Texte intégral
RTL : mercredi 30 mars 1994
P. Caloni : Est-ce un cadeau d'anniversaire pour E. Balladur avec les résultats dans les sondages ? Comment expliquez-vous cette perte de 12 points en un mois ?
B. Pons : Le sondage a été fait entre le premier et le deuxième tour des élections cantonales, dans la période où la contestation était la plus forte. Cela explique certainement cette baisse considérable dans le sondage. Mais le deuxième tour de l'élection a eu en quelque sorte corrigé le sondage puisqu'on constate une certaine stabilité de la majorité. Et s'il n'y a pas eu les gains qui étaient envisagés dans un certain nombre de départements, il n'en reste pas moins que la majorité a confronté ses positions et qu'il y a une certaine stabilité. Donc on ne peut pas dire que la majorité ait été sanctionnée, que le gouvernement ait été sanctionnée. Je crois donc que le sondage traduit une photographie à un moment d'inquiétude plus important.
P. Caloni : Mais est-ce que la loi Falloux plus le CIP, ce ne sont pas deux initiatives de trop, malheureuses ?
B. Pons : J.-Y. Hollinger a indiqué que le chef du gouvernement commençait à voir que l'horizon se dégageait. En ce résultat, c'est l'action du gouvernement pendant cette année. Alors c'est le gouvernement qui travaille, c'est le gouvernement qui a fait beaucoup de choses et comme tous les gens qui travaillent, il est quelquefois sujet à l'erreur. Mais globalement, je dois dire que l'action du gouvernement a été positive. Et vous parlez du CIP, dont on parle beaucoup en ce moment. Je dois dire que c'est une affaire qui est plus psychologique qu'autre chose. Le gouvernement n'a pas eu de mauvaises intentions en présentant ce texte à l'Assemblée nationale, il est vrai comme l'a indiqué hier le président de la Commission des affaires culturelles et sociales, qu'il aurait été mieux inspiré peut-être d'écouter certaines voix dans sa majorité, en particulier le porte-à-porte du groupe RPR, J.-P. Delalande qui l'avait mis en garde à propos de cette affaire. Mais il n'est pas animé de mauvaises intentions. Aujourd'hui, il prend un certain nombre de mesures qui vont arriver au retrait et avec une substitution.
P. Caloni : Mais, ça fait deux retraits.
B. Pons : Oui, mais à partir du moment où on constate que les choses ne vont pas comme on l'espérait, je crois que le gouvernement est objectif en la matière et qu'il a raison.
P. Caloni : Mais ne pensez-vous pas qu'on ne se sert pas assez des fusibles que sont les ministres à Matignon ?
B. Pons : C'est exactement ce que certains de mes collègues m'ont dit hier après-midi à la réunion du bureau du groupe. Effectivement, les ministres sont là pour aller souvent en première ligne et servir de fusible si nécessaire. Mais je crois que le Premier ministre est bel et bien conscient, il a une vraie expérience des gouvernements sous la Vème République.
P. Caloni : De plus en plus de gens dans la majorité réclament au Premier ministre de l'audace. Il y a une telle majorité au Parlement qu'on peut se permettre d'être audacieux.
B. Pons : Je crois qu'il faut essayer maintenant de regarder devant nous. Il nous reste un an avant les élections présidentielles. Vous parliez de l'anniversaire du gouvernement, il y en a qu'on célèbre de certaines manières ? Celui-là a été célébré calmement parce que la famille France ne va pas bien. Et en tant que responsable politique, je pensais à toutes celles et tous ceux qui aujourd'hui vivent dans l'angoisse, sont privés d'emploi. J'avais bien reçu comme beaucoup d'hommes politiques, le message de ces jeunes qui manifestent et qui traduit une inquiétude profonde qui va bien au-delà de tout ce qu'on avait connu dans le temps. Tous ces jeunes qui ont une formation et qui depuis trois ans ne trouvent plus à se placer sur le marché de l'emploi. Donc, je crois que le gouvernement va être confronté maintenant à une certaine accélération et sa majorité va lui demander. On parlait des chefs d'entreprise, ils vont avoir besoin d'aide parce que la création d'emplois passera par l'entreprise. Et il faut absolument qu'ils puissent investir. Et pour investir, ils ont besoin d'avoir des taux d'intérêt encore plus bas que ceux qu'ils ont aujourd'hui et ils ont besoin d'avoir des charges sociales moins lourdes.
P. Caloni : Les élections européennes vont servir de test ou pas ?
B. Pons : Non, les élections européennes ont une importance certes, mais pas capitale.
P. Caloni : c'est le gouvernement qui a politisé le deuxième tour des cantonales alors que ce sont des élections de proximité.
B. Pons : Oui, tout à fait. Mais les européennes ne sont pas capitales sur le plan politique. La majorité ira à ces élections unis, donc il n'y a pas de liste. Le projet a été examiné à partir de deux propositions du RPR et de l'UDF, c'est un projet commun et par conséquent, ça ne posera pas de problèmes ? Le véritable objectif, la clef de voûte du système, c'est l'élection présidentielle dans un an et cette élection est pour demain.
P. Caloni : Mais cette élection présidentielle, est-ce qu'on n'aurait pas intérêt à dire tout de suite : voilà ce sera monsieur X ou Y ?
B. Pons : Non, d'abord je le répète, c'est la situation de notre pays qui est préoccupante et le gouvernement et sa majorité doivent s'efforcer de tout faire pour essayer de l'améliorer compte tenu de l'héritage qu'ils avaient en mars 93. Donc, il faut s'efforcer de travailler. Quand je dirai, aux personnalités que vous évoquez, ce ne sont pas les formations qui vont faire ceci ou cela, les Français sont majeurs et ils l'ont appris dans le passé. Et donc je crois que très vite, ce sont les Français qui en quelque sorte, sélectionneront celui qui sera le champion.
P. Caloni : Je crois avoir décodé votre message. Merci.
France Inter : vendredi 8 avril 1994
M. Denoyan : Bonsoir.
Alors que nous sommes à un an pratiquement de l'élection présidentielle et que le Gouvernement vient de fêter sa première année d'existence, la période euphorique des premiers mois parait s'estomper et la critique d'une partie de la majorité vis-à-vis du Premier ministre devient vive.
Critique sur la manière dont le Gouvernement a géré l'affaire du contrat d'insertion professionnelle, mais critique plus générale sur les orientations de la politique du Premier ministre.
Critique toujours sur le statut qu'Édouard Balladur est en train de se faire auprès de l'opinion publique pour les prochaines élections présidentielles.
Critique aussi sur la conduite du dossier de la liste européenne de la Majorité.
Où en est le Gouvernement dans ses rapports avec le groupe le plus important de la Majorité ?
Invité d'Objections ce soir : monsieur Bernard Pons, Président du Groupe RPR à l'Assemblée Nationale.
Monsieur Pons, bonsoir.
M. Pons : Bonsoir.
M. Denoyan : Nous allons vous interroger bien entendu sur tout cela avec Pierre Le Marc et Annette Ardisson de France-Inter, Fabien Roland-Levy et Hervé François du Parisien.
Bernard Pons, depuis l'affaire du contrat d'insertion professionnelle, on savait que les rapports entre le Gouvernement et sa Majorité n'étaient pas fameux. Pensez-vous que la nomination de Dominique Baudis à la tête de liste commune de la Majorité va arranger les affaires ?
M. Pons : Monsieur Denoyan, d'abord, ce n'est pas une nomination.
M. Denoyan : C'est une désignation.
M. Pons : C'est une élection puisque, d'après les informations qui nous ont été données, c'est le bureau politique de l'UDF qui, réuni en session plénière, avait à choisir entre deux candidats : monsieur Jean-François Deniau et monsieur Dominique Baudis. IL semble d'ailleurs que les discussions aient été précisées, détaillées, la présentation des deux candidats très claire…
M. Denoyan : Mais vous auriez préféré l'autre à celui-ci.
M. Pons : Le bureau politique a choisi. C'est vrai, je l'ai reconnu le lendemain, que ce choix a posé quelques interrogations au sein du Groupe du rassemblement pour la République. Mais j'ai voulu aller tout de suite au fond des choses, et j'ai décidé de réunir le soir même un Bureau politique du groupe.
Donc avant-hier soir, j'ai réuni le Bureau politique. Nous avons ne discussion assez longue et il est apparu que ceux qui considéraient qu'il y avait là quelques interrogations au sein du Groupe du Rassemblement pour la République. Mais j'ai voulu aller tout de suite au fond des choses, e j'ai décidé de réunir le soir même un Bureau politique du groupe.
1°) Que nous avions voulu une liste d'union de la Majorité ; dans la situation politique que connaît notre pays, je crois que les Français n'auraient pas compris qu'il y ait deux listes.
2°) Nous avion s souhaité que ce soit l'un des nôtres qui conduise cette liste, et nous avions pensé à Alain Juppé. On nous a expliqué que ce n'était pas possible puisqu'Alain Juppé est au Gouvernement.
M. Denoyan : C'était monsieur Balladur qui a laissé sous-entendre cela.
M. Pons : Dans ces conditions nous avons repris nos négociations avec nos partenaires qui ont souhaité que ce soit l'un des leurs qui conduise la liste et, dans un souci de conclusion positive et pour montrer que nous ne faisons pas de cette affaire un élément capital, nous avons accepté que ce soit l'un des leurs.
M. Denoyan : Vous n'allez pas me dire quand même, parce que vous prenez un certain temps pour répondre à ma première question, monsieur Pons, que vous êtes content…
M. Pons : Attendez… Dès lors, il ne nous appartenait pas de nous substituer à l'UDF pour choisir ? L'UDF a fait ce choix, nous en prenons acte et dans les jours qui viennent, la Commission mixte d'investiture va se réunir, sous la présidence d'Alain Juppé et de François Bayrou, et la liste définitive sera mise au point.
Qu'est-ce qui importe ? Est-ce que c'est le choix d'une tête de liste ou est-ce que c'est le projet politique commun qui a été arrêté par une négociation entre l'UDF et le RPR ?
M. Denoyan : Le choix d'une tête de liste n'est jamais innocent quand même…
M. Pons : Je vous dis que ce qui compte, c'est le projet politique sur les 87 candidats de la liste seront tous engagés sur le projet politique commun.
M. Denoyan : Nous allons détailler tout cela.
M. Le Marc : Bernard Pons, est-ce que dans cette affaire le RPR ne s'est pas fait rouler dans la farine par l'UDF, à cause des hésitations du Premier ministre et à cause des hésitations du RPR et de Jacques Chirac ? Car enfin l'UDF a inspiré le projet politique concernant l'Europe ; il a obtenu…
M. Pons : La réponse est non.
M. Le Marc : Attendez… Il a obtenu… Permettez…
M. Pons : Vous affirmez, je dis non.
M. Le Marc : Je vous pose la question et vous répondrez ensuite, si vous voulez. Il a donc inspiré le projet politique européen qui sera présenté, il a obtenu que tous les députés qui seront élus participent au même groupe à Strasbourg, le Groupe du PPE, des Démocrates Chrétiens. Il a obtenu la tête de liste et il a placé en tête de cette liste un Européen à tous crins.
Donc est-ce que finalement vous ne l'avez pas été vaincus dans cette affaire politiquement ?
M. Pons : La réponse est non. D'abord il n'y a pas eu d'hésitation de la part de Jacques Chirac, aucune. Jacques Chirac considérait depuis très longtemps que cette affaire n'était pas une affaire capitale, car il s'agit d'envoyer des députés à l'Assemblée des Communautés Européennes, qui n'ont même pas un pouvoir équivalent au pouvoir législatif des députés français.
Ce que voulait Jacques Chirac, c'est que ces députés aillent à Strasbourg sur la base d'un projet politique fort et pas inspiré par nos partenaires, mais un projet commun. Il y a eu deux groupes de travail, un à l'intérieur de l'UDF, un à l'intérieur du RPR. Les deux projets ont été mis en face ; il n'y avait pas de divergences profondes. Un groupe de travail commun a surmonté les divergences et j'ai ici le projet, je l'ai amené avec moi. Je peux vous dire que ce projet européen correspond tout à fait à ce que nous souhaitons…
M. Le Marc : Y compris sur la monnaie unique, les institutions, etc… ?
M. Pons : … en particulier sur une Europe plus démocratique et plus proche, avec un contrôle politique accru de la Commission…
M. Le Marc : C'est un projet que Philippe Séguin qualifie de « machin ».
M. Pons : Non.
M. Le Marc : Ah si !
M. Denoyan : Il y a quand même une sacrée progression dans vos idées européennes, monsieur Pons ; le RPR progresse terriblement vers l'UDF…
M. Pons : C'est un projet qui correspond tout à fait à ce que nous voulons. ? Et le communiqué qui a été publié…
M. Le Marc : Ce n'est pas l'avis de Philippe Séguin.
M. Pons : …hier, à l'issue de la réunion du bureau politique du Rassemblement pour la République, dit bien que ce projet est dans l'esprit d'une Europe qui n'est pas une Europe fédérale.
M. François : Est-ce que vous pensez que les anti-Maastricht du RPR, qui sont quand même nombreux, vont vous emboîter le pas gentiment, où est-ce qu'il va y avoir des tentations plus ou moins voilées d'aller soutenir des gens comme Philippe de Villiers, qui sont nettement plus dans l'Opposition, qui représentent une Europe totalement différente de celle de Dominique Baudis ?
M. Pons : Au sein du Rassemblement pour la République aujourd'hui, tous les responsables et tous les élus nationaux sont préoccupés de la situation de notre pays ? Alors bien sûr, le problème de l'Europe les concerne, mais je dirai que cela les concerne un peu indirectement, et ils savent très bien que ce qui compte, ce n'est pas tellement la nature des députés qui vont être envoyés au Parlement européen, mais plutôt l'engagement politique qui sera pris par le futur exécutif de la France sur ce que devra être la politique de la France dans l'Europe, c'est-à-dire une politique qui veillera à ce que les intérêts de l'Europe dans le monde soient préservés et à ce que, dans l'Europe, les intérêts de la France et des Français soient préservés.
M. François : À deux reprises, vous nous expliquez que les députés européens, finalement, c'est un peu secondaire…
M. Pons : Oui, exactement…
M. François : Dans la pensée de Jacques Chirac et dans…
M. Roland-Lévy : Je ne sais pas si c'est comme cela que vous allez faire campagne, mais vous êtes en train d'expliquer depuis le début de l'émission que cette élection, finalement, cela n'a pas une très grosse importance.
M. Pons : Monsieur Roland-Lévy, ce n'est pas vous qui allez me dire que le Parlement européen joue quand même, au niveau même…
M. Roland-Lévy : Ce n'est pas un discours mobilisateur.
M. François : Vous n'aidez pas beaucoup Dominique Baudis…
M. Pons : Au niveau même de la construction de la politique européenne, le Parlement européen ne joue pas un rôle capital. On peut le regretter, mais le problème est là…
M. Le Marc : C'est aussi un geste politique intérieur…
M. Pons : … et nous savons très bien, pour l'avoir vu en 1979, en 1984, qu'il n'y a pas une mobilisation considérable…
M. Roland-Lévy : En 1984, vous faisiez campagne activement avec Simone Veil en deuxième position sur la liste.
M. Pons : Oui, mais je ferai campagne de la même manière lors des prochaines élections au mois de juin, et je ferai campagne activement, parce que je suis profondément attaché à la construction de l'Europe, mais pas de n'importe quelle Europe. Elle a dérapé depuis quelque temps. La négociation qu'a eue le Gouvernement français à propos de la politique agricole commune a été un bon élément pour remettre un peu la machine sur les rails, parce qu'il y a eu la volonté du Gouvernement français, mais je dirais que cela n'est pas capital.
Mme Ardisson : Sans vouloir créer des clivages inexistants, on peut dire quand même que vous faites le grand écart entre d'un côté le RPR qui suit Dominique Baudis et de l'autre la nécessité de faire taire des gens qui, chaque fois que quelque chose va mal en France, dise non pas le poumon, comme chez Molière, mais l'Europe. C'est totalement incompatible, il va arriver un jour où cela sera absolument ingérable.
M. Pons : On a toujours un petit peu caricaturé la position du RPR face à l'Europe.
M. Denoyan : Aidez-nous à y voir clair…
M. Pons : Au sein du RPR, je ne connais pas beaucoup de responsables qui soient anti-européens. La plupart de mes collègues sont profondément attachés à la construction de l'Europe, mais je le répète, pas la construction de n'importe quelle Europe. Ils veulent une Europe forte et, dans cette Europe forte, ils veulent une France debout et une France qui soit présente pour défendre ses intérêts et les intérêts des français.
Et si depuis quelque temps ils ont été assez forts dans leurs critiques, c'est parce qu'ils ont eu le sentiment, qui est une vérité, qu'il y a eu une vérité, qu'il y a eu une espèce de dérive au niveau des institutions européennes. Quand vous voyez que le GATT, la Commission Européenne a envoyé deux émissaires aux États-Unis, sans mandat précis, sans aucune responsabilité politique, avec les conséquences graves qui ont failli se produire, s'il n'y avait pas eu le changement de majorité et un nouveau Gouvernement qui a tapé du poing sur la table et qui a rétablit la situation.
Mme Ardisson : Est-ce que cela veut dire en clair que vous vous sentez proche de Philippe Séguin, sur l'Europe, vous, Bernard Pons ?
M. Pons : Je me sens très proche de Philippe Séguin sur l'Europe car …
M. Denoyan : Lui, il est très éloigné de Dominique Baudis.
Mme Ardisson : Plus proche de Séguin que de Baudis ?
M. François : Vous pensez qu'il peut siéger au PPE ?
M. Pons : Philippe Séguin a une position, au moment du référendum sur la ratification de Maastricht, qui n'était pas la mienne. Cela est le passé. Je vous invite à vous reporter aux propos de Philippe Séguin a tenus dernièrement sur l'Europe, où il montrait, d'une manière tout à fait claire et que je partage, qu'il était partisan d'une construction européenne, mais je le répète, pas de n'importe quelle Europe. Et la conception de Philippe Séguin est une conception qui est très proche de celle de Jacques Chirac, d'Alain Juppé ou de la mienne.
M. Le Marc : Mais pas celle de Valéry Giscard d'Estaing.
Mme Ardisson : Ni de Baudis.
M. Pons : Oui, mais le moyen dénominateur commun qui a été trouvé, c'est le projet que je viens de vous montrer …
M. Le Marc : Le « machin » dont parle Séguin …
M. Pons : Effectivement, dès lors qu'il y a un compromis, chaque formation politique est obligée de faire des concessions, et dès lors qu'il y a des concessions, cela devient un peu un « machin » …
Objections
M. Denoyan : Objection de de monsieur Philippe de Villiers, qui est député UDF de Vendée, qui va sans doute nous faire part d'une autre analyse sur la constitution de cette liste Baudis.
Philippe de Villiers, bonsoir.
M. de Villiers : Bonsoir.
M. Denoyan : Que répondez-vous ou qu'objectez-vous à monsieur Bernard Pons ?
M. de Villiers : Je n'ai pas envie d'objecter à mon ami Bernard Pons. Je voudrais simplement dire à Bernard que si j'ai décidé de faire une liste avec Jimmy Goldsmith, Charles de Gaulle et tous ceux qui vont nous rejoindre, c'est parce qu'il m'est apparu que nous étions à l'instant présent devant ce qu'on pourrait appeler une sorte de rupture historique, en tout cas un moment décisif.
Pour moi, les Européennes, ce n'est pas du tout une question de parti, une question d'appareil, une question d'état-major, une question de dosage. C'est une question de principe, dans la situation de gravité où se trouve notre pays, la France, une question de confiance, une question de survie, parce c'est la première fois depuis quelques années que dans toute son histoire, en temps de paix, la France a abdiqué au compte-gouttes – Maastricht, Schengen, le GATT – des pans entiers de sa souveraineté, c'est-à-dire de son indépendance et de sa liberté.
Or le « machin » dont parlait Bernard, le fameux « machin », je l'ai sous les yeux et je le relisais au moment où Bernard parlait tout à l'heure. Ce qui me frappe, d'abord, c'est que le nom de la France, je l'ai cherché, je l'ai trouvé à la dernière page, de manière allusive et par une simple désignation géographique. Monsieur Bourlange qui a rédigé ce programme, qui est le penseur très proche de monsieur Baudis, a oublié le mot France autrement que par allusion.
Deuxième remarque : j'entends madame Trautmann, une personne intelligente, qui est place n° 2 sur la liste socialiste, qui dit ceci : les deux programmes, le programme de l'UDF-RPR et le programme du PS, sont parfaitement superposables, ils sont mêmes analogues ; c'est elle qui le dit.
Troisièmement : le programme de l'UDF-RPR poursuit, à mon sens, les erreurs de Maastricht – je cite la phrase : « Le vote unanime devra être progressivement réduit », c'est clair –, poursuit Schengen – il faut mettre rapidement en application les dispositions du Traité de Schengen –, poursuit le GATT … Comme le disait tout à l'heure monsieur Pierre Le Marc, incontestablement, on sent la patte, la griffe, des experts de l'UDF plutôt que des experts …
M. Denoyan : Est-ce que vous avez une question à poser à monsieur Pons ?
M. de Villiers : Ma question est la suivante : je voudrais demander à Bernard, très amicalement parce que nous nous connaissons bien et nous nous estimons mutuellement, ce qu'il pense des poids lourds du RPR qui hier, dans les couloirs de l'Assemblée, rechignaient à l'idée que les futurs députés européens de l'UDF et du RPR …
M. Denoyan : Vous pensez à qui, monsieur de Villiers ?
M. de Villiers : … siègent au sein du Parti Populaire Européen, dont la charte constitutive porte en filigrane la fusion des nations et la disparition de la France.
M. Denoyan : Qui avez-vous entendu dire cela ?
M. Pons : Philippe de Villiers vient de soulever, c'est vrai, un vrai problème. Je dois dire qu'il est évident que pour un certain nombre de nos collègues, participer au PPE en signant la charte, cela sera sans doute très difficile ; mais je pense que cela sera peut-être possible car certains de nos collègues britanniques l'ont fait je crois, de siéger sans signer la charte. C'est la charte d'Athènes, je crois …
M. de Villiers : Oui.
M. Denoyan : Vous êtes convaincu ? C'est oui ou c'est non ?
M. de Villiers : Mon amitié pour Bernard me porte à la bienveillance …
M. Denoyan : Cela promet, la campagne électorale …
M. de Villiers : Je ne suis pas du tout convaincu par le programme de monsieur Bourlange.
M. Pons : À cet égard, je voudrais dire à Philippe de Villiers qu'il est sans doute, lui aussi, mal informé. Je vais lui faire parvenir le projet qui avait été rédigé par monsieur Bourlange et il pourra le comparer avec le projet commun qu'il a sous les yeux. Il verra que ce n'est pas le projet de monsieur Bourlange qui a été repris, mais que sur des points très importants, ce sont au contraire les propositions du RPR qui figurent dans ce projet commun.
M. de Villiers : J'ai simplement une question alors …
M. Denoyan : Une vraie question, s'il vous plait, monsieur de Villiers.
M. de Villiers : Premier point de la première page, qui s'intitule « Poursuivre l'union économique et monétaire au service de la croissance, etc. » : « En matière de politique économique et monétaire, nous décidés à tenir tous les engagements et le calendrier prévu dans le Traité d'Union européenne ». Est-ce que c'est d'inspiration RPR ou d'inspiration monsieur Bourlange, qui est d'ailleurs un homme fort intelligent, je le dis au passage et avec lequel j'espère pouvoir débattre sur votre antenne ?
M. Pons : Je crois que ce n'est ni d'inspiration de monsieur Bourlange ni d'inspiration …
M. de Villiers : C'est du pur Maastricht.
M. Pons : Parce que c'est dans la nature des choses et que c'est une déclaration correcte à l'égard de nos partenaires, mais nous savons très bien que le calendrier ne pourra pas être tenu, et nos partenaires le savent également.
M. de Villiers : Ah bon ! Alors on écrit des choses dont on sait qu'elles sont inapplicables …
Deuxième exemple : à la page 5, il y a une perle …
M. Denoyan : Vous n'allez pas faire tout le Traité …
M. de Villiers : Pardonnez-moi, monsieur Denoyan, je suis un pauvre provincial qui vous téléphone de loin …
M. Denoyan : On prendra la communication à notre charge, ne vous inquiétez pas …
M. de Villiers : J'espère qu'un jour vous m'inviterez et que Bernard sera l'objecteur ; ce sera la situation inverse, à charge de réciprocité …
M. Denoyan : Mais certainement.
M. de Villiers : Il s'agit de la phrase suivante : « s'agissant de la liberté de circulation des personnes, il faut mettre rapidement en application les dispositions du Traité de Schengen ». Moi, cela m'embête, parce que pour moi, ce qu'il faut faire c'est rétablir les contrôles aux frontières, c'est exactement l'inverse. Le Traité de Schengen, il suffit d'écouter le Sénat, qui a dit très justement que ce traité est inapplicable.
M. Denoyan : Comme vous n'êtes pas encore l'invité principal, vous laissez répondre monsieur Bernard Pons.
M. Pons : Nous savons très bien que le Traité de Schengen devait rentrer en application et que les gouvernements ont reconnu qu'il ne pouvait pas rentrer en application immédiatement. Donc c'est une question d'adaptation et je crois qu'il ne faut pas se braquer sur un certain nombre de mots.
M. Denoyan : Merci à Philippe de Villiers d'avoir été avec nous ce soir.
M. Le Marc : Il n'y aura, je crois, ni député ni ministre du RPR sur la liste de la majorité. Alors qui représentera le RPR ?
M. Pons : Des ministres, il n'y en aura pas puisqu'il y a une décision du Premier ministre …
M. Le Marc : Des députés, il aurait pu y en avoir.
M. Pons : Des députés, je ne sais pas encore puisque la Commission d'investiture, dont je fais partie, ne s'est pas encore réunie. Je sais que nous sommes à l'heure actuelle à un nombre élevé de candidatures, nous les examinerons.
M. Roland-Lévy : Mais vous avez bien une idée sur le profil idéal de celui qui sera votre chef de file sur la liste, donc le n° 2 de Dominique Baudis ?
M. Pons : Oui, nous avons une idée …
M. Roland-Lévy : On a entendu des noms, Jean-Pierre Cabrol, madame Pompidou …
M. Pons : Non, mais nous avons plusieurs possibilités. C'est vrai que le nom que vous venez d'évoquer a déjà été cité.
M. Le Marc : Gérard d'Aboville …
M. Roland-Lévy : C'est curieux qu'il n'y ait pas un politique du RPR qui puisse Symboliser l'engagement européen du RPR …
M. Pons : Il y a des politiques également. De toutes façons, nous attendons le retour de monsieur Juppé, qui est le Secrétaire général de notre formation politique et qui est en ce moment en Chine où il accompagne le Premier ministre, pour mettre au point définitivement les choix que nous ferons, et …
M. Denoyan : Donc, nous attendons le retour de monsieur Juppé de Chine …
M. Pons : Voilà …
Mme Ardisson : Regrettez-vous un peu, beaucoup, pas du tout cette interdiction qui est faite aux ministres de figurer sur la liste ?
M. Pons : Ah, je la regrette parce que notre choix était un bon choix et qu'Alain Juppé aurait été, c'est vrai, une bonne locomotive et aurait créé une dynamique …
Mme Ardisson : … Pourquoi monsieur Balladur a-t-il donné ces instructions ?
M. Pons : … Parce qu'il aurait été un peu au-delà de ces élections européennes et qu'il aurait parlé de l'orientation de la politique de la France à l'égard de l'Europe mais au niveau de l'exécutif. À mon avis, le vrai débat de l'Europe, ce sera le débat au moment des élections présidentielles et c'est à l'occasion des élections présidentielles que les candidats à l'élection présidentielle, donc à la magistrature suprême, développeront leurs projets en manière de politique européenne.
M. Denoyan : Nous allons y venir à l'élection présidentielle dans quelques minutes, mais à travers ce que vous venez de dire, regrettant la décision de Monsieur Balladur de faire en sorte qu'il n'y ait pas de ministres de son gouvernement sur les listes européennes, monsieur Balladur s'est conduit comme le chef de la Majorité. Pour vous, Monsieur Balladur, ce qui est une constante en général au niveau de la Ve, est-il le chef de la Majorité à Matignon ?
M. Pons : Tout à fait ! Il est le chef de la Majorité, c'est une tradition sous la Ve République. Il a d'ailleurs une Majorité très large et il reconnaît que cette Majorité le soutient, contrairement à ce que vous avez dit dans votre chapeau …
M. Denoyan : … J'écoute, monsieur Pons. Si vous voulez qu'on fasse le florilège de toutes les critiques qui se sont exprimés de votre Mouvement à l'égard de Monsieur Balladur, on va y passer un certain temps.
M. Pons : Il peut y avoir des critiques mais le Premier ministre, dans un texte qu'il a publié, il y a peu de temps, reconnaît que la Majorité le soutient et qu'elle vote pour lui.
M. Denoyan : Tant que vous ne votez pas contre, vous le soutenez, c'est sûr …
Roland-Lévy : … Vous n'allez pas le censurer mercredi prochain, sans doute lors du débat …
M. Pons : … Non, mais je peux dire que nos collègues socialistes et communistes ne le censureront pas davantage.
Roland-Lévy : Certainement !
M. Denoyan : Ils n'en ont pas les moyens.
Roland-Lévy : Philippe Séguin, dont on a fait plusieurs fois allusion depuis le début, a expliqué que la Majorité était là pour contrôler le Gouvernement, dont le chef de la Majorité. Cette notion est-elle bien conforme à l'esprit des Institutions ?
M. Pons : Tout à fait, et reportez-vous à la déclaration que j'ai été amenée à faire le 8 avril 1993 lorsque, au nom du Groupe RPR, je répondais au Premier ministre dans sa déclaration de politique générale avant le vote de confiance qu'il avait demandé, je lui disais : « Nous vous soutiendrons mais nous serons vigilants et nous serons même critiques quelquefois ».
Je dois dire que nous assistons depuis déjà un certain nombre d'années et cela s'accentue malheureusement chaque jour davantage, à une dérive des Institutions. Philippe Séguin a tout à fait raison et je le soutiens totalement, il faut redonner au Parlement les moyens d'exercer ses responsabilités. Or aujourd'hui, il est bien vrai que les chefs de la Majorité, par ses représentants, c'est-à-dire par ses ministres ou souvent même par ses conseillers techniques, a tendance à vouloir imposer à la Majorité des vues qui ne correspondent pas tout à fait …
M. Denoyan : … Vous avouerez monsieur Pons, que, à mesure que monsieur Balladur baisse dans les sondages, les critiques venant du RPR sont de plus en plus fortes et de plus en plus nombreuses …
M. Le Marc : … Et au fur et à mesure que la Présidentielle s'approche.
M. Pons : Non …
M. Denoyan : … Nous nous trompons, là, nous avons une vision déformée des choses ?
M. Pons : En juin 1993, j'étais l'invité d'un de vos grands confrères dans une émission de cette nature et j'avais été amené, au niveau de la relance de la croissance, à faire quelques observations, aussitôt, on avait dit que j'avais fait des critiques de la politique de monsieur Balladur très fortes, etc. Pas du tout, j'avais exprimé ce qu'était mon sentiment.
Je crois que, aujourd'hui, dans un Parlement comme le nôtre, avec une Majorité aussi large que celle qui existe aujourd'hui, il faut que les députés soient des députés à part entière. Ils ont été élus avec des engagements pris devant leurs électeurs et ils ne doivent pas se contenter de dire « amen » à toutes les propositions du Gouvernement.
M. François : Il y a tout de même une critique qui revient de manière récurrente, c'est le problème du dialogue que vous avez avec le Gouvernement. On nous a rapporté que certains députés, lors de la dernière réunion de groupe, ont mis en cause la technostructure, citant même le chef de Cabinet du Premier ministre, enfin, il y a une critique dans la façon dont vous dialoguez. Vous avez, vous-même, dit : « Si on nous avait écoutés, le CIP ne serait pas passé », maintenez-vous cette critique ?
M. Pons : Vous avez tout à fait raison, c'est tout à fait exact et je trouve que c'est sain, c'est bon dans une démocratie. Que ne seriez-vous pas amenés à dire et à écrire si, salle Colbert, les 259 députés, puisque nous sommes 259 depuis quelques jours, se contentaient d'écouter et d'applaudir, vous diriez : « Cela ne correspond à rien ». Non, il a des critiques, je trouve que c'est bien et, en tant que Président de Groupe, je veille à ce qu'elles puissent s'exprimer largement et en toute liberté, et c'est bon pour le Gouvernement.
Mme Ardisson : Plutôt que les petites phrases assassines dans les couloirs, le plus efficace n'est-il pas de traduire ces critiques par, par exemple, des amendements quand vous considérez que le Gouvernement est en train de se fourvoyer ? Exemple, le CIP pourquoi l'avez-vous laissé faire alors que, maintenant, vous dites : « Ah, si on nous avait écoutés, cela ne serait pas passé ainsi » ?
M. Pons : Permettez-moi de vous dire, Madame Ardisson que c'est exactement ce qui s'est passé. Au moment du débat sur le CIP, lorsque le problème particulier est venu en séance, déjà en Commission un certain nombre de nos collègues, en particulier Jean-Pierre Delalande, avaient alerté le Gouvernement. E, séance, il a repris ces observations. Le ministre a répondu en lui disant : « Je ne peux pas vous répondre à chaud », – je crois que c'est la phrase exacte, puis il y a eu le débat et il y a eu l'analyse, et un amendement a été proposé par un député socialiste, monsieur Berson. Cet amendement a été voté par la majorité des députés du Groupe RPR, ce qui prouve bien que nous ne sommes pas systématiques dans nos votes. Et cet amendement aurait évité au Gouvernement de commettre l'erreur qui a été commise mais, à ce moment-là, la technostructure a joué et des conseillers proches du Premier ministre, sont venus dans la nuit à l'Assemblée nationale, ont poussé le ministre a demandé une deuxième lecture, une deuxième délibération, la Constitution permet de faire une deuxième lecture, et le ministre a dit à sa Majorité : « Sauvez-moi parce qu'on me demande une deuxième délibération » …
Mme Ardisson : … il n'y avait personne dans la salle pour dire « non » ?
M. Pons : Nous avons eu tort de répondre au désir du Gouvernement et nous aurions dû maintenir notre vote en première lecture, c'est vrai !
Cet enseignement doit nous servir pour la session qui s'ouvre aujourd'hui …
M. Denoyan : … Cela ne se reproduira plus ?
M. François : Vous savez bien que le Gouvernement a tous les moyens pour s'opposer.
M. Pons : Et je dis avec beaucoup de clarté : « Il faut que le Gouvernement sache que dans les temps qui viennent, lorsque nous aurons une libération au sein de notre Groupe et que sur un point particulier nous prendrons une décision, ce ne sera pas la peine de venir faire les couloirs pour nous faire changer de décision, nous la maintiendrons ».
M. Denoyan : Jusqu'où la maintiendrez-vous ? Parce qu'il y a aussi un rapport de forces avec le Gouvernement ?
M. Pons : Nous la maintiendrons dans la mesure où cette décision aura été réfléchie, mûrie, discutée avec le Gouvernement et qu'il apparaîtra qu'elle va dans le sens …
M. Pons : … Mais nous sommes toujours pour la négociation, toujours pour la discussion …
M. Denoyan : … Vous n'irez pas jusqu'à voter une motion de censure, par exemple ?
M. Pons : Bien sûr que non, ce n'est pas du tout ce que je veux dire.
Mme Ardisson : Il y a d'autres moyens de faire tomber le Gouvernement.
M. Roland-Lévy : Vous voulez provoquer le Gouvernement à sortir le 49-3, comme on dit ?
M. Pons : Non, pas du tout ! Je crois que le Gouvernement qui a fait l'expérience d'une situation très préoccupante, parce que le Gouvernement dans cette affaire était animé des meilleures intentions du monde, mais en voulant peut-être trop bien faire c'est là où les choses ont été mal expliquées, ont dérapé et ont provoqué cette réaction que je comprends parfaitement, le Gouvernement est averti qu'il ne faudra peut-être pas renouveler ce genre d'expérience.
M. Le Marc : Il y a un autre reproche que vous faites au Premier ministre, c'est de se donner une stature de présidentiable alors qu'il aurait contracté avec Jacques Chirac le fait de ne pas se présenter aux présidentielles. Quel est ce contrat et quelles conclusions tirez-vous de la conduite actuelle du Premier ministre ?
M. Pons : Le Premier ministre, depuis qu'il est à l'Hôtel Matignon n'a jamais dit qu'il serait un jour candidat …
M. Le Marc : … Il l'a laissé entendre clairement.
M. Pons : Il ne l'a jamais dit.
M. Denoyan : Il n'a pas dit le contraire non plus.
Mme Ardisson : Il n'a pas dit qu'il ne le serait pas.
M. Pons : Il n'a pas dit qu'il ne le serait pas …
M. François : … Il n'a pas déclaré sa candidature.
M. Le Marc : Ses propos laissent à penser qu'il le sera.
M. Pons : Et il a eu autour de lui des gens qui ont dit qu'il serait, le cas échéant, le meilleur candidat.
M. Denoyan : Certains membres du Gouvernement l'ont même demandé.
M. Pons : Il est bien vrai que c'est peut-être ces déclarations et ce non-dit qui ont provoqué cette espèce d'escalade qui s'est déroulée ces derniers temps et qui m'a amené à dire ce que je savais.
J'ai participé entre 1988 et 1993, c'est-à-dire le mois de mars 1993, pendant cinq ans, tous les mardis matin, à des réunions communes, nous n'étions pas très nombreux autour de Jacques Chirac mais où il y avait entre autre Édouard Balladur, Jacques Chirac, moi-même, Alain Juppé, Charles Pasqua, et où nous avons examiné, chaque semaine, l'évolution de la situation politique où nous avons élaboré une stratégie, cette stratégie a été mise en place. Je vous dirai très franchement que nous nous sommes même interrogés le soir du deuxième tour des élections législatives car la victoire était d'une telle ampleur que nous étions en droit de nous interroger pour savoir si, d'accepter une deuxième cohabitation, c'est véritablement la bonne voie. Nous ne l'avons fait parce que la situation de la France était, très préoccupante, que notre pays était malade et qu'il fallait qu'il y ait très vite en place un Gouvernement pour se remettre au travail et essayer de redresser la situation de la France.
M. Le Marc : Alors, ce contrat ?
M. Pons : Ce contrat prévoyait que Édouard Balladur accepterait, si le Président de la République le lui demandait, le poste de Premier ministre, qu'il constituerait un Gouvernement comme il l'entendait, un Gouvernement d'union avec nos partenaires de l'UDF et qu'il se mettrait au travail pour redresser la situation de la France, mais qu'il évacuerait tout problème lié directement à l'élection présidentielle …
M. Denoyan : … Est-ce monsieur Balladur qui l'a dit dans votre réunion ?
M. Pons : Ce problème a été évoqué 20 fois, 30 fois …
M. Denoyan : … Non, est-ce que monsieur Balladur l'a dit lors de votre réunion aux personnes que vous avez citées ?
M. Le Marc : S'est-il engagé ? …
M. Pons : Non seulement il l'a dit mais le 13 juin 1990 …
M. Denoyan : … Il l'a dit ?
M. Pons : Le 13 juin 1990, il l'a écrit dans un grand quotidien du soir, son article se terminait par les mots suivants : « Il existe encore, grâce au ciel, suffisamment d'hommes politiques qui ne se veulent pas être candidats à l'élection présidentielle », c'était fort bien dit.
M. Denoyan : Donc, vous avez pensé que c'était pour lui qu'il écrivait ?
M. Pons : C'est fort bien dit et, par conséquent, pour ma part, je reste tout à fait convaincu que c'est une stratégie qui se déroule actuellement et qui se déroulera normalement.
Mme Ardisson : Aujourd'hui, 8 avril 1994, qu'attendez-vous de monsieur Balladur pour dissiper ce malaise ou cette ambiguïté ?
M. Pons : Je crois que monsieur Balladur a tout à fait raison de ne pas vouloir parler des présidentielles parce que s'il en parlait, d'une manière ou d'une autre, je suis persuadé qu'il y aurait toujours des interprétations.
M. Denoyan : S'il dit : « Je n'y vais pas », c'est clair.
M. Pons : Il a tout à fait raison de ne pas en parler … s'il dit : « je n'y vais pas », cela va provoquer un vide dans un certain …
M. Le Marc : … Que Jacques Chirac remplira.
M. Pons : … Dans un certain nombre de domaines et je sais très bien que la nature a horreur du vide.
M. Roland-Lévy : Ah, il garde la place.
Mme Ardisson : Il y en aura un autre à la place. Cela devient très intéressant.
M. Le Marc : Vous voulez dire qu'il bétonne l'horizon de l'UDF ?
M. Pons : Je crois que le Premier ministre est fort sage d'être extrêmement discret sur cette affaire, il a suffisamment de travail avec son Gouvernement …
M. François : … Et avec sa Majorité.
M. Le Marc : Et soutenu par sa Majorité… À tout faire pour redresser la situation de notre pays. Les résultats obtenus déjà, dans un grand nombre de domaines, sont très encourageants, positifs et, par conséquent, le premier bilan, au bout d'un an, du Gouvernement de Monsieur Balladur, soutenu par sa Majorité, est un bon bilan qui doit être amélioré dans les temps qui viennent. L'élection présidentielle, on verra plus tard.
M. François : À propos du bilan d'Édouard Balladur, vous disiez récemment dans une interview : « En 1995, il ne s'agira pas de trouver une alternative au Premier ministre mais au bilan de Mitterrand », maintenez-vous cela encore aujourd'hui ? N'est-ce pas le bilan d'Édouard Balladur qui va être jugé par les électeurs…
M. Pons : … Mais pas du tout, puisque le bilan d'Édouard Balladur sera le nôtre. Comment pourrons-nous, nous au RPR, être amenés à juger le bilan d'Édouard Balladur ? Pour nous, RPR, au moment de l'élection présidentielle …
M. François : … Mais les électeurs se prononceront sur le bilan d'Édouard Balladur, pas sur le bilan de François Mitterrand.
M. Pons : Nous parlerons du bilan des deux septennats de Monsieur Mitterrand, ses deux septennats… nous avons connu le bilan du premier, nous ferons le bilan du second et, hélas, je peux vous dire, d'ores et déjà, que je sais qu'il sera largement négatif et que notre candidat à l'élection présidentielle devra faire preuve de dynamisme, d'imagination et de courage.
M. Roland-Lévy : Vous venez de répéter que vous avez été élu pour appliquer un programme, or, à chaque fois que le Premier ministre ou le Gouvernement veut essayer d'appliquer une partie de ce programme en essayant de faire passer une réforme vous en voyez comme tout le monde le résultat : des manifestations, de la violence éventuellement… même, hier, la réforme hypothétique, enfin qui n'existe pas encore des transports en Ile-de-France…
M. Denoyan : … De la RATP.
M. Roland-Lévy : … À complètement bloquer la capitale. Êtes-vous ou non convaincu par ce que dit Édouard Balladur, à savoir qu'on ne peut pas imposer un rythme à la Société si elle ne veut pas de ces réformes ?
M. Pons : Édouard Balladur dit ceci : « La politique menée depuis un an fait l'objet de deux reproches contradictoires : les uns disent : “Surtout ne touchez à rien, ne bougez rien, évitez les vagues” et les autres disent : “Vous n'avancez pas assez vite, vous ne faites pas suffisamment de réformes, il vous arrive de reculer, allez plus vite, plus loin et plus fort” », et il a raison.
Vous avez cité l'exemple de la grève du métro, hier …
M. Roland-Lévy : … C'est la dernière en date.
M. Pons : Déclencher une grève à titre préventif, avec toutes les conséquences pénibles que cela a engendrées pour des travailleurs, dans des conditions difficiles, alors qu'il n'y a aucun projet, que le préfet de la région parisienne a été chargé d'examiner une situation, d'écouter les organisations syndicales, d'écouter les usagers, de vérifier la situations financière et qu'on annonce tout de suite toute une série de décisions que personne n'a envisagées, cela tient au malaise qu'il y a aujourd'hui.
M. Denoyan : Oui, mais c'est bien la question que vous pose Fabien Roland-Lévy.
M. Pons : Monsieur Roland-Lévy, c'est vrai …
M. François : … Peut-on réformer ?
M. Pons : … C'est vrai, il y a un malaise dans l'opinion publique et ce malaise tient au fait que la situation de notre pays, je l'ai dit tout à l'heure, est une situation grave, préoccupante, avec plus de 3 millions de chômeurs, avec un million et demi d'exclus, avec une France qui est en train de se couper dans une Société à double vitesse, avec des gens qui sont rejetés de notre Société, avec je dirais ce drame qui touche maintenant pratiquement toutes les familles. Il n'existe personne qui ne soit pas directement ou indirectement touché par le chômage, l'exclusion et une certaine…
Mme Ardisson : … Mais c'est un peu le serpent qui se mord la queue parce que si l'angoisse du chômage fait que, immédiatement, tout projet de réforme ou d'avancement ou d'arrangement est bloqué par des manifestations ou par un mouvement d'opinion tel qu'il faut arrêter, on ne peut rien faire ?
M. Pons : Non, je ne crois pas du tout ! Je crois que c'est aussi quelquefois la manière. Vous savez, je suis de formation médicale et j'ai souvent l'habitude de dire que la façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne quelquefois, on l'a vu pour les quelques évènements négatifs qui viennent de se dérouler.
Je pense qu'il faudra que, dans les temps qui viennent, ceux qui ont la charge de conduire le pays soient plus attentifs à ce que disent les organisations syndicales. Les organisations syndicales ont du mal quelquefois à être les courroies de transmission, je crois qu'il faut les aider dans leur travail et être peut-être plus attentifs à ce qu'elles disent et à ce qu'elles sentent. Il y a des tabous pour les organisations syndicales, je crois qu'il faut éviter de toucher à ces tabous.
Dans l'histoire du Smic, il n'a jamais été dans l'intention de Monsieur Balladur de toucher au Smic et de créer un Smic jeunes, jamais, mais il en donne l'impression et, aussitôt, les organisations syndicales se sont raidies. Donc, je crois qu'il faudra, de plus en plus …
M. Denoyan : … Savoir mieux communiquer.
M. Pons : Communiquer.
M. Le Marc : Le projet de Jacques Chirac sera-t-il le prolongement de la gestion du Premier ministre ou sera-ce quelque chose de vraiment nouveau, sera-ce une rupture avec cette gestion ?
M. Pons : Ce sera totalement nouveau. C'est la raison pour laquelle Jacques Chirac a voulu rester en arrière, ne pas être pris tous les jours …
M. Le Marc : … Nouveau en quoi ?
M. Pons : Il a vécu à Matignon à deux reprises et il sait très bien que lorsqu'on est Premier ministre dans un Gouvernement de la Ve République, on est du matin au soir attaché à la gestion, pris par la gestion, englué dans la gestion, qu'on n'a pas le temps de la réflexion et qu'on n'a pas le temps de conduire un nouveau projet politique.
M. Denoyan : Monsieur Pons, je vous remercie.