Déclaration de M. Jacques Barrot, vice-président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, sur ses propositions pour encourager l'emploi et favoriser l'expérimentation de nouvelles formules sur le plan social, et sur la réforme du système social français, Rouen le 23 avril 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jacques Barrot - UDF, vice président du groupe parlementaire à l'Assemblée nationale

Circonstance : Congrès du CDS à Rouen du 22 au 24 avril 1994

Texte intégral

Deux impératifs du CDS

A. – Premièrement, faire en sorte que les gains de croissance, assurés par la reprise, aillent en priorité à la création d'emplois.

1. Faute d'un plan social clair, centré sur les vraies priorités, la reprise risque d'exacerber les égoïsmes catégoriels, décourager un peu plus ceux qui d'ores et déjà sont en voie d'exclusion de la vie professionnelle, voire de la vie sociale. Va-t-on refaire l'erreur des années 1988/1990 ? Avec des croissances de plus de 3 %, on n'a pas vraiment donné l'impulsion nécessaire à une croissance plus riche en emplois.

Quels devraient être les axes de ce pacte social qui permettra d'assurer les dimensions sociales de la reprise.

Il faut poursuivre l'abaissement des cotisations employeurs sur les salaires non rémunérés et donc moins qualifiés : c'est le vrai moyen d'une part d'éviter à nos entreprises manufacturières de perdre des emplois lorsqu'elles sont exposées sur les marchés extérieurs face à nos concurrents qui ont pratiqués une dévaluation compétitive, d'autre part de permettre des embauches plus nombreuses dans tous les secteurs des services.

Deuxièmement, il faut un véritable plan en faveur du mi-temps. Cela implique une révolution dans la fonction publique qui devrait pouvoir créer des emplois à mi-temps et des incitations beaucoup plus fortes dans le secteur privé où la baisse des cotisations a été réduite de la moitié au tiers.

L'encouragement à la baisse tendancielle du temps de travail doit être poursuivi en laissant aux partenaires sociaux le soin de choisir les modalités de cet abaissement.

2. Parallèlement à ces mesures, portant directement sur la rémunération et l'organisation du travail, il faut dans le secteur de services aux personnes conduire une politique beaucoup plus volontariste : au lieu d'augmenter le montant des prestations, il faut s'interroger sur les besoins en service, aussi bien des familles que des personnes âgées dépendantes. Il faut rendre solvable ces demandes de service, en créant comme le fait la loi famille de nouvelles aides à la garde des enfants, mais aussi en créant une allocation dépendance indispensable…
S'il y a des gains de croissance, ils doivent permettre d'avancer plus avant dans ces nouvelles politiques sociales faites de services affectés, services de proximité plus que de distributions d'argent.

3. Enfin, à cette politique de partage du travail, d'intensification des échanges interpersonnels, il faut ajouter une réorientation en profondeur de la formation professionnelle. Le chômage, celui des jeunes notamment, se nourrit du fossé entre l'école et l'entreprise, entre le savoir théorique et le savoir pratique. L'heure est venue de donner non seulement aux régions la gestion des fonds de formation professionnelle mais aussi les moyens d'inventer de nouvelles modalités pour une véritable formation initiale en alternance.

B. – Le deuxième impératif est d'ouvrir les chemins de la réforme mais avec de nouvelles méthodes. L'exemple d'Air France montre que la réforme peut sortir par la porte et rentrer par la fenêtre. Encore faut-il s'en donner les moyens.

1. Pour réussir la réforme il faut d'abord recourir à l'expérience. Pourquoi ne pas introduire plus nettement dans le droit français, le droit à l'expérimentation qui, combiné avec la décentralisation, permettrait une saine émulation pour réussir la mise au point de formules nouvelles. L'expérimentation apparaît indispensable et urgente en ce qui concerne la formation professionnelle initiale et continue ; mais l'expérimentation peut aussi être tentée pour intensifier les échanges et les services rendus aux personnes avec des fonds incitation.

Expérimenter, cela veut dire aussi de donner des responsabilités à des partenaires sociaux et professionnels qui sont sur le terrain et qui se tentent de moins en moins engagés par les démarches d'État major parisien… Il faut faire accepter à l'ensemble des élites françaises ce droit à la régionalisation, à la délocalisation des pôles de responsabilité sociale.

2. Une fois les réformes expérimentées, pourquoi ne pas procéder dans des cadres bien délimités à des consultations directes à de véritable votation ? Ici dans une branche professionnelle, là dans une région pour permettre à des vocations qui ainsi n'auront pas le caractère de référendum pour ou contre le pouvoir central mais qui seront véritablement l'occasion de choix de société, faits directement par les intéressés eux.

3. Il faudra bien enfin se résoudre à quelques choix majeurs qui eux engageront tout le système social français. Les débats actuels doivent permettre de repérer les alternatives dont il faudra choisir le meilleur terme.

Faut-il continuer à financer l'essentiel des prestations sociales à partir des cotisations salariés et employeurs ou alors faut-il recourir plus massivement à la CSG ?

Faut-il, oui ou non, laisser aux seuls ministères de l'Éducation et du Travail le soin d'arrêter les modalités de la formation en France ou admettre que les systèmes de formation puissent être modulés par les Conseils régionaux ?

Faut-il renoncer à une allocation dépendance générale, faute de faire accepter aux retraités l'accroissement de leurs cotisations maladies, aujourd'hui inférieures de cinq points à celles des actifs disposants des mêmes revenus.

La société française ne peut pas garder un système social édifié au temps du plein emploi et au temps d'une économie relativement à l'abri des grandes fluctuations mondiales.

Le système produit des transferts de revenu qui coûtent très chers, et qui comportent des effets pervers en instaurant progressivement une société duale. À la préférence française pour le chômage, il faut choisir une nouvelle préférence française pour l'emploi ; au partage pur et simple du revenu matériel, il faut sans doute préférer maintenant un partage plus audacieux du travail et du savoir. L'insertion professionnelle et sociale a sans doute aujourd'hui beaucoup plus d'importance pour les moins favorisés que la progression de leur revenu de remplacement… Cela exige une véritable réorientation de notre système social. Nous devons tout faire pour la réaliser en temps utile. Faute d'être réorienté, le dispositif social français risque en effet d'être en jour remis en cause. Nous n'accepterons jamais, pour ce qui nous concerne, une société qui en viendrait à reculer au plan de la solidarité, faute d'avoir su gérer son système social et d'en avoir choisi les vraies priorités.