthographe. Ce n'est pas vraiment le mot !

Je voudrais vous faire observer – mutatis mutandis, les circonstances sont très différentes, les interlocuteurs très différents, mais la démarche d'union est toujours la même – que quand nous avons commencé à rechercher l'alliance du Programme commun avec les communistes, on nous a dit : vous perdrez vos voix et votre âme.

Il y avait un pari, ce n'était pas écrit que nous le gagnerions. Les commentateurs bien inspirés qui nous donnent aujourd'hui tant de conseils aussi, qui voudraient qu'on reste isolé, je m'en méfie tout de même un peu. Je me méfie de tous ces conseils qui font tellement bien l'affaire des gens d'en face. Les mêmes ou leurs prédécesseurs nous disaient : où allez-vous vous fourvoyer ? Il y avait un risque.

C'est le mérite historique de François Mitterrand, et nous avons été quelques-unes et quelques-uns heureusement à aller dans ce sens, d'avoir pris le risque, d'avoir pris le pari, et nous l'avons gagné ! Et nous sommes de cette façon devenus la force prépondérante.

Nous ne retrouverons pas de vigueur si nous nous isolons en quoi que ce soit. C'est par la hardiesse d'une stratégie d'alliance – tu as dit toi-même la nouvelle alliance – que nous avancerons.

Simplement, et je vais en terminer par là et mon deuxième point et mon propos, nous sommes arrivés à un point où nous ne referons pas l'alliance de type classique, dirai-je, celle que nous avons si bien réussie il y a un quart de siècle.

Les temps ont changé, et puis malheureusement, c'est notre faute, le rapport de forces dans l'univers de gauche.

Ma conviction. J'ai vu qu'elle était celle d'autres camarades qui l'ont écrit, encore hier soir, ma conviction, c'est que nous devons aller dès maintenant... nous devons aller vers une nouvelle structure unificatrice de la gauche, de l'ensemble de la gauche. Nous devons secouer des frontières qui ne correspondent plus à la réalité. Je vous le dis comme je le ressens. Et ce n'est pas un geste de pessimisme, au contraire ! L'avenir ne se fera pas dans les limites du PS tel qu'il est aujourd'hui.

Nous faisons la proposition d'une équipe totalement débarrassée des combinaisons de ce qu'est actuelle direction.

C'est cela le geste, permettez-moi de le dire, révolutionnaire, de tournant politique qui préparera le tournant sur l'orientation stratégique. C'est cela le signe qu'on doit donner ce soir.

Donc une équipe dégagée de ces dosages de courants dont, j'y reviens un instant, tu nous as dit qu'ils aboutissaient à l'unanimité. Non ! Non ! Ils aboutissaient, oui, à ce consensus commode, tactique, qui permettait que ceux qui n'étaient pas d'accord fussent rejetés dans l'incapacité véritablement d'agir.

C'est cela qui n'est plus possible : car si nous ne donnons pas cette perspective, cet espace, si nous n'avons pas cette largeur de vue, alors vous imaginez bien que la grande tâche devant laquelle nous sommes, historique pour le coup, nous ne l'accomplirons pas.

Tu as, je l'ai dit en commençant, parfaitement marqué l'enjeu. Il faut des décisions à la mesure de l'enjeu. Il faut des décisions à la mesure de l'enjeu. J'ai bon espoir que d'ici ce soir nous y parviendrons.

Pour le moment, celles que tu nous as soumises n'y correspondent pas du tout.


Louis Mermaz

Michel Rocard vient de nous faire un certain nombre de propositions. Je ne pense pas que ces propositions correspondent à la hauteur de la crise que nous vivons.

Les élections européennes ont apporté dans le pays un profond bouleversement. N'ignorons pas les divisions qui désormais vont miner de plus en plus la droite. Au milieu de nos difficultés, nous avons probablement là une occasion à ne pas laisser passer.

Certes, le traumatisme a été plus fort à gauche que dans le camp conservateur, car le Parti socialiste, même dans un scrutin difficile, toujours difficile pour lui, est tombé à 14,5 %, mais quand la gauche progressait sensiblement par rapport aux Européennes de 1989, et c'est cela qui nous inquiète tout particulièrement.

Le redressement passe par trois conditions : la réalisation d'un projet simple, ce qui ne veut pas dire simpliste, mais compréhensible de l'opinion et authentique, un changement de méthode et d'équipe à la direction du Parti socialiste, car c'est la condition d'un vrai redressement de la gauche. Enfin une préparation loyale des prochaines élections présidentielles.

Dire cela, c'est poser une seule et même question à laquelle il nous faut apporter une seule et même réponse aujourd'hui.

Le projet : penser le projet, c'est faire différemment de ce qui vient de se faire à l'occasion de la campagne des élections européennes. L'absence d'analyse pendant cette campagne, des propositions difficilement compréhensibles. Des textes et un discours, souvent entortillés, qui traduisaient le flottement de la pensée et l'oubli de notre identité. Comment nos électeurs n'iraient-ils pas voire ailleurs s'ils ne comprennent plus ce que nous leur disons ?

Une liste mal construite, on en a trop parlé pour y insister.

L'ambiguïté des positions par rapport au Traité de Maastricht qui a été notre œuvre et celle de François Mitterrand.

Le suivi envers la liste « l'Europe commence à Sarajevo », la nouvelle alliance quelques jours avant la fin de la campagne, qui est apparu comme un sauve-qui-peut.

De tout cela, ni la direction, ni le Parti n'avait vraiment délibéré. Si les erreurs devaient se perpétuer, le Parti socialiste continuerait de reculer.

Notre projet doit être simple et clair, opposition au système libéral qui ravage aujourd'hui le monde. Oui. Il faut avoir à nouveau la volonté de transformer la société en profondeur, et dans le même temps, assumer notre bilan. La montée du chômage en Europe et en France où nous avons éprouvé ce que sont les lois implacables du marché, ce sont là des données objectives qui ont été permanentes pendant les douze années de l'exercice des responsabilités par les socialistes, il faut les rappeler et en faire l'analyse.

Mais il faut savoir aussi que les socialistes ont parfois été plus sensibles aux difficultés des entreprises, qu'il ne s'agissait pas de nier, qu'à celles du monde du travail.

Revendiquons officiellement les grandes réformes des années 80 qui prennent d'autant plus de relief aujourd'hui que nous subissons les résultats de la politique ultra conservatrice de Balladur.

C'est un hasard si le chômage augmente deux fois plus vite ? Si la protection sociale recule ?

Alors, tournons-nous vers l'avenir et les idées sont là. La défense et la promotion du secteur public, la réforme du code du travail, les trente-cinq heures, oui, mais aussi le partage du pouvoir dans l'entreprise.

La redistribution des richesses, c'est cela qui fonde l'identité socialiste par la réforme fiscale que nous n'avons pas eu l'audace d'entreprendre au cours des douze années, et cela se déclinera en logements, en éducation nationale, en aménagement du territoire.

Voilà le projet auquel il faudra travailler. Mais encore une fois tout est lié, il faut changer de méthode et d'équipe. Il faut réclamer un fonctionnement démocratique du Parti.

Nous avons été un certain nombre, peut-être une poignée, à nous opposer aux conditions dans lesquelles Michel Rocard est parvenu au pouvoir du Parti le 3 avril 1993.

Nous avons été une poignée à ne pas croire aux états généraux de Lyon où le questionnement, certes indispensable, ne pouvait tenir lieu de débat au fond et de choix politique.

Nous avons constaté que par la force des choses, le Congrès du Bourget était verrouillé, non pas par l'existence des courants, élément de la démocratie, mais par la perversion du système.

Nous avons pesé toutes les ambiguïtés de la convention sur l'emploi et le débat entre réduction de la durée du travail sans diminution de salaire, partage du travail avec diminution du salaire, ce qui n'est pas populaire parmi la classe ouvrière et les salariés.

Dès cette époque, Henri Emmanuelli avait pris ses distances et il a résolu dernièrement de sortir de ce qu'il appelait le « magma » de la direction actuelle.

La campagne européenne, et c'est cela qui nous intéresse, a été le reflet de la situation du Parti. Depuis quatre ans, notre Parti connaît une extraordinaire instabilité, trois courants principaux se neutralisent, leurs alliances se font et se défont, et cela donne une succession d'une rapidité inhabituelle de premiers secrétaires. Mais pendant ce temps-là les militants sont de moins en moins nombreux dans les réunions de section. Le Parti se vide et le fossé se creuse entre le nombre d'adhérents réels et le nombre de mandats sur lesquels le pouvoir ici est assis.

Alors, lorsque Michel Rocard à la fois co-fondateur et victime du système que j'ai décrit, nous propose simplement d'élargir la direction, je dis que ce n'est qu'un replâtrage. Se pose à lui, et il l'a posé dès le début du Bureau national avec dignité et lucidité, je lui rends hommage, le problème de son maintien à la tête du Parti ; c'est ainsi qu'il a posé tout à l'heure la question, il a bien fait de le faire.

C'est à lui d'en décider, c'est à nous d'en décider. Et si demain la direction, si plutôt dans la soirée, la direction devait être démissionnaire, parce que nous aurions refusé la confiance, certes, il faudrait prendre les dispositions intérimaires pour le temps le plus court, mais surtout il faudrait préparer le plus tôt possible un congrès pour repartir sur des bases neuves.

C'est seulement lorsque le Parti sera debout qu'il pourra prétendre jouer tout son rôle dans le rassemblement de la gauche qui devra se faire, c'est évident, sans aucune exclusive. Mais pour avoir à nouveau ce rôle moteur, rôle central, le Parti doit être en état de marche.

Quant à la candidature aux élections présidentielles, vous sentez bien que tout est lié. Michel Rocard a eu raison, là aussi, lors du dernier Bureau national, de dire qu'il n'y avait pas de candidature virtuelle ou naturelle et qu'il n'y avait pas de candidature virtuelle ou naturelle et qu'il n'y aurait pas d'auto-proclamation. Mais c'est aussi aux militants de choisir. Il faut que le Parti soit en situation de désigner le moment venu le candidat qui le fera gagner.

Un nom a été prononcé, il est sur toutes les lèvres. Je n'en dirai pas davantage, laissons le temps faire son œuvre, mais nous ne saurions d'ici là être inertes. Le Parti doit préparer le terrain, le Parti doit être entièrement engagé dans cette campagne et dans la désignation du candidat sur une base politique, c'est évident, car il n'est pas question de proposer au Parti de démissionner de ses responsabilités à l'ouverture de la campagne, aussi prestigieux que soit le candidat auquel nous pensons.

Alors, je dirai, chers camarades, que le projet, le renouvellement des dirigeants, le choix du Premier secrétaire, le rassemblement de la gauche sans aucune exclusive, une préparation loyale des élections présidentielles, c'est une seule et même question.

Il faut élaborer une ligne politique claire, majoritaire, il nous faut une nouvelle direction pour traduire ces choix politiques dans les faits et demain pour gagner.

Le reste, ne vous faites pas d'illusion, ne serait que combinaison et replâtrage. Alors, il ne resterait plus à chacun d'entre nous qu'à faire appel à la base, au sursaut des militants.


Gérard Fuchs

L'électorat de la gauche lâche les partis de la gauche, voilà le premier constat qui me paraît s'imposer au lendemain de l'élection européenne du 12 juin qui voit PC + PS dépasser les 21 %. Je dis bien PC + PS, parce que j'ai la faiblesse d'être de ceux qui n'identifient pas Bernard Tapie au MRG. Le lâchage que je viens d'évoquer, a deux raisons très concrètes et évidentes :

La première est une réalité brutale et chaque jour plus mesurable, la montée quasi ininterrompue d'un chômage, générateur de fractures sociales et d'exclusion, qui laisse de plus en plus de citoyens, mais peut-on encore parler de citoyens, sans ressources et sans défense.

La deuxième raison est l'impuissance ou la difficulté des gouvernements de la gauche à mener une politique aussi différente des gouvernements de la droite que nos discours très longtemps l'avaient laissé espérer. Ces deux raisons ont une cause unique, la mondialisation de l'économie, de la technologie, de l'information qui engendre la mondialisation du capitalisme et se traduit par la mise en place d'un libéralisme planétaire.

Je vais redire alors aujourd'hui, chers camarades, quelque chose que je n'ai plus dit depuis de nombreuses années, et le reconnaître est aussi une sacrée auto-critique. Je crois que le capitalisme n'est pas le stade ultime de l'histoire. Je ne dirai plus pour autant que nous devons nous fixer l'objectif de le détruite, l'histoire a montré où cela conduisait. Mais je crois que nous pouvons et devons, nous fixer pour objectif de dépasser le capitalisme. Je vais énoncer rapidement quelques pistes qui me paraissent pouvoir matérialiser cet objectif.

Première piste (oui, même le 19 juin), l'Europe. Il nous faut dire que le niveau européen est, aujourd'hui, le premier niveau où un pouvoir politique peut et doit être organisé afin que nous retrouvions prise collective sur l'économie. Nous ne changerons pas la vie sans l'Europe.

Deuxième piste, nous devons réapparaître comme porteurs d'autres propositions pour fonder de nouvelles relations sociales. Nouvelles relations sociales dans l'entreprise. Celle-ci est un lieu de conflits pour le partage de la plus-value, certes, mais elle est aussi le collectif qui produit cette plus- value. Dépasser à la fois le capitalisme, l'étatisme, suppose d'inventer des formes nouvelles de codécision entre apporteurs de capital et apporteurs de travail. Cela doit faire partie de nos propositions. Mais de nouvelles relations sociales dans la ville sont aussi indispensables, car celle-ci est le premier niveau de la démocratie. Nous devons inventer de nouvelles formes d'organisation, comités de quartiers dotés de budgets propres, rôle accru reconnu aux associations qui favorisent la naissance de la participation à la vie collective et sont, par la même, un moyen de recul de l'exclusion.

Dernière piste que j'évoquerai pour aujourd'hui, le thème de l'égalité ou du moins de la lutte contre les inégalités.

Qui ne voit que, là aussi, la mondialisation a des effets formidablement négatifs ? Comment imposer, en effet, de façon raisonnable les revenus de capitaux qui se transportent en un instant d'un bout à l'autre de la planète ? Mais comment alors s'étonner de la révolte de ceux qui découvrent que, de plus en plus, seuls les revenus du travail sont taxés ?

Proposer une fiscalité minimum des revenus du capital en Europe, proposer de taxer les mouvements de capitaux spéculatifs qui affolent les marchés des changes et déstabilisent les échanges réels, il y a là des pistes et des moyens.

Reste la question, bien sûr : cette démarche, avec quelle direction ?

Michel Rocard a présenté ses conditions pour poursuivre. J'attends avec curiosité les propositions alternatives.


Pierre Mauroy

Je n'éprouve pas le besoin de m'exprimer à nouveau sur les erreurs de la campagne, d'autant que j'avais exprimé mes réserves sur la liste, sur la Bosnie comme sur l'annonce de la nouvelle alliance au cours de la campagne même.

Mais l'essentiel, aujourd'hui, est ailleurs. Nous nous ferions le plus grand tort à nous limiter à un simple débat rétrospectif sur la campagne européenne dont la conduite n'incombait pas entièrement au seul premier secrétaire. Michel Rocard, avec dignité, en a tiré devant le Bureau national, des conséquences personnelles pour sa candidature présidentielles. Il nous propose maintenant des orientations pour la rénovation du Parti, sa stratégie, ses alliances et son programme. En vérité, nous sommes confrontés à une crise politique que le mode de scrutin européen a aggravée, mais qui était déjà en germe dans les résultats des élections régionales et législatives de 1993.

Notre Parti perd progressivement sa capacité de rassemblement alors que, pendant vingt ans, il avait su ouvrir l'espérance et donner une perspective de pouvoir à la gauche tout entière. Nous ne sommes pas apparus au cours de ces dernières semaines, comme le parti du vote utile, comme le grand parti d'alternance face à la droite, nous ne sommes pas apparus comme le parti porteur d'une alliance entre les différents composants du renouveau de la société.

Et pourtant, la gauche a globalement progressé mais, d'une certaine façon, surtout à notre détriment.

Le plus préoccupant tient à la fracture qui s'est produite au sein même de notre électorat entre la classe moyenne que nous continuons à représenter majoritairement, et un électorat plus populaire. Cet électorat moins politisé, incontestablement à gauche, a largement accordé ses suffrages à la liste MRG, Tapie. Ainsi, la fracture est passée au sein même de l'alliance qui faisait l'originalité de notre histoire depuis Epinay, cette alliance entre un électorat ouvrier et populaire et les classes moyennes. Encore faut-il tenir compte que ce résultat n'a été possible à l'époque que par une alliance avec le Parti communiste et ce qu'il nous apportait de capacité d'animation des milieux populaires.

La présence militante communiste dans les quartiers et les villes s'est effacée, mais nous n'avons pas su la remplacer. Nous sommes là au cœur de nos problèmes politiques de militarisme et de perspectives.

Depuis des années, la distance avec cet électorat n'a fait que croître, avec la conséquence : nous ne parvenons plus à conduire le mouvement social comme nous l'avions fait au cours du premier septennat.

Cet électorat s'est éclipsé, tantôt dans l'abstention, tantôt avec les écologistes, tantôt même avec la droite.

Il se retrouve aux européennes derrière le MRG… Bernard Tapie. Il devrait pourtant se trouver au cœur de notre rassemblement !

C'est à nous de jouer maintenant et de savoir le retrouver. C'est cela, la vraie question.

Notre stratégie doit nous permettre de maintenir cet électorat à gauche, même si c'est par l'intermédiaire du mouvement qui a su le capter, tout en gardant la volonté de le reconquérir, bien entendu ! Ce sujet n'a donc pas à être traité négativement à partir de questions que chacun peut se poser à juste titre sur les personnes. Il faut le traiter positivement, avec une stratégie de reconquête orientée à gauche et qui doit rester largement ouverte.

Ce n'est pas vers le passé qu'il nous faut regarder, c'est vers l'avenir, un avenir qui peut encore être prometteur si nous savons réagir.

Qui dit rénovation dit d'abord projet et programme. Ce que dit Emmanuelli me va et j'imagine que vous êtes nombreux à dire des choses pareilles… ou alors, qu'est-ce qu'on ferait dans un parti socialiste ? Car la social-démocratie se perdrait à devenir l'infirmerie du libéralisme !

Certes, nous avons accepté le marché, mais pas une économie exclusivement fondée sur l'omnipotence du marché, sans aucun régulateur ni contre-poids ! Mais pas une économie de spéculation capable de déraciner en quelques heures n'importe quelle monnaie ! Mais pas une économie de rente qui, pour préserver les gains à court terme, sacrifie l'avenir en augmentant les taux d'intérêt à long terme ! Mais pas une économie qui aggrave toujours les inégalités entre les différentes régions françaises, les différentes régions européennes, les pays développés et les autres !

Nous avons le devoir de proposer un programme qui réhabilite le rôle de l'État et des services publics, un programme aussi que nous soyons capables d'appliquer, un programme qui concilie l'utopie et le désir de changement avec le réalisme du pouvoir. Cette réserve émise, je crois que nous pouvons pousser notre ligne à gauche… il y a encore de la marge !

Notre capacité inventive devrait explorer des champs nouveaux. Sur la proposition de Michel Rocard en ce qui concerne la jeunesse, il y a urgence. Si on laisse encore et toujours aux jeunes, la perspective du chômage, c'est-à-dire l'horizon barré, ils seront dans la rue avec la violence. À nous d'y prendre garde et si nous n'avons pas de propositions audacieuses en leur direction.

De plus, on l'a dit mais il faut le répéter, pour que ceux que nous voulons retrouver nous fassent confiance, nous devons garantir leurs acquis sociaux et même les élargir chaque fois que la situation le permet.

Sur cette direction, tout le monde est à peu près d'accord. Mais il y a un deuxième défi et cela ne vas pas vous étonner que j'aborde ce volet, c'est celui de notre vie interne.

L'échec nous le devons largement à nous-mêmes collectivement et, ce soir, ce n'est pas en renversant une direction pour une autre que vous réglerez le problème ! Vous prendriez l'habitude de faire des putschs, comme cela, qui se suivent les uns les autres… Il faudrait, le moment venu, aller devant les militants !

Non, qu'on nous entende ! Ceux, mes camarades, qui ont été des opposants, nous les avons entendus, ils ont le droit de nous avoir parlé comme ils l'ont fait. Mais ceux qui ont soutenu cette direction, qui y sont représentés, je les attends ce soir pour qu'ils nous disent qu'ils ne sont pas, eux, concernés par les problèmes ! S'ils estiment que ceux qui les représentent à la direction ne peuvent pas y rester un jour de plus et qu'ils ne peuvent pas continuer avec Michel Rocard, alors là nous devons unanimement retourner vers ceux qui sont nos seuls juges, c'est-à-dire nos militants. Il n'y a que cette solution-là, il ne pourrait pas y en avoir d'autre.

Le deuxième défi est donc celui de notre vie interne, à commencer par notre fonctionnement de parti, un parti bloqué, incapable de réagir et dont la pensée se stérilise. Mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce plan-là et seul un congrès, peut-être, pourrait nous départager ; en tous les cas, Michel Rocard a fait des propositions dans ce sens et je les approuve.

Ce n'est tout de même pas un hasard si nous sommes une formation politique qui a changé trois fois de Premier secrétaire en à peine plus de deux ans. Ce n'est tout de même pas un hasard si le Parti socialiste a introduit dans sa vie interne des pratiques brutales que nous n'avions jamais connues jusque-là : le Congrès de Rennes, le changement de direction d'avril 1993, des batailles internes excessives… Cette logique des courants, qui n'en est pas une, nous conduit à un mouvement de revanche perpétuelle et si vous réglez ce soir uniquement ce problème de revanche, on n'en finira jamais ! Il faudra bien qu'on recommence un beau jour avec nos militants.

Ce mouvement perpétuel les décourage, crée un climat où l'on ne retrouve plus l'amitié et la fraternité propres à la social-démocratie.

Ce n'est pas un hasard non plus si certains des nôtres se trouvent aujourd'hui obligés d'exprimer leurs idées à l'extérieur, faute de pouvoir être représentés dans nos instances statutaires, parce que la seule voie pour y accéder, c'est la voie des courants en non pas celle des militants.

Ce n'est toujours pas un hasard si la direction du Parti fait une liste européenne qui ne retient qu'in extremis le Président du groupe sortant à Strasbourg et écarte son Secrétaire national aux questions européennes, Gérard Fuchs, tout en adoptant son texte et en soulignant ses qualités ! Les militants ne feraient pas cela !

Ce n'est enfin tout de même pas un hasard si nous sommes obligés de tenir chaque année un congrès, depuis le Congrès de Rennes, mais un congrès, depuis le Congrès de Rennes, mais un congrès qui dit et un parti qui ne fait pas ! Il faudra bien un jour qu'il y ait un Congrès qui dise et un parti qui fait !

La réalité c'est que nous ne sommes plus dans une relation franche et loyale entre nous et que les intérêts de courants nous opposent, pas seulement dans nos congrès, ce qui serait légitime, mais en permanence, y compris et de préférence sur la place publique !

De tous ces maux accumulés, le résultat des élections européennes a été la douloureuse illustration.

Douloureuse pour Michel Rocard et douloureuse pour chacun d'entre nous. Chacun l'a, je l'espère, compris, il faut prendre immédiatement des mesures qui s'imposent.

Ces mesures ont été avancées par le Premier secrétaire. Peut-on les adopter ? Pour moi, en tous les cas, les propositions qui ont été faites pour notre vie interne vont dans le sens que je souhaite.

Il faut procéder à la réintégration dans nos instances statutaires de ceux qui ont été éloignés faute d'appartenir à un courant.

J'approuve cette proposition. Le reste est très simple à exprimer : il faut rendre aux militants le droit de voter sur toutes les désignations aussi bien des responsables du Parti que de ceux qui aspirent à des responsabilités électives.

Le Premier secrétaire propose de confirmer solennellement, sans doute au-delà de ces propositions, par une convention ou un congrès. À nous d'en discuter aujourd'hui.

Le plus grave inconvénient de ces moments de crise, c'est de nous obliger une fois encore à parler davantage de nous que de la droite. Alors qu'il y a beaucoup à dire. Alors profitons au moins de ce moment pour refaire notre Parti, pour le replacer à gauche dans son axe naturel et lui redonner une capacité de rassemblement autour d'idées audacieuses.

Les propositions du Premier secrétaire vont dans ce sens. Sont-elles entièrement satisfaisantes ou bien même sont-elles contestées dans la majorité même de ceux qui sont à la direction ?

Je veux croire, quand même, qu'au milieu de toutes ces difficultés, on finira bien aujourd'hui par donner le signal de notre volonté de dépasser la crise et de nous lancer dans les batailles qui se profilent. Dans dix mois, nous serons devant les présidentielles, nous serons devant les municipales, ces batailles scelleront notre destin pour de longues années.

J'ai toujours confiance, vous le savez, mais je crois qu'il faut se mettre à l'ouvrage rapidement, prendre nos décisions et galvaniser nos camarades.


Julien Dray

On peut regarder notre situation après les élections européennes au travers du prisme interne du Parti socialiste, mais il me semble essentiel d'élargir notre analyse afin de mieux comprendre les processus politiques en cours.

À l'échelle européenne d'abord, comment expliquer l'échec du PDS italien alors même qu'il y a quelques mois la gauche remportait les élections municipales ? Comment expliquer, la crise des socialistes espagnols, l'échec des socialistes espagnol, l'échec des sociaux-démocrates allemands ou portugais ?

Quant au niveau national, la lecture précise des résultats nous démontre une droite affaiblie, une extrême-droite qui cherche un second souffle et une gauche qui, certes, est émiettée, mais dont le potentiel reste entier.

De ces constats et de cette analyse, nous devons tirer une première conclusion. Face à un capitalisme tardif, qui prône la déréglementation généralisée et la déflation salariale, l'Europe et notre pays connaissent une nouvelle radicalité sociale qui conteste l'offensive libérale. Mais, force est de constater que cette contestation sociale ne trouve pas aujourd'hui de prolongement politique expliquant ainsi l'émergence de toutes les démagogies. La question qui nous est donc posée, à nous comme à toute la social-démocratie en Europe, concerne notre capacité à répondre à cette nouvelle radicalité sociale, à apporter un espoir et de nouvelles réponses par une nouvelle dynamique, par une société du temps libre, par le retour à une croissance maîtrisée.

C'est là le message des élections. Les socialistes doivent retrouver l'audace d'un projet alternatif au système libéral en crise. Et si nous ne le faisons pas, alors c'est ailleurs que s'exprimera cette demande. Ainsi, quel que soit le jugement que l'on peut porter sur Bernard Tapie, c'est la démarche de ses électeurs qu'il nous faut comprendre.

Il faut le constater honnêtement, depuis un an le PS n'a pas été à la hauteur des enjeux politiques. J'assume pleinement le choix que nous avions fait le 3 avril 1993 ; nous pensions alors que le Parti pourrait muter en s'irriguant de la contestation sociale. Le sursaut du second tour des cantonales, en pleine affaire du CIP, en est une bonne illustration. Cette mutation a commencé mais nous constatons que les propositions faites aujourd'hui par le Premier secrétaire, sont en deçà des enjeux et ne correspondent pas à la nouvelle situation issue des élections européennes. Le problème du PS n'est pas celui de ses courants, mais le retour à une identité claire qui assume la confrontation avec le système en place et le gouvernement Balladur.

Nous l'avons dit, le PS ne doit pas se contenter de se parler à lui-même. Pour répondre aux défis qui nous sont posés, l'heure est venue de dépasser les clivages actuels de la gauche et de lancer l'idée d'une fédération de la gauche rassemblant toutes ls forces de progrès et de transformation sociale. Ce processus doit s'ancrer localement, par la rencontre de tous ceux qui veulent ouvrir une nouvelle perspective pour la gauche et aux nouvelles générations en quête d'identité. L'objectif que nous devons nous fixer est celui d'une candidature unique de la gauche aux élections présidentielles, mais aussi d'une démarche unitaire aux élections municipales.

Ce sont là nos propositions politiques, celles d'un véritable renouveau pour la gauche.


Henri Emmanuelli

Je ne savais pas ce matin ce que nous proposerait le Premier secrétaire.

Je constate que nous sommes, collectivement, dans une situation difficile.

J'aimerais pouvoir croire que ces difficultés viennent de notre mode de fonctionnement, de la moyenne d'âge de la direction ou de la composition de la liste à l'élection européenne. Ou que les électeurs nous ont fui car nous sommes allés trop loin dans le jeu pernicieux des courants où la tactique l'a trop souvent emporté sur le fond et la stratégie d'empêchement sur une dynamique de propositions Trop loin encore dans la pratique de l'ouverture sur une société civile que j'ai dénoncée dès 1988 car je n'en ai jamais compris le fondement et la légitimité, la réalité politique et juridique. Mais sans nier l'importance de ces erreurs, je pense que l'essentiel n'est pas là.

L'essentiel réside en notre désertion du débat politique qui a laissé place aux seuls conflits de personnes.

Nous vivons une époque extraordinairement complexe où il est impératif, en permanence, de s'interroger sur les effets, sur la manière d'atténuer leur nocivité – chômage, malaise des banlieues, désertification rurale – et où il est devenu interdit de s'interroger sur les causes.

Nous accumulons les descriptions sociologiques brandies par les experts sur le malaise des banlieues. Nous collectionnons les ouvrages sur les SDF. Nous cumulons les recettes pour soigner les désertifications rurales. Comme si les SDF tombaient du ciel, comme si la désertification rurale profitait pour prospérer chaque matin, de la rosée matinale, comme si le malaise des banlieues ne tenait pas « tout simplement » au prix du mètre carré qui crée des ghettos pour riches et des ghettos pour pauvres.

Il s'agit donc pour nous, aujourd'hui, d'engager une critique radicale, au sens étymologique du terme, « d'aller jusqu'aux racines du mal ». Voilà le rôle de la gauche et du Parti socialiste.

Face à la puissance poussée du libéralisme économique, du néo-capitalisme, nous avons choisi comme l'a dit le Premier secrétaire, une demi-posture. Nous hésitons entre être une force antagoniste qui conteste la logique du système et être des soigneurs de touche du libéralisme économique.

Cette réalité politique recouvre d'ailleurs également une réalité culturelle. Nous nous cantonnons dans un constat plutôt que dans une approche politique délibérée.

La France s'enrichit, le produit intérieur brut, à de rares exceptions près comme ce fut le cas en 1974, 1983 et 1993, s’accroît tandis que le nombre d'exclus augmente. Et nous n'avons pas le courage de dire qu'il y a là un gigantesque problème de redistribution des richesses.

Nous sommes face à un mouvement de balancier extraordinaire de la droite qui vise à éradiquer un siècle de conquêtes sociales et qui a déjà généré ses premiers excès : le retour du nationalisme, la montée des intégrismes, le retour du racisme, le développement de l'ostracisme sous toutes ses formes.

Et nous, nous n'avons pas le courage de nous positionner pour essayer d'arrêter ce balancier. Et nous n'avons pas le courage de reconnaître non plus qu'après l'effondrement du communisme, les sociaux-démocrates sont tombés dans l'acceptation du libéralisme. Implicitement d'abord puis explicitement ensuite.

Je ne propose pas le retour au grand soir mais un constat réaliste : il n'y aura pas de compromis s'il n'y a pas de voix fortes pour s'opposer au libéralisme économique ; une résultante est le fruit de forces antagonistes.

C'est de cette façon que le Parti socialiste retrouvera la confiance des classes populaires et des classes moyennes.

J'ai compris que le discours de Michel constituait un coup de barre à gauche. Mais il ne suffira pas d'un discours dans une convention ou dans un conseil national. On ne changera pas d'orientation sans avoir engagé le Parti dans son ensemble dans ce changement d'orientation par un débat qui aura lieu au niveau des sections, des militants, auquel on associera les sympathisants qui sont souvent plus demandeurs encore de ce genre de débats que les militants.

Je souhaite que se tienne à l'automne une convention nationale qui ouvre le débat politique. Le thème devra en être : les liens qui peuvent exister entre la montée du chômage et la croissance de l'inégalité, c'est-à-dire l'absence de redistribution des richesses.

Ce débat ne doit pas masquer un unanimisme de façade stérile comme nous avons eu trop souvent tendance à le pratiquer que ce soit au congrès du Bourget ou au moment de notre convention emploi. Je défie quiconque de pouvoir clairement exposer en matière de réduction du temps de travail et de compensation salariale, d'heures supplémentaires aussi, quelle est la position du Parti socialiste. Le fait que certains de nos dirigeants se croient obligés de signer des appels avec certains patrons n'encouragent pas la clarification !

Je constate, non sans amertume, que quelques camarades sont prompts à s'indigner du sort réservé à M. Didier Pineau Valencienne par la justice. Je ne crois pas me concernant avoir connu d'appel vibrant du patronat français !

Cette convention devra donc s'abstenir de pratiquer le jeu de la motion unanime faire à trois, quatre ou cinq, et dans laquelle les militants ont beaucoup de mal à se retrouver. Où surtout, ils ont le sentiment que la partie a été jouée avant même qu'ils puissent réfléchir ou débattre.

De la même façon, c'est bien le Parti et ses militants qui élaboreront le projet du PS destiné à aborder les prochaines échéances. Et qui dit projet dit éventuellement contre-projet.

Dans l'état actuel des choses, tu comprendras que je ne peux pas voter cette confiance que tu nous as demandée.


Jean Le Garrec

Je ne vais pas me livrer à une critique de ce qui s'est passé ces derniers mois, car j'ai suffisamment eu l'occasion d'être critique en plusieurs occasions, en 1988, quand on a opposé d'une manière que j'ai considérée comme erronée, la société civile à la société politique, lors du 3 avril, là aussi on connaît les positions que j'ai défendues ou lors de la préparation des élections européennes.

Je me pose simplement une question : comment se fait-il qu'étant d'accord sur l'analyse du libéralisme, qui est non pas comme l'a dit Henri Emmanuelli, c'est une petite critique, un néo-capitalisme, mais, à mon avis, le stade ultime du capitalisme, pour reprendre une analyse de nos pères fondateurs, comment se fait-il qu'étant donné que nous sommes tous d'accord aujourd'hui sur ce qu'est la situation du libéralisme, nous soyons aussi mal à l'aise pour faire des propositions de réponse et de combat ?

Quelqu'un a dit « l'entreprise impitoyable ». Le libéralisme se nourrit de la croissance des inégalités entre les femmes et les hommes, entre les salariés-protégés et ceux qui ne le sont pas, entre les régions, entre les pays et entre les continents.

Ce n'est pas un problème de morale et la question que nous avons, qu'ont les socialistes dans tous les pays européens, c'est : comment combattre cette logique et y répondre.

Si nous sommes d'accord sur l'analyse, quelles sont les propositions que nous devons faire ?

Le fonctionnement du Parti. On dit, je l'entends : les électeurs se moquent bien de nos affaires internes, les électeurs se moquent bien de la manière dont nous avons composé la liste. Je veux bien, mais voire… Il y en a qui ne s'en moquent pas, ce sont les militants. Nos militants sont concernés, ils nous l'ont dit aux états généraux sur tous les tons et nous avons fait semblant de les écouter, sur tous les tons.

Simplement, les militants ne se contenteront pas de discours. Ils veulent des actes symboliques. Nous avons quinze députés européens, élus parce qu'il y a eu une liste approuvée par le Parti. Ils l'ont voulu, souhaité, ils le sont. Je les félicite. Le groupe socialiste et social-démocrate européen aura 200 personnes, nous pèserons 7 % de ce groupe avec des débats très difficiles pour les socialistes français, des désaccords avec les travaillistes, avec les sociaux-démocrates. Eh bien, l'esprit des états généraux c'est de dire aux camarades qui ont été élus grâce à la volonté du Parti : votre mandat unique, essentiel c'est celui de député européen. Nous avons besoin d'une présence permanente à l'assemblée européenne et vous avez à choisir entre votre mandat et vos responsabilités nationales.

Le Premier secrétaire nous a dit : il faut une convention, un congrès extraordinaire pour préparer une plateforme.

D'accord. Je souhaite que la commission, Michel, qui aurait à faire cela soit composée des femmes et des hommes dont nous avons besoin et pas forcément ceux qui seront désignés par les rapports de force internes. Ça, cela sera courageux !

Je demande à ce qu'on n'ait pas un décalage entre le discours et la pratique, Par exemple, qu'en est-il des services publics et de la citoyenneté ? Là, les gens sur le terrain sont concernés. Quand vous parlez de santé, d'hôpital, de transports, cela les concerne.

Le secteur entreprise prépare une analyse sur les décrets d'application de la loi Giraud, sortis contre l'avis des organisations syndicales. Des pans entiers du droit du travail sont remis en cause. Cela c'est précis.

Michel, en tant que Premier secrétaire, a dit ce matin des choses importantes. Je respecte Michel pour ce qu'il représente de combats dans la gauche et je lui pose simplement deux questions.

La première : je pense, Michel, que tes propositions allaient dans le bon sens, mais elles sont insuffisamment précises et mobilisatrices. Il nous faut être capables, et j'ai cité quelques thèmes, de ne pas simplement se contenter d'un discours, mais de développer une pratique. Je me méfierai beaucoup d'une situation où nous aurions en même temps un coup de barre à gauche dans le discours et un conservatisme étroit dans les comportements. D'autres ont connu cette situation-là, on sait ce que cela a donné.

Deuxième chose, Michel, cela ne peut se faire que par une volonté politique très forte. Si tu n'as pas toi-même cette volonté cette force terrible, et si, derrière toi, dans des pratiques que nous avons connues en d'autres périodes, il n'y a pas cette volonté collective, tu dois toi-même, au nom de ce que tu es, de notre amitié, du respect nous avons pour toi, dire comment tu vois les choses et en tirer les conclusions. Rien ne serait pire qu'une situation où à travers des petites négociations de couloir, nous prendrions l'habitude de tuer ce que nous mettons en place. Ce serait irrespectueux pour les hommes, pour le Parti et pour les militants.


Gérard Gouzes

Derrière les mots, derrière les hommes, je crois qu'il y a le ton. Ce matin, Henri Emmanuelli nous a expliqué comment il fallait s'y prendre pour faire gober les mouches par les truites. J'ai reçu, comme vous tous, la lettre qu'il a adressée à Michel Rocard et je voudrais lui répondre.

D'abord personne ne lui reprochera effectivement d'avoir anticipé un résultat médiocre que les sondages, mais aussi, il faut le dire, la frilosité du soutien de certains avaient laissé présager.

Henri dit ne plus pouvoir accepter que, face au libéralisme économique triomphant, notre parti « se réfugie dans une demi-posture, s'inscrivant dans le prolongement des années de gestion auxquelles nous avons participé ensemble ».

Ce refus du néo-capitalisme dominateur constitue le fondement de notre engagement socialiste et il est permanent aujourd'hui comme hier, mais pourquoi nous empêcherait-il, dans l'opposition, pour reprendre une phrase de Jaurès, d'aller vers l'idéal en comprenant le réel ?

Les volontés des forces libérales conservatrices d'abuser du progrès technique, de la compétitivité, de la productivité, au détriment de la solidarité ne date pas d'aujourd'hui, nous le savons.

Sauf à vouloir ancrer notre parti dans un néo-castrisme à la française, je ne vois pas de futurs déboires à laisser croire que nous voulons faire aujourd'hui ce que nous ne pouvions pas faire lorsque nous gouvernions. Ce n'est donc pas par la manifestation oratoire d'une plus grande résolution que nous convaincrons.

N'est-ce pas cet optimisme et cette volonté, je dirai ce volontarisme, qui nous animait avant 1981, que les Français, aujourd'hui, ne veulent plus entendre ? Alors, Henri, je crois que dire la vérité, c'est tout… mais c'est le contraire de l'ambiguïté. Tenir un discours volontariste, mais plein d'illusion, c'est certes bénéficier pour un temps d'une écoute sympathique, mais c'est peut-être se condamner à terme à ne plus être cru. Je ne suis pas sûr, camarades, que la truite gobera souvent l'appât qu'on veut lui présenter.

Tu as raison, Henri, nous n'avons pas été assez clairs ces derniers mois sur la question de la réduction du temps de travail et sur le problème du devenir des salaires dans cette perspective. Affichons mieux notre objectif. Ayons le courage d'expliquer les contraintes, les étapes, et peut-être que les travailleurs sauront eux-mêmes pousser les feux et nous aider à y parvenir.

Henri, tu as eu raison de dire que nous avons eu la surprise de voir le dernier de nos ministres des finances figurer dans le conseil de politique monétaire qui symbolise l'autonomie de la Banque de France, que nous avions vaillamment combattue. Mais, mes chers camarades, n'avons-nous pas fait le choix de l'Union européenne scellée à Maastricht, qui prévoit l'autonomie de la Banque centrale européenne ? Et n'est-ce pas toi, Henri, qui écrivait dans « Plaidoyer pour l'Europe » : « Je persiste à croire que si l'on explique aux français que la vraie paix, la vraie force, la vraie démocratie, celles qui s'appuient sur la prospérité, l'emploi, la croissance, sont conditionnées par la monnaie unique, ils percevront mieux les enjeux réels du débat » ? Et Henri, tu ajoutais : « L'Union économique et monétaire n'est ni la propriété, ni le viager de M. Giscard d'Estaing. Alors, ne lui en laissons pas l'usufruit par timidité ! » L'ambiguïté, celle qui rend les discours indéchiffrables, n'a-t-elle pas, camarades, été ensuite dans le vaillant combat que nous avons mené, tous, contre l'autonomie de la Banque de France ? C'est cela, peut-être, que les Français ne comprennent pas dans notre langage.

Si la position stratégique de notre parti est en cause, le fond et non la forme, ne cédons pas à la facilité que nous offre notre statut d'opposants à la politique rétrograde de M. Balladur et de ses amis. D'autres persistent aujourd'hui dans cette politique facile d'opposants, avec une opiniâtreté qui force l'admiration tant la démarche est suicidaire. Ne les imitons pas.

En conclusion, je dirai que, moi, je rame entre les fausses synthèses, les vrais compromis qui rassemblent, entre les querelles d'ambition et les débats fraternels qui nous opposent aussi quelquefois.

Henri, tu as ouvert un débat qui recommence, comme avant 1981. Mais il existe une différence avec cette époque, et elle est de taille, c'est qu'entre-temps François Mitterrand a été élu deux fois président de la République et que nous avons gouverné ensemble pendant dix ans.

Alors, tâchons d'en tirer toutes les leçons, c'est comme cela que nous gagnerons cette bataille culturelle qu'Henri Emmanuelli décrit si bien lorsqu'il dénonce le populisme, le retour à l'intégrisme et le nationalisme.

Si c'est cela, la majorité résolument socialiste que nous appelons de tous nos vœux, nous la partageons et nous continuerons ensemble à défendre notre idéal socialiste. En attendant, je crois que si toutes les vérités sont bonnes à dire, cela va mieux lorsque nous les disons ensemble.


Yvette Roudy

Je ne suis le porte-parole de personne. Je vous fais simplement part de quelques réflexions qui sont les miennes de l'endroit où je me trouve.

Sur les leçons de notre échec, je fais d'abord une remarque qui, pour moi, est positive : la gauche existe. Elle est éparpillée, elle est éclatée, elle est désorientée, déboussolée, mais elle est là, les chiffres le montrent. Elle est prête à revenir, pour peu qu'il y ait un projet qui corresponde à ses aspirations et qu'elles soient portée par des gens convaincus et convaincants.

De cette première remarque, il ressort que si le problème n'est pas du côté de notre électorat, il est du côté du Parti qui doit incarner ses revendications. C'est donc ce Parti qui n'est pas en phase avec le peuple de gauche.

On aurait pu penser que le rajeunissement et la qualité des cadre qui étaient à la direction allaient nous aider à comprendre ce qu'était devenue notre société, une société qui souffre de maux de tous les temps, à savoir les inégalités.

Je pensais que la direction que nous avions convenait, je faisais confiance à notre équipe. Cette équipe, a échoué, et je dis « équipe » parce que je n'ai pas l'intention d'accabler le seul Michel Rocard. Il y a eu une équipe nouvelle, trois familles l'ont composée. Les représentants de ces trois familles se réunissaient régulièrement, avant le Bureau exécutif qui prenait les décisions, et ensuite les imposaient au reste des instances. Voilà comment les choses fonctionnaient… Ils étaient plus préoccupés par la conservation du pouvoir à l'intérieur du Parti que par la préoccupation de reconquérir notre électorat. Là est le drame. Cette équipe d'ailleurs était composée d'hommes antagonistes.

Il y a eu des révélateurs. Je ne m'étendrai pas sur la liste. Pierre Mauroy l'a dit souvent : les sortants jetés comme des vieux mouchoirs, pas un coup de téléphone, pas une lettre. Il a aussi évoqué le sort de Gérard Fuchs, de Jean-Pierre Cot, mais je dirai que de Catherine Lalumière, on n'en voulait pas non plus. Elle a donc traversé la rue…

J'ai une demande qui rejoint celle de Jean Le Garrec, c'est que ceux qui se sont fait élire au Parlement européen choisissent.

Deuxième leçon : je retire de cette élection que le socialisme ne peut se réduire à une technique de maintien du pouvoir au cœur de l'appareil.

Je dis aussi qu'il faut un projet de société, qu'il nous faut une équipe « rafraîchie » qui me paraît un mot plus juste que rajeunie.

Savez-vous qu'un de mes amis qui, au lendemain des élections législatives, voulait entrer au Parti socialiste n'y a jamais réussi. Tout était verrouillé, on avait peur qu'il dérange l'ordre établi. Le verrouillage, ce mal qui ronge le Parti ce n'est pas qu'à la tête !

En quelques jours il a fondé une section MRG. À qui la faute ? À Mitterrand, aux électeurs, ou la faute de ceux qui ont été à côté de la plaque ? Un mot sur la parité. C'était une bonne idée. Merci Michel d'avoir eu le courage de l'adopter, tu as été un peu trahi. Je sais. Ce que je veux dire c'est que les meilleures idées tombent en cendres. Pendant la campagne, vous auriez pu parler de la parité. Mais qui aurait pu en parler ? Pour le faire il aurait fallu en être convaincu.

Donc, il nous faut une autre équipe, qui pourrait être provisoire et qui pourrait se concentrer sur la préparation d'une plate-forme.

La troisième proposition, c'est que le Premier secrétaire ne soit pas candidat aux Présidentielles.

La quatrième c'est qu'un grand débat s'ouvre dans le Parti, et qu'il conviendra de choisir entre la culture d'opposition et la culture de gouvernement.

Le moment venu, le Parti choisira le candidat en fonction de la plate-forme que nous aurons établie.

J'ai lu le papier de Marie-Noëlle Lienemann dans « le Monde » et je trouve bonne son idée de fondation. Pour moi-même je demande un droit, celui de pouvoir parler en toute liberté, sans être obligée de faire allégeance de manière définitive à tel ou tel qui, par ailleurs, peut-être le meilleur ami du monde.

Le droit à la liberté d'expression sans quitter le Parti, c'est une de mes revendications. Est-elle recevable ? C'est là toute la question !


Jean Glavany

J'aimerais reprendre la balle d'Yvette Roudy au bond pour essayer, à mon tour, de parler en toute liberté et, en même temps, puisqu'elle faisait cet appel, en toute responsabilité.

Liberté, parce que je crois qu'on peut être libre, comme toi Yvette, sans pour autant dire la même chose que toi.

Donc, je ne parle pas en tant que porte-parole du Parti socialiste, mais en tant que porteur de ma propre parole, et je voudrais qu'Yvette l'accepte.

Je voudrais parler en même temps en toute responsabilité, puisque je suis membre de la direction nationale, je n'ose dire sortante. Il faudrait que tu comprennes que dans cette direction nationale sortante il y a aussi des mitterrandistes, pas exterminés, pas énarques, et aussi sur le terrain où ils ont essayé de faire leur travail !

J'étais dans cette direction, j'ai essayé de faire mon travail, et je voudrais vous dire à la fois que je n'ai aucun regret, et que je l'ai fait en toute liberté, toute responsabilité.

En même temps, les questions que vous vous posez, que tous les militants se posent, eh bien, je voudrais que chacun reconnaisse le droit à tous les membres de la direction nationale, y compris Michel Rocard, mais cela il l'a dit, et en tout cas à moi-même, de se les poser.

C'est ce qui me différencie d'appels issus du groupe parlementaire qui me faisaient dire à certains de mes collègues : « les questions que vous posez dans ce texte, je pourrais les signer avec vous. Simplement, je vous reproche ce petit doigt de vanité qui ferait croire qu'heureusement vous êtes là pour faire croire que vous posez les questions », comme si ceux qui sont avec vous dans le Parti ne se les posent pas aussi.

À partir de mes responsabilités, je voudrais dire mes doutes et ensuite rechercher nos propres contradictions.

D'abord, je ne veux pas fuir les doutes, parce que, comme tout le monde ces trois derniers jours, j'ai été dans ma circonscription, dans ma mairie, sur mon terrain, Yvette, et j'ai senti cette espèce de sentiment profond, farouche, déterminé de nos militantes et de nos sympathisants également de nos électeurs, qui recherchent, attendent de nous des mesures symboliques, des décisions définitives, sur le thème « cela ne peut plus aller comme cela ».

Et en même temps, depuis dimanche, j'ai aussi le doute d'agir sous la pression, comme si les résultats de dimanche dernier étaient aussi catastrophiques que certains voulaient le dire. Ils sont mauvais, mais en même temps, le même jour, on gagne, parce qu'on est rassemblé, une municipalité à Fontenay aux Roses, tandis qu'à Toulouse, pendant que la droite perd 5 000 voix nous en gagnons 500 ; le total des voix de gauche progresse et les potentialités de gagner l'année prochaine sont peut-être plus fortes qu'on ne le croyait.

Comme j'ai également un doute à voir le Parti définir sa ligne en réponse à des interpellations venues de l'extérieur.

J'ai dit, à ma manière, ce que je pensais de la réponse à telle interpellation des écologistes l'année dernière, ou de Bernard-Henri Lévy, il a quelques semaines, et aujourd'hui des phénomènes politiques nouveaux qui nous interpellent. Je pense très profondément que notre Parti ne s'en sortira qu'en faisant abstraction de ces pressions, et en toute sérénité, c'est-à-dire en définissant sa ligne et sa pensée politique tout seul, pour lui-même.

Les quatre questions qui nous sont posées :

La présidentielle, première contradiction : à la fois nous sommes tous d'accord pour dire « n'en parlons plus » et tout le monde est sur un pied d'égalité. Ce n'est pas la question qui nous est posée aujourd'hui. Tout le monde aura le droit de se présenter et les militants décideront en toute connaissance de cause.

Et ne même temps, reconnaissez que tous les jours un certain nombre d'entre nous crient un nom.

Je voudrais qu'on garde aussi notre calme. Je n'ai aucune prévention vis-à-vis de ce nom que j'entends tous les jours, à la radio, à la télévision, mais je ne crois pas à la théorie de l'homme providentiel, ni aujourd'hui, ni demain, ni hier, pour notre Parti, compte tenu des problèmes qui nous sont posés.

Deuxièmement, notre projet : on est tous d'accord pour le dire qu'il faut des éclaircissements, qu'il faut lever les ambiguïtés, mais en même temps qui peut encore croire qu'on pourrait régler ces problèmes ici, aujourd'hui, en quelques heures.

Qui peut croire en même temps que ceux qui se débrouillent si bien dans l'opinion, à part Le Pen, ou de Villiers, soient porteurs d'un projet politique déterminé, crédible, sérieux et envoûtant ?

Je voudrais essayer de dépasser un peu le débat sur cette alliance dont on parle, qui nous pose problème, qui semblerait nous poser des problèmes. Je ne fais à aucun, dans cette salle le procès d'intention de croire qu'il pourrait être tapiste, qu'il pourrait partager avec lui des valeurs qui évidemment nous séparent à bien des égards. De mon point de vue, plus on se distinguera, mieux cela vaudra. Et, en même temps, ce n'est pas le problème. Ce n'est pas cette interpellation-là qui doit nous presser de nous décider.

La réalité, c'est qu'il y a un mouvement des Radicaux de Gauche qui est un Parti politique avec lequel nous gérons nos communes, nos départements, nos régions. Surtout, la réalité ce sont ces électeurs-là.

Je me fous de Tapie, mais ses électeurs m'intéressent, y compris dans ma circonscription, dans mon département où nous gérons tous les jours le Conseil général avec un président Radical de Gauche. Nous n'avons qu'une seule obsession, c'est de récupérer ces électeurs qui nous ont fuis le temps de ces élections. À partir de là, si on raisonne en termes de politique, cette contradiction, cette difficulté s'effacera d'elle-même.

Comme je voudrais que l'on dépasse les contradictions sur notre fonctionnement. Personne, pas plus moi que les autres, n'est satisfait du mode de fonctionnement. Il m'est arrivé parfois de dire, et à voix très forte, ces dernières semaines, mon insatisfaction de certaines méthodes de travail. Mais qui peut croire que ce soit le problème et seulement le problème !


Lionel Jospin

Je pense qu'il faut à ce Conseil national, pour être une réussite, plusieurs conditions :

Prendre une conscience aiguë du choc provoqué dans le Parti par nos résultats à l'élection européenne et essayer de trouver ensemble la capacité maîtrisée de nous relancer.

Faire une analyse exacte du résultat des Européennes. Pour la première fois, la droite et l'extrême-droite, ensemble retombent sous les 50 %. Les partis qui représentent clairement le gouvernement d'Édouard Balladur font 25 %, moins du double du score du PS. Relativisons l'analyse de nos propres résultats.

Être capable, face à la difficulté, à la pression qui s'exerce sur nous, de faire preuve de calme, et de sang-froid. Je ne suis pas sûr que ce soit totalement ce que nous faisons.

Le Premier secrétaire nous a fait des propositions : un travail de réflexion sur le projet, un travail de réflexion sur le fonctionnement du Parti, la recherche d'un processus d'alliances à gauche, un élargissement du Bureau national, à quelques camarades. Une autre proposition a été faite : une convention sur notre orientation politique à l'automne. Aucune ne doit être refusée.

Certainement pas la première, sur le projet, à condition qu'elle serve à définir une position claire car ce n'est pas notre langage qui est en cause, c'est notre politique ; ou l'idée, ou le souvenir que les Français ont de notre politique.

Un travail de réflexion sur le Parti. À condition de ne pas croire qu'il nous suffira de réfléchir aux statuts, aux courants, à leur disparition, ou au scrutin majoritaire pour régler nos problèmes d'identité, de positionnement, de réception par l'opinion et notamment par les hommes et femmes de gauche.

La recherche d'un processus d'alliances. J'y travaille d'une certaine façon depuis plusieurs mois avec les Assises de la transformation sociale. Notre réflexion sur les idées doit normalement se poursuivre. S'ajoutent un travail de contacts politiques et une tentative d'organiser des liens entre les différentes forces qui composent cet ensemble, avec les communistes, à qui, il faut répondre puisqu'ils se sont adressés à nous, avec les diverses sensibilités communistes, avec les écologistes.

Je suis convaincu qu'en France la démarche qui consistera à rebâtir une grande force de gauche n'épousera sans doute pas strictement les contours du Parti socialiste. Cette démarche peut être féconde à condition naturellement que nous maintenions ensemble le socle principal, notre Parti rassemblé, bien que je sente son Conseil national agité par des ferments de divisions.

Quant au MRG, il est notre partenaire depuis 1971. Je voudrais vous le dire tranquillement : le leader qu'il s'est donné pose un problème sans précédent en France, dans l'histoire de la gauche.

Je m'étonne même que, pour l'utilité de la symétrie, on puisse comparer les problèmes qu'il nous pose, et qu'il nous posera encore si nos positions ne sont pas claires, avec ceux que nous posait le Parti communiste dans les années 1971. Ce parti représentait non seulement une force incontournable au sens objectif, mais une tradition qu'on ne peut pas comparer avec le parcours d'un homme singulier pour ne pas le caractériser autrement.

Alors lorsqu'on abordera plus directement cette question, pas aujourd'hui, sachez que je le ferai au nom d'une exigence éthique mais aussi pour des raisons politiques. Proposons en perspective des élections municipales à nos têtes de listes, à nos maires sortants, s'ils sont candidats, de discuter localement avec le MRG en fonction du rapport de force existant à la base. Politiquement, nous n'avons pas intérêt à bouger pendant que nous sommes faibles. Ne procédons pas à des reconnaissances prématurées qui fixeraient l'électorat socialiste que nous voulons reconquérir.

Quant à l'élargissement du Bureau national, pourquoi pas si cela est tout à fait conforme à nos règles ? Ne croyez pas que j'ai la moindre réticence à ce que telle ou telle personnalité vienne le rejoindre.

Nos problèmes sont d'abord politiques, ils concernent d'abord notre orientation politique. Qu'est-ce qui a fait de nous une grande force montante dans les années 70 ? Qu'est-ce qui nous a permis de gagner en 1981 ? L'affirmation d'une ligne claire, qui portait les aspirations du monde du travail, mais qui traduisait aussi l'aspiration à une nouvelle pratique démocratique qui débouchait aussi sur la conception d'une nouvelle politique économique.

Tout cela fondé sur une stratégie qui s'appelait l'Union de la Gauche, autour d'un leader, c'est vrai, pour l'incarner mais d'un leader qui, en même temps, avait lié profondément son sort au Parti socialiste.

Est-ce que c'est bien toujours notre conception ? Quelles leçons voulons-nous tirer du passé ? C'est bien de se féliciter de ce que nous avons fait jusqu'en 1983, et c'est curieux d'entendre l'un d'entre nous dire qu'à partir de 1983, on n'a plus réformé. Mais alors qu'avons-nous fait après 1988 ? Soyons capables de poser ces questions. Bien sûr, la chute du communisme, dans laquelle nous ne nous sommes pas reconnus, a donné un élan de plus au capitalisme dans notre pays comme ailleurs. Il n'y a plus de débouchés révolutionnaires ou de calculs stratégiques fondés sur le bloc communiste pour servir de succédané de transfert étatique ou géopolitique de l'idée révolutionnaire.

Mais si la voie révolutionnaire est bouchée et que la voie réformiste n'est plus empruntée, il ne faut pas s'étonner que nous soyons confrontés à une volonté de remise en cause complète du modèle sur lequel on avait fondé l'équilibre de notre société et aussi le modèle européen.

Alors sommes-nous d'accord là-dessus ?

On propose une ligne de rupture. Elle ne me choque pas. Mais sommes-nous sûrs que chacun va en tirer toutes les conclusions dans son analyse, dans ses propositions, ou dans sa candidature le moment venu ? Posons-nous ces questions, avec honnêteté.

Je propose de réviser la hiérarchie de nos objectifs en mettant au premier plan la lutte contre le chômage, pour l'emploi, en en tirant un certain nombre de conclusions sur les grands objectifs de politique économique.

Je propose de présenter au pays une nouvelles pratique politique, de trouver dans l'avenir nos solutions dans une parlementarisation de la pratique du système de la 5ème République car par des changements pratiques nous ferons du gouvernement un lieu dans lequel on décide véritablement, par exemple de Maastricht avant que les accords ne soient approuvés.

Je propose que l'on s'engage sur la notion d'un parti majoritaire ou d'une coalition majoritaire, en s'appuyant sur une majorité à l'Assemblée nationale, et donnant par là-même, sur proposition du président de la République, la légitimité au gouvernement.

Je propose que les problèmes internationaux ou de défense redeviennent un champ sur lequel le Parti s'exprime. La loi de programmation militaire a été approuvée par le Groupe sans que le Parti soit saisi de cette question.

Je propose que les problèmes d'exclusion, d'habitat, de lutte contre la précarité, de misère sociale, de la jeunesse soient, au centre de notre politique à travers des programmes définis et quantifiés, à l'échelle nationale, en donnant des objectifs de mobilisation politique à l'ensemble de la nation, et pas simplement dans une politique de quartier pourtant bien nécessaire.

Je propose que les problèmes de sécurité des personnes soient traités comme des problèmes majeurs, ainsi que la liberté et les droits de l'homme.

Je propose que les problèmes d'éthique et de morale politique soient traités de façon rigoureuse.

Une partie de nos problèmes politiques depuis 1988 vient de ce que le PS, malgré la victoire, n'a plus été au cœur du dispositif politique. Il ne s'est pas affirmé suffisamment. On a crédibilisé certains de ses concurrents et, au lieu d'élargir son assise, on a puisé dans sa substance pour essayer de créer des forces qui se sont révélées fragiles.

La dernière question : la présidentielle. Gardons-nous le droit de choisir notre candidat à l'élection présidentielle ? Là encore, restons-nous fidèles à la démarche qui fut la nôtre collectivement en 1974, quand François Mitterrand était le candidat du PS, mais aussi le candidat de la gauche, du MRG et du PC ? Plus nettement encore en 1981, lorsqu'il était le candidat du seul PS ? Cela ne l'a pas empêché de rassembler.

Gardons-nous cette méthode ? Je dis oui !

Que le candidat que nous nous donnerons le moment venu ne se résume pas au seul PS, je le comprends, je le souhaite d'une certaine façon. Mais je ne pense pas que ce candidat puisse être extérieur ou au-dessus du PS.

Il s'agit là encore de questions fondamentales si nous voulons faire du PS une force à l'égal des grandes forces sociales démocrates.

La question des orientations pour l'élection présidentielle est également posée. Je souhaite que le Parti, quelles que soit la méthode – Michel Rocard en a proposé une ; si vous avez des propositions à faire, faites-les – se mette au travail pour savoir quelles seraient ses orientations, et ultérieurement son programme pour l'élection législative.

À écouter un peu ce qui se dit à l'extérieur de cette salle, dans les couloirs, je me demande si ces grandes questions politiques ne sont pas en train d'être éclipsées par d'autres préoccupations.

Donc, ou nous jugeons sage, ou réaliste, ou possible de rester rassemblés autour de la direction qui existe, autour du Premier secrétaire. Si nous trouvons que ses propositions ne sont pas suffisantes, étoffons-les, poursuivons plutôt notre travail autour de lui et abordons la période qui vient en travaillant sur la stratégie et sur l'orientation politique.

Ou bien ce stade est dépassé : soit que le Premier secrétaire lui-même nous confronte à une situation différente, soit que de ce Conseil national émanent des prises de position qui n'ont pas été exprimées (en tous cas pour certains), au dernier Bureau national ; si la direction actuelle, son Premier secrétaire, devaient être mis en cause, compte tenu du caractère de gravité que cela comporterait, il faudrait, et je rejoins sur ce point ce qu'a dit Pierre Mauroy, revenir devant les militants et trancher dans un Congrès. Dans l'intervalle, il faut une direction provisoire composée de l'ensemble des sensibilités du Parti pour préparer ce congrès.

Voilà les termes de l'alternative, je n'en vois pas d'autres qui nous apportent pour l'avenir beaucoup de satisfactions.


Umberto Battist

Parmi les questions posées par le Premier secrétaire ce matin, il en est qui correspondent de manière très étroite à ce que, comme militant et comme maire, j'éprouve quotidiennement sur le terrain qui est le mien.

La première question, c'est celle de notre base électorale. Nous ne disons plus base sociale. Lionel Jospin vient de le rappeler, nous avions historiquement vocation à représenter les aspirations des travailleurs, et ceci traditionnellement, nous la faisions en couple avec le parti communiste. Nous pouvions nous consacrer plus particulièrement à être les représentants des aspirations des travailleurs qu'on dit couches moyennes pendant que le Parti communiste parlait peut-être plus à des couches populaires et tout cela se retrouvait finalement dans le bilan.

Aujourd'hui, quand je regarde la société autour de moi, je n'y reconnais plus, d'une part, une classe moyenne, d'autre part, des classes populaires.

Certes, des classes moyennes sont toujours là. Mais je ressens dans ma ville un noyau de 30/35 % de la population pour qui, très honnêtement, cela ne va pas mal et qui n'aspire guère à la remise en question de la situation dans laquelle nous sommes. Prioritairement, c'est vers les couches populaires qu'il nous faut nous orienter, mais nous voyons celles-ci, aujourd'hui, divisées en deux blocs. Il y a ceux qui sont encore dans le coup et qui traditionnellement vivaient en regardant ceux qui étaient au-dessus d'eux, en combattant pour plus d'égalité, plus de reconnaissance sociale, une meilleure répartition de la richesse.

Aujourd'hui, je les vois regarder d'abord derrière eux le groupe de ceux qui sont déjà dans l'exclusion et ils ont peur. Peur de tomber dedans dans une échéance prochaine.

Ils ont le sentiment, et là nous avons un vrai problème de positionnement, que nous nous sommes beaucoup préoccupés de l'exclusion, et nous avons raison. Mais le salariat, les petites gens en ont tiré comme leçon que nous ne nous adressions plus de manière prioritaire à eux.

Dans la définition de notre projet il nous faut recentrer notre objet.

Celui qui est aidé, celui qui est assisté, d'une certaine manière, il est aussi humilié ; ne lui demandons pas de nous manifester sa reconnaissance lors des scrutins électoraux.

La base de notre électorat se situe bien du côté du salariat et c'est à lui qu'il faut nous réadresser prioritairement, même si nous voulons continuer, par ailleurs, le travail indispensable contre l'exclusion et pour l'insertion des publics en difficulté.

Le deuxième thème sur lequel je voudrais m'exprimer, c'est celui du Parti.

« Ne dites pas à mon voisin que je suis secrétaire de section, il croit que je suis pianiste dans un bordel » : on peut dire cela en parodiant un livre célèbre, parce que si je suis pianiste, je peux discuter avec un voisin de politique, il ne demande que cela, il a la radio, la télévision, il sait tout, quotidiennement les plus grands leaders s'adressent en direct à lui, il a un avis sur tout et veut que son avis soit pris en compte. Mais il ne veut pas s'emmerder à entrer dans une organisation pour que cet avis soit entendu, et nous avons là un problème majeur lié au monde de communication, au mode de surmédiatisation qui nous conditionne tous. Il touche les églises comme il touche les associations, comme il touche les sympathisants, et touche, bien sûr les partis politiques.

Ne dites pas à l'électeur que je suis Premier secrétaire du Parti socialiste, il croyait que j'étais un fédérateur susceptible de rassembler la gauche et de la conduire à la victoire !

Cela fait peut-être aussi un peu partie de l'analyse que nous devons faire du scrutin de dimanche dernier. J'ai entendu Henri Emmanuelli faire des propositions dans ce domaine « le dernier mot doit rester aux militants, et c'est aux militant d'arbitrer sur le projet ». Mais j'ai peur, j'ai vraiment peur d'une hypothèse : celle dans laquelle on ferait un bon congrès à gauche, et puis, par ailleurs, la vie étant ce qu'elle est, les contraintes étant ce qu'elles sont, le calendrier étant ce qu'il est…

Alors, on se fait plaisir à l'interne et puis d'autres choses se mettraient en place sans aucun souci de cohérence avec le débat que nous aurions à l'interne.


Ségolène Royal

Je mesure la gravité du moment et l'attente qui pèse sur nous. Michel, tu as fait des propositions. Pourquoi ne pas reconnaître que c'est un effort qui est fait. Mais je crois que notre mal est profond et que ce n'est pas une question de quelques personnes qui pourra le régler. Si je le dis, c'est parce que mon nom a été cité parmi d'autres. Je te remercie de l'honneur que tu me fais, mais j'aurais aimé être contactés, non pas pour une question de susceptibilité mal placée d'ailleurs, mais tout simplement par égard pour les militants que j'essaye de représenter le mieux que je peux. Car si je suis ici, c'est en tant que Première secrétaire de fédération du département des Deux-Sèvres. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas dans ces conditions accepter de rentrer dans cette direction car les militants sentent bien qu'un remaniement de direction ne répond pas à l'urgence politique, même si les deux idées que tu as avancées vont dans le bon sens. Sont-elles aujourd'hui suffisantes ?

C'est aux militants d'en décider. Il faut aujourd'hui, pour sortir vers le haut, s'appuyer sur eux et en appeler à eux d'abord pour le projet politique, ensuite pour la stratégie de l'alliance, pour la réforme des méthodes et enfin pour une direction qui tracera le chemin.


Michel Debout

Le Parti manque d'audace, mais cela ne date pas de l'élection européenne, et ce n'est pas non plus une question de style ou de langage. Il y a manque d'audace parce qu'une orientation politique que nous développons depuis des années, c'est-à-dire l'orientation du consensus est incompatible avec l'audace politique.

Audace contre le chômage. La direction de notre parti avait décidé la réunion d'une convention sur l'emploi. C'était une bonne idée, mais cela a été un rendez-vous manqué parce qu'en fait la direction n'a pas voulu qu'il y ait un véritable débat politique sur la question de l'emploi. Souvenez-vous du texte d'introduction à la discussion qui était tout sauf un texte politique. Souvenez-vous comment ont été présentés les amendements, de façon complètement contradictoire, c'est-à-dire incapacité pour les militants de s'y retrouver, et la preuve en est qu'ils ne se sont pas déplacés pour aller voter dans leurs sections sur cette grande et grave question.

2,5 millions d'emplois qu'on nous annonce le samedi matin de la convention et qu'on met sous la trappe le dimanche après-midi ! Les 35 heures qui deviennent 37 dans une première étape parce qu'on ne pourrait pas aller aux 35 tout de suite... Et comment voulez-vous qu'après cela, les Français, sur cette question centrale tout le monde le dit, tout le monde le répète, sachent ce que nous nous voulons, quand nous sommes incapables de le dire à nous-mêmes ?

Alors oui, ils entendent ailleurs... ils ont entendu quelqu'un qui proposait de rendre illégal le chômage des jeunes, et on a beaucoup raillé, notamment les économistes qui, les uns après les autres, laissent la situation de l'emploi là où elle est. On a beaucoup raillé dans certains cercles élitistes qui sont très loin des préoccupations du chômage, concrètes, mais les jeunes, eux, n'ont pas raillé, ils ont voté pour. Les ouvriers, eux, n'ont pas taillé, ils ont voté pour.

Finalement, est-ce que cette proposition était plus démagogique que celle que faisait Pierre Bérégovoy à l'Assemblée nationale en disant qu'il fallait supprimer le chômage de longue durée ? Est-elle plus démagogique que la constitution française qui dispose le droit du travail pour tous, alors que dans le-pays, on a 4 millions de chômeurs ?

Alors, oui, mes camarades, sur le chômage il est urgent d'avoir de l'audace, mais il est urgent d'avoir l'orientation politique qui nous permettra cette audace.

Deuxième question, la protection sociale, qui est sous les coups de butoir extraordinaires de la mondialisation. C'est la grande menace qui vient et il ne suffit pas de dite, même si c'était bien de le rappeler, comme Michel Rocard l'a fait au cours de la campagne, que l'Europe c'est la démocratie plus la sécurité sociale. Il faut proposer la grande protection sociale du XXIème siècle. Depuis la CSG (et là aussi, qu'hommage soit tendu à Michel Rocard), aucune nouvelle proposition n'a été faite, aucune nouvelle piste n'a été recherchée. Est-ce que vous croyez que nous pourrons aller aux élections présidentielles et les gagner avec nos discours actuels sur la protection sociale et sur son avenir ? Je dis non.

Enfin : audace contre l'intégrisme. On s'est laissé enfermer dans la Bosnie et j'ai dit au Bureau national que j'avais trouvé courageuse l'attitude de Michel Rocard sur cette question. Mais en même temps, la Bosnie était occupée par la liste de Sarajevo et il fallait sortir de la Bosnie, il fallait dire que la question qui est posée à la démocratie aujourd'hui, encore plus demain, c'est le développement de l'intégrisme, bien sûr en Bosnie avec les Serbes et leur épuration ethnique, mais pas seulement en Bosnie, en Algérie (et Alger est plus près de Paris que Sarajevo) avec la montée du FIS. Je trouve moi-même scandaleux qu'au cours de cette campagne européenne, aucune voix ne se soit levée pour dire qu'il était inacceptable qu'un citoyen européen soit privé de liberté, soit mis à mort socialement parce qu'il redouté la mise à mort physique d'un Ayatollah intégriste !

Ce soir il s'agit, oui, d'être audacieux. Audacieux sur l'orientation politique. En finir avec celle qui est la nôtre depuis des années. Audacieux pour s'ouvrir à la gauche et ne pas se contenter de rester entre soi. Audace pour le Parti lui-même. Je retiens de ce débat que la question de l'orientation politique, de la nécessité d'une ligne politique claire, est posée fortement par ce Conseil et que, non, la direction actuelle du Parti n'est pas la direction qui pourra mettre en œuvre cette nouvelle orientation réclamée par vous tous.


Michel Rocard

J'ai écouté avec une extrême attention des débats de ce Conseil national. J'y ai noté des points d'accord et des points de désaccords, des confirmations et des divergences parfois fortes sur des propositions initiales. Je n'ai pas de solution claire dans la tête. Nous ne sommes pas un parti qui travaille à coups d'état d'âme. Il nous faut un vote pour clarifier le fait de savoir si l'actuelle direction a encore, de votre part, assez de confiance pour mériter que ses propositions soient prises en considération ou non. Par conséquent, je ne vois pas comment nous pourrions échapper à ce vote…

Dans ces conditions, j'ai résumé les quelques propositions que j'avais développés dans mon intervention de ce matin sous une forme simple dont je vous donne lecture, et qui est même disponible par écrit ; mais ce n'est pas le détail du texte qui fait problème.

Michel Rocard donne lecture du texte et conclut : C'est au plus court, le résumé de ce que je proposais ce matin, complété de la proposition d'une convention à l'automne.

Je crois qu'il n'y a pas d'autre choix que de nous dire si, oui ou non, nous pouvons marcher sur ces bases-là. La situation ne résulte pas seulement d'un échange d'interventions.

Je soumets donc ce texte au vote.


Texte soumis au vote

Le Conseil national constate que le Parti, avant toute chose, a besoin d'une définition claire et forte d'un projet politique constituant une alternative face au conservatisme libéral dominant.

Le Conseil national, constate que l'élaboration de cette ligne stratégique est un préalable indispensable à la définition de toute relation organique avec les autres organisations de gauche et de progrès.

Le Conseil régional, décide l'élargissement de la direction nationale, comme l'a proposé le Premier secrétaire, pour que le Parti soit tout entier rassemblé,

Nomme deux groupes de travail pour faire dans les deux mois des propositions sur le projet du Parti et sur sa rénovation interne.

Pour retrouver le vrai débat d'idées et dépasser la sclérose actuelle des courants, le Conseil national décide d'une Convention nationale qui débattra à la rentrée de ces propositions et déterminera la position de l'organisation du Parti pour l'année qui vient.


Avant de procéder au vote, Claude Estier, Président de séance, informe des modifications intervenues dans la composition du Conseil national depuis sa dernière réunion :

Pascal Lamy remplacé par Bernard Frimat ; Guy couderc remplacé par Philippe Dorthe ; Catherine Lalumière remplacée par René Praden ; Jean-Hugues Colonna remplacé par Paul Cuturello.

Premier vote :

Rappel du sens du vote :

Un vote positif vaut acceptation des propositions de Michel Rocard et adoption par le Conseil national,

Un vote négatif veut dire que non seulement le Premier secrétaire mais l'ensemble du secrétariat sont démissionnaires.

Les pouvoirs des éventuels absents ou de ceux qui dont dû partir sont transférés à des membres de la liste complémentaire.

Il est procédé au vote par appel nominal.

Les résultats du vote :

Pour : 88
Contre : 120
Abstentions : 48
Refus de vote : 2

Après l'intervention de Michel Rocard qui prend acte du résultat du vote – intervention dont vous trouverez ci-contre l'intégralité – s'ouvre un débat sur les conséquences politiques et le choix de la procédure pour la désignation d'une direction nationale.

Il a été choisi de faire passer les extraits significatifs des interventions de chacun.


Michel Rocard

Chers camarades, je vous ai proposé ce matin de dépasser les courants, je vous ai proposé de vous rassembler autour d'un objectif de rénovation du Parti et de la gauche. Je vous ai proposé de vous rassembler sur une ligne et une stratégie de politique claire, celle que les Français attendent de nous.

Vous avez fait un autre choix. Je le regrette, pour toute la gauche. Je vous remets mon mandat de Premier secrétaire, accompagné de celui de tout le secrétariat national.

Je pense que le Bureau national élu par le Congrès a compétence pour mettre en place l'organisme provisoire de gestion qui sera en charge des affaires courantes du Parti et convoquera les instances nécessaires pour traiter de la suite.

Pour ma part, mes chers camarades, je serai toujours un combattant de l'espérance.


Claude Bartolone

Je vous lirai simplement l'article 7-15 des statuts adoptés au moment du dernier congrès :

Le Premier secrétaire du Parti est élu à bulletins secrets, au scrutin majoritaire à deux tours, par les délégués au Congrès nationale, au terme de celui-ci.

Seuls peuvent se présenter au deuxième tour de scrutin les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages. En cas de vacance du poste de premier secrétaire, le Conseil national procède à l'élection de son remplaçant dans les conditions décrites à l'alinéa précédent.


Pierre Mauroy

Un Premier secrétaire s'accorde à une ligne politique, et il est investi par le Congrès et présente au Bureau national qui l'approuve, le secrétariat. En général cela se passe ainsi.

Lorsqu'on se trouve dans une situation où finalement le Premier secrétaire est sanctionné pour une élection, avec une direction dont les uns dirigeaient la campagne, dont les autres, encore il y a huit jours, nous disaient que c'était la meilleure direction ; lorsqu'on est dans ce cas de figure politique, que l'on peut qualifier d'exceptionnel, on est dans une situation que seuls les militants d'un congrès peuvent trancher. Voilà ce que le pense.


Julien Dray

Il appartient maintenant aux militants du Parti socialiste, à partir du vote qui a été émis, de tirer toutes les conséquences du point de vue de la reconstruction d'une direction sur la base d'une orientation politique. Il n'y a qu'une instance qui peut le faire évidemment, c'est le Congrès du Parti socialiste.

Je demande à ce que vous preniez en considération qu'il y a, dans 15 jours, une initiative les 2 et 3 juillet. Il faut préparer cette fête. Je demande simplement qu'on me donne la possibilité de savoir comment nous assumons cette transition.


Daniel Vaillant

Michel Rocard a été élu Premier secrétaire avec 83 % des délégués du Congrès. Il s'en va. Je pense que nos militants ne comprendraient pas que, dans le cénacle représentatif que nous formons ici, nous puissions ce soir, comme cela, prendre des décisions qui les engagent.

Je pense donc, comme Pierre Mauroy, qu'il nous faut un congrès si l'on veut que ce soit les militants qui décident, y compris pour respecter l'esprit des statuts.

Le Conseil national de ce soir a pour devoir de mandater le Bureau national élu pour faire des propositions en direction des militants, c'est-à-dire la tenue la plus rapide, mais aussi avec un délai permettant l'exercice réel de la démocratie, d'un congrès d'orientation de la ligne à suivre dans les mois qui viennent. C'est la proposition que je fais.


Jean Poperen

Je comprends bien l'intérêt de la remarque de Pierre Mauroy. Mais ce qui a été dit des statuts vaut la peine qu'on y réfléchisse très vite, là, hors séance, et que dans un quart d'heure, vingt minutes, on soit devant une proposition.

La séance, suspendue à 18 h 40 par le Président, reprend à 19 h 40.


Gérard Lindeperg

Le Conseil national est composé pour partie des Premiers fédéraux qui siègent au nom de leur fédération et non d'un courant.

Sur une question aussi importante que celle de l'élection d'un Premier secrétaire, qui doit être désigné par une instance nationale, Conseil ou Congés, il me paraît indispensable que les premiers fédéraux consultent leurs fédérations.

Je pense qu'il faut que nous ayons un vote pour savoir si nous souhaitons que ce soit le Conseil national ou le Congrès national qui procède à la désignation du Premier secrétaire.

Si le Conseil national de ce soir prenait ses responsabilités en indiquant que cela appartient au Conseil, il faudrait qu'il y ait un deuxième vote pour savoir à quel moment interviendra ce Conseil national précisant à l'ordre du jour la désignation du Premier secrétaire national du Parti. Le délai permettrait ainsi aux Premiers fédéraux d'être mandatés par les militants.


Jean Poperen

Il y a une chose, mes chers camarades, qui n'est pas possible, c'est que nous ne sortions d'ici en n'ayant rien décidé, que de nous renvoyer à plus tard.

Je pense qu'il faut un vote pour le Premier secrétaire, et le reste suivra.

Mais sortons d'ici avec une proposition adoptée par une majorité. C'est au Conseil national de le faire. On a mandat et autorité pour cela. Ou alors que sommes-nous et à quoi servons-nous ?

Comme il faut bien commencer par une proposition, j'en fais une. Je pense, s'il en est d'accord, que nous pourrions nous prononcer, si cette candidature est explicitée par lui-même, pour Henri Emmanuelli comme Premier secrétaire.


Jean-Luc Mélenchon

Ceux qui ont réfléchi savaient que dans le cas d'un vote négatif, ils créeraient une situation qui peut être serait encore plus difficile. Mais ils l'assument. Inutile de chercher des faux semblants.

Il est arrivé que dans la direction issue du dernier congrès, ceux qui avaient été les agents les plus ardents à sa constitution, au moins un d'entre nous, Henri Emmanuelli, a dit que compte tenu de ce qu'il voyait, de ce qu'il observait, il était conduit à la conclusion que l'on faisait fausse route. C'est un fait qui s'est produit il y a dix jours. Et ce raisonnement est le seul raisonnement alternatif qui soit présent aujourd'hui devant nous par rapport à l'orientation du dernier congrès. Ainsi, c'est bien de la majorité du Congrès, et de son cœur, qu'est venue l'idée qu'il fallait une alternative.

Il ne peut pas être question qu'on laisse cette Maison sans porte-parole au moment où nous avons pris une décision qui avait un contenu politique et non pas personnel. Les statuts prévoient pourvoir à la vacance de Premier secrétaire. Nous n'y pourvoirons pas en nous demandant qui on pourrait bien trouver. Nous y pourvoirons politiquement parce que nous voulons qu'à la sortie de cette salle il y ait un message politique qui ne soit pas seulement : « il y a eu un vote pour ou contre Michel Rocard ». Il y a un vote pour dire : « l'orientation du Parti socialiste, c'est l'orientation de confrontation avec le libéralisme » !

Si c'est cette orientation là que nous avons choisie, on investit l'homme qui la porte. Je dis à Henri qu'il doit assumer lui aussi ses responsabilités et qu'il doit prendre en charge le Parti pour appliquer son orientation.


André Laignel

Nous n'avons pas choisi que ce Conseil national soit un Conseil d'affrontement. Nous sommes ce soir sans direction, et je crois que nous avons deux tâches, et deux seulement, si nous voulons faire de ce Conseil national un Conseil constructif.

La première décision à prendre, c'est de retourner là où est la seule légitimité, devant les militants. La deuxième décision, c'est de ne pas laisser le Parti sans organe de décision dans la période politique difficile où nous nous trouvons. Nous devons donc désigner une direction représentative de toutes les sensibilités de ce Parti, de façon à ce que le congrès soit préparé dans les conditions les meilleures.

Nous reconstruirons sur cette capacité à dire : nous allons devant militants pour que soit validée une ligne politique et cette ligne politique, croyez-moi, elle est beaucoup plus proche de celle qu'a définie Henri Emmanuelli, en ce qui me concerne, que de celles que j'ai entendues par d'autres voix qui se sont élevées.


Henri Emmanuelli

Est-ce qu'il faut élire un Premier secrétaire ? Je crois que ce n'est pas un problème de mots. J'ai entendu « Premier secrétaire », j'ai entendu « porte-parole » … Mon souhait, et la proposition que je vous ferai, ce serait effectivement que dans un élan de responsabilité collective, on désigne une direction provisoire où tout le monde accepte de participer pour organiser un congrès, en tout cas une consultation pour revenir devant les militants. La seule chose que je puisse vous garantir ce soir, c'est que je me porterai éventuellement garant, si je suis en état de la faire, du fait que ce congrès sera un congrès de débats et que les choses se feront sur une ligne politique.

Je suis prêt à être soit porte-parole, soit Premier secrétaire provisoire pour organiser un congrès avec tous les socialistes qui souhaiteront participer à un vrai débat politique dans le Parti, pour redonner au Parti socialiste une ligne politique. Le dynamisme viendra de cette ligne politique.


Claude Fleutiaux

Il nous revient ce soir de désigner un nouveau Premier secrétaire. À l'issue de cette journée, au nom de tout ce que nous avons entendu, il apparaît qu'Henri Emmanuelli est le mieux place pour être élu Premier secrétaire, car la vacance n'est pas possible.

Il faut une nouvelle direction où tout le monde accepte d'être pour que les militants soient consultés au plus tôt, car c'est là que réside en dernier ressort la vraie légitimité.


Claude Evin

Il n'y a pas, du moins dans ce qui s'est exprimé à cette heure-ci de nos débats, de majorité pour proposer une alternative politique.

Ceci pour plusieurs raisons et, notamment, du fait que beaucoup de camarades qui se sont exprimés contre les propositions formulées par Michel Rocard n'ont pas proposé de solution nouvelle, aussi bien sur le fond que sur l'organisation de notre Parti pour répondre à l'attente des militants.

S'il n'est pas question de revenir sur le fait qu'il y a effectivement une opposition forte aux propositions de Michel Rocard, il faut qu'on se mette d'accord sur une méthode de consultation des militants, sur une méthode de débat.

Les camarades minoritaires sont naturellement partie prenante de la vie du Parti et prêts à prendre leurs responsabilités dans l'organisation du débat collectif qui est notre débat à tous et dont nous avons tous besoin.

C'est donc un comité d'organisation du congrès qu'il nous faut mettre en place maintenant. Ce comité d'organisation du congrès doit, et c'est la proposition que je formule, rester dans le cadre du Conseil national sous la présidence du président du Conseil national.


Alain Claeys

Il y a eu un vote politique sur les propositions de Michel Rocard. Je crois, et je ne reviendrai pas sur les statuts, que nous devons tous prendre nos responsabilités sans essayer de brouiller le message dans l'opinion et vis-à-vis de nos militants.

Ce soir, nous avons donc à désigner un Premier secrétaire. Ce Premier secrétaire devra au plus vite faire des propositions de travail au Bureau national pour organiser un grand débat politique auprès de tous les militants. C'est comme cela que nous rendrons la parole aux militants, et c'est comme cela que nous ferons vivre la démocratie au quotidien dans notre Parti.

Concernant la candidature de Henri Emmanuelli, je crois qu'Henri a été respectueux à la fois de notre fonctionnement interne et de Michel en lui faisant connaître clairement son désaccord et la ligne politique qu'il proposait.

Si la candidature d'Henri Emmanuelli est déposée, nous la soutiendrons.


Dominique Strauss-Kahn

Ce qui vient de se passer aujourd'hui n'est pas uniquement lié à la campagne ni au score. Le mal qui ronge notre Parti est beaucoup plus profond. Depuis le Congrès de Rennes nous n'avons eu que très peu de débats, de vrais débats sur l'évolution de la société, sur ce qu'est devenue la social-démocratie dans d'autres pays, et dans le nôtre, sur l'État-providence qui a perdu de sa substance, etc. La conséquence de tout cela c'est qu'a juste raison Henri Emmanuelli dit : il faut enfin que nous ayons un débat d'orientation. Je suis d'accord avec lui sur ce point ; je lui rends justice de considérer que ce n'est pas la première fois qu'il le dit. Ceci étant, cette orientation, il faut la définir devant les militants. C'est pourquoi j'ai pensé tout à l'heure que nous prenions un bon chemin en choisissant d'organiser un Congrès et en faisant déterminer notre nouvelle ligne devant les militants. En revanche ; je vois mal, s'il s'agit de l'émergence d'une nouvelle orientation qu'on puisse le faire avant le débat.

J'entendais tout à l'heure Jean-Luc Mélenchon dire clairement que le vote qui a eu lieu veut dire clairement une chose : un changement de ligne. Le problème, c'est qu'à ce moment-là ce ne sont pas les militants qui choisissent, et moi, je voudrais que ce soit les militants.

Si bien que je ne vois qu'une seule bonne solution. C'est que se mette en place une direction provisoire qui n'a pas d'autres fonctions que d'organiser un congrès. Dans ce cas, la direction provisoire ne doit pas être marquée politiquement, la majorité sortira du congrès.

Pourquoi cela me semble-t-il souhaitable ? Parce que la majorité qui s'est exprimée contre le Premier secrétaire sortant, ce qui est évidemment légitime, est clairement une majorité qui ne me paraît pas homogène sur nombre de questions comme, par exemple, le choix de notre candidat à l'élection présidentielle. J'ai entendu hier à la télévision une proposition et je crois savoir que ce n'est pas celle qui a les faveurs du candidat au poste de Premier secrétaire. Il en est de même des alliances à passer ou non avec Tapie. Sur ce sujet aussi, un certain nombre de positions assez différentes de celle qu'Henri Emmanuelli défend ont été exprimées au dernier Bureau national du Parti par ceux qui le soutiennent aujourd'hui.

Il ne faut pas avoir seulement une majorité de rejet, il faut une majorité positive et pour cela, il faut aller à un congrès sans que celle-ci ait été déterminée à l'avance. Parce que si une orientation est mise en place avant le congrès, alors ce n'est plus la peine d'avoir un congrès ! Je ne suis pas d'accord avec cette situation. Mais vous refuser de mettre en place une direction qui attendra le Congrès pour choisir notre orientation.

Par ailleurs, je ne veux pas voter contre Henri Emmanuelli alors qu'il n'a pas développé ses positions devant nous. Je veux marquer mon désaccord sur la méthode et mon anxiété devant les contradictions profondes de cette majorité hétéroclite. C'est pourquoi je suis candidat devant vous.

Et pour m'inscrire dès maintenant dans le débat du congrès qui, j'espère, s'ouvrira, je ne veux faire qu'une seule remarque. Je constate que si nous avons fait un mauvais résultat aux élections, c'est notamment parce que Tapie a fait 12 % des voix, et pourtant Tapie n'a pas tenu un discours de radicalisation ; ceux qui ont recherché la radicalisation du discours politique font 3 % des voix. Regardez par exemple le résultat de Chevènement. Je crois donc que tout cela mérite au moins discussion. Ce n'est pas parce que nous venons de subir une défaite électorale sévère qu'il faut sans réfléchir prétendre changer de cap.


Pierre Mauroy

Dans la situation dans laquelle nous sommes, manifestement, il ne peut y avoir qu'une direction provisoire. Il ne peut y avoir qu'une gestion du Parti qui soit intérimaire, cela me paraît tout à fait évident, en attendant un congrès en septembre ou octobre.

J'estime que nous n'avons pas eu le débat d'orientation politique. Je ne veux pas tomber dans le piège d'opter pour un candidat ou pour un autre qui se présenterait au nom des lignes, ce qui, déjà, voudrait dire que nous avons eu un débat politique. Alors, je souhaite la mise en place d'une direction provisoire avec tout le monde.

Vous demandez qu'effectivement il y ait quelqu'un ? Eh bien, écoutez, mettons-nous d'accord si ce doit être Emmanuelli et si, lui, peut nous donner les garanties que c'est ainsi qu'il interprète son mandat.


Henri Emmanuelli

Si la question de Pierre : est-ce que le débat politique a eu lieu ? Je réponds : non, il n'a pas eu lieu, c'est évident. Nous n'avons pas aujourd'hui tenu un débat d'orientation.

Je suis candidat au poste de Premier secrétaire pour organiser ce congrès et je me porte garant de ce qu'on fera de la politique.

Ce qui est positif dans ce qui vient de se passer, c'est que finalement, dès qu'on reparle du politique, on voit revenir les lignes politiques, et cela croyez-moi, c'est le début du redressement !

À ce point des débats, le Président prend acte que tout le monde est d'accord pour la tenue d'un congrès.

Il rappelle les deux candidatures et propose que l'on se prononce dessus, à bulletins secrets.

Manuel Valls demande la parole.


Manuel Valls

Une lettre adressée à Michel Rocard ou une intervention ici, ne peuvent servir d'orientation politique. Un changement d'orientation politique ne peut se faire qu'au niveau des militants à travers un congrès.

Il nous faut la certitude, ce soir, que les adhérents que les militants du Parti socialiste puissent choisir à travers plusieurs orientations.

Ensuite, il faut que la procédure soit tout à fait transparente pour l'organisation de ce congrès. Il faut donc voter sur la manière dont on va le préparer. Nous avons tous besoin de garanties. C'est la raison pour laquelle je reprends la proposition de Pierre Mauroy de mettre en place une direction provisoire ou un groupe de travail qui prépare ce Congrès avec l'ensemble des sensibilités.

Nous n'avons pas le droit, avec nos nouvelles règles, de nous substituer au vote des adhérents. Le Premier secrétaire, qui incarne la ligne politique de la majorité, doit être désigné par l'ensemble des délégués au congrès.

Il faut d'abord voter sur la procédure.

Si celle-ci est rejetée par une majorité du Conseil national, là il y aura effectivement candidature devant le Conseil national et, pour ma part, j'appellerai à voter pour Dominique Strauss-Kahn.

Jean Poperen demande au Président de consulter le Conseil national sur le fait que l'on procède d'abord au vote nominal sur les deux candidatures avant tout autre vote.

Finalement le Président propose un premier vote pour savoir si on vote sur la procédure, ou si on passe directement au vote sur les candidatures.

Vote sur la procédure

Les deux termes proposés :

1. « Accord avec la motion de procédure proposée par Manuel Valls »
2. « Accord sur le vote d'abord sur les noms des candidats au poste de Premier secrétaire ».

On vote, et il y a majorité sur le deuxième terme.

Vote sur les candidatures.

Il est donc passé directement au vote, à bulletins secrets sur les deux candidatures d'Henri Emmanuelli et Dominique Strauss-Kahn. Seuls les présents votent :

Les résultats du vote :

Nombre de votants : 2217
Blancs : 10
Nuls : 3

Ont obtenu :

Henri Emmanuelli : 140 voix
Dominique Strauss-Kahn : 64 voix


Henri Emmanuelli

Je pense que personne n'est devenu Premier secrétaire du Parti socialiste sans ressentir un moment d'intense émotion et c'est mon cas. Je voudrais me tourner d'abord vers Dominique Strauss-Kahn qui a été mon challenger. Je pense qu'il a eu raison de se présenter. Il nous a permis d'avoir un vrai vote où il y a eu un véritable choix.

Cela ne veut pas dire que le débat politique, qui aurait dû avoir lieu, a eu lieu, mais c'est déjà l'amorce d'une certaine clarification qu'il va nous falloir poursuivre.

Je voudrais ensuite me tourner vers Michel Rocard qui ce matin, avec beaucoup de dignité, a fait des propositions à notre Conseil national, les a défendues, a exposé son point de vue, a assumé ses responsabilités et a fait preuve tout au long de cette journée d'une dignité dont nous n'avons jamais douté qu'elle soit la sienne.

Michel, j'ai une pensée très forte pour toi. Comme tu le sais, parce que tu es un militant non pas plus ancien, mais qui a plus d'expérience que moi, la vie politique tourne. Il y a des gens qui un jour sourient, qui un autre jour, pleurent. Ceux qui rient un jour, pleureront ensuite. Sache que tu gardes notre estime à tous. Je te l'avais écrit, je tiens à te le dire de vive voix.

Ta vie militante témoigne pour toi. La dignité dont tu as fait preuve aujourd'hui est la confirmation de cette vie militante.

J'espère que tu continueras à nos côtés à œuvrer pour les idées qui ont toujours été les tiennes et que tu défends avec talent.

Quant aux commentaires que je vois ici sur le début et la fin de choses, je crois qu'il faut prendre tout cela avec beaucoup de relativité.

Pour la suite, mes chers camarades, je ferai mercredi des propositions au Bureau national à la fois sur la direction collégiale et bien entendu sur la manière d'organiser la consultation des militants afin qu'ils puissent trancher le débat politique et légitimer les travaux et les choix qui ont été les nôtres aujourd'hui. Je souhaite que ce soit l'occasion de refaire de la politique, de faire rejaillir la contradiction, la confrontation que nous saurons les uns et les autres, j'en suis sûr, mener avec la fraternité et le respect réciproques nécessaires.

Je souhaite enfin que cette journée marque le début d'un ressaisissement. J'espère, car c'est à eux que je pense ce soir, que les militants comprendront le sens de ce que nous voulu faire. C'est à leur expliquer que je m'emploierai. C'est ma responsabilité. Je la prendrai très à cœur.

Je compte sur votre amitié, sur votre soutien pour ceux qui me l'ont apporté, sur l'amitié de ceux qui ne me l'ont pas apporté et sur le sens du Parti de tous. Sur notre espérance commune dans la gauche aussi car il y a une chose certaine, c'est que la gauche ne disparaîtra pas, elle a un grand rôle à jouer. Le Parti socialiste avant tout autre. Dans les années qui viennent, on s'apercevra que face à ce grand mouvement de balancier qui a donné le sentiment de nous balayer – non pas depuis quelques jours mais effectivement depuis plusieurs mois, peut-être plusieurs années – nous avons besoin d'un PS fort. Nous devons faire la démonstration que les salariés de ce pays, que les travailleurs de ce pays, qu'ils soient modestes, qu'ils soient des classes moyennes, qu'ils soient cadres, car leur dignité est aussi menacée, peuvent retrouver en nous la légitime confiance. À ce moment-là, nous reprendrons la marche en avant.