Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur la convergence de vues entre la France et le Portugal sur l'Union européenne, l'évolution de la situation en Haïti et le renforcement de l'UEO, Lisbonne le 19 septembre 1994.

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Circonstance : Voyage officiel de M. Juppé au Portugal les 18 et 19 septembre 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je voudrais, à mon tour, vous dire combien je suis heureux d'être ici à Lisbonne et d'avoir pu m'entretenir, hier soir dans un dîner privé et aujourd'hui au cours d'une longue séance de travail, avec mon collègue et ami, Durao Barroso. Nous nous voyons souvent à Bruxelles ou ailleurs dans les rencontres à Douze mais je crois qu'il était utile et même nécessaire que nous puissions ici approfondir un certain nombre de sujets d'intérêt commun.

Je l'ai constaté depuis maintenant pratiquement un an et demi que j'assume mes fonctions, dans la plupart des grands dossiers, des grands sujets de discussions que nous abordons au sein de l'Union européenne, la France et le Portugal sont presque toujours sur la même longueur d'ondes et je me félicite de cette très bonne convergence de vues : on l'a vu lors de la négociation du GATT où le Portugal et la France ont marché main dans la main. Nous avons été aussi très sensibles en France à la manière dont le Portugal a répondu présent lorsque nous avons lancé l'opération Turquoise au Rwanda. Je crois que c'était un geste de solidarité européenne qui était très important.

Nous avons abordé ce matin – je serai bref dans ce compte rendu puisque M. Barroso a tout dit et qu'il faut réserver un peu de temps aux questions, avant que j'aille rencontrer le Premier ministre – nous avons d'abord abordé les questions bilatérales : les choses vont très bien. Dans le domaine économique, la France, je crois, est assez présente dans ce pays même s'il faut encore intensifier les choses. Je crois que, dans le domaine culturel et linguistique, qui est un sujet qui nous tient beaucoup à cœur, on peut peut-être mieux faire dans un esprit de réciprocité et nous avons envisagé un certain nombre d'initiatives à cette fin, notamment la réunion d'ici la fin de l'année de cette sous-commission culturelle qui pourra examiner les initiatives à prendre. Et puis nous avons eu une longue conversation sur l'avenir de l'Union européenne. J'ai eu l'occasion de rappeler les priorités que s'assigne la présidence française au premier semestre 1995, croissance et emploi, sécurité et stabilité en Europe, audiovisuel et culture, dimension méridionale et méditerranéenne de l'Union européenne. Voilà des sujets sur lesquels nous sommes facilement tombés d'accord.

Cette conversation a été aussi l'occasion d'aborder la grande question qui va agiter l'Union européenne au cours des prochains mois, je veux parler de la réforme institutionnelle de 1996, qui est dans notre esprit un préalable aux futurs élargissements de l'Union. J'ai pu aussi très clairement rappeler au ministre des affaires étrangères du Portugal que la France était hostile à toute idée de noyau dur fermé au sein de l'Union européenne. Nous partageons le même point de vue. Il ne doit pas y avoir exclusion vis-à-vis de qui que ce soit. La façon dont la France conçoit les choses, c'est celle d'une solidarité de base entre tous les pays de l'Union européenne, car l'Union n'est pas simplement un marché commun, c'est une entité politique Au sein de cette solidarité de base, nous pensons, nous Français, qu'il est n'est pas exclu de développer des solidarités renforcées si un certain nombre de pays veulent aller plus vite dans un certain nombre de domaines. Mais personne ne doit en être exclu et tous ceux qui sont prêts à assumer les responsabilités de ces solidarités renforcées doivent avoir la possibilité de le faire.

Voilà, nous avons ensuite évoqué certains autres sujets, l'Angola, le Mozambique. Nous sommes très attentifs aux efforts du Portugal. Et nous avons eu encore l'occasion d'évoquer fréquemment entre nous la situation en Algérie ou dans l'ex-Yougoslavie et d'autres sujets encore et je crois que le plus simple, en remerciant à nouveau M. Barroso de son accueil, et en me réjouissant de la très grande qualité des relations entre la France et le Portugal, est de répondre maintenant à vos questions.

Q. : Peut-on connaître votre opinion sur les évolutions en Haïti ?

R. : Vous savez, depuis le début de cette crise, la France, comme les grands pays amis d'Haïti s'est fixé un objectif très clair, le rétablissement de la démocratie en Haïti, le retour du Président légalement élu, le départ des usurpateurs et nous avons apporté notre collaboration pour que cet objectif puisse être atteint en nous associant à toutes les résolutions du Conseil de sécurité qui vont dans ce sens. Nous avons également approuvé le principe de l'intervention en Haïti qui a été décidée récemment par les États-Unis. La dernière initiative prise par le Président Clinton qui a permis d'aboutir à un accord est évidemment positive, si elle a permis d'éviter une effusion de sang en Haïti ; elle est la bienvenue. Tous les problèmes ne sont pas réglés et nous allons regarder avec beaucoup d'attention ce qui se passe dans les prochains jours. Si la stabilité revient en Haïti, il faut rapidement lever les sanctions qui pèsent contre ce pays et qui maintenant sa population dans un état de très grande fragilité, de très grande misère, il faut bien le dire et nous sommes également dans ce contexte prêts à reprendre très rapidement la coopération que la France apporte traditionnellement à ce pays ami avec lequel nous avons des liens très anciens et très étroits. J'espère que l'Union européenne elle-même pourra rapidement aussi rétablir la coopération avec ce pays.

Q. : (Sur Timor)

R. : La France a une position constante sur Timor, c'est que les Droits de l'Homme doivent être respectés et nous sommes très vigilants à la situation qui prévaut dans ce territoire et nous usons de notre influence sur les parties en présence pour que ces Droits de l'Homme soient garantis.

Q. : Avez-vous une réaction sur le retour des sociaux-démocrates en Suède ?

R. : Je n'ai aucun commentaire à faire. Les Suédois ont voté ; ils ont choisi le Gouvernement qui leur convient, ce n'est pas à moi, ministre des affaires étrangères français, de me prononcer. Nous travaillerons bien sûr avec le gouvernement que s'est choisi le peuple suédois.

Q : (sur l'élargissement)

R : C'est une expression que je n'ai pas employée parce qu'elle ne correspond pas à ce que pense le gouvernement français. C'est difficile, je dois dire, d'être bref et clair sur un sujet comme celui-là. Premièrement, nous devons élargir l'Union européenne aux quatre candidats actuels qui nous rejoindront je l'espère le 1er janvier 1995, mais aussi à d'autres; nous l'avons décidé à Copenhague. Donc la question n'est pas de savoir si nous allons élargir l'Europe, mais quand et comment ? Deuxième réflexion très simple, lorsque nous serons seize et a fortiori vingt ou vingt-cinq, il faudra bien organiser l'Europe de manière différente. Cela ne pourra pas marcher à vingt-cinq comme ça a marché à six, à neuf ou à douze. Il faut donc réfléchir à ces questions. Le point de vue de la France, je l'ai évoqué tout à l'heure, c'est nia troisième remarque, c'est que la même solidarité, la solidarité de base doit unir tous les membres de l'Union européenne sur un plan d'égalité : c'est l'Union douanière, c'est la coopération politique, c'est la politique extérieure et de sécurité commune, ce sont certaines politiques communes, Nous pensons qu'à l'intérieur de cette solidarité de base, il peut y avoir des solidarités renforcées, il peut 'y avoir des pays qui veulent faire plus, plus vite exemple, l'union économique et monétaire. Le Traité de Maastricht a prévu un certain nombre de critères ; exemple, la sécurité, le renforcement de l'Europe occidentale et on pourrait encore imaginer d'autres exemples. Il faut que tous ceux qui veulent s'engager dans ces solidarités renforcées puissent le faire. C'est la raison pour laquelle nous sommes hostiles à l'idée d'un noyau dur figé qui serait ouvert à certains et pas à d'autres. Voilà très rapidement résumé ce que pense la France. J'ajouterai simplement que nous avons deux ans devant nous pour approfondir le débat. Je suis heureux que ce débat ait pu s'engager, notamment ici au Portugal.

Q. : Avez-vous parlé de la candidature de l'ambassadeur José Cutileiro au secrétariat général de l'UEO.

R. : Nous avons eu une conversation approfondie sur le rôle de l'Union de l'Europe Occidentale. Nous sommes tous les deux très attachés à l'Alliance atlantique et nous pensons qu'à l'intérieur de cette Alliance atlantique, l'Union de l'Europe occidentale qui est le pilier européen comme on dit, doit être renforcé concrètement sur un plan opérationnel : l'Eurocorps, la force aéro-maritime entre les pays du Sud, le réseau d'observation par satellite, etc. Et j'ai été très heureux de voir que le Portugal partageait tout à fait cette volonté de renforcer concrètement l'Union de l'Europe Occidentale. Dans cet esprit, la candidature de M. Cutileiro est tout à fait vue avec sympathie par la France.

Q. : Vous vous voyez souvent dans un cadre européen, mais avez-vous parlé en profondeur de l'Algérie ? D'autre part, avez-vous une réaction sur la détérioration de la situation en Bosnie ?

R. : Sur l'Algérie, nous n'avons pas eu le temps d'en parler aujourd'hui. Dimanche il y a eu là-dessus un examen très large, très approfondi. Nous allons continuer, hélas je pense, à nous tenir en très étroite liaison. Sur la situation en Bosnie, même réponse. Je voudrais simplement insister sur le fait, bien que nous n'en ayons pas parlé ce matin et c'est donc mon point de vue que j'exprime ici, que cette situation est aujourd'hui inacceptable. Le blocus de Sarajevo qui a été promis par le leader des Serbes de Bosnie en mesure de rétorsion contre la fermeture de la frontière serbo-bosniaque, ce blocus est inacceptable. Les incidents se multiplient, notamment les bombardements et il nous faut donc faire preuve de la plus grande fermeté face à cette provocation des bosno-serbes. Je pense que les résolutions du conseil de sécurité qui concernent les zones de sécurité et même les zones d'exclusion doivent être appliquées strictement. Je pense que les projets de résolution qui ont été déposés à New York devant le conseil de sécurité qui renforcent les sanctions contre doivent être votées sans tarder et je pense que les belligérants doivent savoir que les grandes puissances sont déterminées à mettre en œuvre les mesures qu'elles ont annoncées, car petit à petit on assiste à une sorte de remise en cause de ce qui avait été acquis depuis février dernier.