Article commun de MM. Edouard Balladur, Premier ministre, et Helmut Kohl, chancelier d'Allemagne, dans "Le Monde" du 27 mai 1994, sur le projet de pacte de stabilité en Europe, la sécurité européenne et la possibilité aux Etats européens candidats à l'Union européenne et à l'UEO de se joindre aux sommets européens, intitulé "Préparer la paix".

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Circonstance : Conférence internationale sur la stabilité en Europe les 26 et 27 mai 1994 à Paris

Média : Le Monde

Texte intégral

À compter du 1er juillet de cette année, l'Allemagne et la France assumeront successivement la présidence de l'Union européenne. Elles sont conscientes de leur responsabilité commune au sein de l'Union européenne, particulièrement en cette époque de profonds changements sur l'ensemble du continent. Elles entendent coordonner étroitement leur action durant leurs présidences.

Après les bouleversements radicaux qui ont eu lieu en Europe depuis 1989, l'Union a pour obligation historique et pour objectif commun d'aider les États d'Europe centrale et orientale, engagés dans la voie des réformes, à réintégrer la famille européenne et de les associer au processus d'unification en cours.

Nous voulons ainsi garantir de manière durable la paix et la liberté en Europe.

Au sommet de Copenhague, qui a eu lieu en juillet 1993, les Douze ont engagé un processus à long terme d'élargissement vers l'Est, en offrant à plusieurs pays qui sont liés à l'Union européenne par des accords d'association et de libre-échange une possibilité concrète d'adhésion.

À cette fin, ces pays doivent remplir une série de conditions économiques et politiques. L'Union européenne soutient ce processus de façon très diversifiée. Cela va des facilités commerciales à un dialogue politique étroit en passant par une aide technique et financière très importante. Nous devons être conscients du fait que le chemin menant ces pays vers l'Union européenne sera long et difficile. Il est d'autant plus important de leur affirmer dès aujourd'hui qu'ils sont les bienvenus dans l'Union européenne. C'est pourquoi nous suggérons conjointement d'inviter une fois par an les chefs d'État et de gouvernement des pays candidats à l'adhésion à un Conseil européen, afin de discuter avec les Douze, et bientôt le Seize, de questions d'intérêt commun et d'approfondir ainsi notre coopération.

Dans le même but, sur proposition de l'Allemagne et de la France, l'Union de l'Europe occidentale a convenu d'un statut de partenariat associé avec des pays, afin de favoriser également le rapprochement dans le domaine de la politique de sécurité.

Ainsi, créons-nous des liens toujours plus nombreux et étroits entre l'Union et les autres membres de la famille européenne qui ont été si longtemps tenus à l'écart du processus d'unification. L'évolution de la situation en ex-Yougoslavie a montré on ne peut plus clairement que la paix et la sécurité de notre continent étaient loin d'être acquises. L'exaspération des tensions ethniques, religieuses et culturelles nées de l'Histoire s'est traduite par une guerre atroce, par des expulsions, par le développement du fanatisme et des modifications de frontières par la force. Il est de notre devoir d'Européens de tout faire pour rétablir au plus vite la paix dans cette région et pour exclure définitivement toute possibilité de retour de la barbarie en Europe.

Avec les États-Unis et la Russie

Dans d'autres régions de notre continent, il existe des tensions latentes qui résultent principalement de problèmes de frontières et de minorités qui n'ont pas trouvé de solution. Nous ne pourrons assurer la stabilité et la paix en Europe si nous ne parvenons pas à éliminer les causes de tension et à prévenir ainsi les conflits de manière efficace et durable. L'Union européenne assume à cet égard une responsabilité particulière. C'est pourquoi, en décembre dernier, le Conseil européen de Bruxelles a approuvé la proposition du Premier ministre français d'organiser une conférence sur la stabilité en Europe, une initiative qui avait été soutenue par le Président François Mitterrand au conseil de Copenhague de juin 1993.

Cette initiative part de la constatation que la stabilité politique est une condition indispensable pour assurer le progrès économique et social ainsi que la paix et la liberté. Quelle valeur aurait les accords de libre-échange et d'association conclus avec les pays d'Europe centrale ou orientale, voir leur adhésion future à l'Union européenne, si de graves crises politiques, provoquées notamment par des problèmes de frontières ou de minorités, devaient remettre en cause ces progrès ?

L'initiative des Douze en faveur d'un pacte de stabilité vise à encourager la signature d'accord de bon voisinage entre tous les pays de l'Europe centrale et orientale. Bien évidemment, ces accords ne régleront pas une fois pour toutes les problèmes qui pourraient subsister entre ces pays, mais ils doivent créer un climat de confiance et mettre en place des modalités de coopération permettant de résoudre d'un commun accord les difficultés qui surviendraient. Ce principe a été la clé de la réconciliation et du processus d'unification de l'Europe occidentale après la dernière guerre. La relation qui unit aujourd'hui la France et l'Allemagne, longtemps considérées comme des ennemis héréditaires, en est la preuve la plus éclatante.

L'initiative des Douze n'a pas pour objectif de créer une institution supplémentaire ou de rédiger une nouvelle version des principes fondamentaux sur lesquels nous nous sommes mis d'accord dans le cadre des Nations unies, de la CSCE ou du Conseil de l'Europe, que ce soit l'inviolabilité des frontières, l'intégrité territoriale des États ou le respect des droits des minorités.

Aujourd'hui, la priorité essentielle consiste à faire appliquer ces principes sans restriction afin de prévenir efficacement les tensions et les crises en Europe. Avec cette initiative, les Douze proposent à leurs partenaires en Europe centrale et orientale un cadre européen, pour négocier dans la confiance de l'élaboration de relations de bon voisinage. Ils encouragent ce mouvement grâce au poids économique et politique de l'Union européenne.

La volonté politique des pays

Les Douze n'ont nullement l'intention de prescrire ou d'imposer des solutions toutes faites à leurs partenaires. Le succès de ce projet dépendra de la volonté politique des pays concernés. Personne ne peut ni ne veut leur enlever cette responsabilité. Eux seuls sont à même de trouver, en toute souveraineté, la solution qui leur convienne le mieux et qui serve en même temps la stabilité en Europe.

À nos yeux, la participation des États-Unis d'Amérique et de la Russie est primordiale pour le succès de cette conférence. Un partenariat étroit et éprouvé, comme la présence des États-Unis d'Amérique, sont et restent indispensables à la sécurité de l'Europe. Nous sommes également conscients qu'il ne peut y avoir de stabilité et de sécurité effective en Europe sans coopération avec la Russie. C'est pourquoi nous voulons construire un partenariat étroit avec ce pays, qui est un grand et puissant voisin de l'Union européenne.

L'entière participation de la CSCE est également essentielle au succès de la conférence sur la stabilité. Les principes de cette institution en constituent l'assise fondamentale, et une pleine utilisation de ses instruments est nécessaire pour en assurer le suivi ; le résultat de cette initiative fera ainsi partie intégrante du processus de la CSCE et lui donnera une forte impulsion.

L'Allemagne et la France sont résolues, avec leurs partenaires au sein de l'Union européenne, à faire aboutir cette première action entreprise dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. Elles feront tout pour apporter ainsi une contribution à la stabilité, à la paix et à la liberté.

Notre objectif est de réunir dans un an une conférence de clôture du pacte de stabilité, à laquelle les pays de l'Europe centrale et orientale apporteraient un réseau d'accords bilatéraux de bon voisinage. Ce pacte de stabilité sera l'occasion pour l'Europe de prouver sa détermination et sa capacité à surmonter définitivement l'ancienne division de notre continent et à assurer au peuple de l'Europe un avenir de paix.