Texte intégral
Q. : Il semble que l'AIEA n'ait pas pu lever les inquiétudes qui pèsent sur le programme nucléaire de la Corée du Nord. La France est-elle favorable à l'imposition de sanctions par le Conseil de sécurité contre Pyongyang ?
R. : La France est très préoccupée par l'attitude de la Corée du Nord, qui ne respecte pas ses engagements. Cette situation menace la stabilité régionale et la sécurité internationale, en particulier vis-à-vis de nos amis sud-coréens. Depuis un peu plus d'un an que ce pays a annoncé son intention de se retirer du Traité de non-prolifération sur les armes nucléaires, nous avons très clairement, et à plusieurs reprises, indiqué qu'il devait reconsidérer cette décision et que l'AIEA devait pouvoir exercer librement son contrôle, sur les sites déclarés ou non déclarés, comme le prévoit l'accord de garanties.
En un mot, la France estime que la Corée du Nord doit honorer ses obligations. Cette position est également celle de la communauté internationale, puisque le Conseil de sécurité a adopté au mois de mai dernier une résolution en ce sens, la résolution 825, et encouragé la recherche d'une solution.
Malgré cela, et en dépit des diverses consultations engagées, comme l'accord qui est intervenu en février, la Corée du Nord persiste à mettre des entraves aux activités d'inspection de l'Agence de Vienne. Dernièrement, elle a refusé aux inspecteurs de l'AIEA certaines opérations indispensables qui auraient pu permettre de vérifier le non-détournement de matières nucléaires en Corée du Nord depuis les dernières inspections de février 1993.
Cette attitude n'est pas acceptable. La politique de non-prolifération, la lutte contre la prolifération, sont une des grandes priorités de la politique étrangère française. Nous fondons beaucoup d'espoir sur le renouvellement du TNP en 1995. Nous souhaitons que ce traité reste universel, sans nouvelles conditions, et, de ce point de vue, nous condamnons tout à fait l'attitude de la Corée du Nord.
Le Conseil de sécurité a donc été saisi d'un texte, qui est en cours de discussion, pour appeler une nouvelle fois la Corée du Nord à respecter ses engagements et lui lancer un ferme avertissement afin que les inspections de l'AIEA puissent se dérouler. J'estime que si Pyongyang devait persister dans son refus et continuer de remettre en question ses engagements en matière de non-prolifération, la question des sanctions devrait être posée au Conseil de sécurité. Si la persuasion est insuffisante, il faut que le Conseil puisse imposer les sanctions qui sont nécessaires. Je considère, pour ma part, qu'il faut rester très vigilant.
Q. : Le Président Bill Clinton a annoncé ce mois-ci la prolongation par les États-Unis du moratoire sur les essais nucléaires pendant un an. En France, plusieurs responsables politiques ont demandé une reprise des essais nucléaires français pour maintenir la crédibilité de sa dissuasion. Êtes-vous favorable à une révision de la position de la France sur celle question après 1995 ?
R. : La France a noté la décision du Président américain de prolonger le moratoire sur les essais nucléaires jusqu'en septembre 1995. Comme vous le savez, la France, a pour sa part, suspendu ses essais nucléaires, le 8 avril 1992.
L'essai nucléaire effectué par la Chine le 5 octobre 1993 est venu interrompre une période d'un an au cours de laquelle le monde n'avait pas connu d'expérience nucléaire. La France s'est ainsi trouvée placée face à une situation nouvelle, dans laquelle elle a tenu à affirmer très clairement les deux objectifs complémentaires de sa politique en ce domaine. Le premier objectif est que notre pays puisse préserver une force dissuasion crédible et suffisante pour protéger ses intérêts vitaux. Il est essentiel que la France dispose en toutes circonstances des moyens nécessaires à cet objectif.
Le deuxième volet indissociable de cette politique est de contribuer aux efforts entrepris par la communauté internationale dans le domaine de la non-prolifération et de la limitation des armements. Ainsi, la France entend-elle en particulier prévenir la prolifération des armes nucléaires en participant à la négociation d'un traité d'interdiction des essais qui devra être, comme le prévoit le mandat de négociation, d'application universelle et doté d'un régime international efficace de vérification.
En effet, le futur traité d'interdiction ne prendra toute sa signification que s'il impose des contraintes à tous les États, y compris bien entendu, à ceux qui cherchent à acquérir l'arme nucléaire. Il est indispensable par ailleurs que les signataires de ce traité aient la garantie qu'il sera effectivement respecté et mis en œuvre : seul un régime international efficace de vérification pourra apporter cette garantie.
C'est sur ces bases que la France s'est engagée à participer aux négociations pour un traité d'interdiction des essais qui se sont ouvertes le 25 janvier dernier dans le cadre de la Conférence du Désarmement à Genève. Cependant, notre volonté de maintenir à notre force de dissuasion sa crédibilité et sa suffisance implique, comme l'a déclaré le Premier ministre devant l'Assemblée nationale, le 13 octobre 1993, que "nous ne souscrirons à aucune interdiction définitive des essais aussi longtemps que nous aurons le sentiment qu'ils sont indispensables à la crédibilité technique de notre force de dissuasion". Nous n'avons pas changé d'avis sur ce point.
Q. : À quelques semaines de la signature des accords du GATT à Marrakech, les tensions commerciales se sont ravivées entre les États-Unis et ses principaux partenaires, le Japon et l'Union européenne. Pensez-vous que la création de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) permettra d'amener les États-Unis à régler leurs différends commerciaux dans un cadre multilatéral ? La France et le Japon peuvent-ils coopérer davantage dans ce type de négociations ?
R. : La création de l'OMC devrait permettre d'instaurer un ordre plus équitable dans le domaine du commerce international, trop souvent régi par la seule loi du plus fort. Certaines menaces récentes laissent à penser que notre ferme vigilance doit continuer à s'exercer et qu'il faudra, de la part de tous les acteurs du système multilatéral, une totale résolution pour faire respecter par chacun, fût-il le plus puissant, les règles auxquelles il aura souscrit le 15 avril à Marrakech, qui prohibent désormais l'unilatéralisme.
Le Japon a certainement un rôle majeur à jouer pour veiller à ce que cet objectif soit atteint. Il peut y contribuer, à mon sens, de deux manières.
Il importe, en premier lieu, qu'il n'accrédite pas, en consentant des concessions unilatérales à ceux qui brandissent des armes comme la "super 301", la thèse que la force paie.
Mais il serait mieux encore que, grâce à des progrès vigoureux dans la voie de la déréglementation et de l'ouverture effective de son marché, il montre qu'il joue en fait pleinement le jeu de l'ouverture multilatérale.
La France et la Communauté, qui ont lutté vigoureusement et, il faut bien le dire, parfois dans une certaine solitude, pour obtenir la création de l'OMC, n'en sont que plus à l'aise pour refuser de s'associer aux menaces de rétorsions commerciales unilatérales, comme on le leur a proposé.
Nous attendons de la part du Japon que, par des gestes significatifs, il justifie cette attitude cohérente et fondée sur la volonté d'un développement équilibré et loyal des échanges.
L'accord sur les automobiles a été notifié au GATT et il figure parmi les textes qui seront signés à Marrakech le 15 avril prochain. Il est donc parfaitement cohérent avec les règles du GATT.
L'accord actuellement en vigueur donne satisfaction à l'ensemble des parties et la France, pour sa part, s'en félicite d'autant plus que la conjoncture très défavorable de l'année dernière en compliquait la mise en œuvre.
Il conviendra sans doute, avant son échéance, le 31 décembre 1999, d'apprécier la meilleure façon de parvenir à la libéralisation totale du marché communautaire. Diverses options pourront être envisagées, parmi lesquelles la prolongation de l'accord.
J'observe cependant que les relations entre la Communauté et le Japon dans le secteur automobile ne devraient pas se limiter à ce dispositif. La Communauté a déjà clairement indiqué le prix qu'elle attachait à une meilleure coopération entre nos industriels respectifs, notamment avec l'objectif d'un approvisionnement de l'archipel en équipements automobiles.
Nous observons avec attention les discussions nippo-américaines à cet égard. La France, comme je l'ai indiqué ci-dessus, ne comprendrait pas que, sous la menace, le Japon consente des avantages unilatéraux aux fournisseurs américains alors qu'il resterait fermé aux nôtres qui détiennent dans ce secteur un savoir-faire reconnu.
La Communauté et la France s'attendent à ne pas être pénalisées par leur attitude fidèle à l'esprit du multilatéralisme et fondée sur la coopération.
Q. : La France a demandé la prolongation de l'accord entre la CEE et le Japon sur la limitation des exportations de voilures japonaises en Europe. N'est-ce pas contradictoire avec l'esprit des accords du GATT ?
R. : Le Japon et la Communauté européenne sont parvenus le 19 Mars à un accord sur les conditions d'application en 1994 de l'arrangement sur les automobiles de 1991. Il faut avoir une approche réaliste et pragmatique dans la mise en œuvre de cet arrangement, tenant compte de la conjoncture sur le marché automobile dans l'Union européenne. Cette conjoncture a été mauvaise en 1993, et les prévisions, en dépit de certaines améliorations, restent maussades pour 1994. Jusqu'à maintenant, la morosité des marchés a été telle qu'il n'a pas été possible d'en tirer toutes les conséquences sur le volume des exportations japonaises à destination de l'Europe, selon les modalités qui avaient été prévues à l'origine. Nous espérons donc que, dans les prochaines années, l'amélioration de la conjoncture facilitera la mise en œuvre de l'arrangement. Et je crois, à ce stade, qu'il faut considérer sa prolongation comme une hypothèse, parmi d'autres. C'est l'avenir qui nous éclairera.
Q. : La normalisation récente des relations franco-chinoises annonce-t-elle une réorientation de la politique de la France dans la région Asie-Pacifique ?
R. : La normalisation récente des relations franco-chinoises était une nécessité. La situation que j'avais trouvée à mon arrivée comme ministre des Affaires étrangères, à savoir l'absence de tout contact politique et une discrimination nette à l'encontre des grandes entreprises françaises en Chine n'était pas acceptable et ne pouvait durer. Je me suis donc tout de suite fixé comme objectif le rétablissement de meilleures relations avec Pékin.
Il était toutefois indispensable de tenir les engagements qui avaient été pris à l'égard de Taiwan. La parole de la France était engagée. Les discussions avec Pékin ont donc été longues et difficiles mais nous sommes arrivés à un accord qui remplit cette condition. La visite à Pékin du 7 au 10 avril du Premier ministre, que j'accompagnerai, devra maintenant donner un nouveau départ à nos relations.
Cette normalisation témoigne de l'importance que nous accordons à l'Asie. Cet intérêt ne se limite pas bien sûr à la Chine et mon propre voyage au Japon et en Inde montre bien que nous nous intéressons à l'ensemble de la zone à la fois sur le plan économique – mon collègue M. Longuet vient de lancer une initiative pour l'Asie – et sur le plan politique – je citerai le rôle actif que nous jouons à l'AIEA ou aux Nations unies sur le dossier nord-coréen. Je verrai d'ailleurs mon homologue sud-coréen à Paris dès mon retour de Pékin.
Q. : Les relations franco-japonaises sont essentiellement marquées par les questions commerciales. Malgré des projets de concertation régulière entre nos deux pays, ceux-ci, n'ont pas été mis en œuvre. Avez-vous quelques idées pour renforcer le dialogue politique entre la France et le Japon ?
R. : Il est inexact de dire qu'il n'existe pas de consultations régulières entre la France et le Japon. Au contraire le Secrétaire général de mon ministère et votre vice-ministre des Affaires étrangères se rencontrent deux fois par an à Tokyo ou à Paris et ces contacts sont très utiles. Les rencontres entre hauts fonctionnaires des deux ministères des Affaires étrangères sont, elles aussi, fréquentes.
Au niveau ministériel, il est vrai que la visite que je vais entreprendre la semaine prochaine est attendue depuis longtemps. Mais je suis déjà venu deux fois à Tokyo pour des réunions internationales depuis un an, et j'ai rencontré votre ministre à Paris en juin. Cette année votre Premier ministre viendra en France, sans même parler de la visite très attendue de Sa Majesté l'Empereur à l'automne. Si le dialogue politique vous semblait un peu limité, vous voyez que cette période appartient au passé. Et c'est une bonne chose, car nous avons, des deux côtés, intérêt à un dialogue étroit et confiant.
Je souhaiterais, si vous le voulez bien, insister sur un point particulier de notre dialogue politique, et je crois que cette question intéresse beaucoup l'opinion publique japonaise ; je veux parler de la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies. J'ai déjà eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que nous vivions à la fin du XXème siècle, à l'aube du troisième millénaire, et plus en 1945. Il fallait donc tenir compte des réalités nouvelles, des réalités politiques, des réalités économiques, bref, des grands bouleversements qui se sont produits sur la scène internationale. Dans ce contexte, il faut mettre à jour la composition du Conseil de sécurité en y faisant entrer de nouveaux membres permanents. Il me semble que le Japon et l'Allemagne y auraient toute leur place.
Ceci implique une réflexion approfondie parce qu'il faut sauvegarder l'efficacité du Conseil de sécurité. Il faut en même temps respecter un équilibre entre le Nord et le Sud, entre les grandes zones géographiques de la planète. C'est ce dont on discute à l'heure actuelle dans le groupe spécial de travail qui a été mis en place. Les choses avancent, espérons qu'elles pourront aboutir favorablement.
Q. : Maintenir l'efficacité du Conseil, c'est la condition ?
R. : Oui. Si on est trente, cela ne sert plus à rien. À l'heure actuelle, à quinze, cela marche bien. Il faut un bon équilibre. Je crois que la fourchette qui a été évoquée dans les travaux de la Commission spéciale est entre vingt et vingt-cinq. Moi je souhaiterais que l'on soit plus proche de vingt que de vingt-cinq.
Q. : Le Japon et l'Allemagne seraient membres permanents avec un droit de vote comme c'est le cas des cinq permanents actuels ?
R. : Ne soyez pas trop curieux… Cela se discute à l'heure actuelle. Mais je ne suis pas favorable à ce que l'on crée de nouvelles catégories de membres permanents. Il y a les membres permanents, avec tous les droits et obligations qui s'y attachent, et puis il y a les non permanents.
Q. : Dans quels domaines souhaitez-vous développer la coopération franco-japonaise dans les années à venir ?
R. : Le dialogue politique sur les grands sujets internationaux est indispensable entre deux pays qui ont des responsabilités internationales et peuvent contribuer au rapprochement entre l'Europe et l'Asie.
Par ailleurs, des coopérations bilatérales peuvent être engagées. Pour citer des domaines dont je compte bien parler à Tokyo, ils sont nombreux. D'abord il y a des régions du monde où nous pouvons conjuguer nos actions ; les pays de l'ex-Indochine (Cambodge, où notre coopération a été particulièrement fructueuse dans la difficile période de rétablissement de la démocratie ; Vietnam, où vos entreprises comme les nôtres sont très présentes ; l'Afrique, au sujet de laquelle nous nous réjouissons de constater votre grand intérêt ; ce continent malgré tous ses problèmes le mérite en effet ; l'Algérie, dont nous sommes les deux principaux créanciers.
Il y a aussi des possibilités d'actions sectorielles. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt que votre premier ministre avait annoncé une importante contribution japonaise à la lutte contre le Sida. Comme vous le savez, c'est un Français qui a le premier identifié le virus du Sida et nos équipes de recherche sont les meilleures du monde. Vous allez accueillir cet été à Yokohama une grande conférence internationale qui sera, j'en suis sûr, un succès. Nous avons décidé d'organiser à Paris à l'automne un sommet politique sur le sujet. Pourquoi ne pas réfléchir à des actions franco-japonaises ? On peut aussi faire de même sur des thèmes liés à l'environnement. Nous collaborons déjà en biologie avec le programme Frontière humaine que vous avez lancée et dont le secrétariat est à Strasbourg.
Q. : Les investissements français dans les pays du Sud-Est asiatique sont nettement inférieurs à ceux de leurs partenaires européens. Comment la France envisage-t-elle de développer son influence dans cette région ?
R. : Il est vrai que la place de la France en Asie du Sud-Est, et notamment pour les investissements, est encore trop modeste. En effet, notre part dans les investissements étrangers est, par pays, comprise entre 0,7 % (aux Philippines) et 2,5 % (à Singapour) seulement. Je crois que la faiblesse de nos investissements s'explique, en partie, par la très grande difficulté d'acquérir des sociétés en Extrême-Orient alors que, depuis la fin des années 1980, les entreprises françaises ont réalisé de nombreuses fusions-acquisitions en Europe et aux États-Unis.
La place de la France est toutefois prometteuse : des efforts substantiels ont déjà été accomplis et de plus en plus de sociétés françaises sont désormais représentées en Asie (et pas seulement en Asie du Sud-Est). À titre d'exemple, je souhaiterais mentionner le cas de Hong-Kong où le nombre d'entreprises françaises implantées est passé d'environ 50 en 1975 à plus de 350. De même, 340 entreprises françaises sont maintenant présentes à Singapour, à commencer par Thomson TCE qui, avec 10 000 salariés, est le 2ème employeur industriel de la cité-État et la 10ème entreprise singapourienne par le chiffre d'affaires.
Les investissements français vers cette zone ont également changé de nature : ils sont de plus en plus destinés à satisfaire les besoins nouveaux de ces pays de plus en plus en partenariat avec des entreprises locales, tandis que les délocalisations d'industrie de main d'œuvre se font plutôt vers d'autres régions.
Les efforts de nos grands groupes et de petites et moyennes entreprises très dynamiques – souvent sur des secteurs de très haute technologie – sont encouragés par les pouvoirs publics français ; je voudrais tout particulièrement souligner les mérites de "l'initiative française vers l'Asie" que vient de lancer mon collègue, M. Longuet, ministre de l'industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur.
Enfin, je voudrais insister sur le fait que l'influence de la France dans le Sud-Est asiatique ne dépend pas uniquement de l'ampleur des investissements que ses entreprises réalisent. La France a déjà manifesté très concrètement son intérêt politique pour l'Asie du Sud-Est ; je pense notamment à l'importante coopération politique franco-japonaise en faveur du Cambodge et du Vietnam. En outre, la France est tout à fait favorable à un renforcement du dialogue politique entre l'ASEAN et l'Union européenne.
Q. : La France doit organiser au mois de mai une Conférence sur la paix et la stabilité en Europe. Que peut-elle en attendre alors que les régions où existent les plus vives tensions, comme le Caucase et l'ex-Yougoslavie, ne sont pas concernées par cette Conférence ?
R. : Je crois que ce qui manque en Europe, il y a déjà ou bien des organisations, ou bien des forums de discussion, c'est précisément une diplomatie préventive qui permette aux pays qui ne sont pas en crise, il y en a heureusement, de régler leurs problèmes avant que les crises n'apparaissent. Et c'est l'objectif de la Conférence proposée par M. Balladur et reprise en compte par les douze pays de l'Union européenne. Les pays principalement concernés seront donc les pays d'Europe centrale et orientale, plus les trois États baltes qui ont entre eux des problèmes de voisinage. Ces pays ont la volonté d'entrer dans l'Union européenne, certains vont même poser leur candidature dans les prochains mois. Je crois que notre devoir est de leur dire : "oui, mais avant d'entrer, il faut régler les querelles de voisinage que vous pouvez avoir." Nous ne pouvons pas transposer dans l'Union européenne ces querelles. Il faut qu'elles soient réglées avant. C'est cela la philosophie du Pacte et nous en avons parlé hier entre ministres des Affaires étrangères des Douze. Tout le monde soutient cette idée, pense qu'elle est excellente. J'espère que le 26 et le 27 mai nous pourrons donner le coup d'envoi, puisque après la Conférence générale, il y aura des tables régionales, bilatérales regroupant les pays principalement concernés.
Q. : À quel niveau ?
R. : La Conférence s'adressera aux ministres des Affaires étrangères. Et du côté français, le chef de l'État et le Premier ministre accueilleront, bien entendu, puisque la Conférence se tient à Paris.
Q. : Pensez-vous que la Russie constitue encore une menace potentielle pour la stabilité en Europe ?
R. : L'URSS se concevait comme une puissance à vocation idéologique mondiale, ce qui conduisait à une confrontation permanente avec l'Occident. Dans l'ordre bipolaire qui était celui de la "guerre froide", l'Europe vivait sous la menace du recours aux armes de destruction massive, était la victime d'une politique dont le but déclaré était sa déstabilisation, et se voyait dans l'impossibilité de proposer des solutions à des crises régionales menaçant de se transformer en conflit généralisé.
Cette époque est heureusement révolue. La mise en œuvre d'une politique de réforme en Russie s'est accompagnée d'une volonté nouvelle de mettre un terme à la concurrence et de choisir la voie de la coopération et du désarmement. Ce changement de cap radical a pu être observé au Conseil de sécurité des Nations unies. Qui aurait pu croire quelques années plus tôt que l'Union soviétique voterait les résolutions permettant à la communauté internationale de s'opposer à l'annexion par l'Irak d'un État souverain ? Dans la période récente, le conflit bosniaque a apporté la preuve que les efforts communs de la Russie, de l'Union européenne et des États-Unis permettaient de parvenir à une diminution de la tension et à l'amorce d'un processus de règlement d'un conflit dangereux pour la stabilité de notre continent. De l'ère de la menace, nous sommes passés à celle du possible partenariat.
L'Europe est aussi intéressée à la stabilité en Russie. La France soutient donc activement la construction d'un État de droit et la poursuite des réformes économiques dans ce pays. Seuls les progrès sur le chemin de la démocratie et de l'économie de marché lui permettront en effet de jouer le rôle de partenaire de première importance auquel il aspire et de coopérer à l'édification d'une Europe pacifique. C'est à ce prix que seront surmontées toutes les fractures héritées de la guerre froide. Pour cette raison, l'entretien d'un dialogue constant entre la Russie et les États démocratiques doit garantir son respect des grandes valeurs de notre continent. C'est également dans le souci de régler par la négociation les éventuels contentieux entre des pays qui avaient perdu l'habitude de se parler, que la France a lancé le projet de Conférence et de Pacte sur la stabilité en Europe, désormais adopté par l'Union européenne. Grâce à l'instauration d'un véritable code de conduite, l'idée même de menace, héritée du passé, devrait cesser d'avoir cours en Europe.
Q. : Le Général Jean Cot, ancien commandant de la FORPRONU a plusieurs fois dénoncé l'incapacité de l'ONU à faire respecter ses propres résolutions, notamment en qui qui concerne l'application de frappes aériennes. De quelle manière pensez-vous que l'efficacité de l'ONU pourrait être accrue dans des opérations comme celles menées en Bosnie-Herzégovine ?
R. : Ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine illustre les difficultés qu'il peut y avoir, pour une organisation comme les Nations unies, à décider d'employer la force, lorsque cela s'avère nécessaire.
Comme vous le savez, divers incidents récents ont donné lieu à une demande d'appui aérien par les unités sur le terrain. Dans le cadre des procédures actuelles, la décision finale d'employer la force incombe au représentant spécial du Secrétaire général, M. Akashi. Les délais nécessaires peuvent s'avérer excessifs, lorsqu'il s'agit de réagir à des agressions caractérisées. C'est précisément ce que l'on a pu constater récemment, à l'occasion des incidents, qui, je le rappelle, ont causé la mort d'un Casque bleu français à Bilhac. La France a donc demandé que dans de pareils cas soit prévue une procédure accélérée, de nature à raccourcir les délais d'autorisation de recours au soutien aérien.
Q. : Souhaitez-vous que l'Union européenne soit dotée, dans deux ou trois ans d'un président ?
R. : La question de l'évolution des institutions européennes sera abordée par les membres de l'Union, qui sont aujourd'hui douze et qui seront bientôt, je l'espère, seize, lors de la conférence intergouvernementale prévue par le Traité sur l'Union européenne, en 1996. La France est bien entendu attachée au renforcement de l'efficacité des institutions de l'Union européenne, pour que l'Union soit en mesure de faire face à ses responsabilités. Dans le cadre de la préparation de cette échéance de 1996, il conviendra de soigneusement peser les schémas institutionnels. Nous y réfléchissons.
Q. : Pourquoi la France s'est-elle opposée à la participation du Chancelier allemand Helmut Kohl aux prochaines cérémonies de commémoration du débarquement des Alliés, le 6 juin prochain ?
R. : Il n'est pas exact de présenter les choses ainsi. La France ne s'est pas opposée à la venue du Chancelier. L'état des relations entre la France et l'Allemagne ne justifie en rien l'émotion née dans la presse autour de cette commémoration. Le Chancelier s'est d'ailleurs exprimé sur le sujet. Je vous ferai pour ma part la même réponse ; il n'y a aucune divergence entre nos deux pays à ce propos. La relation franco-allemande est une priorité de notre politique étrangère. Sur elle, repose la stabilité du continent européen et elle constitue le moteur de l'Union européenne.
Vous savez sans doute que le Président de la République se rendra le 8 juin, c'est-à-dire deux jours après l'anniversaire du débarquement, à Heidelberg, en Allemagne, pour y présider aux côtés du Chancelier Kohl un rassemblement de jeunes. Cette date du 8 juin n'a pas été choisie par hasard. Elle exprime notre souci commun de lier la fin de la Seconde Guerre mondiale et la célébration de la coopération franco-allemande.
Cette manifestation de Heidelberg qui rassemblera des jeunes gens des deux pays sera tournée vers l'avenir, notre avenir commun qui est l'Europe.
31 mars 1994
Radio Japan
Q. : L'admission du Japon, à titre de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, est-elle compatible avec les réserves émises par ce pays à la participation aux opérations de maintien de la paix dans le monde, à votre avis ?
R. : Comme vous le savez, un débat s'est ouvert aux Nations unies, sur l'élargissement du Conseil de sécurité. Ce débat était nécessaire, car Le monde de la fin du XXème siècle n'est plus celui de la deuxième après-guerre, et il est naturel qu'un certain nombre de grandes puissances trouvent maintenant leur place comme membre permanent du Conseil de sécurité La France soutient ce point de vue.
Elle dit également deux choses : la première, c'est que le Conseil de sécurité doit conserver son efficacité. À l'heure actuelle, il y a 15 membres, on peut travailler correctement à 20, 22. Au-delà, cela créerait beaucoup de problèmes. Deuxièmement, c'est la réponse plus directe à votre question, il va de soi que les membres permanents du Conseil de sécurité ont des droits, mais ils ont aussi des obligations, en particulier celle de participer aux opérations de maintien de la paix. La France le fait, puisqu'elle est actuellement le premier contributeur en Casques bleus, avec notamment une présence extrêmement importante en ex-Yougoslavie. Donc, si le Japon accédait au Conseil de sécurité, il devrait bien sûr assumer ses responsabilités.
Q. : Est-ce que vous estimez qu'assumer ses responsabilités dans ce cadre-là, peut signifier contribuer sans envoyer de Casques bleus ?
R. : Je crois qu'il est difficile pour un membre permanent de ne pas participer aux opérations de maintien de la paix, comme les autres. C'est-à-dire également par l'envoi de Casques bleus.
Q. : Vous avez parlé de la nécessité de prendre en compte les aspirations des pays en développement. Mais est-ce que leur situation de pays débiteurs leur permet d'afficher une autre position que celles des pays riches, comme le Japon ou l'Allemagne, au Conseil de sécurité des Nations unies ?
R. : Cela, c'est une conception très particulière. La France ne considère pas que le Conseil de sécurité doit être réservé aux riches. Il faut un équilibre. Entre le Nord et le Sud en particulier, et si le Conseil était élargi dans les prochaines années à de grandes puissances du monde développé, il serait tout à fait normal que des grandes puissances de l'hémisphère sud puissent également y accéder.
Q. : Par ailleurs, est-ce que vous ne pensez pas que l'élargissement du Conseil de sécurité et du droit de veto notamment n'alourdisse encore le "machin", si j'ose dire ?
R. : Il faut y faire attention. Vous savez, le droit de veto, tout le monde a l'air de s'y intéresser : moins on s'en sert, mieux on se porte. Justement, si les Nations unies, et en particulier le Conseil de sécurité ont retrouvé depuis quelques années une efficacité, c'est que le nouveau contexte international, l'évolution de l'ex-URSS permet d'éviter le recours au droit de veto. Alors, l'objectif ne doit pas être d'entrer au Conseil de sécurité pour utiliser le droit de veto. Ce n'est qu'un aspect, je dirais secondaire, du problème. L'objectif, c'est d'y être pour jouer un rôle positif dans le règlement ou la prévention des conflits. C'est cela la philosophie du Conseil de sécurité, et non pas d'y venir pour bloquer.
Q. : Une question sur le commerce international. Avant la création de l'organisation du commerce international, vous avez évoqué une coopération du Japon pour dissuader les États-Unis d'utiliser l'arme des sanctions unilatérales. Quelles sont les moyens dont disposent la France et le Japon à cet égard ?
R. : La France a une position très claire qu'elle a défendue pendant toute la négociation du cycle de l'Uruguay, et que, avec ses onze partenaires de l'Union européenne, elle est arrivée à faire prévaloir. Cette conception, c'est que le commerce international ne doit pas être une jungle. Il n'appartient pas à chaque nation, aussi puissante soit-elle, de fixer unilatéralement les règles du commerce international. Et de déclencher, quand bon lui semble, des mesures de représailles, qu'elles s'appellent la section 301, ou qu'elles s'appellent autrement. Donc, ça, nous le condamnons. Nous estimons que ce n'est pas conforme à notre conception du commerce international, et que ce n'est plus conforme, pour l'instant à l'esprit, et à partir du 1er janvier prochain, à la lettre des textes qui vont instituer l'organisation mondiale du commerce.
Cela dit, nous sommes très attachés à l'ouverture des marchés. La France considère que le Japon doit ouvrir ses marchés. Nous avons un déficit commercial très lourd – c'est notre premier déficit commercial bilatéral. Cette situation n'est pas satisfaisante. C'est un des sujets que j'aborderai avec mes interlocuteurs.
Q. : Vis-à-vis de la section super 301, quelles sont donc les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour éviter le recours à ces sanctions ?
R. : Appliquer la loi internationale tout simplement. Les Américains se sont engagés dans le cadre du cycle de l'Uruguay à mettre leur législation en harmonie avec les règles internationales. Or, quand l'Organisation mondiale du commerce sera constituée, après Marrakech, sans doute avec effet au 1er janvier 1995, il y aura des procédures multilatérales de règlement des conflits, qui devront entraîner la disparition de ces législations nationales qui contreviennent aux règles multilatérales.
Q. : Quels sont les besoins de la communauté française actuellement au Japon, au niveau commercial ?
R. : C'est une communauté très active, très jeune, très dynamique, qui comporte des hommes et des femmes de très grande qualité. Certains sont là depuis longtemps, d'autres viennent d'arriver, la France est très attentive à leur situation. Ils ont les problèmes que toute communauté a à l'étranger (des problèmes de scolarisation,…) et nous essayons, bien sûr, de les aider à les régler. Mais, pour l'essentiel, ils sont la présence de la France ici, nous leur faisons confiance. Ils ont déjà remporté des succès considérables, aussi bien sur le plan économique, que sur d'autres plans. Il ne faut pas oublier que les relations entre la France et le Japon, c'est aussi une tradition intellectuelle, des affinités culturelles, des échanges dans ce domaine qui sont très nombreux. Tout cela fait un tout, le commerce, les investissements, la pénétration économique, technologique française qui n'est peut-être pas toujours connue comme elle devrait l'être. Et puis la culture et les arts.
1er avril 1994
Résidence de l'ambassade de France
Merci d'être venu pour ce point de presse, au terme des deux journées de mon voyage officiel à Tokyo. Comme vous le savez sans doute, il y a maintenant sept ans, depuis 1987, qu'aucun ministre des Affaires étrangères français ne s'était rendu à Tokyo pour une visite bilatérale. Cette situation n'était pas satisfaisante et le premier objectif de mon voyage est de rétablir un dialogue politique régulier, à haut niveau, entre nos deux pays. De ce point de vue, 1994 sera une année faste : Gérard Longuet m'a précédé ici, il y a quelques semaines. J'ai pu moi-même avoir des entretiens nombreux et approfondis : avec le Premier ministre, M. Hosokawa ; avec mon collègue M. Hata – nos entretiens ont d'ailleurs duré près de quatre heures hier soir –, avec le directeur de l'Agence de la défense, M. Aichi, avec le ministre du MITI, M. Kamagai ; mon entretien avec le ministre des Finances, M. Fujii, ayant été annulé au dernier moment, puisque celui-ci était demandé à la Diète. J'ai été particulièrement sensible au fait que les ministres qui m'ont reçu l'ont fait à une période particulièrement chargée pour eux, compte tenu du calendrier parlementaire. J'ai également pu m'entretenir ce matin avec des parlementaires de tous les partis de la Diète, ainsi qu'hier, à l'Institut franco-japonais, avec de très nombreuses personnalités du monde culturel. Viendront ensuite plusieurs autres voyages dans le courant de cette année 1994. Tout d'abord, une rencontre des secrétaires généraux, ou vice-ministres des Affaires étrangères, à Paris, au mois d'avril. Bien sûr, la visite du Premier ministre japonais à Paris, puisque j'ai été porteur ici d'un message de M. Balladur confirmant cette invitation. Enfin, le séjour de leurs Majestés impériales, à l'automne. Donc, vous voyez que 1994 sera bien remplie. Il faut que cela continue. Nous avons arrêté le principe avec M. Hata d'une visite ministérielle annuelle, une fois au Japon, une fois à Paris, et de rencontres régulières des fonctionnaires de nos ministères. Voilà pour le cadre général de nos relations. Le luis important, c'est évidemment leur contenu.
Ce contenu est d'abord politique. Je pense qu'entre deux grandes puissances comme le Japon et la France il est important de nourrir un dialogue politique sur tous les grands problèmes internationaux. C'est ce que nous avons fait à l'occasion de mon déplacement. Nous avons en particulier évoqué les questions de sécurité qui nous préoccupent, les uns et les autres : sécurité dans la zone Asie-Pacifique. Nous avons abordé à ce propos la situation en Corée du Nord, pour convenir que l'attitude de ce pays était inacceptable et faisait courir un grand risque de prolifération. Sécurité en Europe aussi, où j'ai informé M. Hata des développements de la situation dans l'ex-Yougoslavie où, vous le savez, la France a été très active, à la pointe de toutes les initiatives diplomatiques prises depuis un an, ou encore à l'origine de la Conférence sur la stabilité en Europe qui se tiendra à Paris à la fin du mois. Nous avons dans ce cadre évoqué la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, et je répète ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire : La France considère que le monde ayant profondément changé depuis plusieurs décades, et notamment au cours de la dernière, il était normal d'élargir le Conseil de sécurité, et que le Japon, tout naturellement à nos yeux, y avait sa place en tant que membre permanent. Nous avons évoqué la préparation du G7, où nous siégeons l'un et l'autre et nous sommes notamment convenus, j'y reviendrai dans un instant, de transmettre à la présidence italienne, dans la perspective du sommet de Naples, le résultat des travaux que nous avons engagé ensemble sur les produits de base. Enfin, la France a souhaité qu'une concertation s'établisse avec l'APEC, dont on a vu récemment à Seattle qu'elle développait ses activités et ses ambitions. Voilà pour l'aspect proprement politique, le dialogue politique.
Nous avons ensuite évidemment longuement évoqué les questions commerciales. J'ai rappelé quelle était la vision que la France se faisait du commerce international. Nous nous sommes beaucoup battus à l'occasion de la négociation du cycle de l'Uruguay pour défendre nos intérêts et ceux de l'Europe, comme c'était bien normal, mais surtout pour faire prévaloir une certaine conception des relations commerciales internationales, fondée sur le multilatéralisme. C'est ce qui inspire la création de l'Organisation mondiale du commerce qui verra le jour après la signature des accords de Marrakech d'ici quelques jours. Cette Organisation mondiale du commerce, dans notre esprit et dans les textes qui ont été paraphés le 15 décembre dernier, devra faire prévaloir des règles de prévention et de solution des conflits commerciaux qui soient les mêmes pour tout le monde, ce qui implique bien entendu la disparition des pratiques unilatérales dont nous sommes, les uns et les autres, de temps en temps menacés. Cette vision du commerce international ne nous rend que plus pressants sur l'ouverture des marchés japonais, j'ai noté avec beaucoup d'intérêt les mesures annoncées récemment le gouvernement de M. Hosokawa, des mesures d'ouverture et de dérégulation. Nous tenons à ce que dans ce domaine, fidèle à notre conception du commerce international, il n'y ait pas "deux poids, deux mesures" selon que l'on appartienne à tel ou tel ensemble économique. M. Longuet avait eu l'occasion, lorsqu'il était venu ici de rappeler un certain nombre de préoccupations françaises, dans le domaine des équipements automobiles, de l'aéronautique, des assurances ou des marchés publics.
Enfin, cela a été le troisième grand thème de discussion. Nous avons évoqué la possibilité de développer certaines coopérations plus concrètes que nous avons déjà engagées ici ou là : je pense au Cambodge, où le Japon et la France ont joué un rôle déterminant dans la réussite de l'opération des Nations unies, avec la force baptisée APRONUC. Cette force s'est retirée, mais le Cambodge n'est pas pour autant sorti d'affaire sur le plan économique. Et nous sommes convenus de développer ensemble une coopération active avec le Cambodge. Il peut en être de même au Vietnam, notamment pour ce qui concerne la défense du patrimoine culturel vietnamien. Le Japon s'intéresse aussi beaucoup à l'Afrique, et vous savez que pour la France, c'est un sujet de préoccupation tout à fait prioritaire. Nous ayons donc évoqué, comme je le disais à propos du G7, l'évolution des produits de base. J'ai également tenu à informer nos partenaires japonais de la situation dans la zone franc, après la dévaluation du franc CFA. Au bout de: deux mois, on peut commencer à tirer un bilan encourageant de cette opération. Aucun des dérapages redoutés ou prédits ici où là ne se sont produits. Certes, il est encore trop tôt pour parler de réussite. Mais les choses vont dans le bon sens, et nous souhaitons que toutes les grandes puissances intéressées au développement de l'Afrique puissent participer la réussite de cette opération. Nous avons évoqué la situation en Algérie, puisque le Japon et la France sont de grands créanciers de ce pays, à la stabilité duquel nous avons grand intérêt. Enfin, nous avons envisagé des coopérations par thème : je pense notamment à ce qui concerne le SIDA, puisque le Japon a pris l'initiative de réunir prochainement à Yokohama un certain nombre de spécialistes de la question, tandis que la France organise pour sa part une rencontre des chefs de gouvernement principalement engagés dans la lutte contre ce fléau.
Au total, c'est au rapprochement de nos deux pays que nous avons travaillé pendant ces deux jours. Et je reprendrai pour conclure le slogan d'une campagne que la France a lancé en 1992 qui se poursuit et qui va se poursuivre, "le Japon, c'est possible". Nous avons envisagé le principe avec mes interlocuteurs japonais d'une Année du Japon en France et d'une Année de la France au Japon, qui pourrait successivement marquer cette volonté de coopération. J'ajouterai que ce voyage s'inscrit dans le cadre d'une tournée que je fais clans la région. au sens très large du terme dans le but de montrer que l'Asie n'est pas loin, et de montrer cela à mes compatriotes, et dans cette perspective un peu régionale, je vous indique que j'ai réuni ce matin même les ambassadeurs de France des quinze pays de la zone de façon à faire avec eux le point des relations de la France avec chacun des États où ils nous représentent. Voilà les quelques réflexions que je voulais faire, et je suis tout prêt maintenant à répondre à vos questions.
Q. : Vous avez parlé du rôle de la France en Bosnie, mais la Russie et les États-Unis ont l'intention de prendre des initiatives pour toute la région. Quel serait donc le rôle de l'Europe, et de la France en particulier en Bosnie ? Deuxième question : est-ce que la France va coopérer avec la Russie pour trouver une solution de paix en Bosnie ?
R. : Sur la Bosnie, il y a ceux qui sont "au charbon" et que ceux qui n'y sont pas. La France y est, et depuis longtemps : depuis le début de ce conflit sanglant, nous avons, avec, quelques autres pays, envoyé sur le terrain un très grand nombre de casques bleus, puisque nous sommes, et de loin, le premier pays contributeur. Nous avons au sol actuellement environ 7 000 hommes. Si l'on ajoute à cela nos marins dans l'Adriatique, et nos aviateurs, dans les avions qui participent notamment à l'opération "Deny Flight", ce sont près de 9 000 hommes que la France a engagés pour tenter de rétablir la paix en Bosnie et en tout cas participer à l'allégement des souffrances des populations. Donc vous voyez, nous n'avons pas de complexes en la matière. Nous avons fait notre devoir, tout notre devoir. L'Union européenne a fait aussi tout son devoir, puisqu'elle a été là encore de loin le premier fournisseur d'aide humanitaire à la Bosnie. Je rappellerai enfin que c'est la France qui, depuis un an, a pris la plupart des initiatives diplomatiques qui ont fait avancer la question, qu'il s'agisse de la résolution du Conseil de sécurité, qui a créé les zones de sécurité – c'est parce que cette résolution existe qu'on a pu agir –, qu'il s'agisse du plan d'action que nous avons conçu, Klaus Kinkel et moi-même, qu'il s'agisse enfin de l'idée de l'ultimatum des forces de l'Alliance atlantique que la France a suggéré à ses partenaires et qu'elle a mené à bien avec les Américains. Donc, vous voyez que notre rôle a été décisif. Nous avons souhaité durant toute cette période que les Américains et les Russes participent au processus diplomatique. Nous sommes parvenus à les en convaincre, et je m'en réjouis, sans aucune espèce de réserves. Beaucoup de choses ont changé depuis un mois. Sarajevo est en train de revivre. La situation est, au moment où je parle, calme, dans l'ensemble de l'ex-Yougoslavie. C'est un acquis considérable. De la même manière, le processus diplomatique a avancé : l'accord entre les Croates et les Musulmans est positif. Restent à régler encore de nombreuses et difficiles questions : en particulier la répartition des territoires entre les différentes communautés et l'association de la communauté serbe à un règlement global de la situation, parce qu'on ne fera pas la paix à deux… lorsqu'il y a trois belligérants. À ce travail, l'Union européenne et la France continue à être très étroitement associées. C'est ainsi que nous avons décidé, dimanche dernier, lors de la réunion des ministres des Douze, de nommer un coordinateur européen pour l'administration et la reconstruction de la ville de Mostar, et nous avons beaucoup d'autres initiatives en cours. La reconstruction de l'ex-Yougoslavie se fera avec l'Union européenne ou ne se fera pas. C'est donc vous dire que je suis tout à fait certain que nous resterons très impliqués dans ce processus, avec les Américains et avec les Russes dont je souhaite qu'ils poursuivent leur participation. Cela nous a un peu éloigné du Japon.
Q. : Monsieur le ministre, concernant le futur statut du Japon ou de l'Allemagne, au Conseil de sécurité des Nations unies, ne pensez-vous pas que les textes constitutionnels de ces deux pays seront des obstacles pour qu'ils puissent exécuter leur devoir de membre permanent ? Deuxième question : En ce qui concerne l'Algérie, avez-vous envisagé des actions concrètes avec vos interlocuteurs japonais, dans le cadre de la coopération politique entre le Japon et la France, pour maintenir la stabilité de ce pays ?
R. : Sur la première question, je vous ai dit comment la France voyait le problème. Nous sommes en 1994, et non plus en 1945. Le monde a changé, il faut en tenir compte dans la composition du Conseil de sécurité. Ce n'est d'ailleurs pas la France qui a soulevé le problème. Vous savez qu'une discussion est actuellement en cours dans un groupe de travail de l'Assemblée générale des Nations unies. On y réfléchit depuis plusieurs mois déjà. Notre position est de dire qu'il faut élargir le Conseil de sécurité, et notamment le nombre de ses membres permanents et que dans ce cadre, il nous semble naturel que des pays comme l'Allemagne et le Japon y trouvent leur place. Cela dit, c'est une affaire difficile : je voudrais évoquer trois difficultés. La première, c'est celle que vous soulevez vous-même : lorsqu'on est membre du Conseil de sécurité, cela implique des droits mais cela donne aussi des obligations. En particulier, la nécessité de participer aux opérations de maintien de la paix, décidées par le Conseil de sécurité, comme la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie désormais en ex-Yougoslavie, le font. Il appartiendra donc aux pays qui poseront leur candidature de procéder aux réformes constitutionnelles que cela implique. Mais c'est leur responsabilité, c'est à eux d'en décider pour pouvoir assumer les responsabilités qu'ils briguent. La deuxième difficulté, c'est l'équilibre nécessaire. On évoque le nom de l'Allemagne et du Japon. Cela fait deux pays du Nord supplémentaires. Je pense qu'il faudra prendre en compte l'équilibre géopolitique du Conseil de sécurité, et réfléchir à la manière d'y représenter aussi à titre permanent, un certain nombre de pays du Sud. Enfin, troisième difficulté : l'efficacité. À 15, cela fonctionne bien. Il faut éviter de se retrouver à 25, 30 ou 35, ce qui serait impossible. Il faudra donc choisir la juste mesure. C'est vous dire si les négociations vont sans doute se poursuivre pendant plusieurs mois.
Sur l'Algérie, j'ai fait part à M. Hata de mon analyse. La situation y est grave. Nous avons tous, la France bien sûr, puisqu'elle est une puissance méditerranéenne très proche de l'Algérie, mais finalement, tous les pays du monde ont intérêt à ce que l'Algérie retrouve sa stabilité, dans la sécurité pour tous ses habitants. C'est ce à quoi bien sûr, nous invitons les autorités algériennes. Mais notre devoir à nous, c'est de réaliser les conditions économiques et financières de ce retour à la stabilité. L'économie algérienne est dans un marasme très profond. Elle ne s'en sortira que si le poids de sa dette est allégé. C'est à cela que j'ai invité, aussi bien nos partenaires de l'Union européenne que mes interlocuteurs japonais. C'est notre responsabilité que d'apporter à la stabilisation de l'Algérie cette forme d'aide économique et financière. Le Fonds monétaire international est en discussion avec les autorités algériennes. Si un accord est conclu, il nous appartiendra d'en tirer immédiatement les conséquences, notamment dans le cadre des instances chargées du rééchelonnement de la dette.
Q. : Je voudrais poser une question sur le problème commercial. Le gouvernement américain a présenté hier sa position sur les obstacles commerciaux et a désigné le Japon comme appliquant des entraves au bon déroulement du commerce international. Que pensez-vous de cette position américaine ? Monsieur le ministre, vous avez dit que le commerce doit être négocié sur une base multilatérale, ne croyez-vous pas l'attitude américaine va trop vers le bilatéralisme ?
R. : Je me suis déjà exprimé sur ce point dans mon propos introductif. J'y reviens très rapidement. Premièrement, la France condamne les mesures de caractère unilatéral. Ce n'est pas nouveau, nous l'avons dit tout au long de l'année 1993, lorsque nous négocions le cycle de l'Uruguay. L'esprit et la lettre de l'accord conclu en décembre dernier, et qui prévoit la création d'une Organisation mondiale du commerce, c'est que les procédures de règlement des conflits commerciaux doivent être multilatéralisées et que chaque État membre du GATT doit mettre sa législation nationale en conformité avec cela. Deuxièmement, et je l'ai dit tout à l'heure en commençant, nous pensons que le Japon doit progresser dans l'ouverture de son marché. La France a un déficit commercial considérable avec le Japon. C'est son premier déficit commercial bilatéral. Nous avons indiqué, M. Longuet et moi, toute une série de secteurs dans lequel il nous apparaissait que les choses devaient changer. J'ai cité les équipements automobiles, une rencontre est prévue d'ailleurs d'ici quelques semaines sur ce sujet. J'ai cité l'aéronautique, j'ai cité les marchés publics, j'ai cité les assurances, on peut même citer certains produits agricoles comme la pomme, et ainsi de suite. Donc la situation n'est pas satisfaisante dans ce domaine, et il faut essayer de progresser. Troisième observation : nous souhaitons, nous demandons que tout le monde soit traité de la même manière et que l'Union européenne qui constitue une entité commerciale, ait le même traitement que les autres ensembles économiques. Il faut en particulier que dans certains domaines, la mise en concurrence puisse se faire loyalement clans le cadre d'appels d'offres internationaux. C'est ce que nous faisons nous-mêmes, en vertu des règles de l'Union européenne, et c'est ce que nous sommes en droit d'attendre de nos partenaires.
Q. : Sur les négociations nippo-américaines ?
R. : Je n'ai pas de goût pour le commerce administré. Respectons les règles du GATT et ce qui a été conclu récemment et sera acté à Marrakech les 15 et 17 avril prochains. C'est bien le minimum qu'on ne fasse pas du bilatéralisme, et que toutes les mesures soient multilatéralisées.
Q. : S’agissant des produits industriels asiatiques, si ces produits asiatiques sont concurrents, c'est parce que la main d'œuvre est moins chère dans cette partie du monde et dans la nouvelle organisation mondiale du commerce, il semble que la France a un mot à dire sur cet aspect, la presse française l'a déjà évoqué. Qu'en pensez-vous ?
R. : Je voudrais signaler que ce à quoi vous faites allusion, dans le cadre de la préparation de la déclaration de la conférence ministérielle de Marrakech, ce n'est pas une idée française c'est une idée de l'Union européenne et une idée des États-Unis. Remettons les choses au clair. De quoi s'agit-il ? Certainement pas d'imposer l'égalisation des salaires entre les pays qui sont en concurrence dans le cadre mondial. Ce serait une aberration. La philosophie même du libre-échange, c'est de parier sur la division internationale du travail et sur l'égalisation progressive, au fil des années des conditions de concurrence. Ce n'est pas nous qui allons remettre en cause ce fondement de l'économie de marché à laquelle nous croyons. En revanche, il y a parfois des pratiques déloyales : la contrefaçon, par exemple, ce n'est pas une pratique loyale. Et je suis heureux, que dans le cadre du GATT, on ait condamné ces pratiques en instituant des règles précises de propriété intellectuelle. Deuxième sujet, et là, nous nous tournons vers l'avenir, sur lequel il faut réfléchir, nous avons seulement demandé qu'on réfléchisse dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce : ce sont des règles protectrices de l'environnement. Est-ce qu'on peut considérer qu'entre une entreprise qui se voit imposer des règles de protection de l'environnement extraordinairement stricte et une entreprise qui n'en respecte aucune, il y ait véritablement concurrence loyale ? C'est un point auquel il nous faut réfléchir. Je n'ai pas la réponse aujourd'hui, mais nous souhaitons, nous ne sommes pas les seuls, que dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, on y réfléchisse.
Deuxième question : c'est de cela qu'il est question, dans ce que vous évoquiez. Est-ce qu'on peut admettre que le fait de ne pas respecter un certain nombre de règles minimales posées par l'Organisation internationale du travail, qui est une organisation qui existe, ne fausse pas la concurrence. Faire travailler des prisonniers sans les payer, faire travailler des enfants, faire travailler de nuit dans certaines conditions, qui ne respectent pas les règles de l'OIT, ce n'est pas de la concurrence loyale. C'est simplement sur ces questions-là que nous souhaiterions que l'Organisation mondiale du commerce se penche. Tous les pays en développement qui respectent les règles du jeu n'ont rien à en craindre. Je ne vois pourquoi on opposerait sur ces questions les pays développés et les autres.
Q. : Aujourd'hui le président du Conseil de sécurité de l'ONU a présenté une déclaration vis-à-vis de la Corée du Nord. Mais il semble que la Corée du Nord pourra difficilement accepter des inspections de l'AIEA. Que pensez-vous de la position de la Corée du Nord ?
R. : L'attitude de la Corée du Nord n'est pas acceptable. La Corée du Nord était partie au TNP, le Traité de non-prolifération nucléaire. Elle a annoncé il y a quelques semaines qu'elle s'en retirait. Elle a refusé malgré les discussions qui ont eu lieu pendant plusieurs semaines là encore, de se prêter aux vérifications de l'Agence internationale à l'énergie atomique. Je le répète : c'est un comportement que la France condamne. Parce que nous sommes très attachés à la non-prolifération des armes de destruction massive, et tout particulièrement des armes nucléaires. C'est un des objectifs de notre politique. Il y va de la stabilité de l'ensemble de la planète. Je ne cache pas que nous aurions souhaité que le Conseil de sécurité se prononce avec fermeté, par le biais d'une résolution. On a décidé de s'en tenir à une déclaration de la présidence. Soit. J'espère que cela fera prendre conscience à la Corée du Nord de la nécessité de se mettre en conformité avec ses obligations internationales.
Q. : Monsieur le ministre, dans le domaine de la sécurité, vos entretiens avec M. Aichi ont-ils porté sur le traité de sécurité entre le Japon et les États-Unis, ou est-ce qu'ils ont porté sur des questions de sécurité entre la France et le Japon ?
R. : Nous n'avons pas abordé la première question. Nous avons simplement fait un tour d'horizon des questions de sécurité qui se posent dans la région. J'ai également parlé des problèmes de sécurité en Europe, des questions de non-prolifération, de l'attitude de la Corée du Nord. Bref, de tout ce que j'ai indiqué tout à l'heure.
Q. : Vous avez parlé de la Corée du Nord. Est-ce qu'il y avait des solutions technologiques apportées par la France ?
R. : C'est une question d'application du TNP et d'acceptation des vérifications de l'AIEA.
Q. : Concernant l'AIEA et la Corée du Nord, M. Balladur doit visiter prochainement la Chine. Est-ce que M. Balladur a l'intention d'évoquer cette question avec les autorités chinoises pour que celles-ci puissent intervenir après de Pyongyang pour faciliter la solution de la question ?
R. : Je ne sais pas ce que sera le contenu des entretiens de M. Balladur avec ses interlocuteurs chinois. Mais merci de me donner l'occasion de rappeler qu'il sera en Chine à la fin de la semaine prochaine. Je n'imagine pas qu'il puisse ne pas évoquer ce sujet, bien entendu. Voilà, je vous remercie.
1er avril 1994
ASAHI
Q. : Sur le conflit nippon-américain ?
R. : Je souhaiterais d'abord que le problème des échanges commerciaux ne se limite pas aux relations entre les États-Unis et le Japon, car l'Union européenne et au sein de l'Union européenne la France ont également des problèmes commerciaux. Notre commerce est très déséquilibré avec le Japon, nous avons justement un déficit très lourd, c'est même notre premier déficit commercial extérieur. Donc nous souhaitons, nous aussi, que le Japon s'ouvre aux échanges extérieurs et j'espère que nous pourrons en parler, et progresser. Nous avons soulevé la question d'un certain nombre de secteurs particulièrement sensibles comme les équipements automobiles, les télécommunications, ou d'autres encore. Cela dit, nous ne sommes pas favorables à ce que j'appellerai un commerce administré. Nous sommes partisans du libre-échange, et c'est dans cet esprit que nous avons participé au cycle de l'Uruguay, dans le cadre du GATT. Des progrès ont été faits dans l'accès au marché, d'autres sont encore nécessaires. Ne revenons pas à des normes fixées, à un pourcentage, en valeur absolue, ne rêvons pas à ce que j'ai appelé le "commerce administré". D'autre part, nous ne sommes pas du tout favorables non plus aux mesures unilatérales. Nous pensons que cela n'est pas conforme aux règles du jeu du commerce mondial que de voir tel ou tel pays tout à coup utiliser son arsenal unilatéral propre pour infliger des représailles ou des menaces à tel ou tel pays. Nous avons voulu que soit créée une organisation mondiale du commerce qui fasse respecter des règles égales pour tous.
Q. : Les Américains essayaient de trouver une solution unilatérale ?
R. : Et bien cela nous inquiète. Nous pensons que ceci doit se régler dans un cadre multilatéral, dans le cadre de cette organisation mondiale du commerce qui va voit le jour à Marrakech dans quelques jours lorsque nous allons parapher l'accord du GATT qui a été conclu à la fin de l'année dernière.
Q. : Pour le public japonais on pense qu'il y a toujours les menaces de sanctions des Américains, qu'en pensez-vous ?
R. : L'Europe elle-même a souvent été menacée par de telles sanctions. Nous pensons que l'utilisation d'instruments comme la section 301 ou la super 301 ne sont pas conformes à l'esprit des accords qui ont été conclus dans le cadre du GATT et à partir de 1995, ne sont pas conformes à la lettre des textes qui régiront l'organisation mondiale du commerce. Cela dit, il faut aussi, je le dis avec beaucoup de clarté comme on peut se le dire entre amis, que le Japon ouvre ses marchés. J'ai entendu le programme annoncé par le gouvernement japonais de dérégulation, de déréglementation de l'économie japonaise. Je pense que c'est quelque chose qui va dans la bonne direction, encore faut-il que cela se concrétise par des mesures précises. Je crois qu'elles sont en cours de préparation, nous les observerons avec beaucoup d'intérêt et beaucoup d'attention. Nous avons dit déjà, à plusieurs reprises et cela a fait l'objet des négociations qui ont été conduites l'année dernière, qu'il fallait renoncer aux pratiques unilatérales et revenir à des règles du jeu valables pour tout le monde, et c'est la philosophie même, j'insiste, de l'organisation mondiale du commerce.
Q. : Au sujet des négociations mondiales. Vous n'êtes donc pas d'accord sur cette thèse unilatérale d'étudier des solutions entre deux pays ?
R. : Eh bien ! Il ne faut pas oublier les autres. Comme je vous l'ai dit, je crois que la France a aussi des problèmes dans ses relations commerciales avec le Japon et nous souhaitons que l'ouverture nécessaire des marchés, la réduction des excédents considérables que le Japon réalise vis-à-vis des pays européens, soient également discutées.
Q. : Est-ce que vous pensez que Je Japon est un pays facile ?
R. : Il n'est pas facile, c'est le moins qu'on puisse dire. Je ne dirais pas qu'il est fermé, puisque certaines de nos entreprises sont arrivées, avec beaucoup de ténacité et grâce à leur bonne connaissance de la réalité japonaise, à se développer. Et d'ailleurs au cours des dernières années, au cours des deux ou trois dernières années, notre déficit commercial s'est stabilisé. Il a très légèrement décru, même s'il reste à un niveau très élevé. Je crois donc qu'il est possible de faire des opérations ici au Japon à condition de le vouloir et de s'organiser dans ce sens. Vous savez que la France en 1992 a lancé une campagne d'information et de communication qui s'appelle "le Japon, c'est possible", cela veut bien dire ce que cela veut dire. Elle a déjà donné des résultats, nous avons décidé de la prolonger pendant les deux années qui viennent. Je vous rappelle que nous sommes très intéressés par les mesures de déréglementation que l'actuel gouvernement a mises à l'étude. Je pense à tout le secteur de la distribution, où il est vrai que les traditions d'organisation japonaise rendent difficile le libre jeu de la concurrence.
Q. : Les Américains disent qu'il y a des grands blocages dans la bureaucratie japonaise, est-ce que vous trouvez qu'il y a des blocages ?
R. : Les Japonais et les Américains doivent régler entre eux les problèmes qui sont les leurs.
Q. : Est-ce que vous trouvez qu'il y a des blocages ?
R. : Cela arrive, je viens de vous le dire, il y a des réglementations qui nous semblent parfois un peu dépassées. Nous, ce que nous demandons, c'est de pouvoir jouer le libre jeu de la concurrence. En particulier que la technique des appels d'offre que nous utilisons en Europe qui permet de mettre en concurrence les entreprises nationales mais aussi les entreprises étrangères soit plus largement répandue que ce n'est le cas aujourd'hui.
Q. : Sur vos entretiens avec M. Hata. Est-ce que vous proposez quelque chose ?
R. : J'ai eu quatre heures d'entretien avec M. Hata et nous avons parlé bien entendu des aspects commerciaux que vous venez d'évoquer et je viens de vous dire dans quel esprit, mais nous avons aussi beaucoup parlé d'autres questions. Je voudrais en évoquer deux.
Tout d'abord, le dialogue politique entre le Japon et la France. La France, vous le savez est une puissance mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité. C'est également une puissance nucléaire, évidemment une grande puissance commerciale puisque c'est le quatrième exportateur, nous avons donc un rôle à jouer dans le monde, y compris sur les questions de sécurité. Le Japon est également une puissance mondiale par le poids de son économie, par sa volonté de jouer un rôle également dans les affaires du monde. Il paraît naturel que dans le cadre de la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, le Japon ait sa place de membre permanent, et la France a pris position en ce sens. Je crois donc que nous avons intérêt à nous voir plus souvent pour mieux nous connaître et pour mieux coopérer entre nous. 1994 de ce point de vue sera une année faste puisque après le voyage de M. Gérard Longuet, mon collègue ministre du commerce extérieur, mon propre voyage, il y aura en avril une rencontre entre les numéros deux du ministère des Affaires étrangères à Paris, puis la visite de votre Premier ministre, M. Hosokawa, en France et la visite de sa Majesté impériale en automne. Alors, je crois que c'est par la multiplication de ces échanges de très haut niveau que nous pourrons entretenir le dialogue politique nécessaire entre nos pays.
Q. : La place du Japon au Conseil de sécurité des Nations unies ?
R. : Voulez-vous que je le redise ? Nous l'avons dit également aux Nations unies. Vous savez que l'Assemblée générale des Nations unies a mis en place un groupe de travail pour réfléchir à cette question et nous sommes aujourd'hui à la fin du 20ème siècle, les choses ont bien changé depuis il y a quarante ans, il nous parait normal qu'on adapte la composition du Conseil de sécurité à la nouvelle réalité mondiale. Dans ce cadre, des pays comme l'Allemagne, comme le Japon, semblent tout naturellement avoir vocation à entrer au Conseil de sécurité. Il y a plusieurs problèmes, si l'on fait rentrer de grands pays du nord, il faudra pour des raisons d'équilibre géopolitique réfléchir à l'entrée de grands pays du sud, tout en gardant l'efficacité du Conseil de sécurité. On ne peut pas non plus multiplier à l'infini les sièges. Et puis il faudra enfin que tous ceux qui ambitionnent d'être membres permanents du Conseil de sécurité en acceptent en même temps que les droits toutes les obligations. Et je pense aux opérations de maintien de la paix. Le Japon s'est déjà engagé dans cette voie avec sa loi Peace Keeping Operations (PKO), et je pense qu'il faudra là aussi aller de l'avant.
Q. : Sur la Corée du Nord.
R. : Nous avons parlé des problèmes de sécurité dans la région, et tout particulièrement de l'attitude de la Corée du nord. Une des priorités pour la France, c'est la lutte contre la prolifération des armes nucléaires. Vous savez que le traité de non-prolifération que nous appliquons comme le Japon, arrive à échéance en 1995, et nous souhaitons qu'il soit reconduit de manière indéfinie et inconditionnelle, c'est d'ailleurs un point d'accord entre le Japon et la France. C'est la raison pour laquelle nous avons très fortement condamné l'attitude de la Corée du Nord qui s'est retirée du TNP qu'elle avait pourtant accepté et qui refuse les inspections de l'agence internationale de l'énergie atomique, ce qui ne nous parait pas acceptable. Des médiations ont eu lieu depuis plusieurs semaines pour essayer de convaincre la Corée du Nord de revenir sur cette attitude. Pour l'instant ces médiations n'ont pas abouti et nous pensons donc que le Conseil de sécurité doit maintenant se saisir du problème.
Q. : Y a-t-il des possibilités de sanctions contre la Corée du Nord ?
R. : Si la Corée du Nord ne se conforme pas à ses obligations internationales, il faudra bien en venir là.
Q. : Sur les élections italiennes. Avez-vous des commentaires sur la situation politique en Italie ?
R. : Chaque démocratie vit à son rythme, le Japon a connu de grands bouleversements lors des dernières élections. L'Italie en connaît aujourd'hui, et ceci s'est passé de la manière la plus démocratique possible. Et je respecte le choix du peuple italien. L'Italie est un de nos partenaires très proche au sein de l'Union européenne et nous sommes bien sûr intéressés par ce qui s'y passe. J'espère que les grands choix italiens en matière de politique européenne et de politique étrangère seront maintenus malgré la constitution d'un nouveau gouvernement.
Q. : Sur la nouvelle puissance politique en Italie ?
R. : On la jugera aux actes.
Q. : Le Japon est-il un pays exceptionnel, atypique, dans le G7 ?
R. : Je crois que le Japon a une forte personnalité, une civilisation très originale, une culture également très marquée. Peut-être que la France se sent, de ce point de vue-là, des affinités avec le Japon puisqu'elle aussi est très attachée à sa personnalité, à son identité nationale, à son identité culturelle. C'est une des raisons pour lesquelles nous nous sommes battus lors de la négociation du cycle de l'Uruguay pour préserver ce que nous avons appelé l'exception culturelle. Peut-être que sur ce point la France et le Japon peuvent se comprendre.
Q. : Sur Mme Cresson. Avez-vous des commentaires ?
R. : Laissons Mme Cresson aujourd'hui à ses activités. La page est tournée.
2 avril 1994
RFI
Q. : Monsieur le ministre, votre visite ici au Japon, vous l'avez signalé, est la première visite d'un ministre des Affaires étrangères depuis 7 ans. Quel est le dialogue actuel qui se met en place entre la France et le Japon, un nouveau dialogue ?
R. : Il faut donner à notre dialogue politique plus de régularité, parce que nous y avons évidemment intérêt. Pas simplement sur le plan commercial ou économique, mais de façon générale pour discuter ensemble des grands problèmes du monde. Le Japon est un pays qui compte et qui comptera je pense de plus en plus. C'est la raison pour laquelle nous avons tout un programme de visites pour l'année 1994 avec notamment l'invitation du Premier ministre japonais M. Hosokawa à Paris et des échanges au niveau des hauts fonctionnaires de nos ministères. L'Empereur du Japon sera également à Paris l'automne prochain. Vous voyez qu'après cette longue période de 7 ans les choses vont maintenant s'intensifier.
Q. : Quel est le dialogue qui peut s'instaurer justement entre la France et le Japon sur le domaine politique en particulier. Vous voulez discuter de questions européennes et asiatiques ou de questions plus concrètes sur le plan économique ?
R. : Nous avons beaucoup de questions à traiter. D'abord les grands problèmes du monde. On parle beaucoup de l'entrée du Japon au Conseil de sécurité des Nations unies, la France en est membre permanent donc il est normal que nous ayons un dialogue par exemple sur la sécurité dans la zone ici compte tenu en particulier du comportement de la Corée du Nord que la France a très fermement condamné. Et la sécurité en Europe, je rappelle que le Japon est observateur à la CSCE. Et puis nous avons trouvé des occasions de dialogue et de coopération plus concrets au Cambodge, où nous avons travaillé ensemble pour établir la stabilité dans ce pays. Nous sommes en train de le faire également au Vietnam. Le Japon est très présent en Afrique et vous savez l'importance que la France attache à ce continent. Nous devons donc coordonner nos efforts, notamment dans la zone franc après la dévaluation du franc CFA. Le Japon est un des plus lourds créanciers de l'Algérie comme la France, ce qui nous amène à confronter nos points de vue et à préparer nos actions communes. Vous voyez que les sujets ne manquent pas.
Q. : On a parlé beaucoup durant votre visite, du Conseil de sécurité des Nations unies. Vous avez fait des déclarations très claires dans ce domaine ?
R. : Oui, mais qui ne sont pas nouvelles. Je vous rappelle que le sujet est à l'ordre du jour aux Nations unies depuis plusieurs mois. Un groupe de travail a été constitué. On a demandé à tous les pays de donner au Secrétaire général par écrit leur point de vue, donc je n'ai fait que rappeler ce que la France avait déjà dit. En quoi consiste notre position ? Nous constatons d'abord que le monde a changé, excusez-moi de cette banalité, qu'il est normal d'en tenir compte dans la composition du Conseil de sécurité, qui a été fixée juste au lendemain de la guerre. Nous sommes maintenant à l'aube du troisième millénaire. Il faut en tirer les conséquences Nous pensons donc qu'il faut élargir le Conseil de sécurité, et que dans ce cadre des pays comme l'Allemagne et le Japon, qui sont candidats ont naturellement leur place parmi les membres permanents, ce que j'ai répété. Cela soulève beaucoup de problèmes, cela soulève en particulier de la part des candidats membres permanents la question de savoir s'ils sont en mesure d'assurer toutes les obligations inhérentes à cette responsabilité. Être membre permanent, cela confère des droits mais cela donne aussi des devoirs. Je citerai le devoir de participer aux opérations de maintien de la paix décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Est-ce que l'Allemagne et le Japon sont prêts à mettre leurs textes constitutionnels en accord avec ces obligations.
Q. : M. Hata vous a répondu sur ce point ?
R. : Je pense que le Japon a déjà commencé à le faire avec la loi qu'on appelle PKO gui a permis à des Japonais de participer aux opérations au Cambodge… Le deuxième problème que cela pose est celui de l'efficacité. On ne peut pas se retrouver avec un Conseil de sécurité de trente membres. On ne pourrait plus travailler. Il faut trouver un point d'équilibre entre les 15 actuels et ce nombre qui serait sans doute excessif. Et puis enfin, il faut tenir compte des grands équilibres géopolitiques du monde. Si l'Allemagne et le Japon entrent, cela fait deux pays du Nord de plus. Il est logique que les pays du Sud soient également représentés. Voilà donc ce dont on discute à New York. Seulement je pense qu'on va continuer à en discuter pendant quelques mois encore.
Q. : On a une idée du nombre de pays qui pourraient être concernés par la participation au Conseil de sécurité ? Quelles sont les informations que vous avez à ce propos actuellement ?
R. : Non, c'est un sujet de discussion mais rien n'est encore arrêté. Je vous disais à l'instant qu’actuellement le Conseil de sécurité comporte 15 membres. Il me semble, c'est un chiffre que je lance avec beaucoup de prudence et qui n'est qu'indicatif, qu'entre 20 et 22, ce serait bien le maximum si on veut continuer à travailler efficacement.
Q. : Monsieur le ministre, dernière question qui porte sur le volet économique. C'est un des domaines de votre visite, vous avez rencontré M. Kamagai, le ministre du Commerce extérieur, à un moment où les américains ont présenté un nouveau document sur la réactivation des représailles commerciales. Quelle a été le sens de vos entretiens avec M. Kamagai ? Pour la France, aussi pour le déficit commercial ?
R. : J'ai adressé à M Kamagai et à l'ensemble de nos interlocuteurs deux messages très clairs. Le premier, c'est que la France est hostile aux représailles unilatérales qui sont parfois brandies ou opérées par tel ou tel pays Nous nous sommes beaucoup battus dans le cadre du cycle de l'Uruguay pour éliminer ces arsenaux unilatéraux qu'on appelle la section 301 ou super 301 aux États-Unis pour ne pas accepter maintenant de les voir réapparaître en contradiction avec ce qui a été décidé, c'est-à-dire avec le rôle de l'organisation du commerce. Cela, c'est clair. Le deuxième message que j'ai adressé à mes interlocuteurs, c'est que la France et l'Union européenne de façon plus générale considèrent que le Japon doit ouvrir son marché. Cela, c'est indéniable. Nous avons en France un déficit commercial qui n'est pas loin de 24 milliards de francs avec le Japon. C'est notre premier déficit bilatéral, et cela est dû à un certain nombre de pratiques japonaises qui ne sont pas conformes aux règles du libre-échange. Je pense aux équipements automobiles, je pense à l'aéronautique, je pense aux marchés publics, aux assurances, à certains produits agricoles, comme les pommes, ce qui n'est pas anecdotique. Donc sur tous ces points, il faut que le Japon respecte les règles du jeu du libre-échange de l'économie de marché. Il semble qu'il s'y est préparé, puisque le Premier ministre japonais a annoncé il y a 48 heures un certain nombre de mesures de déréglementation et d'ouverture, qui ne sont pas pour l'instant très concrètes, on en saura plus au mois de juin prochain. Enfin, cela sera peut-être le troisième message, je n'en ai annoncé que deux tout à l'heure, c'est que nous souhaitons que ce que le Japon fera s'applique à tout le monde, et que tel ou tel ne bénéficie pas d'un traitement privilégié.