Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RMC le 3 juillet 1998, sur le climat social de la rentrée, notamment sur l'assurance maladie, les dépenses de santé, l'augmentation des cotisations sociales et les bénéfices de l'Unédic.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Philippe Lapousterle : Le chômage baisse maintenant régulièrement depuis plusieurs mois. Est-ce qu’une page est tournée ?

Marc Blondel : « J’aimerai bien qu'une page soit tournée. Ceci étant, c'est vrai que ça fait six mois maintenant que le chômage baisse d'une manière progressive. Je m'en félicite. Il est très clair que le chômage pèse sur les relations sociales, et moins il y aura de chômeurs, mieux les négociations marcheront. Donc je m'en félicite. Ceci étant, il faut mettre la part, par exemple du Mondial. Est-ce que ça a créé des emplois ? Est-ce que c'est des emplois durables ? Est-ce que nous n'allons pas avoir un effet second qui va être… »

Philippe Lapousterle : Correcteur, dans l'autre sens ?

Marc Blondel : « Pas correcteur. Je dirais un effet second, peut-être des emplois qui ne seront que des emplois temporaires etc. Ce qui m'inquiète maintenant, c’est que d'une part, il y a beaucoup d’emplois temporaires, précaires, sans réglementation ; les patrons font n'importe quoi et les salarié, ou salariés temporaires, sont obligés de l’accepter. Ça je le regrette. Et, d'un autre côté, je pense que c'est insuffisant. Ce n'est pas parce que ça baisse de 0,5 % ou de 1 %… on a besoin d'une évolution qui soit beaucoup plus sensible. Il faut faire tomber très nettement le chômage si on veut que la mécanique reparte, y compris la mécanique de confiance. Et d'une certaine façon je m'inquiète un petit peu, j’ai le sentiment que tout le monde considère que les efforts sont faits : on a semé, on va voir ce que ça donne. Je suis tout à fait, moi, inquiet, j'aimerais mieux qu'il y ait encore une volonté politique d'essayer de faire changer les choses et vous connaissez une partie des propositions que je fais. »

Philippe Lapousterle : Climat social, M. Blondel, actuellement et pour la rentrée ? Meilleur que les années précédentes ?

Marc Blondel : « Alors actuellement, c'est clair qu'il y a des problèmes sérieux dans différents secteurs. Très nettement dans le secteur de la défense. Avec d'ailleurs des choses que je ne comprends pas. J’ai, comme tout le monde, lu la dépêche de M. Richard qui dit que le GIAT par exemple, doit être une industrie comme les autres, une entreprise comme les autres. Eh bien, ce n'est pas vrai ! Le GIAT est une entreprise d’armement qui fonctionne avec le budget de l’État. Et je rappelle qu'on a utilisé le GIAT, fort heureusement d’ailleurs, pour faire de l'aménagement du territoire ; on ne fermera pas Tarbes, on ne fermera pas Tulle, on va réduire considérablement ; on ne fermera pas Roanne, on va réduire considérablement. Cela veut dire que pour une entreprise contrôlée par l’État, on peut décider de l’implantation ; une entreprise qui marche selon les règles capitalistes, c'est clair, on va tout rassembler, tout restructurer vers le capital, par définition. Alors donc c'est clair, non ce n'est pas une entreprise comme les autres et de surcroît ça fabrique des armes. On ne va quand même pas laisser vendre des armes à des gens qui un jour pourraient les utiliser contre nous ou nos alliés. Donc il y a obligatoirement une intervention de caractère politique et diplomatique. Je crois que M. Richard devrait un peu réviser son raisonnement. Et essayer peut-être de lancer une piste industrielle… »

Philippe Lapousterle : Sinon ?

Marc Blondel : « Sinon il va y avoir des réactions. Il va d'ailleurs les avoir, vous avez vu que les objectifs c'est de descendre jusqu'en 2002… il va y avoir pratiquement plus de 30 % de personnel en moins, c'est clair qu'il va y avoir des réactions dans ce secteur. Comme il va y avoir des réactions dans le secteur des hôpitaux, puisque maintenant la contre-réforme Juppé dont je crois ce soir on va sonner le glas… »

Philippe Lapousterle : On connaît votre combat contre le plan Juppé.

Marc Blondel : « Après 1995, j'ai dit que ça ne tiendrais pas deux ans. Je me suis un petit peu trompé puisque nous sommes en 1998. Mais c'est clair, si la convention saute, c'est fini ! La contre-réforme Juppé sur l’assurance-maladie, c'est l'échec le plus absolu. Non seulement elle était mauvaise, mais en plus ils n'ont pas réussi à la mettre en place. Cela redistribue les cartes. Et ça, c'est important… »

Philippe Lapousterle : D. Strauss-Kahn a dit hier que le gouvernement n’admettrait pas une dérive des dépenses de santé.

Marc Blondel : « Justement, c'est encore plus dramatique. Cela veut dire que le gouvernement va limiter à 12 milliards le déficit. Pour limiter à 12 milliards le déficit quand on est au mois de juillet, ça veut dire qu'il va falloir prendre quelques mesures draconiennes sur le plan des remboursements etc. Le plan Juppé va conduire au déremboursement des choses, et bien ça, c'est ce que je craignais, je l'avais énoncé. Et puis on va dire : si vous voulez vous faire mieux rembourser maintenant, allez vers les compagnies d’assurances. C'est clair, elles sont prêtes, elles attendent. C'est très clair, nous sommes arrivés au moment que je craignais, que j'avais annoncé. Alors, ce n'est pas le fait d'avoir eu raison qui m’intéresse, le problème c'est que c'est la sécu qui est en difficulté. »

Philippe Lapousterle : Vous pensez que on va passer par une augmentation des cotisations et par une baisse des remboursements, que c'est inéluctable ?

Marc Blondel : « Mais je suis navré ! Une augmentation des cotisations, il est quasi certain que les patrons n'en voudront pas. Les patrons, quand on discute avec eux sur le plan des régimes de caractère paritaire de protection sociale, ils disent : plus d'augmentation des cotisations ! On ne veut plus de prélèvements supplémentaires ! Moi, je leurs dis : attendez, vous ne pouvez pas prendre une position aussi radicale ! Il y a des situations de fait, etc., donnez-vous un petit peu de marge de manœuvre. Ils disent non !

Philippe Lapousterle : Et les salariés ?

Marc Blondel : « Vous savez, les salariés quand on les appelle à la solidarité, bien souvent c'est nous qui décidons pour eux. Ils nous font un peu confiance, ils rouspètent, ils ne sont pas contents. D'autant plus que les salariés à mon avis pouvaient espérer une évolution de leur salaire un petit peu plus sensible. Je pense que cela a été insuffisant pour le SMIC. Je pense qu'il fallait profiter justement de la croissance qui se maintenait… »

Philippe Lapousterle : Donc ce sera non pour les salariés ?

Marc Blondel : « Les salariés diront oui, parce que d'une certaine façon ils rouspéteront puis ils accepteront, parce qu'ils sont beaucoup plus solidaires qu'on le croit. Les salariés, il savent bien que ça peut leur servir, qu'ils peuvent être malades, qu'ils peuvent être au chômage, etc., donc ils se protégeront un peu. Le problème c'est que nous sommes arrivés au moment, je parle bien de l’assurance-maladie, où effectivement il faut remettre debout quelque chose qui soit solidaire, qui soit sain, qui soit clair. Pardonnez-moi, je disais aussi : confusion des genres, c'est l'État qui dirige la sécu ! Eh bien maintenant, dans nos conversations avec M. Aubry elle me dit : c'est moi qui ait le système en main, et il vaut mieux que ce soit comme ça, parce que si c'était le paritarisme, ça serait une catastrophe. »

Philippe Lapousterle : Qu'est-ce qu'il faut faire, M. Blondel, en deux mots, des bénéfices prévus de l’UNEDIC ?

Marc Blondel : « Il n'y a pas de bénéfice à l’UNEDIC. Ce n'est pas un terme à employer pour l’UNEDIC. Ce sont des cotisations qui n'auront pas été redistribuées. J'ai une objection immédiate à faire : jamais le rapport entre chômeurs et chômeurs indemnisés n'a jamais été aussi mauvais ! C'est à dire que plus ça va moins on indemnise les chômeurs. Vous savez avec 700 millions on peut tout de suite décider rapidement de donner ces 700 millions aux chômeurs. C'est quand même pour eux ! Vous vous rendez compte, en fixant à 2 % le SMIC, la négociation pour la revalorisation des allocations chômage a conduit à 1,9 % ! Il fallait surtout pas faire comme l’État et fallait surtout pas faire mieux. Compte tenu des allocations chômage, nous avions proposé 2,7 %, c'était pas dramatique ! 2,7 %, notamment pour l'allocation plancher, l'allocation minimale. On n'a pas été capable de l’obtenir, alors vous savez les 700 millions c’est rien. Et quand j'entends parler d’1,4 milliard pour l'année prochaine, quelle sera la situation de l'emploi pour l'année prochaine ? Tout ça ce sont des projections, restons pragmatiques, regardons les choses immédiatement. Il faut donner du pouvoir d’achat aux chômeurs, comme il faut donner du pouvoir d’achat aux salariés car ce sont eux qui consomment ! »