Articles de M. Marc Vilbenoit, président de la CFE CGC, dans "La Lettre confédérale" les 8 et 22 juillet 1994, sur la nécessité de consolider la reprise par des mesures de relance de la consommation et la critique des revendications du patronat sur l'allègement des charges des entreprises, intitulés "Rencontre" et "Offensive d'été".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontre de M. Balladur avec la CGC, FO et la CFDT le 5 juillet 1994

Texte intégral

LA LETTRE CONFÉDÉRALE CGC  : 8 juillet 1994

RENCONTRE

Après son intervention télévisée du 27 juin, le Premier ministre a souhaité recevoir les organisations syndicales et patronales. Délaissant la forme des conférences sociales qui avaient prévalu les fois précédentes, Édouard Balladur a opté pour des rencontres bilatérales successives.

Quel est le but de ces consultations ? Sans doute de défendre la politique que conduit le gouvernement, de maintenir une forme de dialogue social, que le patronat n'a pas su ou pas voulu renouer et aussi tester les réactions de ses interlocuteurs avant de s'engager dans de nouveaux arbitrages tant sur l'allègement des charges des entreprises que sur le financement de la protection sociale.

Comme nous l'avions indiqué dès le 28 juin, cette réunion a été l'occasion pour nous de dire en direct au Premier ministre ce que vous pouvez lire chaque semaine dans les éditoriaux ou les réactions de la « Lettre confédérale ». En particulier, nous avons souligné combien notre appréciation sur la reprise économique était nuancée. Les indicateurs sont positifs certes, mais sans que l'on sache s'il s'agit d'un effet durable et solide, surtout lorsque l'on entend entreprises et branches professionnelles se plaindre de leurs carnets de commandes ou de leurs perspectives d'activité.

Une priorité s'impose donc à nous : conforter cette reprise, fragilisée par l'atonie d'une consommation encore en recul pour le mois de mai.

Si la croissance n'est sans doute pas suffisante en elle-même pour résorber avant longtemps le chômage existant, elle est indispensable pour fournir les marges permettant d'agir en faveur de l'emploi.

Conforter l'activité économique en soutenant la consommation exclut tout nouveau prélèvement sur les salariés et donc, tout nouveau transfert de charges des entreprises vers les ménages.

Mais, me direz-vous, et le déficit de la Sécurité sociale que la Commission des comptes vient d'arrêter à 56,4 milliards pour 1993, avec une prévision du même ordre pour 1994 ?

Constatons ensemble qu'une part essentielle en revient aux pertes d'emplois et à la baisse historique des recettes qu'elles entraînent, ainsi d'ailleurs qu'aux exonérations de charges accordées aux entreprises et non compensées par l'État, Stopper cette hémorragie en consolidant la croissance économique est donc un préalable impératif à tout examen d'une réforme du financement, avec ou sans TVA sociale.

De toute façon, cette question nécessite un vrai débat de fond avec le patronat et le gouvernement et non une succession de mesures isolées et fragmentaires Quelle protection sociale à l'horizon de l'an 2000, quelle part prise par les entreprises dans son financement et dans sa gestion, sur quelles assiettes moins défavorables à l'emploi que la masse salariale fonder la contribution des entreprises, comment mutualiser le coût de la solidarité nationale… ?

Si l'on ne répond pas à toutes ces questions en forme d'objectif de société, nous ne serons pas en capacité de reformuler un vrai contrat social dans notre pays.

Dans l'immédiat, nous avons proposé que les moyens que permettrait de dégager une meilleure croissance, soient utilisés en soutien de la consommation et donc de l'emploi. C'est pourquoi nous demandons au gouvernement de tenir ses engagements de baisse de l'impôt sur le revenu - j'ai encore dans l'oreille les propos de Nicolas Sarkozy à notre congrès - par une déductibilité substantielle des charges d'aides familiales.

Ce dispositif aurait deux vertus : alléger les prélèvements sur les ménages et contribuer à créer ces emplois de service aux personnes, de qualité de vie, dont on parle tant.

Le Premier ministre nous a semblé soucieux de conforter la reprise économique plutôt que d'instaurer de nouveaux prélèvements.

Nous l'y avons vivement encouragé.


LA LETTRE CONFÉDÉRALE CGC  : 22 juillet 1994

OFFENSIVE D'ÉTÉ

À l'entrée de la période des congés, le CNPF, à coups répétés, pilonne le terrain - en préparation de quelles échéances ?- et réaffirme fortement ses thèses économiques et sociales.

C'est d'abord son vice-président économique qui a développé, une fois encore, les analyses et les objectifs de l'organisation patronale, pour ne pas dire son credo : couper dans les dépenses collectives qui représentent, selon lui, un frein à la croissance et à l'emploi, Qu'en termes à peine voilés ces choses-là sont dites : il s'agit bien sûr de diminuer le niveau de la protection sociale des salaries. Sont visés particulièrement la Sécurité sociale et le régime d'assurance chômage jugé trop « généreux ».

Comme à l'accoutumée, l'exemple allemand nous est abondamment servi sans qu'à aucun moment ne soit évoqué le fait que les coûts salariaux globaux de nos voisins demeurent sensiblement supérieur aux nôtres, ni pris en compte l'effort et le niveau de dépenses très considérables consentis par les entreprises allemandes en matière de formation et d'insertion professionnelle des jeunes.

C'est ensuite le président du CNPF lui-même, qui, en rappelant les succès obtenus reconstitution des fonds propres des entreprises, baisse de l'impôt sur les sociétés, transfert de certaines cotisations…, décrète qu'il faut aller encore plus loin dans l'allègement des charges des entreprises, ce qui ne manquera pas de les rendre plus compétitives, de soutenir ainsi l'activité économique, et demain… « les embauches reviendront ».

Un théorème maintes et maintes fois asséné depuis des lustres sans que les résultats visibles sur le chômage n'en aient assuré la démonstration. Mais aussi façon de reconnaître, sans vouloir l'avouer, que les entreprises sont les premières responsables de l'emploi. Il n'en reste pas moins que, dans le même temps, le CNPF refuse une fois de plus toute notion d'engagement - a fortiori de contrat - liant l'emploi et la baisse des charges.

C'est encore le président de la Commission sociale patronale qui affirme que nous faisons fausse route, qui laboure le terrain en profondeur sur le même thème du poids des dépenses collectives et appelle de ses vœux leur freinage et d'importantes réformes de structures tout en marquant cependant sa différence en matière de gestion des régimes sociaux. Il ne se fait pas faute d'évoquer la possibilité apocalyptique d'une « faillite généralisée du système » tout en disant qu'il souhaite l'empêcher.

Offensive généralisée donc qui intervient à un moment où nombre de nouveaux sondages soulignent le divorce entre l'entreprise et l'opinion. Il est à cet égard nécessaire de prendre en compte les niveaux inquiétants de dés-implication des salariés - y compris l'encadrement - et la perte de crédibilité des dirigeants par rapport aux orientations et aux politiques suivies par leurs entreprises.

Pas étonnant dès lors que les Français manifestent une réelle inquiétude. Les responsables patronaux devraient considérer attentivement la demande d'une intervention accrue de l'État dans la vie économique (53 % contre 30 % il y a quelques années). La proportion de ceux qui souhaitent que les pouvoirs publics contrôlent plus étroitement !es entreprises a crû de 50 % depuis 1990. Au reflux de la confiance dans les entreprises, correspond .un appel à plus d'interventionnisme de l'État.

Il reste cependant un chemin à explorer, celui de la restauration d'une véritable politique contractuelle qui ne peut se satisfaire d'un quelconque matraquage idéologique ni de la simple réaffirmation des dogmes, mais nécessite une volonté politique et une conscience sociale permettant de dégager la voie vers un nouveau contrat social dans notre pays…

En entendant les autorités du CNPF estimer que le système libéral doit retrouver les aurait-il perdu ? - ses fondements d'humanisme, d'éthique et de responsabilité, condamner une éventuelle régression sociale des sociétés occidentales et lancer un vigoureux appel au développement des emplois qualifiés comme amies maîtresses de notre avenir, je peux me dire que le pire heureusement n'est jamais certain.

Reste à donner un réel contenu à ces affirmations, Beau devoir de vacances et surtout de rentrée.

Bons congés quand même à tous.