Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la jeunesse et des sports, dans "Le Journal du dimanche" le 18 septembre 1994, sur la fête du sport, la politique en faveur des petits clubs, la formation et la carrière des sportifs de haut niveau et la promotion de "l'esprit sportif".

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Le ministre fait sa fête au sport

CNOSF : ma colère –  Fête du sport : mon effort – Grand stade : mes critères – Cantona : son "caractère"

Interview par Geoffroy Garétier et Olivier Joly

Le Journal du Dimanche : Madame le ministre, cette Fête du Sport créée par Roger Bambuck en 1989 a du mal à trouver son public…

Michèle Alliot-Marie : C'est pour cela que nous l'avons décalée de mai à septembre. Pour tenir compte de la psychologie humaine. Pendant l'été, on fait un peu de sport, on se sent en pleine forme et on se dit : "Je vais continuer". Ainsi placée, la Fête du Sport profitera de cette énergie, que chacun a acquis, et qu'il a envie de manifester. Cette année, les sportifs se sont davantage impliqués et m'en parlent depuis plusieurs mois. C'est le symbole de ce sport pour tous que je voudrais développer.

Le Journal du Dimanche : C'était votre objectif en arrivant à la Jeunesse et aux Sports. Qui l'emporte au quotidien : le grand public ou la compétition ?

Michèle Alliot-Marie : Le sport de compétition vit sa vie, même s'il a parfois besoin qu'on l'encourage souvent, les, fédération ou, le comité national olympique ont le sport de haut-niveau comme principale préoccupation. Ce qui ne signifie pas qu'elles maîtrisent. C'est le cas des fédés de ski et de sports de glace. Leurs résultats ne sont pas toujours à la hauteur de leurs intérêts, du financement que j'y apporte et de nos espoirs… Alors que le sport pour tous est mon gros effort quotidien. Il faut faire en sorte que l'on réserve dans le budget les crédits pour les petits clubs, faire en sorte que les fédérations destinataires de ces crédits les utilisent à bon escient, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé.

Le Journal du Dimanche : En règle générale, n'êtes-vous pas déçue par les gens qui dirigent le sport en France ?

Michèle Alliot-Marie : Je vais vous dire une chose : j'ai découvert ce ministère avec grand plaisir car je trouve que les rapports avec les gens sont extrêmement agréables. Lorsqu'on n'est pas d'accord, on s'affronte réellement mais les choses se font loyalement et j'aimerais que la politique soit comme ça.

Le Journal du Dimanche : Vous parlez d'affrontements…

Michèle Alliot-Marie : J'ai eu des désaccords en ce qui concerne le football. Plus largement sur la part faite aux petits clubs dont j'estime qu'elle n'est pas suffisante. Je peux avoir des désaccords sur la façon de gérer les finances du sport. J'en ai un avec le CNOSF : l'année dernière, j'ai fait un effort budgétaire considérable en maintenant tous leurs cadres techniques alors qu'on les réduisait d'une centaine chaque année ; en contrepartie, j'avais demandé une nouvelle répartition au bénéfice des petits sports dont certains ne bénéficiaient pas d'encadrement. J'ai demandé au mouvement sportif de me faire la proposition car je respecte son autonomie. Cela n'a pas été fait donc j'ai piqué ma colère. C'est moi qui ferai la répartition. Sur un autre plan, on ne prendra suffisamment en compte l'homme ou la femme chez l'athlète. Un sportif n'est pas uniquement un objet, un vecteur de médaille. 80 % des jeunes qui intègrent les centres de formation ne feront pas carrière pro et auront toute une vie à mener. C'est de ma responsabilité. Et avec mon collègue de l'Éducation Nationale, j'ai mis en place une inspection sur les niveaux scolaires de ces centres.

Le Journal du Dimanche : Si l'on vous dit Éric Cantona ?

Michèle Alliot-Marie : Un grand joueur de football.

Le Journal du Dimanche : Mais encore ?

Michèle Alliot-Marie : Qui a son caractère… Peut- être que là aussi, on a trop insisté sur le côté, uniquement technique. Tous ces garçons sont un peu trop poussés vers une technique sportive. On ne leur donne pas ce qu'il leur faut pour se conduire dans la vie, pour réussir leur vie. Je suis allée à Clairefontaine voir l'équipe de France. J'ai été assez surprise de la façon dont ça se passait. Je crois qu'on n'a aucun intérêt à complètement isoler des garçons dans une vie factice et dans une fausse gloire. Et je le répète, tout commence à la formation. Ça implique de dire à ces garçons qu'il n'y a pas que le football, qu'il y a une vie. Pas seulement leur vie à eux mais celle des autres. Le sport n'est pas en-dehors de la société. Ces garçons n'ont aucun intérêt à être mis dans une sorte de cocon. Quand on réserve une boîte de nuit pour aller fêter une victoire (France-Israël de football, octobre 93, Ndlr) avant que le match soit joué…

Le Journal du Dimanche : N'est-il pas aberrant de nommer au rang de capitaine de l'équipe de France de football un joueur brillant mais un homme qui n'a jamais caché son refus de toute autorité…

Michèle Alliot-Marie : C'est le problème des fédérations. J'ai un rôle de garant des objectifs mais leurs problèmes internes sont de leur responsabilité. J'entends qu'elles les assument ! Moi, je regarde quand il y a un dysfonctionnement. Mais je n'ai pas à faire d'ingérence. Le sport de haut niveau et ses vedettes ont un rôle d'exemple, un optimisme à transmettre aux jeunes. C'est l'une des trois valeurs positives des jeunes, avec la musique et l'écologie. Les athlètes connus, comme tout homme public, ont un devoir de comportement exemplaire. C'est la raison pour laquelle je souhaite des sanctions sévères en cas de déviance.

Le Journal du Dimanche : Concrètement, où en est votre action en faveur de l'esprit sportif ?

Michèle Alliot-Marie : Il y a l'aspect répressif quand il y a déviance par rapport à l'esprit sportif, et l'aspect incitatif. J'ai été amenée à intervenir sur le plan législatif lorsqu'il y a eu violence et également à demander des sanctions lorsqu'il y a manquement au jeu. Je vais d'ailleurs bientôt recevoir, ce qui n'a jamais été fait je crois, les arbitres qui représentent une institution à faire respecter. De l'autre côté, je prépare des coopérations avec les structures qui s'occupent de fair-play, de façon à mener ensemble une grande campagne – concours du public le plus sportif de France et d'autres choses comme ça – pour que d'ici la Coupe du monde 98, nous ayons transformé l'état d'esprit dans le milieu sportif.

Le Journal du Dimanche : Patrick Bourdaret, arbitre de foot, a parlé de corruption d'arbitres, de matchs arrangés. Or la ligue nationale et la commission des arbitres l'ont incompréhensiblement lâché…

Michèle Alliot-Marie : J'ai l'intention d'éclaircir cette histoire. J'ai une certaine ; conception de l'arbitrage (Bernard Marie, son père, fut arbitre international de rugby, Ndlr) et certaines choses me choquent profondément. S'il y a besoin d'une enquête, cette enquête aura lieu.

Le Journal du Dimanche : Parlons du grand stade. À quand la décision définitive ?

Michèle Alliot-Marie : Avant la fin de ce mois ! C'est un de mes principaux dossiers. Je l'ai trouvé sur mon bureau quand je suis arrivée. Il n'était pas très bien engagé. J'ai essayé de le remettre sur des rails sains. D'abord le choix du site. Puis le concours, sous l'aspect architectural et celui de l'utilisation. Les derniers ajustements avec le bénéficiaire viendront ensuite. Des travaux sont déjà engagés, concernant le nettoiement du sol. Nous serons prêts !

Le Journal du Dimanche : Votre avis sera-t-il décisif ?

Michèle Alliot-Marie : Je vais donner mon avis. Le dossier est depuis jeudi soir sur le bureau de M. Balladur. On a fait l'étude la plus objective possible. Il est difficile de choisir. Il s'agit de deux choses opposées, deux conceptions très différentes ! J'ai essayé d'écouter tout le monde. J'ai reçu les présidents des différentes fédérations concernées, celui du CNOSF, les architectes, les entreprises. Chacun des projets a ses défauts, ses qualités. Ce qui me préoccupe, c'est d'avoir un stade vivant. Un lieu de vie, où les champions et les sportifs aient envie d'aller.