Interviews de M. Jean Glavany, secrétaire national et porte-parole du PS, à "France-Soir" le 9 septembre 1994 (avec M. Patrick Devedjian, député RPR) et à France 2 le 22 septembre 1994, sur le bilan de M. François Mitterrand, la préparation du budget 1995, la nécessité de lutter contre le chômage et le climat des affaires.

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Média : France soir - France 2

Texte intégral

Voici deux interprétations très différentes des propos du chef de l'État, celle de Jean Glavany, porte-parole du PS, et celle du balladurien engagé Patrick Devedjian, député-maire d'Antony.

France-Soir : Qu'est-ce qui vous frappe le plus, actuellement, chez François Mitterrand ?

Patrick Devedjian : La conscience de la mort, le sentiment, dans ses propos, que la mort est proche. Il sculpte la statue qu'il souhaite laisser pour l'avenir. 

Jean Glavany : Sa volonté d'assumer toutes ses responsabilités jusqu'au bout et donc de s'exprimer librement et fermement sur tous les sujets. 

France-Soir : Laissera-t-il, comme il le souhaite, le souvenir d'un président équitable ?

Patrick Devedjian : Le pouvoir n'est jamais équitable. Restera l'idée d'un homme apparu en 1981 comme susceptible de tout bouleverser et qui aura finalement bouleversé peu de choses. 

Jean Glavany : Je le crois, mais on va me taxer de parti pris. 

France-Soir : Que pensez-vous de son appréciation sur Édouard Balladur ? 

Patrick Devedjian : Elle me paraît dominée par la crainte de la capacité d'Édouard Balladur, par une certaine admiration aussi, une certaine considération, celle des grands animaux politiques qui se flairent entre eux et se reconnaissent. 

Jean Glavany : À partir du moment où les choses se passent bien entre le Premier ministre et lui, on pouvait croire qu'ils étaient complices. Ce n'est pas inutile de dire que les efforts qu'ils font pour que les institutions fonctionnent bien ne signifient pas complicité politique.

France-Soir : Jacques Chirac ? 

Patrick Devedjian : Un peu condescendante. En affirmant que Balladur a pris goût au pouvoir et que Chirac n'a pas assez réfléchi à cela alors que c'est quelque chose d'historiquement classique, il a l'air de dire que Chirac manque de culture historique et que ses capacités politiques en sont entamées.

Jean Glavany : Comme la cohabitation s'était mal passée entre 1986 et 1988, beaucoup de gens avaient eu tendance à envenimer les choses. Avec du recul, Mitterrand montre qu'il a de l'estime, disons du respect, pour le personnage.

France-Soir : Sur Raymond Barre ?

Patrick Devedjian : Il a de l'estime pour lui et s'en sert pour diviser un peu plus la droite.

Jean Glavany : Je ne partage pas l'admiration de Mitterrand pour Barre qui a prouvé comme Premier ministre son incapacité à casser l'inflation et à lutter contre l'explosion du chômage.

France-Soir : Sur Delors ?

Patrick Devedjian : Il est intéressant de voir qu'il tente de faire la promotion du meilleur candidat de gauche, c'est-à-dire le mieux placé pour gagner. C'est une leçon pour la droite.

Jean Glavany : Je ne découvre pas que Mitterrand sait lire les sondages. Tout le monde sait aujourd'hui que Delors est la meilleure chance de la gauche à l'élection présidentielle. Reste à savoir si Jacques Delors et le PS conjointement vont saisir cette chance, ce que je souhaite. Mais rien n'est assuré et, en même temps, le pire n'est jamais certain. 

France-Soir : Que vous inspire sa vision du PS ? 

Patrick Devedjian : Ne tirons pas sur une ambulance. 

Jean Glavany : Elle est amicale. Cela ne doit pas nous dispenser d'efforts pour être digne de cet éloge.
 
France-Soir : Sa réflexion sur la quinzaine d'hommes d'affaires qui « raflent tout » vous parait-elle juste ?

Patrick Devedjian : Il a largement contribué à mettre la plupart aux responsabilités. Tout en tenant un discours anticapitaliste, il n'a rien fait pour moderniser le capitalisme.

Jean Glavany : Je ne découvre pas non plus que Mitterrand sait analyser l'évolution du capitalisme français. 

France-Soir : Êtes-vous satisfait de ses explications sur son passé ? 

Patrick Devedjian : Il a le mérite d'une relative franchise. Je ne l'excuse pas d'avoir maintenu comme président de la République les complaisances qu'il a eues dans sa jeunesse pour des formes très proches de la collaboration.

Jean Glavany : Je n'ai pas de doute à ce sujet et je n'ai pas d'explication à lui demander. La polémique née ces derniers jours, à partir de phrases de ses témoignages tirées de leurs contextes, a abouti à une mise en cause de son honneur et de son passé de résistant. Je trouve le doute jeté sur ce passé là tout à fait inadmissible. 

 

Jeudi 22 septembre 1994
France 2

G. Leclerc : Le gouvernement a présenté hier son budget qu'il a qualifié de courageux et sans démagogie. C'est un budget de rigueur avec, comme priorité, la baisse des déficits et l'emploi. À première vue, c'est courageux et c'est cohérent ? 

J. Glavany : Moi je porte un jugement assez différent sur ce budget. Je trouve qu'au fond, il a trois caractéristiques essentielles : c'est un budget qui est injuste, très inégalitaire, qui s'obstine dans l'erreur et enfin qui est très truqué et très camoufleur. Il est injuste parce qu'il va pénaliser beaucoup les bas revenus, avec tout un tas de hausses sur la consommation, le tabac, l'essence, donc sur les ménages aux bas revenus. Par contre, il donne plein de privilèges fiscaux aux revenus, donc c'est un budget d'anti-redistribution. C'est clairement un budget fait par des conservateurs. Deuxièmement, il s'obstine dans l'erreur dans la mesure où on continue à ponctionner la demande, c'est-à-dire à empêcher la reprise de se développer. La reprise a besoin de la consommation, on va continuer à la ponctionner et c'est une obstination dans l'erreur. Troisièmement, il est clair que c'est un budget qui truque les chiffres et qui fait semblant de faire un déficit à 275 milliards. Ce qui est encore énorme, mais à coup de débudgétisations énormes dans tous les sens. Donc je crois que ce n'est pas un budget sincère. 

G. Leclerc : Quand même, il y a effectivement dans les objectifs une baisse du déficit et cela, à première vue, c'était indispensable. Et il y a une priorité qui est donnée aux affaires sociales, à l'emploi : ce sont les budgets qui augmentent le plus. 

J. Glavany : Rien ne le prouve et beaucoup de choses sont tellement trafiquées, dans ce budget qu'il ne faut pas s'en tenir aux apparences. Je crois que, lorsque le gouvernement parle de courage et de rigueur, il faut quand même dire les choses très clairement aux Français : 275 milliards de francs de déficit quand, en même temps, on programme 55 milliards de privatisations, c'est un faux-fuyant. Les Français doivent comprendre que, quand ils ont des dettes, si pour payer ces dettes ou leur loyer, ils vendent leur argenterie, cela veut dire que l'année prochaine, ils ne pourront plus la vendre et que l'endettement va être proportionnellement plus grand. Donc on est en train de dilapider l'argent, le patrimoine national pour faire face à des dépenses courantes. En bonne économie, cela s'appelle la faillite. Je pense que c'est tout sauf de la rigueur et que le gouvernement est en train de jouer un jeu très dangereux avec les finances publiques.

G. Leclerc : Il y a quand même la reprise, E. Alphandéry annonce 150 000 chômeurs de moins l'an prochain ? 

J. Glavany : C'est très inquiétant parce que, comme monsieur Alphandéry depuis des années ne cesse de se tromper, je trouve cette prédiction très inquiétante. Si la reprise est là, tant mieux, le problème est de savoir pour qui est la reprise. S'il y a des marges de manœuvre dans l'économie française, qui va en profiter ? Nous, nous pensons que, depuis des années, le rapport entre les profits des entreprises qui se sont largement reconstituées, les salaires qui sont en train d'être rognés et le pouvoir d'achat des ménages, il y a maintenant un déséquilibre qu'il faut rééquilibrer au profit des salaires et en particulier des bas revenus. Ce n'est pas le choix que fait le gouvernement, c'est un choix politique. 

G. Leclerc : L'emploi et la lutte contre l'exclusion sont au cœur du débat, notamment au sein de la majorité. On voit J. Chirac faire des propositions contre l'exclusion, V. Giscard d'Estaing lui aussi fait des propositions pour lutter contre le chômage en baissant les charges sociales et en augmentant la TVA. Qu'est-ce-que vous en pensez ? 

J. Glavany : Je pense que lorsque les conservateurs parlent du social, c'est qu’ils ont un trou à combler, si j'ose dire. Je crois, à quelques mois d'une échéance électorale majeure, je vois bien l'intérêt électoral de se préoccuper de cela. Mais quand on voit les propositions extraordinairement classiques, traditionnelles, conservatrices que V. Giscard d'Estaing, par exemple, expose pour lutter contre le chômage, comme si une fois de plus il suffisait de baisser les charges des entreprises. Tous les commentateurs finalement disent, toute cette réflexion pour une si pâle mesure, je crois que c'est un vrai problème. Le chômage est au cœur de la société française, il est en train de miner cette société, au risque d'implosion si on ne le traite pas d'une manière draconienne. Cela exige que l'on remette en cause beaucoup de tabous, qu'on sache procéder à une remise en cause intellectuelle de l'approche du travail dans la société française. Je ne vois rien de tout cela dans les approches conservatrices.

G. Leclerc : Le parti socialiste prépare son congrès, on a l'impression que cela se fait dans la rivalité, dans la tension, on l'a vu notamment au moment de l'affaire du passé de F. Mitterrand. 

J. Glavany : C'est un peu compliqué, il n'y a pas encore de motion puisque nous nous retrouvons le 1er octobre. Il y a des contributions, c'est-à-dire que les gens contribuent au débat. Nous verrons le 1er octobre si nous allons nous rassembler sur un seul texte, une motion débattue par les militants, ou plusieurs. On ne peut pas décréter des minorités ou des majorités, ça ne se décrète pas d'une manière autoritaire. Le premier secrétaire du parti socialiste n'a pas cette intention-là. Donc on va voir si on est capable de s'entendre. Mais si on s'entend, il faudra que l'on s'entende pour de vrai, en levant toutes les ambiguïtés, en levant les procès d'intention, qu'on se rassemble, certains disent dans la convivialité et la fraternité. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire concrètement, c'est-à-dire tirer dans le même sens. Il faut que sorte de ce congrès une cohérence du parti socialiste et une direction cohérente. 

G. Leclerc : Selon un sondage, il y a 57 % des Français qui verraient bien R. Barre Premier ministre de J. Delors. 

J. Glavany : Si cela veut dire que 57 % des Français voient bien J. Delors président de la République, ça veut dire que le jeu est plus ouvert que certains ne le croient. 

G. Leclerc : Trois anciens ministres, dont L. Fabius, devant la Cour de justice pour empoisonnement. Hier. E. Raoult disait que L. Fabius aurait peut-être intérêt à abandonner la politique ? 

J. Glavany : Oui, j'ai vu cette déclaration. Je trouve qu'E. Raoult devrait quand même faire preuve de plus de modération et d'amabilité et de dignité dans le débat politique. Empoisonnement est un mot très fort, très lourd et très pénible à supporter pour des responsables politiques, cela veut dire qu'on les traite d'assassins, on les accuse d'avoir été des assassins ou complices d'assassinats, ce qui est très grave. Je dis, au fond, il y a quelques mois, avec l'affaire URBA, on traitait les socialistes de voleurs, il y a quelques semaines on les traitait de collabos, maintenant les voilà assassins, je crois qu'il faut savoir raison garder. Il faut que le débat politique reste digne et serein. En même temps, dans cette affaire qui est très douloureuse, il y a une très grande soif de justice. Espérons que cette justice qui doit passer, c'est ce que demandent Fabius, E. Hervé ou G. Dufoix, sera sereine.

G. Leclerc : Est-ce que G. Longuet doit démissionner pour l'affaire de sa villa ? 

J. Glavany : Il faut que la justice se passe dans la sérénité et l'indépendance. Ce n'est pas à nous de nous ériger en juges.