Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 1er juillet 1998, sur le rôle de l'opposition parlementaire, la stratégie de "l'Alliance" et les déclarations d'Edouard Balladur au sujet de la préférence nationale.

Prononcé le 1er juillet 1998

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

LE FIGARO : Votre rôle n’est pas aisé. D’un côté, vous devez écouter des parlementaires qui refusent d’être des godillots, des « Jacques à dit », de l’autre, vous devez satisfaire l’Elysée qui trouve que l’opposition ne s’oppose pas assez…

Jean-Louis DEBRE : La politique des socialistes est mauvaise pour la France. Depuis un an, les députés de l’opposition l’ont à maintes reprises critiquée sévèrement. Ce fut le cas lorsque nous avons fustigé l’absence de volonté gouvernementale de lutter contre l’immigration clandestine ; ce fut le cas lors du débat sur la modification de notre législation sur la nationalité ou lors du débat sur la réduction autoritaire et automatique du temps de travail. Je pourrais citer d’autres exemples… Cependant, c’est vrai, l’écho de nos critiques n’a souvent pas dépassé les murs du Palais Bourbon.

LE FIGARO : Comment l’expliquez-vous ?

Jean-Louis DEBRE : Il n’est pas impossible que les ambitions personnelles de certains, les arrières-pensées politiciennes des autres, les rivalités, aient quelque peu voilé la lisibilité de notre action. Vouloir en plus de l’opposition à la politique de Lionel Jospin, se démarquer de l’action du Président de la République, me semble une erreur de stratégie.

LE FIGARO : L’Alliance, qui était censée redynamiser l’opposition semble avoir, elle aussi, perdu toute attractivité. Comment repartir d’un bon pied à la rentrée ?

Jean-Louis DEBRE : Il est urgent pour rassembler durablement et solidement la droite de se retrouver autour d’ambitions communes pour notre pays. Vérifions entre nous si nous partageons des projets identiques pour l’Europe. Mettons-nous d’accord sur la réforme des institutions européennes.
Le réveil de l’opposition impose avant tout le renouveau de notre discours politique. Le Président de la République a ouvert le dossier de la modernisation de la vie publique. Saisissons cette occasion pour faire preuve d’originalité et de modernité. N’ayons pas peur de bousculer les habitudes, de contrecarrer les conservatismes et les vieux réflexes. Ne nous contentons pas de répéter qu’il est urgent de favoriser le renouvellement de la classe politique. Pourquoi ne pas proposer, par exemple, qu’il ne soit plus possible d’exercer plus de vingt-cinq ans sans discontinuer un même mandat de parlementaire ? Pourquoi ne pas limiter dans le temps la présidence d’un exécutif régional ou départemental ou même la mairie d’une grande ville ?
Bien d’autres sujets doivent animer notre réflexion.
Nos structures administratives sont largement obsolètes. Au lieu de les compliquer, pourquoi ne pas chercher à les simplifier ? Communes, communautés de communes, cantons, pays, départements, régions. Et à chaque fois des contraintes ! A l’opposition de réfléchir à une nouvelle organisation administrative territoriale, plus simple donc plus efficace. Nous pourrions aussi proposer aux Français un échéancier précis de réduction des dépenses de l’Etat, un calendrier de diminution des prélèvements obligatoires. Nous pourrions nous mettre d’accord sur une véritable politique familiale ou une action originale en faveur de la défense de notre environnement.
Quand nous aurons ensemble, à droite, réfléchi à ces questions et proposé des solutions communes, nous pourrons enfin et utilement aborder le chapitre des structures de l’opposition.

LE FIGARO : Vous semblez croire que l’intergroupe de l’opposition qui doit être prochainement créé à l’Assemblée n’est pas réellement une priorité ?

Jean-Louis DEBRE : Ayons d’abord un discours politique commun. Ensuite, ne construisons pas des structures artificielles. Les partis politiques et les groupes parlementaires, ne l’oublions pas, sont aussi la résultante des lois électorales. Le scrutin utilisé depuis de nombreuses années en France, conduit à une bipolarisation de la vie politique et favorise la diversité des formations politiques. Vouloir s’opposer aux conséquences des lois électorales est peine perdue. Avant d’évoquer la fusion de nos partis adoptons pour gérer l’intergroupe un mode d’organisation identique à celui qui fonctionne avec succès au Sénat. Que chaque président de groupe, à tour de rôle, dirige l’intergroupe. C’est ainsi que dans un premier temps nous serons efficaces et réalistes.

LE FIGARO : Après les déclarations d’Edouard Balladur, certains ont jugé que la préférence nationale était un sujet tabou. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Louis DEBRE : Je suis absolument et fermement opposé au concept de préférence nationale ! Je l’ai dit à plusieurs reprises. Il a des relents qui renvoient à des périodes sombres de l’histoire et expriment le visage d’une France crispée, rétrograde et refermée sur elle-même. Je crois à une France décomplexée, généreuse et ferme à la fois. Le travail est une valeur qui appartient à tous. Les étrangers en situation régulière ont les mêmes droits au travail que les Français et les prestations qui leur sont versées sont la contrepartie de cotisations au même titre que les nationaux. Mais je suis également révolté contre cette gauche « bien pensante » et tous ces « faiseurs d’opinion » qui se permettent de façon péremptoire de refuser tout débat. Pour qui se prennent-ils donc pour définir le champ de la discussion politique ?