Texte intégral
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis d'autant plus heureuse de me retrouver aujourd'hui parmi vous, pour ouvrir cette Table ronde sur les Nations unies, que je n'ai pu assister la semaine dernière à vos travaux généraux, du fait d'un petit accident qui m'a contrainte à garder la chambre.
Ma présence ici me donne l'occasion de vous dire d'abord combien j'ai regretté cette malencontreuse circonstance car, ayant été au cours de ces derniers mois reçue avec beaucoup de convivialité dans diverses ambassades et, par ailleurs, ayant quelques projets de visites, soit au titre des Droits de l'Homme, soit au titre de l'Action humanitaire dans les prochains mois, il m'aurait été très précieux de pouvoir converser avec nos ambassadeurs dans les pays dans lesquels je suis appelée à faire ces déplacements.
Aujourd'hui sont donc rassemblés ici, essentiellement, les représentants permanents de la France auprès des grandes organisations multilatérales, organisations au titre desquelles l'action internationale de notre pays, aussi bien en matière humanitaire que sur le chapitre de la protection des Droits de l'Homme, se trouve directement dans la mouvance des attributions qui me sont effectivement déléguées.
Une première réflexion s'impose d'emblée à cet égard. C'est souvent à partir de violations graves et d'une grande ampleur des Droits de l'Homme que surviennent les catastrophes humanitaires auxquelles il devient alors indispensable et urgent de porter remède. Les tragédies que nous déplorons en ex-Yougoslavie et au Rwanda constituent, hélas, de bien frappantes illustrations de cette constatation.
C'est pourquoi la protection des Droits de l'Homme doit constituer, pour l'action diplomatique de la France vis-à-vis des organisations internationales, une préoccupation majeure et un impératif de tous les instants.
La protection des Droits de l'Homme, c'est d'abord le respect de la Déclaration universelle adoptée à Paris le 10 décembre 1948 dans toutes les prescriptions qu'elle édicte et par tous les États qui ont déclaré l'approuver.
C'est aussi plus généralement le respect de ce qu'on appelait autrefois le droit des gens et que l'on désigne plus simplement aujourd'hui sous le nom "des grands principes du droit international".
Mais il faut désormais aller beaucoup plus loin.
Les Droits de l'Homme, c'est aussi la protection de toutes les libertés démocratiques que les peuples d'Europe, et bien d'autres États du monde, ont su conquérir dans leur lutte contre toutes les formes de fascisme ou de totalitarisme auxquelles ils ont été affrontés au cours du siècle qui s'achève et dont la généralisation à tous les peuples du monde constituera sans aucun doute l'une des plus ardentes obligations de l'humanité pour celui qui s'annonce.
Je pense, en outre, à la protection des plus démunis, c'est-à-dire les plus jeunes, à propos desquels la convention internationale sur les droits de l'enfant me paraît encore bien timide, d'autant que ses dispositions s'avèrent trop souvent lettre morte pour un nombre important d'États du monde.
Dans tous ces domaines, il me paraîtrait injuste de ne pas souligner le rôle croissant et extrêmement actif des organisations non gouvernementales dont le rayonnement ne cesse de s'affirmer, en partenariat avec les États et l'organisation internationale : là encore, les événements de Bosnie et la catastrophe humanitaire sans précédent du Rwanda ont montré à la fois le caractère irremplaçable de ces organisations non gouvernementales pour une action efficace sur le terrain, et la concertation que celle-ci implique avec les États et la communauté internationale, ne serait-ce qu'en raison de la protection que ces organisations peuvent légitimement en attendre dans l'accomplissement de leur mission.
J'ai particulièrement noté dans le discours que M. le Premier ministre a prononcé jeudi dernier, lors du déjeuner offert aux ambassadeurs de France, le propos qu'il a tenu sur la nécessité de doter l'Organisation des Nations unies de moyens aptes à lui permettre de mieux organiser la société internationale, en faisant en sorte que le droit y soit mieux respecté et la liberté mieux protégée. Ces propos rejoignaient ce que disait M. le ministre des Affaires étrangères le matin même, lorsqu'il soulignait que c'est aussi le rôle des Nations unies que d'aborder les grands problèmes de la société de notre temps.
Se rapproche en effet le moment de célébrer le cinquantenaire des Nations unies. Cette célébration intervient alors que se multiplient les interrogations sur la véritable vocation de l'ONU et sur l'adéquation des moyens dont elle dispose aux objectifs qui lui sont assignés.
Là encore je ne peux qu'approuver l'observation de M. Juppé lorsqu'il rappelle que l'ONU n'existe et n'agit que par la volonté de ses États-membres et que, par voie de conséquence, son échec serait d'abord celui des Nations qui la composent et plus encore de celles qui, comme la France, y exercent une fonction particulière, ne serait-ce que comme membre permanent du Conseil de sécurité.
À ce titre, la prise de conscience croissante par les citoyens de tous les pays, et en particulier par les Français, du caractère nécessaire et irremplaçable de l'ONU constituera, pour les années qui viennent, un des éléments essentiels de la légitimité de l'Organisation et par là même de sa capacité d'action et de son efficacité.
Vous tous qui êtes ici, Messieurs les Ambassadeurs, vous vous situez au cœur même du "Système" et, c'est à vous qu'il incombe de poser les bonnes questions, de réfléchir sur les mutations souhaitables· et enfin de trouver les voies d'une sensibilisation voire d'une mobilis1tion de l'opinion publique en faveur de l'action des Nations unies.
Je suis frappée à cet égard de constater à quel point le nouveau Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme, M. Ayala Lasso, de même que le Centre des Droits de l'Homme de Genève que dirige avec une compétence unanimement reconnue M. Ibrahim Fall, ne disposent que de moyens extrêmement modestes eu égard à l'ampleur des missions qui leur sont assignées.
On est vraiment en droit de se demander si c'est consciemment que la communauté internationale prive, faute de moyens suffisants, les institutions des Nations unies des possibilités de se montrer efficace en matière de protection des Droits de l'Homme. Je ne citerai que pour mémoire les tribulations de l'institution du Tribunal pénal international, mis en place pour l'ex-Yougoslavie ; un problème du même ordre se pose pour le Rwanda. Ces questions ne sauraient être éludées sans dommage.
Vous savez combien, depuis que je me trouve placée, en qualité de ministre délégué, à la tête de l'Action humanitaire et de la protection des Droits de l'Homme au sein du gouvernement français, je me suis passionnée pour les problèmes profondément douloureux que recouvrent ces termes un peu "aseptisés".
Je n'énumérerai pas toutes les formes de drames auxquels m'ont confrontée les visites que j'ai faites, ici et là, sur le terrain.
Qu'il ne suffise de rappeler seulement à quel point j'ai été bouleversée par la tragédie du Rwanda, où je me suis rendue trois fois en quelques mois, et où j'ai pu assister à l'émergence d'un génocide abominable, puis constater les effets d'une guerre civile sans merci où les atrocités les plus insupportables se perpétuaient quotidiennement et qui ont entraîné l'exode massif dans des conditions inhumaines de centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, lancés sur de mauvaises pistes par la terreur de se voir massacrés, sans parler de la famine et des épidémies.
En présence de ces enfants que j'ai rencontrés à Goma et dont les parents avaient été assassinés après des tortures insoutenables sous leurs yeux, de ces enfants dont certains portent encore des traces de violence et qui sont tous moralement démolis, je me suis interrogée et je m'interroge encore : à quoi sert un ministre de l'Action humanitaire et des Droits de l'Homme ? À quoi servent les gouvernements des pays qui se disent civilisés ? À quoi sert enfin l'organisation internationale, si 50 ans après la création des Nations unies, de telles choses sont encore possibles.
C'est à cette question que je vous propose, à côté de beaucoup d'autres, qui ne relèvent pas de ma compétence, de bien vouloir réfléchir au cours de vos travaux, que je souhaite les plus riches et les plus fructueux possibles.
Mais, je voudrais pour terminer, rendre hommage au travail remarquable que notre pays effectue sur le terrain à travers le monde et dont vous êtes les artisans. Sans vous, sans le travail efficace que vous menez, la France ne serait pas le premier pays à être l'artisan de la protection des Droits de l'Homme.