Interview de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, dans "Le Figaro Magazine" du 10 septembre 1994, sur la préparation de l'élection présidentielle de 1995, l'arrestation de Carlos et la lutte contre l'extrémisme islamiste et l'immigration clandestine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Figaro Magazine

Texte intégral

Pour 1995, voici les vérités de Charles Pasqua 

"Rien n'autorise qui que ce soit à se prévaloir de moi." – "Je me déterminerai en fonction de ce que je croirai être la meilleure solution pour la France." – "Tous les moyens sont bons pour récupérer des gens comme Carlos." – "Le fait que les policiers soient dans la rue relève de la prévention de la délinquance." – "Les étrangers installés sur notre sol, dans la mesure où ils respectent nos lois, n'ont rien à craindre." – "L'Algérie et les Algériens ont à régler leurs problèmes eux-mêmes." – "Nous allons disposer de moyens nouveaux pour identifier les immigrés clandestins."

Le Figaro Magazine : Monsieur le ministre d'État, vous étiez l'an dernier à Strasbourg aux universités d'été des jeunes du RPR, qui, déjà, scandaient "Chirac, président". Cette fois, on ne vous a pas vu à Bordeaux. Pourquoi ? 

Charles Pasqua : Mon emploi du temps ne me le permettait pas. J'assistais, en Provence, au mariage d'un de mes plus proches collaborateurs et amis. Mais les jeunes du RPR savent bien toute l'amitié et la sympathie que je leur porte. 

Le Figaro Magazine : Sans cette fête de famille, y auriez-vous été ? 

Charles Pasqua : Bien sûr. 

Le Figaro Magazine : Jacques Chirac l'a dit, il n'est pas candidat à la présidentielle, mais candidat au débat. Que pensez-vous de ce distinguo ? 

Charles Pasqua : Je crois que cela ne trompe personne. 

Le Figaro Magazine : Alain Juppé, Philippe Séguin ont pris position pour le maire de Paris. Ce n'est pas une nouveauté, puisqu'ils s'étaient déjà engagés l'an dernier. Cependant, à huit mois de l'élection, cela change-t-il quelque chose ? 

Charles Pasqua : Les choses s'accélèrent, incontestablement. Je le regrette. Nul n'a intérêt à cette précipitation. 

Le Figaro Magazine : Jacques Toubon, Alain Madelin, Hervé de Charette, Michèle Alliot-Marie, François Fillon, plus Alain Juppé déjà cité, un sixième du gouvernement était à Bordeaux. Leur présence est-elle une atteinte à l'autorité du Premier ministre, qui avait souhaité que l'on ne parlât point de l'élection présidentielle avant la fin de l'année ? 

Charles Pasqua : N'exagérons rien. Il n'y a rien d'extraordinaire à ce que des ministres assistent aux réunions de leur parti ou à celles de formations amies. 

Le Figaro Magazine : Qui dit débat dit confrontation. Craignez-vous un risque de dérapage préjudiciable aux deux candidats virtuels du RPR ? 

Charles Pasqua : De la part d'Édouard Balladur ou de Jacques Chirac, je ne crois pas. Mais il y a les entourages, toujours prêts à en rajouter ; le danger est là. Il y a eu des mots de trop. J'en profite pour dire que rien n'autorise qui que ce soit à se prévaloir de moi : ni les liens politiques, ni la proximité géographique. 

Le Figaro Magazine : D'ici au 15 septembre, vous aurez reçu une réponse à la lettre que vous aviez adressée aux responsables politiques de la majorité sur l'organisation des primaires. Qu'en attendez-vous ? 

Charles Pasqua : J'espère que les dirigeants de la majorité se rendront compte du danger de la pluralité de candidatures et qu'ils ne renieront pas leur signature. Il faut un candidat d'union. La seule façon d'y parvenir, c'est de permettre aux électeurs de la majorité de le choisir. 

Le Figaro Magazine : Les primaires, me trompé-je, vous aviez dit un jour qu'elles étaient aux élections ce que la force de frappe est à la défense, c'est-à-dire qu'on ne s'en sert jamais. 

Charles Pasqua : Vous vous trompez, je n'ai jamais dit cela. J'ai l'intention d'utiliser tous les moyens possibles pour amener les partis à tenir leur engagement. Nous qui avons inventé le système – Gérard Longuet, Philippe Mestre, Alain Peyrefitte –, nous ne laisserons pas enterrer cet espoir sans réagir. 

Le Figaro Magazine : On dit beaucoup que si les primaires n'ont pas lieu, vous allez avoir un rôle majeur dans le choix pour départager Jacques Chirac et Édouard Balladur, soit en étant un juge de paix, soit en jouant l'huître et les plaideurs. 

Charles Pasqua : J'ai déjà répondu à cette question. Je me borne donc à rappeler que mon engagement politique est la suite de mon engagement patriotique durant la guerre derrière le général de Gaulle. Je suis donc toujours resté fidèle à ce qui a motivé cet engagement et à ce que le général de Gaulle incarnait pour moi : la priorité donnée à l'intérêt général, à celui du pays sur les intérêts particuliers. 

Je ne me déterminerai donc en fonction ni de moi-même, ni de mes amitiés ou de mes inimitiés, ni des sondages, mais en fonction de ce que je croirai être la meilleure solution pour la France. 

Le Figaro Magazine : Dix-sept mois après son arrivée à Matignon, Édouard Balladur est toujours au zénith de la popularité. Comment l'expliquez-vous ? 

Charles Pasqua : Lors des élections législatives, les Français ont massivement rejeté la gauche, mais sans grandes illusions quant à la capacité de la droite, comme l'on dit, à résoudre, plus que la gauche, le problème du chômage et les difficultés économiques. Aujourd'hui, ils considèrent que M. Balladur fait tout ce qu'il peut pour améliorer la situation, et qu'elle s'améliore effectivement. Ils portent aussi au crédit d'Édouard Balladur le déroulement d'une cohabitation "douce", et une extraordinaire bonne volonté. 

Le Figaro Magazine : Ce n'est un secret pour personne, chacun sait que les rapports entre Édouard Balladur et vous ont été parfois tendus politiquement, parce que vous aviez des stratégies différentes. 

Charles Pasqua : C'est exact. 

Le Figaro Magazine : Or aujourd'hui, nous avons l'impression qu'il règne entre vous une plus grande harmonie. 

Charles Pasqua : Il vaut mieux, étant donné qu'il est premier ministre et que je suis le ministre de l'Intérieur ! Si nous étions en désaccord sur le fond, cela se verrait. La réalité est que nous travaillons maintenant ensemble directement : lorsque j'étais ministre de l'Intérieur, alors qu'il était ministre de l'Économie et des Finances, j'étais surtout en contact étroit avec Jacques Chirac. Même si nous avions de bons rapports il m'a même soutenu dans des moments difficiles nous nous connaissions moins bien que maintenant. Cela nous a permis de mieux nous comprendre et j'ai pour les qualités du premier ministre beaucoup d'estime. 

Le Figaro Magazine : Qu'est-ce qui vous a le plus surpris chez lui ? 

Charles Pasqua : Son pragmatisme. Il est tout le contraire d'un idéologue et d'une dogmatique. C'est sa grande force. 

Le Figaro Magazine : Diriez-vous que vous avez des caractères complémentaires ? 

Charles Pasqua : Il est très difficile de répondre. Vous savez, lorsqu'on croit en soi-même, l'on n'est réellement complémentaire de personne. 

Le Figaro Magazine : Existe-t-il un "deal" entre vous ? 

Charles Pasqua : Non. Je ne pense d'ailleurs pas qu'Édouard Balladur soit homme à proposer un "deal" à qui que ce soit. Moi-même, je ne suis pas homme à croire à ce type d'accord ou de promesse. 

Le Figaro Magazine : À défaut d'être explicite, un tel accord est-il implicite ? 

Charles Pasqua : Il faudrait lui poser la question ! 

Le Figaro Magazine : Selon vous, sur quel thème se fera l'élection présidentielle ? 

Charles Pasqua : Ce sera autour de l'image des hommes et de l'idée que les Français se feront quant à leurs capacités à conduire la France dans des temps difficiles. Contrairement à ce que l'on imagine, l'on n'est pas jugé sur un bilan, sauf s'il est foncièrement mauvais. Ainsi, en 1988, nous avions un bon bilan, mais nous avons perdu. Quelqu'un a dit un jour que les hommes politiques ne sont jamais jugés par les électeurs en fonction des services rendus, mais en fonction de ceux qu'ils peuvent rendre. 

Le Figaro Magazine : Édouard Balladur, s'il est candidat, devra-t-il revendiquer son bilan ? 

Charles Pasqua : Il parlera de lui-même. Dans un sens ou dans un autre. 

Le Figaro Magazine : Vous avez indiqué que la principale qualité d'Édouard Balladur était son pragmatisme. Quel est le défaut que vous lui reprochez le plus ? 

Charles Pasqua : Je me garderai bien de porter un tel jugement. J'ai déjà bien du mal à me reconnaître des défauts ! 

Le Figaro Magazine : Croyez-vous que les partis joueront un rôle lors de l'élection présidentielle ? 

Charles Pasqua : En tout cas, je le redis, ils auraient un rôle à jouer, celui d'appliquer les accords qu'ils ont passés en 1991, par lesquels ils avaient décidé de mettre en place un système permettant de choisir un candidat commun dès le premier tour. 

Le Figaro Magazine : Jacques Chirac peut-il être élu ? 

Charles Pasqua : Pourquoi non ? Actuellement, les sondages lui sont défavorables, mais ce ne sont que des sondages, à sept mois de l'élection. 

Le Figaro Magazine : Au poste où vous êtes, vous bénéficiez de beaucoup de renseignements. Estimez-vous, comme Jacques Chirac, que la France va très mal, est au bord de la fracture sociale, ou êtes-vous moins pessimiste que lui ? 

Charles Pasqua : Lorsque j'entends certains découvrir que la France est menacée d'une crise grave, d'une véritable fracture sociale, j'ai envie de leur envoyer le livre Demain la France sur la "priorité sociale". Cela leur permettrait de constater que nous avons déjà formulé un tel diagnostic il y a près de deux ans. 

Le Figaro Magazine : Quand on vous appelait "Mère Teresa" ! 

Charles Pasqua : Oui, la Mère Teresa du RPR ! Je pourrais également leur rappeler les conditions dans lesquelles nous avons lancé le débat sur l'aménagement du territoire et le constat préalable que nous avions établi, à savoir que la France était coupée en trois et qu'elle était menacée d'éclatement. Je constate avec satisfaction que d'autres l'ont maintenant compris. 

Le Figaro Magazine : Quels échos recevez-vous du pays profond ? 

Charles Pasqua : Des informations et des impressions contradictoires. Il y a encore de l'inquiétude quant à l'avenir, mais l'on voit de plus en plus souvent prédominer le sentiment que, dans la vie, il faut se battre. 

Le Figaro Magazine : C'est-à-dire que l'on doit essayer de s'en sortir par ses propres efforts. 

Charles Pasqua : Oui, et cette vision des choses va conduire à comprendre que personne ne fera à la place des Français ce qu'il faut faire pour notre pays. Cela signifie que la France ne raisonne plus comme un vieux pays et qu'elle est prête à affronter l'avenir en étant toujours la France.  

Le Figaro Magazine : S'agit-il d'un vœu pieux ou le ressentez-vous vraiment ? 

Charles Pasqua : Je le ressens profondément. Mais encore faut-il indiquer le chemin. 

Le Figaro Magazine : Estimez-vous qu'actuellement Édouard Balladur l'indique bien ? Peut-il chuter de vingt points dans les sondages d'ici à l'élection présidentielle ? 

Charles Pasqua : Il est évident que plus on monte dans les sondages, plus on risque de redescendre ! On ne saurait monter éternellement. Édouard Balladur est ressenti par les Français comme un excellent premier ministre, mais ils vont être appelés à désigner non un premier ministre, mais un président de la République. Qu'Édouard Balladur soit capable d'être président de la République, c'est évident ! Que Jacques Chirac soit capable d'être président de la République, c'est également évident ! Tel est probablement le cas de quelques autres. 

Le Figaro Magazine : Et Charles Pasqua ?

Charles Pasqua : Charles Pasqua ne se déterminera pas en fonction de ses propres intérêts, je l'ai déjà dit. 

Le Figaro Magazine : Vous avez été la vedette de l'été avec l'arrestation de Carlos. Plusieurs versions courent encore sur les conditions dans lesquelles il a été arrêté. Quelle est la vérité ? 

Charles Pasqua : La seule chose qui importait aux Français et donc à moi-même, c'était qu'on le livre à la justice. Il était prévu que les autorités soudanaises remettent Carlos entre les mains de nos représentants à l'aéroport de Khartoum. C'est ce qui s'est passé. 

Le Figaro Magazine : Les avocats de Carlos prétendent que les conditions de son arrivée sont illégales et donc que la procédure l'est également.

Charles Pasqua : L'argument avait déjà été employé par l'avocat de Klaus Barbie, un certain Me Vergès. La justice avait tranché. Cela dit, je trouve que nous vivons dans un drôle de pays : aujourd'hui, on m'accuse d'avoir enlevé Carlos, assassiné H. B., que sais-je encore ? Heureusement que je ne suis pas homme à me lamenter sur mon propre sort… 

Le Figaro Magazine : Plus généralement, selon vous, tous les moyens sont-ils bons pour récupérer les gens comme Carlos ? 

Charles Pasqua : Des gens comme Carlos ? La réponse est oui. 

Le Figaro Magazine : La mouvance Carlos existe-t-elle encore ? 

Charles Pasqua : Oui. Quant à déterminer si elle a encore les moyens de conduire des actions terroristes, je pense pour ma part que c'est très probable. 

Le Figaro Magazine : Avez-vous pensé à des risques de représailles lorsque vous avez fait arrêter Carlos ? 

Charles Pasqua : Ces risques existent, mais ce n'est pas une raison pour ne pas arrêter et traduire devant les tribunaux ceux qui sont coupables de crimes. Sinon, nous ne serions plus dans un État de droit. 

Le Figaro Magazine : Aujourd'hui, il y a une coopération entre les pays qui ont été des sanctuaires ou ont financé les terroristes comme la Libye, la Syrie et l'Iran ? 

Charles Pasqua : Je vous laisse la responsabilité de la désignation de ces pays. Pour parler plus généralement, je me limiterai à dire que certains pays qui ont utilisé ou protégé Carlos préféreraient certainement qu'à l'heure actuelle il soit mort. 

Le Figaro Magazine : Voulez-vous dire que vous regrettez que la peine de mort ait été supprimée ? 

Charles Pasqua : Ce n'est pas ce que je viens de dire. Mais, oui, il me semble que pour les crimes les plus atroces, la peine de mort resterait justifiée. 

Le Figaro Magazine : Comment réagiriez-vous si Carlos se suicidait dans sa cellule ? 

Charles Pasqua : Cela me paraît hautement improbable. Carlos semble aimer la vie, la sienne en tout cas. 

Le Figaro Magazine : On parle toujours beaucoup de Me Vergès. Selon vous, a-t-il été une cible des services secrets dans le passé ? 

Charles Pasqua : Je ne crois pas qu'on ait voulu l'abattre. En revanche, il est très probable, pour ne pas dire certain, qu'il ait fait l'objet de surveillance. 

Le Figaro Magazine : A-t-il été sous écoute téléphonique, du moins lorsque vous avez été ministre de l'Intérieur, tant dans le passé qu'aujourd'hui ? 

Charles Pasqua : Non, pour une raison de déontologie. Sauf soupçons très graves, il n'est pas dans nos habitudes ou nos traditions de mettre des avocats sous écoute. Si nous l'avions fait, nous en aurions préalablement averti le bâtonnier. 

Le Figaro Magazine : Savez-vous ce qu'il a fait pendant les sept ans où il avait disparu de France ? 

Charles Pasqua : Je serais, comme tout le monde, très heureux de le savoir, car, quand la vie de quelqu'un comporte une part de mystère, on est toujours intrigué. Malheureusement, je l'ignore. 

Le Figaro Magazine : On peut supposer qu'un ministre de l'Intérieur a les moyens de le savoir ? 

Charles Pasqua : En tout cas, jusqu'à présent, cette question ne nous a pas mobilisés outre mesure. 

Le Figaro Magazine : Sachant ce qu'était la Stasi, accordez-vous foi à ces documents qui ont été publiés et qui montrent que Carlos travaillait pour elle, et où le nom de Me Vergès est cité ? 

Charles Pasqua : On sait que les services spéciaux soviétiques, et par conséquent leurs épigones des pays de l'Est, avaient pour habitude de tout consigner. C'était là une organisation très bureaucratique. Or, à cette époque, ils n'imaginaient pas que le communisme disparaîtrait et qu'un jour ces documents seraient entre les mains de leurs adversaires. Pour cette raison, ils me paraissent plutôt dignes de foi.

Le Figaro Magazine : Pensez-vous que ces archives recèlent des documents importants concernant la France ? 

Charles Pasqua : Très certainement. Il n'y a d'ailleurs pas que celles de la Stasi, mais aussi celles de pays qui avaient pris la France pour cible de leurs actions de renseignements, leurs actions de renseignements, voire d'autres types d'actions. C'était le cas de la Hongrie, de la Roumanie par exemple. 

Le Figaro Magazine : Vos homologues hongrois ou roumains viennent-ils d'eux-mêmes vous apporter des documents concernant la France ? 

Charles Pasqua : On ne saurait dire qu'ils fassent preuve d'une spontanéité touchante. 

Le Figaro Magazine : Les sollicitez-vous ?

Charles Pasqua : Les services concernés, notamment la DST, se chargent de cela. 

Le Figaro Magazine : À votre demande explicite ?

Charles Pasqua : Ces encouragements seraient très probablement superflus, mais ils n'en sont pas moins prodigués vivement. 

Le Figaro Magazine : Outre l'affaire Carlos, cet été, ont eu lieu l'arrestation puis l'expulsion des membres du FIS. Estimez-vous avoir neutralisé en France les réseaux les plus dangereux ? 

Charles Pasqua : Non, on ne peut pas dire cela. En effet, en dehors même de ceux qui se réclament ou qui sont identifiés comme des sympathisants du FIS c'est à-dire comme des gens qui soutiennent un mouvement utilisant la force et le terrorisme sans être eux-mêmes des terroristes, il existe très probablement sur notre sol des éléments "dormants" qui, un jour ou l'autre, pourraient se réveiller et passer à l'action. Nous avons en tout cas pu le constater au vu de ce qui est survenu au Maroc. Il nous faut donc être extrêmement vigilants. Tous les milieux susceptibles de servir les milieux susceptibles de servir de support à des actions terroristes sont étroitement surveillés. 

Le Figaro Magazine : À quels résultats a abouti l'opération "coup de poing" vérifications, contrôles d'identité que vous avez lancée cet été et qui continue ? 

Charles Pasqua : Contrairement à ce qui a été dit, cette opération n'était pas liée aux interpellations ayant eu lieu dans les milieux intégristes. Il s'agit d'opérations de sécurisation. 

Elles avaient commencé au mois de juin et, d'ailleurs, se poursuivent et se poursuivront. Je souhaite en effet renforcer la présence de la police dans tous les quartiers les plus difficiles, dans ceux où la délinquance est la plus importante. Je le répète, ces opérations de sécurisation se poursuivront, ne serait-ce qu'en vertu du vieil adage selon lequel la peur du gendarme est le commencement de la sagesse. 

Le Figaro Magazine : La peur du gendarme donne-t-elle vraiment des résultats ou est-ce une bonne gestion médiatique du ministre de l'Intérieur ? 

Charles Pasqua : La gestion médiatique n'est pas ma préoccupation essentielle. Nous avons à lutter contre la délinquance, ce qui suppose un travail de prévention. Or, le fait que les policiers soient dans la rue relève précisément de la prévention. Je crois que les chiffres de la délinquance démontreront bientôt l'efficacité de ces opérations. Dans le même temps, il faut, dans un certain nombre de quartiers où les lois de la République semblent ne plus être acceptées ou appliquées, rétablir l'autorité de l'État. Je m'y emploie et vais m'y employer davantage encore. 

Le Figaro Magazine : La communauté algérienne de France comprend-elle bien votre action ? 

Charles Pasqua : Elle n'est pas spécialement visée par ces actions. Et je veux d'abord constater le calme de cette communauté, ce qui est à porter à son crédit. Bien que nous ayons contrôlé des dizaines de milliers de personnes, il n'y a eu aucun incident, sauf un aux Lilas, sur lequel on a fait beaucoup de bruit et d'agitation médiatique. J'attends à ce sujet les résultats de l'enquête en cours. S'ils sont ce que j'espère, je porterai plainte contre ceux qui ont déclaré que les policiers avaient agressé des jeunes gens. Je ne laisserai pas diffamer la police. Outre le calme dont elle fait preuve, la communauté maghrébine en général semble être plutôt satisfaite. Il faut noter, à propos des interpellations auxquelles nous avons procédé et des contrôles auxquels nous procédons encore, qu'ils concernent aussi bien des restaurants, des cafés ou des établissements de nuit, ce qui a eu pour conséquence que ceux qui se livrent habituellement au racket ont disparu, de peur d'être identifiés et mis hors d'état de nuire. Il ne faut pas oublier que les commerçants honnêtes sont souvent soumis à des pressions et au racket. 

De toute façon, les étrangers installés sur notre sol, dans la mesure où ils respectent nos lois, n'ont rien à craindre. Au contraire, les lois les protègent. En revanche, qu'il soit bien compris que nous n'accepterons pas que certains abusent de notre hospitalité pour organiser sur notre territoire des actions de soutien à des mouvements extrémistes ou, encore, qu'ils tentent d'imposer leur propre loi. 

Le Figaro Magazine : Vous avez dit cet été sur Europe 1 qu'il n'existait pas d'islam modéré. N'était-ce pas imprudent ? 

Charles Pasqua : Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit. Tout d'abord, il convient de rappeler que nous ne parlions pas de l'islam, mais bien, de l'Algérie. De plus, mon interlocuteur venant de me dire qu'il n'y avait pas, d'un côté, le pouvoir actuel et, de l'autre, des extrémistes mais des islamistes modérés, j'ai répondu qu'à ma connaissance, il n'y avait pas d'islamistes ce qui ne veut pas dire de musulmans modérés. Il y a des modérés, lesquels ne sont pas islamistes. S'ils sont islamistes, ils ne sont pas modérés. Mais cela ne valait que pour l'Algérie. 

En France comme dans le monde entier, d'ailleurs, il est bien évident que la plupart des gens qui sont musulmans n'ont rien à voir avec l'intégrisme. Et en Algérie, ceux qui se réclament de l'islam et qui sont pour l'instauration d'un État théocratique n'ont rien à voir avec l'islam tel qu'il est vécu en France.

Le Figaro Magazine : Quelle aide peut-on apporter à l'Algérie ? 

Charles Pasqua : L'Algérie et les Algériens ont à régler leurs problèmes eux-mêmes. Personne ne peut le faire à leur place. Il est souhaitable que s'amorce en Algérie une évolution qui conduise à l'instauration d'un pouvoir démocratique et largement soutenu par l'opinion publique. Mais nous n'avons pas à intervenir dans cette affaire. Tout ce que nous pouvons faire, et nous le faisons, c'est apporter à l'Algérie et non pas à tel ou tel gouvernement un soutien économique, car il ne peut pas y avoir d'évolution démocratique s'il y a effondrement économique. 

Le Figaro Magazine : Le régime algérien tiendra-t-il jusqu'à l'élection présidentielle française ? 

Charles Pasqua : Je le crois, oui. Mais ma préoccupation ne s'arrête pas là. 

Le Figaro Magazine : Pensez-vous que les dirigeants actuels soient capables de réussir cette révolution démocratique ? 

Charles Pasqua : L'exercice est très difficile, car on ne peut engager un processus démocratique tout seul. Il faut avoir des interlocuteurs. Il semble que le pouvoir algérien actuel commence à en avoir. Il faut espérer que tout le monde accepte finalement de s'engager dans cette voie.

Le Figaro Magazine : Quel a été l'impact sur le mouvement migratoire en France de la situation en Algérie ? 

Charles Pasqua : Au cours de l'année écoulée, environ dix mille personnes ont dû quitter l'Algérie – pour ne pas parler véritablement de "réfugiés" – compte tenu des menaces qui pesaient sur elles et sur leur famille. Nous les avons acceptées. Cela dit, dans la mesure où nous délivrons très peu d'autorisations d'installation sur notre sol, notre véritable préoccupation a bien plutôt trait à l'immigration clandestine. 

Le Figaro Magazine : Quel est votre sentiment sur l'immigration clandestine ? S'agit-il d'un flot continu ? 

Charles Pasqua : Ce n'est pas un flot continu. Cependant, et c'est là un indice, lors des derniers contrôles, nous avons interpellé plusieurs centaines d'immigrés clandestins.

Le Figaro Magazine : Que fait-on d'eux ?

Charles Pasqua : On essaie de les renvoyer chez eux. Cependant, nous ne sommes pas toujours aidés par l'interprétation que la justice fait des lois que nous avons fait voter. 

Le Figaro Magazine : Le renvoi des clandestins se passe-t-il mieux aujourd'hui qu'il y a quelques années ? 

Charles Pasqua : Oui, cela se passe mieux. D'une part parce que nous avons fait voter des lois qui nous donnent des moyens nouveaux et, d'autre part, parce que nous avons négocié avec l'Algérie, la Tunisie et le Maroc – et nous sommes en train de négocier avec d'autres pays – des accords de réadmission. Cela amène les consulats de ces pays à établir des documents provisoires, permettant de renvoyer dans leur pays d'origine, quand on les a identifiés, les immigrés clandestins. 

Le Figaro Magazine : Encore faut-il pouvoir les identifier. 

Charles Pasqua : Nous allons disposer de moyens nouveaux pour ce faire. Ainsi, lorsqu'un immigré clandestin aura détruit ses documents d'identité ou qu'il refusera de collaborer pour permettre son identification, nous aurons la possibilité de le placer en rétention judiciaire pendant trois mois. Or cette durée doit nous permettre de l'identifier. Mais s'il refuse, il sera condamné et mis en détention. 

Le Figaro Magazine : Dans ce cas, vous allez remplir les prisons ? 

Charles Pasqua : Si vous avez une autre solution, je suis preneur… 

Le Figaro Magazine : Les pays européens coopèrent-ils ? L'Italie et l'Espagne semblaient être plus laxistes que d'autres. Ces pays ont-ils changé d'attitude ? 

Charles Pasqua : Pour ce qui concerne l'Espagne, oui, car y ont été prises des mesures très sévères contre l'immigration. Il est trop tôt pour pouvoir juger du nouveau gouvernement en Italie, mais j'ai le sentiment que la prise de conscience à ce sujet est réelle. Il est en effet bien évident que, si des événements conduisaient à une émigration massive, l'Espagne et l'Italie seraient concernées au même titre que nous. Pour ma part, je m'attache à tenter de définir une politique commune entre nos pays, en ce qui concerne l'immigration et le contrôle. En fait, la prise de conscience qu'une politique commune est nécessaire commence à se manifester au niveau des Douze. Nous devions nous réunir les 7 et 8 septembre à Berlin, entre ministres de l'intérieur et de la Justice, pour examiner prioritairement l'ensemble des problèmes qui se posent à ce sujet. 

Le Figaro Magazine : Néanmoins, le fichier informatique n'est toujours pas au point. 

Charles Pasqua : Contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, il n'est pas exclu qu'il soit opérationnel dans quelques mois. Nous avons rencontré beaucoup de problèmes dans ce domaine, mais la mésentente entre la France et l'Allemagne est maintenant dissipée, depuis que le ministre délégué auprès du chancelier et moi-même nous nous sommes rencontrés. La technique devra suivre. 

Le Figaro Magazine : En vous écoutant cet été, je me demandais si vous ne souffrez pas d'une vocation rentrée de ministre des Affaires étrangères. 

Charles Pasqua : Cela fait en effet partie des postes prestigieux. Mais je ne rêverais pas d'être ministre des Affaires étrangères durant une période de cohabitation. Pour conduire la politique étrangère de la France dans les meilleures conditions, il est indispensable qu'il n'y ait qu'une volonté au sommet. Dans nos institutions, ce ne peut être que celle du chef de l'État.