Texte intégral
Q. : Depuis plus d'un an maintenant, Alain Juppé a pris en charge la politique étrangère de la France. Une année au cours de laquelle les relations internationales ont été secouées, par bien des événements, où notre pays s'est souvent trouvé en première ligne : devant le rouleau de la guerre en Bosnie, au Rwanda et en Algérie, devant toutes ces turbulences qui font que notre planète paraît aujourd'hui plus dangereuse qu'hier même si des lueurs d'espoir s'allument au Proche-Orient ou en Afrique du Sud. Nombre de questions se posent sur l'efficacité de la diplomatie et sur le rôle de la France dans les bouleversements qui agitent l'Europe et le monde.
C'est pour cela que ce rendez-vous « des Politiques » s'intitule ce matin « de la réussite et de l'échec dans les relations internationales ». Pour en débattre nous ne pouvions évidemment espérer meilleur interlocuteur qu'Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères.
Monsieur le ministre, merci d'avoir accepté notre invitation, et cette effraction d'une heure dans votre emploi du temps, bousculé par ces événements que je rappelais, et bien d'autres encore, j'imagine.
Vous le savez-vous allez dialoguer avec trois intellectuels réunis autour de cette table.
Mais avant de leur céder la parole, je voudrais évoquer l'un de vos très lointains prédécesseurs dans le travail diplomatique, le Baron de Breteuil qui de 1699 à 1715 tint la charge d'introducteur des ambassadeurs auprès de Louis XIV. Ce personnage dont l'Histoire a quelque peu perdu le souvenir fut, cependant, baptisé « l'Important » par la Bruyère parce qu'il entrait dans les plus hauts mystères du royaume. Alain Juppé, vous occupez heureusement une fonction très différente. Vous n'êtes pas introducteur d'ambassadeurs auprès de François Mitterrand.
R. : J'assiste toujours à la remise des lettres de créances.
Q. : Mais diriez-vous comme le Baron de Breteuil, que dans les relations internationales, et au fond, c'est une manière d'évoquer notre sujet, c'est-à-dire leur efficacité, diriez-vous que l'on chemine en aveugle et que l'on ne sait pas trop quelle route tenir pour sûre ?
R. : Je ne dirais pas cela, mais je ne dirais pas le contraire non plus. C'est-à-dire que je ne me flatterai pas d'avancer en pleine lumière, en sachant très exactement quel est le but à atteindre. Mais quand je dis que je ne partage pas le jugement du Baron de Breteuil, c'est que je crois qu'il est possible, en politique étrangère de se fixer une ligne et d'essayer de s'y tenir. Ce n'est pas toujours facile, les événements viennent contrarier en général ce que l'on veut faire. Mais l'absence de ligne est encore plus dangereuse.
Q. : Mais on va beaucoup parler de votre ligne diplomatique. Je voudrais réagir à un propos que vous avez tenu il y a quelque temps et qui venant de vous m'a un peu étonné. Vous êtes agacé du comportement et des discours tenus par des intellectuels. Or, en réfléchissant là-dessus, et en plus vous pensez à un intellectuel qui n'est pas autour de cette table…
R. : Qu'en savez-vous ?
Q. :… et cela permet de ne désigner personne et en l'occurrence, j'ai été étonné de ce propos, parce qu'au fond quel est le rôle de l'intellectuel et quel est le rôle du politique ? Il est évident que l'intellectuel est amené à tenir un certain nombre de discours, à prononcer un certain nombre de vœux, à formuler certains projets alors que l'homme politique exerçant la responsabilité du politique ne peut évidemment pas tenir ces discours et qu'il ne peut pas assumer ces projets et ces vœux.
Donc chacun est un peu dans son rôle, me semble-t-il. Si le politique se met à lancer à l'intellectuel en disant « mais toutes vos histoires quand on est confronté à l'action, cela ne tient pas la route », les intellectuels feront, ce qu'ils font d'ailleurs pour beaucoup et je dirais même pour la plupart, ils ne diront plus rien.
R. : Je n'aurais jamais dû dire ce que j'ai dit parce que s'attaquer en bloc aux intellectuels comme on a cru que je le faisais, c'est à coup sûr se faire taper sur les doigts dans l'instant qui suit. D'autant, et je vais aggraver mon cas, que non seulement les intellectuels sont des irresponsables mais qu'ils sont susceptibles. J'aurais dû tourner ma langue dans ma bouche à plusieurs reprises.
Mais qu'est-ce que j'ai dit que l'on a pris pour une attaque brutale et frontale contre les intellectuels ?
J'ai dit que les intellectuels qui sont, par état, irresponsables, ont donc des coudées franches, je suis prêt à le redire. Je serais même tenté de dire que je persiste et que je signe. Oui, il y a de la part de l'intellectuel et c'est ce qui fait à la fois sa force et parfois, je veux bien le reconnaître, sa limite, un état d'irresponsabilité parce qu'il n'a pas à prendre comme le politique des décisions au jour le jour. Et je crois qu'il n'y a dans cela aucune agression de ma part. J'ai même écrit, et on y a vu une contradiction, quelques mois auparavant, qu'il était heureux que les intellectuels à propos d'un conflit comme la Bosnie remplissent leur fonction qui est précisément de s'abstraire des contingences de la responsabilité.
Q. : J'ai eu le sentiment à vous entendre lorsque vous avez ainsi parlé, Alain Juppé, que les hommes politiques sont susceptibles aussi.
R. : C'est très vrai, et permettez-moi de vous interrompre, mais quelle est la seule catégorie, en France d'ailleurs, sur laquelle tout le monde peut déverser des tombereaux d'injures ? Les politiques.
Q. : Vous avez raison…
R. : Eux, ils ont le droit d'encaisser et jamais de riposter. Alors, voilà, comme j'ai mauvais caractère, il m'arrive aussi de réagir.
Q. : Là-dessus, je vous suis tout à fait. Il est vrai que les hommes politiques ont le pouvoir et ils sont, en même temps, dans un état d'impuissance et ils sont effectivement la cible de tous les quolibets. Je le crois et de ce côté-là, je ne peux que vous suivre. Simplement, je crois que vous ne rendez pas tout à fait justice aux intellectuels qui pour la plupart se sont bien gardés d'intervenir pendant la guerre qui dure encore en Croatie et en Bosnie et qui lorsqu'ils sont intervenus ont souvent renvoyé dos à dos les nationalismes, ce qui laissait les coudées franches aux plus forts et a certains diplomates.
Je voudrais vous poser quelques questions car je fais partie des rares intellectuels qui ont eu un autre comportement et qui vous ont un peu agacé et je voudrais vous poser une série de questions sur votre ligne dans cette guerre. La première question ne sera pas directement diplomatique. Votre prédécesseur, Roland Dumas, a retrouvé sa robe d'avocat quand il a quitté le Quai d'Orsay et il a représenté l'une des parties civiles lors du procès Touvier. Dans une plaidoirie éloquente et assez belle, il a voulu répondre par avance à l'objection de ceux qui pensent qu'il y a quelque chose de gênant à juger Paul Touvier aujourd'hui alors que se déroulent des crimes en Europe et il a dit que la France avait participé à la création d'un tribunal international chargé de juger des crimes de guerre qui avaient lieu aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine et il s'en orgueillissait pour la France parce qu'elle avait eu un rôle moteur pour cette création. Est-ce que vous partagez ce sentiment, est-ce que vous assumez cet héritage, est-ce que, pour vous, cette création est un sujet de satisfaction ?
R. : Oui. Ce que nous essayons de faire, non sans mal, c'est que cette création qui était une idée lorsque nous sommes arrivés, à peine plus qu'une idée, devienne une réalité. Nous nous employons à ce que les juges soient nommés, à ce que le procureur soit nommé, à ce que les procédures soient définies et que le tribunal puisse se mettre au travail. On progresse petit à petit dans cette voie. C'est une question piège, j'imagine ?
Q. : Non, c'est vrai qu'il y en a une deuxième qui va faire apparaître mon scepticisme. Il y a eu en Yougoslavie, dans l'espace yougoslave une guerre d'agression. Le nettoyage ethnique n'est pas une exaction, il fait partie d'un plan concerté pour reprendre une formule forgée à Nuremberg et qu'on retrouve dans le nouveau code pénal, pour parler du crime contre l'humanité. Dans les régions occupées par la Serbie en Bosnie-Herzégovine et en Croatie, il n'y a pas de non Serbes et quand il y en a encore, ils sont soumis à toutes les pressions, à toutes les tortures et même des massacres, donc au nettoyage ethnique.
Cette grande Serbie n'est pas tout à fait réalisée, il y a un petit couloir, le couloir de Brcko qui relie la République serbe de Bosnie, la Krajina et la Serbie même. Si les agressés mettaient la main sur ce couloir, coupaient ce couloir, ce serait la fin de la grande Serbie et les Serbes seraient en quelque sorte asphyxiés. Or, il se trouve que la France préconise aujourd'hui le recours à la force contre toute partie qui lancerait une offensive à Brcko et cet avertissement vaut, surtout semble-t-il, pour les Musulmans qui risqueraient d'être attaqués par les avions de l'OTAN. Et là, je vois tout de même une contradiction massive, peut-être est-elle le fait de la morale de responsabilité entre une justice chargée de juger le crime et une diplomatie qui ne peut rien faire que de le couvrir, de le récompenser, de le rétribuer.
R. : Vous avez mis le doigt sur la question fondamentale. D'abord deux remarques préalables : Agresseurs, agressés, je crois que je suis le premier ministre des Affaires étrangères français depuis le début du conflit, vous me direz qu'il n'y en a pas eu beaucoup, à avoir dit à la tribune de l'Assemblée nationale : « je désigne les Serbes comme les agresseurs dans cette guerre ». Donc, je n'ai pas de complexe sur ce point.
Vous avez parlé de la purification ethnique. Je ne vais pas gloser sur le mot « ethnique » qui convient ou pas – j'ai ma petite idée, mais c'est peut-être un autre débat – en évoquant l'attitude des Serbes, mais permettez-moi de vous dire là aussi qu'il faut aller au fond de l'analyse et que les Croates se sont livrés en plusieurs circonstances et en plusieurs endroits à des opérations de transfert de population qu'on peut assimiler à la purification ethnique.
J'en viens maintenant à votre question et elle est centrale. Nous avons chacun notre analyse, agresseurs et agressés, j'ai dit ce que j'en pensais. Qu'est-ce que l'on essaie de faire aujourd'hui ? C'est cela la question centrale. Quel est l'objectif que se fixe la diplomatie française et la France ?
Eh bien ! Je vais vous répondre avec une brutalité qui peut être vous indignera. Il y a deux perspectives possibles :
La première, c'est de favoriser la poursuite des combats pour que l'agressé puisse reprendre l'avantage sur l'agresseur. C'est une première ligne de conduite que l'on peut se fixer. Et cela se concrétise de manière très précise qui risque d'être prise d'ailleurs d'ici quelques jours : c'est la levée de l'embargo sur la fourniture des armes en Bosnie, levée d'embargo qui a pour but de permettre aux Bosniaques musulmans de s'armer et donc de se défendre et donc de mieux faire la guerre. Eh bien ! je dis que ce n'est pas ma logique. Et je vais un peu au-delà de ma simple opinion personnelle, ce n'est pas la logique de la France, ni du gouvernement français, ni des autorités françaises dans leur ensemble.
Quelle est l'autre logique ? L'autre logique est de dire « il y a une guerre, il y a une agression ». Toute guerre dans l'Histoire se termine par un compromis.
Aujourd'hui, il faut faire la paix. La logique de la France est de faire en sorte qu'on arrive à un règlement de paix qui repose forcément sur un compromis. Ce compromis nous l'avons défini dans un plan qui s'appelle le « plan d'action de l'Union européenne » qui consiste à dire qu'il faut garder une Bosnie en tant qu'État ; il faut qu'à l'intérieur de cette Bosnie, chacune des trois communautés puisse s'administrer aussi librement que possible, en mettant en place un système institutionnel confédéral ou fédéral et en définissant des territoires. Les parties nous ont d'ailleurs donné leur accord sur ce schéma-là. Et c'est cela que nous essayons de faire. Nous n'y arrivons pas à l'heure actuelle et je suis très inquiet de la dégradation de la situation sur le terrain et de l'enlisement du processus diplomatique et il faut savoir que si on n'y arrive pas dans un délai raisonnable, si ce processus de paix ne peut pas être vraiment enclenché, si les grandes puissances ne sont pas prêtes à dire aux belligérants « maintenant, il faut arrêter la guerre et voilà que les conditions que nous vous proposons d'adopter », il faudra que la France change d'attitude. Elle ne pourra pas maintenir indéfiniment des Casques bleus sur le terrain dans les conditions actuelles si une perspective de paix n'apparaît pas. Voilà ce que je réponds à la question fondamentale que vous avez posée.
Q. : Alors sur cette logique, la France…
R. : Cela explique Brcko, cela explique qu'à Brcko, on ne veut pas la guerre et qu'on dise : quelle que soit la partie qui prendra l'initiative du combat, il faut réagir.
Q. : En dépit de mon obsession sur ce sujet, je vais vous poser une ultime question sur ce sujet : vous avez parlé du plan de la France. Ce plan aboutissait à une sorte de divisions en trois zones, en trois républiques. Vous disiez qu'effectivement les Croates avaient pratiqué à leur tour la purification ethnique. Les exactions ont eu lieu entre les agressés en effet. Mais il me semble que ce plan ne pouvait que les encourager à pratiquer ces exactions. Non seulement il ne décourageait pas la purification ethnique, mais en quelque sorte il exhortait à sa généralisation et il se trouve que la seule bonne nouvelle venue de la Bosnie-Herzégovine depuis le début de la guerre, n'est pas le fait de l'Europe mais de l'Amérique. C'est-à-dire un plan de réconciliation entre agressés, les Croates et les Musulmans. La question que je pose est : pourquoi n'est-ce pas la France ou l'Europe qui ont eu cette idée et pourquoi en plus lui avez-vous fait un accueil aussi réservé ?
R. : D'abord, c'est une inexactitude. Je peux vous mettre sous les yeux les déclarations que j'ai faites apportant le soutien entier de la France à la fédération croato-musulmane et je dirais que mettre au seul crédit des États-Unis la conclusion de cet accord, permettez-moi de dire, c'est là que parfois l'indignation est à fleur de peau dans ce dossier parce que je m'y suis beaucoup investi avec beaucoup de conviction depuis des mois et des mois, c'est-quand même une simplification extraordinaire. C'est parce que l'Union européenne a fait tout ce qu'elle a fait dans les mois qui ont précédé, c'est parce qu'elle a dit « voilà le schéma général que nous proposons, voilà la répartition des territoires que nous suggérons, voilà le système institutionnel que nous proposons » que l'accord croato-musulman a été possible. L'accord croato-musulman, et je vais le dire de façon peu diplomatique, c'est la cerise sur le gâteau préparé par l'Union européenne. C'est cela la vérité. Alors que tel ou tel en tire les marrons du feu en intervenant au dernier moment, cela peut parfois, effectivement, un peu susciter des sentiments forts. J'ajoute une dernière chose c'est que j'avais dit et c'est peut-être cela que vous avez interprété comme de la réserve vis-à-vis de cet accord croato-musulman, que cela n'a pas permis de régler l'ensemble du conflit et que cette méthode a trouvé très rapidement sa limite. Et je dis, aujourd'hui, que tant qu'on ne mettra pas les expressions publiques en accord avec les arrière-pensées, tant que les Américains, les Russes et les Européens ne seront pas capables de dire « voilà ce que nous vous proposons maintenant pour faire la paix », eh bien ! on assistera à l'enlisement avec de nouveaux Gorazde, peut-être demain Brcko ou d'autres massacres insoutenables.
Q. : Prenons un peu de recul, si vous voulez bien, j'ai été frappé lors d'une séance à l'Assemblée nationale, je crois par l'une de vos répartis, vous avez dit très vivement, très nettement « qui veut la guerre, qui accepterait que la France fasse la guerre » ?
R. : Vous avez observé à ce moment le silence dans l'hémicycle.
Q. : Oui, parce que les démocraties ne veulent pas la guerre en général, n'aiment pas la guerre en général, c'est leur vertu et en même temps le recours à la force est parfois nécessaire.
Cette question étant très générale, elle ne concerne pas seulement une intervention éventuelle en Bosnie, mais dans bien d'autres lieux. N'y a-t-il pas lieu en ce moment de réfléchir sur la vieille idée du Général de Gaulle qui était l'armée de métier.
Est-ce que c'est un thème qui, de temps en temps entre les ministres non seulement celui chargé des armées, mais vous-même et le Premier ministre, est-ce que c'est un thème qui apparaît ou est-ce qu'on en parle jamais ?
R. : Je ne voudrais pas revenir dans l'actualité la plus immédiate à propos de la Bosnie. C'est vrai qu'il faut poser de temps en temps des questions un peu brutales. On nous dit, en Bosnie, l'Europe n'assume pas ses responsabilités, il faudrait utiliser la force. Je ne me sens pas vulnérable sur ce terrain-là, si je puis dire. Quelle est la seule initiative qui a permis d'envisager pour la première fois l'utilisation de la force dans le conflit de Bosnie-Herzégovine, c'est l'ultimatum de Sarajevo. D'où vient l'idée ? De Paris, tout le monde le sait bien. Elle a ensuite été reprise par les Américains, mise en œuvre par une décision de l'Alliance atlantique, mais cela a été, on a pu espérer en tout cas que ce soit à un certain moment, un tournant dans la guerre. Donc, la menace d'utiliser la force ne me fait pas peur et je crois qu'il y a des circonstances où il faut l'utiliser. De là à vouloir partir à la reconquête de la Bosnie, ce qui implique un corps expéditionnaire de quelques centaines de milliers d'hommes de l'avis de tous les experts militaires, dans une configuration sur le terrain qui s'apparente plus au Vietnam qu'au désert irako-koweitien, il y a un pas que personne n'a franchi aujourd'hui.
J'en viens à votre question : l'armée de métier. Je crois que, compte tenu de l'évolution des menaces à travers le monde, compte tenu de la tournure que peuvent prendre les conflits potentiels, aussi bien en Europe qu'à l'extérieur, compte tenu de la sophistication accrue des armements, il faut de plus en plus avoir des armées de professionnels ; c'est ma conviction personnelle.
Q. : Y compris une armée européenne ?
R. : Et, c'était d'ailleurs le choix que nous avions fait il y a quelques temps. Vous allez me dire que ce n'est pas ce qui figure dans le « livre blanc » ou dans la loi de programmation militaire mise en œuvre par le gouvernement auquel j'appartiens. Il y a un débat, c'est vrai, sur la conscription et le service national en France. Beaucoup sont attachés à l'existence de la conscription comme facteur d'unité de la nation, c'est la raison pour laquelle le choix qui a été fait est de professionnaliser certaines unités, de leur donner des moyens accrus de mobilité, de leur permettre de se projeter sur les terrains d'intervention éventuels, sans aller jusqu'à la suppression totale de la conscription et je crois que dans l'état actuel des choses, ce choix est le meilleur que l'on puisse faire.
Q. : L'armée européenne ? On peut se demander si tant que l'Europe sera économique ou diplomatique ou politique, elle ne sera pas condamnée à l'impuissance surtout dans des affaires comme l'ex-Yougoslavie ?
R. : Je crois l'avoir dit ou même écrit il y a quelques temps, l'Europe ne deviendra une réalité politique que le jour où elle aura la capacité d'assumer sa sécurité et d'assumer également les responsabilités qui lui incombent dans le monde. Il ne faut pas rebâtir l'Histoire, ce n'est pas une science expérimentale, on ne fera pas de reconstitution en laboratoire, mais je crois quand même que l'on peut dire que, si l'Union européenne avait disposé, au moment où le conflit de l'ex-Yougoslavie a commencé à s'amorcer, de la possibilité de projeter sur le terrain 40 ou 50 000 hommes pour s'interposer, les choses ne se seraient pas passées comme elles se sont passées. Je suis très prudent et je suis convaincu que si nous voulons faire l'Union européenne, si nous voulons lui donner une existence politique sur la scène internationale, il faut la doter d'un instrument de ce type. Le Corps européen est une amorce encore timide, encore balbutiante mais qui va dans la bonne direction.
Q. : Il y a une actualité à propos de l'Europe, on vient d'admettre l'intégration dans l'Europe de la Norvège, de la Finlande, de la Suède et de l'Autriche, c'est-à-dire de 4 pays dont trois au moins sont connus pour leur tradition de neutralité.
R. : Ils y ont renoncé.
Q. : Ils y ont renoncé peut-être mais, est-ce bien la meilleure façon de faire cette Europe dont vous parlez, une Europe plus unifiée et notamment du point de vue diplomatique et militaire, en intégrant déjà, d'abord, avant que cette Europe ne soit effectivement réalisée, des pays, du reste, peut-être leur opinion refusera-t-elle cette intégration, mais est-ce bien la bonne démarche ?
R. : J'adhère pleinement à l'objectif de l'élargissement. Le premier que nous venons de réaliser a été fait dans de bonnes conditions, j'espère qu'il ira jusqu'au bout. Vous évoquiez tout à l'heure les ratifications, les référendums, pourquoi a-t-il été fait dans de bonnes conditions ?
Parce que nous n'avons rien sacrifier de l'acquis communautaire. Ce que nous avons construit depuis 30 ou 40 ans, à 6, à 9 puis à 12 est respecté aujourd'hui par les nouveaux adhérents. Qu'il s'agisse de la politique agricole commune, qu'il s'agisse des règles du grand marché ou qu'il s'agisse du traité de Maastricht, des principes qu'il fixe, de la renonciation à la neutralité de la part de certains de ces pays, de leur adhésion à un processus qui consiste à élaborer ensemble une politique extérieure de sécurité commune. J'ajoute que c'est un bon élargissement parce que cela fait entrer dans la Communauté des pays qui sont riches, dont le niveau de vie est supérieur à la moyenne de ceux qui y sont déjà. Ces pays vont être contributeurs nets au budget de la Communauté, c'est donc un ballon d'oxygène ; enfin, ce sont des marchés : c'est 8 % au total par rapport au marché existant des 12, et nos entreprises vont pouvoir y vendre leurs produits agro-alimentaires et autres. Donc, c'est une bonne décision. Il y a la suite, faut-il s'arrêter là, à 16, a-t-on fait le plein ?
Je voudrais faire un petit retour en arrière d'à peine quelques années. Quel était notre discours ? Je pense à tous ici pratiquement. Il y a quelques années, avant que le rideau de fer ne s'effondre et avant que l'URSS ne disparaisse, nous disions à ces pays d'Europe centrale et orientale : « il faut secouer le joug du communisme, une fois que vous l'aurez fait, une fois que la liberté aura remporté la victoire définitive en Europe, vous rejoindrez votre famille qui est la famille européenne à laquelle, pour beaucoup d'entre vous, vous apparteniez avant 1945 et qu'il faut retrouver ». Maintenant qu'ils l'ont fait, nous leur dirions non, plus d'accord, nous gardons la porte fermée, et on reconstruirait une sorte de rideau, cette fois-ci de la richesse et non pas du totalitarisme à l'intérieur de l'Europe. Je ne crois pas que ce soit possible. Je crois que ce serait une grave erreur historique, cela consisterait peut-être à rejeter ces pays dans l'orbite de telle ou telle autre puissance. Nous avons un devoir, un intérêt à les accueillir.
Cela dit, il y a un risque majeur, c'est effectivement le risque de dilution. C'est pour cela qu'après ce premier élargissement dont vous m'avez parlé, qui est quasiment réalisé, avant de passer aux autres élargissements, il y a des candidats - la Pologne et la Hongrie ont déjà déposé leur candidature, je ne parle pas de Chypre et de Malte qui sont déjà inscrits sur la liste depuis longtemps, il y en aura d'autres - il faut remettre de l'ordre à l'intérieur de la maison Union européenne et à l'intérieur si je puis dire de l'Europe centrale et orientale. Remettre de l'ordre à l'intérieur de la maison européenne, c'est réformer les institutions de l'Union européenne.
Comment faire fonctionner une Communauté à 20 ou à 25 et quelles adaptations institutionnelles réaliser pour que ce soit possible ? Je prends un petit détail tout simple et tout matériel, parce que je vis ça chaque fois que je vais à Bruxelles quand le Conseil des ministres de l'Union européenne se réunit. À l'heure actuelle, il y a 12 ministres autour de la table. Sur tous les sujets importants - la Bosnie, on en a parlé des dizaines de fois - on commence par faire un tour de table. Je ne connais pas de ministre qui puisse exprimer sa pensée en moins de dix minutes et encore souvent un quart d'heure. Quand nous serons 16, demain 21 ou 22, le tour de table prendra 3 heures ou 4 heures. Je veux dire que les règles du jeu actuelles doivent être adaptées. Il y a un rendez-vous en 1996, une conférence intergouvernementale ; il faut qu'à ce moment-là, nous soyons capables de faire une réforme institutionnelle qui assure l'efficacité de l'Union européenne. Et puis, sans vouloir être trop long, je dis qu'il faut que les pays candidats fassent aussi le ménage chez eux. Nous ne pouvons pas envisager de faire entrer dans l'Union européenne, des pays qui y transporteraient leurs problèmes de voisinage avec tel ou tel État limitrophe. D'où l'intérêt de l'exercice proposé par Édouard Balladur que les 12 ont fait leur et qui va démarrer dans quelques semaines à Paris, le 26 et le 27 mai, celui de la conférence sur la stabilité qui consiste à dire à la Hongrie, à la Pologne, à la Roumanie, à la Bulgarie : nous sommes prêts à vous accueillir, mais avant réglez vos problèmes de minorités, vos problèmes de voisinages, pérennisez les frontières de façon que, votre situation, une fois que vous serez dans l'Union, soit solide.
Voilà ma démarche. J'ajoute que cela pose quand même, même si l'on arrive à faire tout cela, une interrogation de fond sur la nature du projet européen. Est-ce que dans une telle Europe tout le monde pourra tout faire en même temps, et dans les mêmes conditions, je n'en suis pas sûr. On appelle cela parfois la géométrie variable, les coopérations différenciées, mais est-il tellement choquant pour reprendre la question que vous évoquiez tout à l'heure qui est celle de la sécurité européenne, qu'en matière de sécurité européenne, un certain nombre de grands pays aient plus de responsabilités que d'autres ?
Q. : Non certainement pas, mais cette Europe qui se construit lentement, progressivement, et que nous souhaitons tous parce que nous souhaitons tous que l'Europe soit l'Europe et qu'elle n'exclut personne, cette construction est tout de même en contradiction avec une volonté commune. Nous avons été frappé depuis la guerre du Golfe de l'impuissance européenne en politique extérieure. Il n'y a pas de politique européenne, vous le disiez tout à l'heure. Ne pensez-vous pas qu'en intégrant tous ces pays comme une sorte de priorité, nous retardons d'autant le fait qu'il y aurait une Europe enfin, qui puisse parler pour les Européens et qui puisse agir surtout ?
R. : Je ne suis pas sûr. Pourquoi n'y-a-t-il pas aujourd'hui de politique extérieure et de sécurité commune : parce qu'elle a été instituée il y a 6 mois, il faut quand même le répéter. Le traité de Maastricht qui était tellement combattu, est entré en vigueur le 1er novembre ; avant, l'Union européenne qui ne s'appelait pas comme cela d'ailleurs, qui s'appelait la CEE, n'avait pas vocation à conduire une politique extérieure et de sécurité commune. Ce n'était pas dans le traité, ce n'était pas dans sa vocation. Donc, on est passé à cette étape, on y est passé il y a six mois. Reportons-nous 30 ans en arrière ou un peu plus, six mois après l'entrée en vigueur du traité de Rome, qu'est-ce que c'était que le Marché commun. Rien. C'est vrai qu'aujourd'hui, six mois après l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, la politique extérieure et de sécurité commune, ce n'est pas grand-chose ; on peut en tirer deux conclusions. La première, pessimiste, c'est que cela ne deviendra jamais rien ; et la deuxième, c'est qu'il faut du temps, pour que, petit à petit, avec des efforts, avec l'effet d'entraînement que doivent donner les grands pays, cela commencera à devenir quelque chose. Cela dépendra des grandes puissances. Est-ce que la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, quelques autres sont capables de donner une impulsion à cette Europe en gestation ? Si elles en sont capables, il y aura une politique extérieure et de sécurité commune. Si nous continuons à agir en vertu de simples égoïsmes nationaux, que nous soyons 12, 16, 19 ou 20, cela ne changera rien.
Q. : Malraux disait, « l'Europe se fera sur une menace » c'est-à-dire sur la perception d'une menace commune, ressentie en commun, un projet. On entre là dans la logique du rêve fédéraliste, j'avoue que ce n'est pas le mien.
R. : Mais le mien non plus.
Q. : Il se trouve, que je reviens de Russie. J'y ai passé quelques jours, avec le sentiment que, si l'Europe devait ressentir une menace, c'est peut-être de ce côté-là qu'elle se dessinerait à terme, dans la mesure où, sans exagérer le danger que représente pour l'instant Jirinovski, l'effondrement économique de cette puissance parait irrésistible et peut provoquer des troubles de plus en plus mal ressentis, des difficultés de vivre de plus en plus mal ressenties par une population qui n'est pas nécessairement aussi fataliste que l'on veut bien le dire, et que, le danger là me paraîtrait presque devoir être paré de façon prioritaire. D'où une question double : pensez-vous que dans la hiérarchie des préoccupations d'un ministre des Affaires étrangères, ce qui se passe une nouvelle fois à l'est, mais qui n'est plus une lueur d'espérance n'est pas à placer au premier rang, et deuxièmement, si, pour les pays européens, incluant à terme d'ailleurs précisément, la Pologne et la Hongrie etc. faire face au péril que représenterait un effondrement économique de la Russie ne justifierait pas, de la part de l'Europe, un plan ou un projet ou une initiative je ne sais pas trop laquelle, un plan Marshall - cela ferait bondir les Russes, aucun n'en voudrait - mais une initiative en tout cas en direction de la Russie pour éviter la glissade sur cette pente.
R. : 43,6 milliards de dollars…
Q. :… Je sais.
R. : C'est le plan Marshall même s'il n'en porte pas le nom…
Q. :… Je sais.
R. : Que les pays industrialisés ont avancé à la Russie. C'était à Tokyo au mois de juin dernier ou de juillet, lors du G7. Vous pouvez me rétorquer que seule une partie des 43,6 ou 43,7 je ne sais plus exactement, sont arrivés en Russie. Je veux dire que la volonté des pays occidentaux, parmi lesquels la France bien entendu, et plus que la volonté déjà, la matérialisation, la concrétisation de cette volonté d'aider la Russie existe, nous ne cessons de le faire. Il y a eu ces crédits annoncés, qui petit à petit se mettent en place. Quand je dis que l'on peut être sceptique sur leur arrivée en Russie, je suis un peu pessimiste. D'après les chiffres dont je dispose, la moitié, c'est-à-dire 20 milliards de dollars sont déjà en train de tomber sous forme de prêts ou sous forme de dons. Il y a beaucoup d'autres initiatives que nous avons prises, l'Union européenne est en train de négocier avec la Russie un accord de partenariat qui va faciliter les échanges commerciaux entre la Russie et nous. L'Union européenne apporte beaucoup d'argent. Je crois que cette prise de conscience de la priorité russe…
Q. :… Priorité vraiment ?
R. :… Absolument existe, je le crois. Ce n'est pas une raison pour ne pas lui tenir un langage assez clair et assez ferme. Et je l'ai dit déjà à plusieurs reprises ; nous devons, tout en aidant la Russie, veiller à ce que ne s'accentuent pas trois dérives possibles : d'abord, la dérive non démocratique, c'est vrai qu'il y a eu des progrès, il y a eu des élections, on n'est pas sûr que l'état de droit fonctionne tout à fait encore comme nous souhaiterions qu'il fonctionnât. Il faut être vigilant sur ce point. Deuxième dérive possible, c'est la dérive économique, c'est bien de mettre de l'argent à condition que ce soit efficace.
Il doit y avoir comme l'on dit dans le langage du FMI, une conditionnalité. Il faut vérifier que les réformes qui permettront à cette aide d'être efficace se font, nous le vérifions. Troisième dérive, c'est la dérive nationaliste ou impérialiste. Autant il est normal que la Russie ait un droit de regard sur ce qui se passe autour d'elle – à condition que toute opération de maintien de la paix soit faite sous les auspices de l'ONU ou de la CSCE – autant nous ne pouvons pas lui reconnaître un droit de veto sur ce qui se passe en Europe centrale et orientale par exemple. Je reviens à la citation d'André Malraux, « l'Europe se fera contre une menace ». Il y a cette menace qui est liée à l'instabilité, à l'imprévisibilité de ce qui se passe à l'est. Je voudrais en évoquer une deuxième qui peut-être me ramènera à une conception de l'Europe qui peut nous paraître dépassée, qui est l'Europe économique, mais cela va bien au-delà. Je vois une autre menace, c'est la menace du déclin tout simplement. Je recevais récemment l'ancien Premier ministre de Singapour qui est un homme tout à fait sage et tout à fait remarquable. Il me disait : ce qui se passe au Japon, c'est bien connu, mais jusqu'à la zone côtière de la Chine, et maintenant, la zone côtière de l'Indochine, et puis Singapour, la Malaisie etc. c'est une explosion économique dont vous n'avez pas idée. Il me disait, avec une force de conviction extraordinaire : dans les 20 ans qui viennent, cette zone va devenir la grande zone de croissance et de richesse. D'un autre côté, l'Amérique latine – là aussi, j'en ai pris conscience peut-être un peu-tard – est en train de faire une mutation économique formidable. Le Mexique a desserré le garrot de cette dette, l'Argentine connaît une croissance remarquable, le Brésil, j'étais hier soir avec le ministre des Affaires étrangères brésilien, est aussi en train de connaître…
Q. : Elle s'accompagne d'ailleurs d'une mutation démocratique.
R. : Oui, on va le voir d'ailleurs à l'occasion des élections qui vont avoir lieu. Nous avons là, en Asie Pacifique, en Amérique latine, aux États-Unis a l'heure actuelle avec un retour à une croissance extrêmement forte, des zones économiques extraordinairement dynamiques. Que se passe-t-il en Europe ? 10,5, 12 % parfois de chômage, une incapacité à sortir de la récession dans laquelle nous nous trouvons. Il y a à cela des facteurs conjoncturels, mais il y a aussi des blocages structurels. La grande question est celle-là : est-ce que les ajustements inévitables dans le monde du 21e siècle qui se profile vont se faire au détriment de l'Europe. Allons-nous payer en niveau de vie, en puissance le fait que d'autres vont émerger, ou serons-nous capables d'être à part entière et à part égale dans la compétition ? Je crois que c'est un grand défi et une grande menace et cela exige que l'Union européenne existe et s'affirme en tant que telle et en tant que puissance.
Q. : C'est une Europe voulue d'en haut, ça ?
R. : Non c'est le métier de chacun d'entre nous. Ce n'est pas voulu d'en haut. La constitution d'une force d'intervention européenne n'est pas voulue d'en haut.
Q. : Il n'est pas sûr que l'opinion publique soit préparée, ce n'est pas vraiment le cas, qu'elle reçoive ce message et qu'elle entende ce discours. Raison de plus pour essayer de le dire. C'est presque un propos d'intellectuel ça !
R. : Non, je ne crois pas du tout. C'est un propos d'homme politique en campagne ! Tant qu'on essaiera de mettre dans la tête des gens que l'Europe est une menace, que Maastricht est l'abomination des abominations, que le GATT, c'est terrible parce que cela va délocaliser l'ensemble de nos industries, tant qu'on ne persuadera pas les Français qu'il faut se battre, qu'il ne faut pas être frileux, que la France est un grand pays, que c'est le deuxième exportateur mondial de services, le quatrième exportateur encore sur l'ensemble du commerce mondial et que c'est donc là qu'est la solution : être créatif, mobile, en pointe sur la technologie, on ne fera pas son travail politique et Dieu sait si à l'heure actuelle, les forces politiques qui s'expriment, disent plutôt le contraire de ce que je dis.
Q. : Je voudrais revenir à la guerre en Bosnie. S'agissant de la menace russe et de vos propos parlant de la dérive impérialiste possible, il me semble que le renoncement à un certain nombre de nos principes et notamment le principe de l'intangibilité des frontières – la Bosnie-Herzégovine est un État internationalement reconnu – risque d'aggraver cette menace et en faisant jurisprudence de rendre plus crédible, plus proche encore, cette dérive impérialiste venue de Russie. Je m'installerai au ras des pâquerettes, et je dirai : vous avez dit, que la seule démonstration de force qui ait eu lieu a eu lieu à l'initiative de la France, et c'est l'ultimatum de Sarajevo. Simplement il n'a pas fait tout de suite tache d'huile, et au moment où les Serbes avaient simplement transféré leur artillerie lourde de Sarajevo à Gorazde, le ministre des Affaires européennes, M. Lamassoure, disait qu'à Gorazde, il ne se passait pas grand-chose, il ne se passait rien. On a beaucoup tardé à intervenir à nouveau en ces termes, il y eu un cafouillage extrêmement bizarre. Je voudrais vous poser une question plus générale, ce qui vous énerve chez certains intellectuels…
R. : Je suis un homme calme.
Q. :… C'est le côté « belle âme » des gens qui sont prêts à se battre par soldats interposés. Ce que je voudrais mettre en cause, c'est le réalisme de l'Europe et de la communauté internationale. Je crois que l'attitude européenne n'est pas fonction de la réalité, c'est le discours, c'est la lecture de la réalité qui est fonction d'une attitude première et fondamentale, c'est-à-dire que l'on n'intervient pas. Cela veut dire que l'on privilégie la négociation sur l'intervention et on donne à l'ONU un mandat d'assistance humanitaire plutôt qu'un mandat de rétablissement de la paix, et le reste en découle. À partir de là, il y a quelqu'un qui est plus coupable que les autres mais tout le monde est coupable, et tout le monde doit être réuni autour de la table. Mais j'ai impression que vous faites violence à la réalité pour justifier cette attitude a priori et je la récuse au nom de la réalité d'abord. En tout cas je voudrais que l'on distingue les choses ; ce n'est pas parce que vous avez choisi cette attitude qu'il n'y a pas un agresseur et un seul aujourd'hui encore dans cette guerre, et que faire de ce grand principe de l'intangibilité des frontières à un moment où il y a tant de menaces à l'Est de l'Europe.
R. : Sur ce principe, nous n'avons absolument pas transigé. J'ai rappelé tout à l'heure que, dans le plan d'action européenne qu'on a appelé parfois – excusez-moi de me citer – le plan Kinkel-Juppé, il était bien posé en principe que la Bosnie-Herzégovine restait un État indépendant, membre des Nations unies et reconnu comme tel avec à l'intérieur de son territoire, des communautés s'administrant sur un mode fédéral ou confédéral. Nous ne transigeons pas sur le principe. Le principe de l'intangibilité des frontières est un de ceux qui est posé comme fondement, si je puis dire, dans la conférence de stabilité que nous allons réunir. D'autre part, vous disiez tout à l'heure, excusez-moi de réagir sur le concret que le ministre des Affaires européennes, Alain Lamassoure avait dit : il ne se passe rien à Gorazde. Je voudrais m'arrêter un instant sur ce point parce que c'est très important. Quelle est notre source d'information sur ce qui se passe à Gorazde ou ailleurs sur le terrain ? Ce n'est pas uniquement les dépêches d'agence, excusez-moi de le dire, quelque qu'importance qu'elles aient. Ce sont les rapports des gens qui sont là pour nous dire ce qui se passe, c'est-à-dire la FORPRONU et les observateurs de l'Alliance atlantique. Or, que constate-t-on ? C'est un grand sujet de méditation pour chacun d'entre nous. Tous ceux qui ont une responsabilité sur le terrain sont très divers et ils ont beaucoup changé depuis le début. Il y a eu toute une rotation de civils et de militaires et ils ont tous le même comportement et la même attitude. Ce comportement et cette attitude consistent à minimiser pour éviter l'utilisation de la force. On est dans un contexte un peu paradoxal où ce sont souvent les diplomates qui brandissent plus la menace de la force que les gens qui sont sur le terrain. Je ne les critique pas, je ne me permettrai pas de les critiquer parce que c'est eux qui risquent leur peau et pas moi. Mais il faut se demander pourquoi ? Je crois avoir analysé, ce n'est pas très subtil. Je crois qu'on les a mis dans une situation où ils ne peuvent pas assumer la tâche qu'on leur a donnée. On leur a assigné comme mission de s'interposer et de faire cesser les combats. Ils n'en ont pas les moyens, ils n'ont pas les effectifs, ils n'ont pas les matériels, ils n'ont pas la mission qui leur permettrait de le faire. Qu'essaient-ils de faire tout naturellement : d'éviter l'affrontement, de négocier, de rechercher des cessez-le-feu, de faire en sorte que les ultimatums jouent leur rôle. Il faudrait s'interroger. Qui est responsable ? Je crois que ceux qui sont responsables, ce sont les puissances qui ne donnent pas à la FORPRONU les moyens d'accomplir sa fonction. Il y a plus d'un an que le Secrétaire général des Nations unies a dit : il me faut pour faire respecter les seules zones de sécurité, 7 500 hommes supplémentaires. Quel est le seul pays au monde qui a dit : « J'en envoie 1 000 de plus ». La France. Elle ne l'a pas dit, elle l'a fait. Ailleurs, je ne veux citer personne, on nous dit, on est prêt et rien n'arrive. Là aussi il faut vraiment bien cerner les responsabilités. Ce que je voudrais dire une bonne fois pour toute, en revenant sur notre introduction de tout à l'heure et sur mes rapports avec les intellectuels, même si je les ai un peu piqués et titillés, je ne conteste pas leur rôle et ce qu'ils font, j'ai même écrit que c'était indispensable, que s'ils ne le faisaient pas, on se serait encore plus assoupi qu'on ne l'a fait. Je voudrais simplement que l'on distingue bien le rôle de chacun. Je ne sais plus quel sociologue a dit qu'il y avait une éthique de la conviction et une éthique de la responsabilité. La responsabilité n'exclut pas les convictions, je voudrais que les convictions n'excluent pas tout à fait la responsabilité non plus.
Q. : À propos de l'engagement par les différentes puissances, êtes-vous préoccupé par la décision récente de Bill Clinton que l'on appelle la directive présidentielle 13 qui manifeste visiblement un changement de philosophie dans la politique extérieure américaine. Les États-Unis annonçant visiblement une réduction de 30 à 26,5 % de leur participation dans les opérations de maintien de paix de l'ONU et l'annonce que les Casques bleus américains seraient désormais directement sous l'autorité du Président des États-Unis ? Que pensez-vous de cette nouvelle doctrine, vous inquiète-t-elle ?
R. : Qu'un pays comme les États-Unis et comme la France, avant d'engager ses soldats dans des opérations de maintien de la paix définissent les conditions précises auxquelles ils sont prêts à le faire, c'est normal, les États-Unis l'ont fait, la France l'a fait aussi. Nous avons en ce moment une réflexion entre ministres et avec le concours de parlementaires sur notre doctrine en matière d'opérations de maintien de la paix. Je dois dire que par exemple, poser comme condition à la participation, que les objectifs d'une opération soient clairement définis, que sa durée soit également clairement définie, que la rotation des Casques bleus sur le terrain soit prévue, tout cela ne me choque pas, je pense que c'est même absolument indispensable. On a vu quelles peuvent être les conséquences désastreuses d'une opération dont les objectifs politiques ne sont pas fixés, et les modalités bien définies, c'était la Somalie. De là, peut-être d'ailleurs la nouvelle réflexion et la position américaine. Donc, cela est normal me semble-t-il. Si cela devait aller jusqu'à un retrait ou une abstention face aux drames qui se passent sur la planète, alors ce serait inquiétant. Je crois que la bonne voie, ce serait plutôt de renforcer, de rationaliser, d'organiser les Nations unies dans ce domaine et nous avons fait, nous Français avec d'autres d'ailleurs, une proposition dans ce sens qui consisterait à constituer une sorte de force en attente à la disposition du Secrétaire général des Nations unies, préparée, équipée, sur laquelle il pourrait tirer en fonction des problèmes qui peuvent se poser et des crises qui peuvent éclater. Je regretterai profondément que les États-Unis se mettent à l'écart de l'effort de rationalisation.
Q. : Avez-vous vu cette étrange enquête de Newsweek sur la France qui a donné lieu à quelques échos de presse tout récemment et dans laquelle notre pays est représenté, à grand renfort d'images montrant des « tagueurs » dans le métro, des poubelles déversées sur les trottoirs et des pauvres gens faisant la queue devant des boulangeries. Là, nous avons vraiment l'impression que notre message ne passe pas ; que notre image est perçue d'une manière incroyablement négative. C'est vrai aussi en Angleterre, où j'ai l'impression, qu'on nous dépeint aussi d'une manière assez pessimiste, la « french grandeur » visiblement irrite les anglo-saxons. De surcroît, c'est un peu ma Bosnie-Herzégovine à moi, je ne suis pas sûr que la protection, les mesures de replis, la protection de notre langue jalouse et véhémente, contre la force supposée a priori supérieure de l'adversaire soit psychologiquement la meilleure manière finalement de nous imposer sur ce théâtre. Que peut faire un ministre des Affaires étrangères, quelles résistances rencontre-t-il concrètement lorsqu'il a à faire à ses homologues anglo-saxons, et que peut-il faire pour essayer de franchir cette barrière qui devient absolument ridicule, insensée et tout à fait horripilante ?
R. : La première chose que je peux faire, c'est de ramener les choses à de justes proportions. Je ne suis pas sûr que vous ne trouviez pas dans la presse française de présentation de la réalité américaine qui soit aussi apocalyptique que celle que Newsweek a faite de la réalité française. Je suis même sûr du contraire. On nous dit aussi que la misère aux États-Unis frappe des millions de personnes, ce qui est sans doute vrai d'ailleurs. Le crime, la drogue, on nous peint Los Angeles ou quelques grandes villes américaines comme des lieux invivables et insupportables. Il y a sans doute des problèmes comme il y en a en France, mais quand je me déplace aux États-Unis, je n'ai pas l'impression d'être dans un pays au bord de l'effondrement. Quant à nos relations avec les Britanniques, c'est une longue histoire. On dit beaucoup de mal de nous de l'autre côté du Chanel, pardon, du détroit, et inversement. Je crois qu'il faut relativiser les choses. Mon problème, puisque vous m'interrogez en tant que ministre des Affaires étrangères, ce n'est pas tellement celui-là, ce n'est pas d'essayer de convaincre que la France a des ambitions, qu'elle peut apporter quelque chose sur la scène internationale, que c'est un grand pays, cette idée existe. Dans une conférence internationale quand le ministre français prend la parole, ce n'est pas parce que c'est moi, ça compte. Mon grand problème, c'est de savoir si nous avons les moyens de ces ambitions. Les ambitions on les a, la grandeur elle est là, le rôle qui est le nôtre, l'importance qu'on attache à nos propos sont encore intacts, on le voit bien. Sur la Bosnie, on ne va pas y revenir trop longuement, les Américains ont bien compris que cela passe par Paris, entre autres, j'allais dire d'abord, ce serait un peu présomptueux mais disons entre autres. De même, sur le GATT, on a bien vu le rôle leader qu'a joué la France dans la négociation, et beaucoup de chancelleries se disent ; si on veut prendre pied politiquement dans l'Union européenne, il faut s'adresser à la France. Moi je ne suis pas pessimiste sur le rôle qui peut être le nôtre ; simplement, il faut que nous en ayons les moyens parce que tout cela ne sera que de la poudre aux yeux s'il n'y a pas derrière, une vitalité économique, une vitalité culturelle, une vitalité linguistique. Je vous rejoins en partie, et en même temps, des moyens qui permettent de mener une action extérieure qui en soit une.
Q. : Des moyens mais aussi peut-être une volonté ? Parce que je voyage un peu, je suis allé en Russie aussi, et dans d'autres pays. J'ai pu constater que le français, la langue française, la culture française étaient partout en régression. En Russie, il faut dire cependant qu'il existe depuis trois ans un collège universitaire à Moscou, un à Saint-Pétersbourg qui sont soutenus par le ministère des Affaires étrangères et je crois que nous sommes le seul pays à avoir créé cela. Donc c'est très bien. Dans l'ensemble du monde, nous avons une infrastructure tout à fait remarquable d'instituts français, d'alliances françaises etc. Très bien, les choses sont en place.
Malheureusement, les moyens font terriblement défaut. Quand on va dans ces instituts, on s'aperçoit qu'ils manquent de tout. Et si les moyens font défaut, très souvent, c'est parce qu'il manque une volonté ou plus exactement – parce que je ne doute pas ici qu'il y ait une volonté de présence culturelle – mais une continuité dans l'effort. Je suis très frappé de cela ; quand on revient deux ans ou trois ans plus tard dans le même lieu, on s'aperçoit, parce que tel ou tel responsable a changé, les choses ne sont plus les mêmes. Je reviens depuis peu de jours de Barcelone. En Catalogne, il y a, il y avait une présence de la langue, de la culture française extrêmement vives, et aujourd'hui on s'aperçoit que c'est l'anglais qui domine et qui domine partout. Sans doute est-ce irréversible mais il me semble que la politique un peu gaullienne dans ce domaine fait apparemment défaut.
R. : Peut-être avez-vous raison, c'est une interpellation. Je ne suis pas sûr que ce soit la volonté, peut-être quand on regarde bien au fond des choses, mais ce sont aussi les moyens. S'il y avait la volonté, il y aurait les moyens me direz-vous ! Je regardais ce matin une courbe très intéressante qui compare le budget de la Culture en France hexagonale et le budget d'intervention culturelle extérieure de la France. On était à peu près au même niveau au début des années 1980 et aujourd'hui, le budget de l'action culturelle extérieure représente le tiers du budget de l'action culturelle intérieure. On a massivement privilégié l'action culturelle intérieure. Et on a délaissé depuis dix ans l'action culturelle extérieure. C'est vrai que pour redresser la situation, il faudrait un long passage au ministère des Affaires étrangères.
Q. : Vous disiez tout à l'heure que la seule catégorie dont on pouvait se moquer, c'était celle des hommes politiques, je pense que c'est vrai. C'est vrai que quelquefois, il faut être blindé. Je crois qu'il y a un homme politique aujourd'hui qui subit plus que tous les autres et dont je voudrais prendre la défense tout en restant dans le sujet, il s'agit de J. Toubon. Je ne peux pas aujourd'hui ouvrir la radio, ouvrir France-Inter où il m'arrive d'écouter les informations sans entendre les uns ou les autres ricaner à n'en plus finir sur cette loi sur la langue française. J. Toubon ayant fait une loi sur la langue française est brocardé unanimement par ses amis politiques, par ses ennemis politiques, par la classe journalistique tout entière. Or, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de faire en sorte que l'on parle français dans l'espace public français et l'exaspération des publicitaires, qui sont interviewés aujourd'hui comme les nouveaux magistrats de la pensée, qui sont en fait des abrutisseurs prétentieux dont la mainmise sur la télévision a tué la télévision, cette exaspération devrait nous faire plaisir. Je me pose la question de savoir si une loi peut permettre de résister à un processus planétaire d'uniformisation. Peut-être pas, et peut-être qu'il a quelque chose là de disproportionné. Mais ce que je trouve absolument insupportable, c'est que ce processus soit peint aux couleurs de la liberté, et d'entendre dire les socialistes que c'est une loi anti-jeune, comme si tout d'un coup, ce processus d'uniformisation, c'était la jeunesse, c'était la liberté. Et ça concerne l'Europe, que va-t-on faire de l'Europe, va-t-on cultiver le pluralisme européen et notamment son pluralisme linguistique, ou va-t-on, pour que l'Europe tienne son rang et son rôle, l'adapter à marche forcée à ce processus planétaire, va-t-on créer l'Europe pour que l'uniformisation aille plus vite. Il me semble que cette loi sur la langue française devrait nous amener à réfléchir à cette question plus large.
R. : Je suis de votre avis. Pour ma part je n'ai pas brocardé J. Toubon. J'ai même dit hier sur les antennes de TV5 en m'adressant à des millions de téléspectateurs répartis sur toute la planète que je trouvais l'idée très bonne. On peut peut-être discuter sur telles ou telles modalités d'application mais le concept me paraît bon, le concept de défense de notre langue. Il y avait sur le plateau dans cette émission hier, deux Canadiens, qui se sont battus là-bas pour défendre leur langue. Ne sommes-nous pas nous d'une certaine manière aujourd'hui colonisés ? Je vais vous donner un exemple : autour de la table des Douze à Bruxelles, il y a quelques années, les deux tiers des ministres parlaient français ; aujourd'hui, je suis le seul ou presque, il reste le Luxembourgeois, et le Belge.
Q. : Ce n'est pas avec une loi...
R. : Bien sûr que ce n'est pas avec une loi, mais la loi ne peut pas être nuisible, elle n'est pas suffisante mais elle peut aider. Aujourd'hui, quand nous étions à la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères, on était 12 dans un premier temps, je parlais français, le Luxembourgeois parlait français, le Belge parlait français, le Portugais de temps en temps ; on est passé à 16 avec l'Autrichien le Suédois, le Finlandais et le Norvégien. J'étais le seul à continuer à parler français. Il y a un problème incontestablement, il faut faire des efforts, il faut par exemple dégager de l'argent parce que cela passe par là, il faut être un peu trivial pour faire à Bruxelles, des actions des formations des fonctionnaires internationaux qui y travaillent. Il faut leur apprendre le français. Si on ne le fait pas, petit à petit les choses vont s'éroder.
Au-delà bien sûr de ce dispositif législatif, il faut quelque chose de plus. Je suis persuadé que le rayonnement linguistique et culturel d'un pays n'est que le reflet de sa vitalité interne. Est-ce que ce pays est fort, est-ce qu'il vit, se développe-t-il, est-il créateur et créatif, ou est-il en train de s'assoupir et d'entrer en déclin.
Si nous sommes en déclin, soit nous nous résignons et on aura beau faire toutes les lois que l'on voudra, on ne sauvera pas le français. Derrière la loi, il faut une ambition nationale, il faut un projet, il faut un réveil.
Q. : On a besoin de professeurs et de créateurs, pas de contrôleurs des fraudes et de douaniers ?
R. : Sauf contre les escrocs et les faussaires, qui de temps en temps en prennent à leur guise. Et puis je voudrais rajouter quelque chose, je vais aggraver mon cas vis-à-vis des intellectuels. Vous disiez tout à l'heure que la totalité des intellectuels brocardent cette loi, je ne sais pas s'il y a eu des sondages mais, je suis sûr que si on faisait un sondage, dans l'opinion publique, y compris chez les jeunes, elle serait très populaire, en tout cas dans son principe et dans son objet.
Q. : La diplomatie, c'est souvent affaire de durée et de discrétion. Comment peut-elle être efficace justement lorsqu''elle vit de plus en plus sous la dictature de l'éphémère, de l'émotion, et de la transparence qu'impose la classe médiatique.
R. : Difficilement, on pourrait prendre de multiples exemples.
Q. : Le dernier étant cette semaine le spectacle offert par le refus d'Arafat de signer tout d'un coup l'accord avec Israël ?
R. : Oui, mais j'avais en tête d'autres exemples. Combien de fois me dit-on : vous n'avez pas dit que, vous n'avez pas dénoncé telle situation, vous n'avez pas condamné telle pratique. Je regarde dans mes papiers, je l'ai fait 8 jours avant, mais ce qui a 8 jours d'ancienneté dans le monde ou nous vivons est totalement oublié. Nous sommes sous une telle pression, que la mémoire, c'est un peu banal que de le dire du téléspectateur ou de l'auditeur moyen mais aussi du responsable moyen et de l'homme politique moyen, ne dépasse plus 48 heures. C'est très pénible, il faut se répéter. C'est la seule solution mais c'est pénible.
Q. : Avez-vous envie de continuer dans ce métier et de ne pas céder à la tentation de Venise ?
R. : J'aimerais bien céder à la tentation de Venise mais a titre de repos transitoire. Je ne crois pas donner l'impression que la tâche parfois assez écrasante, il faut bien le dire, qui est la mienne aujourd'hui m'inspire un manque d'enthousiasme. Non, c'est très excitant, très passionnant, très difficile, on a parfois un sentiment d'impuissance, c'est vrai, et puis, de temps en temps, on se donne l'illusion peut-être d'être utile a quelque chose.