Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du CNPF, à France 3, France-Inter et Europe 1 le 8 septembre 1998, sur l'éventualité d'une baisse des cotisations patronales, les difficultés de la concertation avec le gouvernement et la nécessité de la révision à la baisse des perspectives de croissance économique.

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Média : Europe 1 - France 3 - France Inter - Télévision

Texte intégral

France 3 - mardi 8 septembre 1998

Elise Lucet : Que répondez-vous aux syndicats qui vous disent que la réduction des charges sociales ne va pas forcément permettre de créer des emplois ?

Emest-Antoine Seillière : Je crois qu'ils ont tort. Il n'y a pas un entrepreneur en France, petit ou grand, qui ne vous dira pas : si je n'embauche pas autant que je le devrais ou que je voudrais, c'est à cause des charges. Donc, faire baisser les charges, notamment sur les bas salaires, est incontestablement pour nous, entrepreneurs, la manière de créer de l'emploi. Nous le disons d'ailleurs depuis des années. Jusqu'à présent, on disait : ça, c'est des entrepreneurs qui disent des choses, mais ce n'est pas vrai. Nous constatons en tout cas avec satisfaction qu'on est en plein débat sur cette question fondamentale.

Elise Lucet : Seriez-vous d'accord avec un système bonus-malus : une entreprise qui crée des emplois aurait des réductions de charges plus importantes ?

Emest-Antoine Seillière : C'est la foire aux idées : on a lancé le thème, et en fait, actuellement, on est en pleine improvisation. On entend dire d'ailleurs qu'on est sur le point de prendre une décision. Nous n'avons jamais été consultés en tant que représentation des entrepreneurs, en tant que CNPF, par quiconque sur ce sujet.

Elise Lucet : Vous le regrettez, j'imagine !

Emest-Antoine Seillière : Nous le regrettons, d'autant plus que s'il fallait prendre une décision et que nous la lisions dans les journaux, ce ne serait pas concevable. Il faut respecter la société civile, c'est-à-dire en fait le CNPF représentant les entrepreneurs. Il faut nous consulter. Nous dirons ce que nous pensons.

Elise Lucet : Pourquoi le dialogue est-il au point mort ?

Emest-Antoine Seillière : C'est une question de méthode du Gouvernement. Le Gouvernement a sa méthode. Nous, nous constatons que ceci ne passe pas par une consultation suffisante en ce qui concerne en effet ceux qui sur ces sujets ont accumulé tout de même beaucoup d'expérience et beaucoup de connaissances.

Elise Lucet : N’avez-vous pas le sentiment qu'il a pu y avoir de la part du CNPF une certaine crispation vis-à-vis du gouvernement Jospin ?

Emest-Antoine Seillière : Pas du tout. Je crois que nous sommes sur tous ces sujets tout à fait décontractés. En réalité, nous avons besoin aujourd'hui de baisse de charges, notamment sur les bas salaires. C'est une évidence. Pour compenser ces baisses de charge, il faut faire des économies de dépenses publiques et ne pas chercher à recharger immédiatement d'autres salaires ou d'autres entreprises. Ça, c'est la technique de ce qu'on appelait autrefois le Sapeur Camembert : on fait un trou quelque part, et on le comble avec le produit de ce qu'on a trouvé dans le trou d'à côté. Non ! Il faut vraiment faire des économies en face des baisses de charges. Comme vous le savez, à l'assurance-maladie, il y a des gens qui disent actuellement qu'il y a 100 milliards que l'on pourrait économiser en ayant un système de santé parfait en France. Mettons-nous à ce sujet-là.

Elise Lucet : J’aimerais avoir votre avis sur l'impact que pourraient avoir la crise russe et la crise asiatique sur l'économie française. Vous avez parlé d'un taux de croissance à 2,5 % pour 1999. Êtes-vous pessimiste ou prudent ?

Emest-Antoine Seillière : Nous, nous sommes réalistes. Il se met en place par une succession de crises qui vont forcément peser sur la conjoncture mondiale, et la France forcément verra une réduction de son activité l'an prochain, vers 2,5 %, ce qui n'est d'ailleurs pas mal, mais qui est moins. Ce que nous regrettons, c'est que le budget va être adopté demain, et c'est un budget qui ne tient absolument pas compte de cette nouvelle circonstance inconnue au moment où on l'a préparé, et nous avons donc beaucoup trop de dépenses face aux recettes qu'on attendra en 1999 dans notre pays, compte tenu de ce ralentissement de croissance.

France Inter - 8 septembre 1998

L'expansion actuelle à 3 % pour 1998, que nous jugeons à quelques décimes près possible, est une expansion qui est devenue plus fragile et plus menacée qu'elle ne l'était encore au début de l'année. Elle est sujette à caution du fait de l'ensemble des crises du monde actuellement. Premièrement, la crise japonaise, profonde, et sur un des pays les plus puissants économiquement du monde ; la série des crises asiatiques, bien entendu, sur des pays d'Asie du Sud-Est ; et maintenant la crise en Russie : tout ceci se superpose pour créer un avenir beaucoup plus incertain. Ce sont donc des raisons de préoccupation qui font que, la loi de finances qui va être présentée et adoptée demain en conseil des ministres, nous parait porter les signes d'une ambition beaucoup trop optimiste en ce qui concerne la dépense publique. Si l'on maintient en effet la dépense publique au niveau où on l'a inscrite, nous aurons de très gros problèmes de financement et des problèmes d'équilibre. Et je ne vous parle pas bien entendu de la loi de finances 1999 pour l'année 2000 qui devrait également être difficile.

Europe 1 - 8 septembre 1998

Pour nous, entrepreneurs, il est clair que l'expansion actuelle à 3 % pour 1998, que nous jugeons à quelques décimes près possible, est une expansion qui est devenue plus fragile et plus menacée du fait de l'ensemble des crises du monde actuel. Premièrement, la crise japonaise, profonde ; la série des crises asiatiques, bien entendu, sur les pays d'Asie du Sud-Est ; et maintenant la crise en Russie : tout ceci se superpose, et donc nous pensons que l'année prochaine ne sera pas à 3 % de croissance comme on l'a ambitionné, et sur la base desquels on a construit les comptes de notre pays pour l'année prochaine. Nous pensons que cela sera beaucoup plus proche de 2,5 %. C'est une sérieuse réduction. Ceci est dû non pas à l'économie française, mais à l'économie mondiale qui nous entoure. Nous pensons également que les équilibres monétaires, notamment la valeur du dollar, est susceptible de se modifier, et qu'il peut y avoir une compétition adressée à la France beaucoup plus forte que celle que nous avons connue actuellement. Ce sont donc des raisons de préoccupation qui font que la loi de finances qui va être présentée et adoptée demain en conseil des ministres, nous paraît porter les signes d'une ambition beaucoup trop optimiste en ce qui concerne la dépense publique. Si l'on maintient, en effet, la dépense publique au niveau où l'on inscrit, nous avons de très gros problèmes de financement et des problèmes d'équilibre. La dépense publique doit être beaucoup plus sérieusement maîtrisée qu'elle ne l'est actuellement.