Texte intégral
Le Figaro : 22 avril 1994
Le Figaro : Que pensez-vous des remous qui ont agité l'UDF, et notamment le PR, suite à la désignation de Dominique Baudis. Ne traduisent-ils pas un véritable malaise ?
Bernard Bosson : Permettez d'abord au secrétaire général du CDS de dire sa joie que Dominique Baudis ait été choisi comme tête de liste de la majorité. Il est naturel que certains membres du PR aient conçu une déception et aient songé à créer un groupe « autonome » à l'Assemblée Nationale. Au CDS, aussi, certains parlementaires avaient envisagé la création d'un groupe à part si Dominique Baudis n'avait pas été élu. Mais, au-delà de la réaction épidermique, humaine, ce qu'il faut retenir c'est que tout le monde à l'UDF a accepté la désignation de Dominique Baudis. Cet accès de mauvaise humeur sera oublié dans quelques jours. Il ne révèle en rien l'existence d'un malaise. Au contraire, il prouve que l'UDF existe bel et bien : alors que tout conduit à ce qu'elle explose, elle survit par sa souplesse.
Le Figaro : C'était aussi un moyen de mettre en cause le président de l'UDF, Valéry Giscard d'Estaing. Qu'en pensez-vous ?
Bernard Bosson : Le renouvellement des instances de l'UDF doit avoir lieu cet automne. Il est prévu depuis trois ans. L'essentiel c'est que tout soit fait pour que l'UDR s'apparente à une confédération forte et non pas à un parti unique, monolithique qui nierait l'existence de ses principales composantes.
Je crois, par exemple, qu'il est regrettable que la position de l'UDF soit quelquefois annoncée au journal télévisé de 20 heures, sans que les responsables des familles politiques de l'UDF aient été informés auparavant de la position qui va être prise. Ce n'est pas un bon fonctionnement. Il peut être utile d'y réfléchir ensemble. Les hommes c'est très important mais les mécanismes et les verrous, aussi.
Le Figaro : L'UDF doit-elle présenter un candidat aux présidentielles ?
Bernard Bosson : Je ne suis pas fatalement favorable à ce qu'il y ait deux candidats de la majorité aux présidentielles. Cela dépend des hommes, bien sûr, mais aussi des circonstances politiques. On verra donc à la fin de l'année. Il y a des moments dans la vie publique où présenter deux candidats permet de « ratisser plus large » et de pouvoir additionner les voix au second tour. À d'autres moments, cela conduit à une telle agressivité de part et d'autre que certains en viennent, au second tour, à préférer l'adversaire plutôt que l'ami d'à côté. On l'a déjà vu. Cela dit, ceux qui proclament que si l'UDF ne présente pas de candidat elle n'existe pas me semblent motivés par des arrière-pensées évidentes. Il faut être logique : pour toutes les élections locales et nationales, nous défendons, dans la majorité, le principe de la candidature unique. Et dans un seul cas, pour l'élection présidentielle, présenter deux candidats ferait merveille. Je n'en suis pas certain.
Le Figaro : Que pensez-vous de la suggestion de l'ancien chef d'État d'organiser un référendum sur le quinquennat ?
Bernard Bosson : Je suis sidéré que dans les circonstances actuelles certains puissent croire que la solution aux problèmes des Français soit de proposer un référendum sur le quinquennat. Cela témoigne d'un fort décalage face aux angoisses que vivent les citoyens. Certains semblent croire qu'ils seront plus acceptés pour cinq ans que pour sept ans. Je crois, moi, que l'on est accepté ou pas par les Français.
Le Figaro : Venons-en au CDS. Si Édouard Balladur est candidat à la présidentielle, le CDS sera-t-il sa « garde rapprochée » ?
Bernard Bosson : Nous avons fait savoir depuis longtemps que nous partagions un certain nombre de valeurs avec Édouard Balladur et notamment une certaine vision de l'homme et de la société. Le CDS est le parti de la fidélité. Quelle que soit l'évolution des sondages concernant le premier ministre, la position du CDS ne changera pas. Notre respect affectueux et réel vis-à-vis du Premier ministre doit nous conduire à être des amis loyaux, parfaitement loyaux, mais exigeants.
Le Figaro : Malgré les revers récents du gouvernement, malgré les reculs que certains, y compris au sein de l'UDF, lui reprochent, le CDS restera donc fidèle au gouvernement ?
Bernard Bosson : Il est toujours possible de ne rien faire, mais nous n'en avons pas le droit. Nous devons donc faire des réformes. Seul problème : les Français les réclament à cors et à cris pour les autres mais rechignent dès qu'elles les touchent dans leur vie personnelle.
Prenons l'exemple d'Air-France. De bonne âmes n'ont pas manqué, l'année dernière, de railler la méthode que j'avais employée. Mais, honnêtement, avec le recul, croyez-vous que le plan de reconstruction d'Air-France aurait pu être adopté sans l'ampleur de la crise passée et la prise de conscience qu'elle a permis dans la compagnie ? Pensez-vous qu'il aurait été possible, sans la nomination de Christian Blanc et sans la méthode de participation qu'il a mise en œuvre, de faire accepter ce plan ? Je n'en suis pas certain du tout. Je pense que la crise était, hélas, un passage nécessaire. Cependant, je reconnais que j'ai commis une faute : c'est de laisser Bernard Attali, qui n'avait pourtant pas démérité, trop longtemps en place. Aujourd'hui je ne regrette rien. Je revendique tout. Et je pense plus que jamais que l'on ne peut pas redresser une entreprise à coups de CRS, par la force. Croyez-moi, il est beaucoup plus dur de reculer que de s'entêter. À Air-France, le « recul » a rendu possible la reconstruction.
Le Figaro : C'est cela la méthode Balladur ?
Bernard Bosson : Il y a deux lectures de la méthode Balladur. Certains critiquent les faiblesses, les reculs. C'est tout le contraire. Le premier ministre a la volonté de faire des réformes, mais seulement dans le respect des personnes et avec leur participation. Ceux qui pensent que l'on peut faire des réformes d'en haut et que l'on peut les imposer se trompent de siècle. C'est l'Homme qui doit faire la différence. Et c'est uniquement en le respectant, en le formant et en créant une véritable motivation que l'on peut gagner. Ce qui est nouveau dans cette méthode Balladur, c'est cette volonté de réforme-participation. Participation au capital des entreprises, mais aussi et surtout participation dans le respect des êtres, en essayant de chercher avec eux, par le dialogue, la route à suivre. C'est ce qui s'est passé à Air-France où plus que le référendum, c'est la manière dont ce projet a été dialogué, accepté, porté qui a été exceptionnelle.
Le Figaro : Le CDS doit-il participer à la diffusion de ce modèle ?
Bernard Bosson : Notre parti a un rôle très particulier à jouer. Je suis convaincu que sa vision à la fois personnaliste et communautaire, au service de la personne humaine, peut se décliner dans l'entreprise, au niveau d'une République décentralisée ou au niveau d'une Europe qui ne soit pas simplement un grand marché libéral. Il faut à la fois approfondir et moderniser notre message. Le CDS doit redevenir un lieu d'échange avec les citoyens, un lieu de dialogue. Mon rêve est d'en faire un parti politique moderne.
Le Figaro : À la fin de l'année, le CDS doit renouveler ses instances dirigeantes. Ne pensez-vous pas que Dominique Baudis pourra également prétendre à la présidence ?
Bernard Bosson : Tout le monde est libre de se présenter mais je ne crois pas qu'il puisse y avoir d'opposition entre Dominique et moi.
Le Figaro : Quel est, selon vous, l'enjeu des élections européennes ?
Bernard Bosson : On est à un moment très difficile, historique, de la Communauté européenne. Si nous ne faisons rien pour conjuguer l'élargissement et l'approfondissement de la Communauté, nous allons tout droit vers une zone de libre-échange. Ce serait un drame. Il faut donc inventer quelque chose de nouveau. Je suis favorable à une Europe à plusieurs cercles. Premier cercle et noyau dur : une Europe politique qui ne supprime pas les identités nationales ; deuxième cercle : une Europe monétaire ; troisième cercle : une Europe économique et quatrième et dernier cercle : une Europe de coopération politique. Tous ces cercles doivent être accrochés au cercle central, l'Europe politique, qui doit à terme devenir le cercle unique.
La Démocratie Moderne : 12 mai 1994
Compte-rendu de mandat
Aujourd'hui, après deux ans et demi de travail inlassable, le résultat est net : nos comptes sont en ordre ; des accords ont été passés avec tous nos créanciers ; nos dettes immédiatement exigibles qui atteignaient 39 millions de francs ont été réduites des deux tiers. Notre parti assure une transparence totale de ses comptes : mais, et j'insiste sur ce point l'effort de rigueur extrême qui a été mené depuis deux ans doit impérativement être poursuivi.
Je voulais simplement le rappeler d'un mot car, certains donneurs de leçons d'aujourd'hui, semblent avoir d'autant plus oublié tout cela qu'ils avaient curieusement déserté hier quand la survie du parti était en jeu.
Dans son discours de clôture Bernard Bosson déclare : « Ce congrès, c'est d'abord celui de l'unité du parti derrière Dominique Baudis pour le combat des européennes.
Quelle Europe ?
Il évoque le double défi représenté par : « La nécessité de l'approfondissement, de la démocratisation des Institutions européennes et la nécessité des élargissements ». Il déplore que « nous souffrions de l'absence d'une vision suffisamment claire dans la manière dont nous devons absolument, accueillir les pays d'Europe Centrale et de l'Est ». Il propose pour cela « une Europe à plusieurs cercles ».
Quelle France ?
Nous avons deux chantiers à ouvrir : le plus urgent est celui du partage. Par exemple, pourquoi ne pas négocier sur grande échelle la réduction du temps de travail et du revenu au bénéfice de la création de nouveaux emplois ?
Le second chantier consiste, dans le travail, à replacer l'homme au centre des relations sociales.
L'avenir est à un nouveau personnalisme social qui donnerait à chacun l'occasion d'être plus libre, plus responsable de l'organisation de son travail, mieux informé, plus associé aux décisions, plus intéressé au résultat.
Dans cette France en mutation : quel CDS ?
Mon objectif a toujours été et demeure de servir l'intérêt et l'unité de notre parti qui m'a fait après douze années me battre pour un profond renouvellement. J'ai toujours dit que s'il pouvait se faire sans affrontement cela serait préférable.
J'entends ici ou là certains beaux esprits dire qu'il y a un perdant à ce congrès de Rouen et que ce serait moi-même. Non, chers amis, il n'y a pas de perdant à ce congrès de Rouen, il y a un seul grand gagnant : le parti, notre parti. (…)
Les mêmes poursuivent en disant que bien entendu il n'y aura pas de congrès en décembre. Je suis désolé de les décevoir. Cet engagement a fait l'objet, entre Pierre et moi, d'un échange de parole d'honneur et a été voté à une très forte majorité par le Conseil politique et, dans notre parti, les paroles sont tenues et l'honneur est respecté.
Je vous propose plusieurs objectifs : créer une nouvelle dynamique : il faut dorénavant que la présidence du CDS soit limitée dans le temps, permettant à une équipe de donner le meilleur d'elle-même avant de passer le témoin à d'autres. Il faut que se crée une véritable équipe sans exclusive et sans clan. Il faut inciter à plus de démocratie dans le parti : trop de réunions sans décision et trop de décisions sans réunion. Il faut que les fédérations vivent et que le national à la fois l'exige et l'aide. Nous devons nous ouvrir beaucoup plus à l'heure où les partis politiques se referment sur eux-mêmes. Nous devons être un parti de militants et de cadres, les deux et jamais l'un sans l'autre. J'ai proposé qu'une commission se mette au travail, que sa composition soit soumise au Bureau politique et que sa responsabilité soit confiée à Philippe Douste-Blazy.
Quelle organisation de la majorité ?
L'UDF doit être une alliance électorale forte et au-delà une confédération. Nous devons donc pouvoir être à la fois pleinement et totalement CDS et pleinement et totalement UDF. Mais que l'on ne nous place jamais dans la situation d'avoir à choisir entre les deux.
Il doit être clair pour tout-le-monde qu'il n'y a pas d'avenir pour la majorité sur un échec du gouvernement actuel. Nous devons être exigeants au nom de notre identité, de nos valeurs démocrates-chrétiennes, mais loyaux. Il est regrettable que certains dans la majorité se soient faits une spécialité de la critique gouvernementale au RPR, comme à l'UDF, trop de funambules du soutien critique, trop de voltigeurs de la phrase assassine, qui nous discréditent.
À propos de cette perspective présidentielle. Permettez-moi en tout cas de vous livrer deux certitudes : la première est que tout candidat qui sans accord de l'ensemble de la majorité, se déclarerait avant décembre, porterait la lourde responsabilité de la division ; la deuxième : les Français n'ont pas envie de vivre en 1995 une campagne : avec la division au premier tour comme en 1981 ; les mêmes candidats au premier tour qu'en 1981 ; et la même défaite au deuxième tour qu'en 1981. Nous n'avons pas le droit de condamner la France à 21 ans de socialisme.