Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Le Figaro" du 27 août 1998, sur la situation politique et économique de l'ensemble des pays en "situation inquiétante", la poursuite de la construction européenne et la modernisation du ministère.

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Le Figaro : Vous revenez de Téhéran : êtes-vous convaincu de l’ouverture du régime Iranien ?

Hubert VÉDRINE : Convaincu en tout cas de la volonté de changement de la population qui, en 1997, a voté à 90 %, dont 70 % pour le président Khatami ; convaincu aussi de la volonté de ce dernier et de son gouvernement de réinsérer l’Iran dans la vie internationale. Le processus sera long. Notre intérêt est d’accompagner et d’essayer de favoriser cette mutation – l’Iran est un pays stratégique – tout en restant vigilants.

Le Figaro : Les dirigeants Iraniens n’ont pas de mots assez durs contre les taliban. L’Iran « modéré » de Khatami peut-il jouer un rôle stabilisateur dans la région ?

Hubert VÉDRINE : Ce n’est pas exclu. J’ai trouvé les autorités iraniennes liés préoccupées par les foyers d’insécurité à leurs frontières, dans l’ensemble de la région, à commencer par l’Afghanistan.

Le Figaro : Les Américains, via le Pakistan, ont-ils joué les apprentis sorciers en Afghanistan ?

Hubert VÉDRINE : On peut certes s’interroger légitimement sur les errements de la politique américaine dans le monde arabo-islamique, depuis d’ailleurs des dizaines d’années : on peut encore gloser sur le renversement de situation entre la guerre russo-afghane et maintenant. Mais ne disons pas que c’est ce qui « explique » les attentats anti-américains récents et qu’ils récoltent ce qu’ils ont semé. Ce serait un contresens choquant. Quant aux taliban, les contraintes qu’ils prétendent imposer à la population afghane, et d’abord aux femmes, sont intolérables. Pureté, que de crimes on commet en ton nom !

Le Figaro : Quelle est votre analyse du phénomène terroriste ? La menace islamiste d’aujourd’hui remplace-t-elle la menace soviétique de naguère ?

Hubert VÉDRINE : Le terrorisme n’est pas qu’islamique : voyez l’Irlande, l’Espagne, d’autres encore. Et on ne peut pas dire que mécaniquement la « menace islamiste », diffuse, éparpillée, a remplacé la « menace soviétique », celle d’un État à la fois surarmé, centralisé et conservateur. Ne confondons pas non plus islam, islamisme, fondamentalisme, terrorisme. J’ajoute que l’islamisme radical et le terrorisme s’en prennent beaucoup plus aux musulmans ouverts, tolérants et modernes qu’aux Occidentaux. Je suis convaincu qu’à terme les forces modernes à l’œuvre dans l’islam l’emporteront. Mais cela sera long et il serait hasardeux d’annoncer la fin de ce terrorisme. C’est pourquoi il faut renforcer la coopération internationale contre ce fléau. Nous pourrions notamment appliquer ou ratifier plusieurs conventions, adoptées dans le passé mais non mises en œuvre, par exemple sur la répression des attentats à l’explosif, et prendre des initiatives nouvelles, notamment sur le financement du Terrorisme. Par ailleurs, il y a, bien sûr, l’Algérie. Nous n’avons qu’un souhait : qu’elle finisse par sortir de la tragédie.

Le Figaro : Pourquoi ce communiqué français embarrassé après les représailles américaines sur le Soudan et l’Afghanistan ?

Hubert VÉDRINE : Embarrassé ? Mesuré plutôt, et clair, il me semble : le terrorisme y est condamné sous toutes ses formes. Nous y appelons à la lutte contre la terrorisme et les soutiens dont il bénéficie. Nous avons pris acte de la réaction des Américains et de leur invocation de la légitime défense. En l’absence d’informations plus précises, fallait-il dire plus ?

Le Figaro : Les attentats anti-américains de Nairobi et de Dar es-Salaam ont-ils marqué les limites de la politique africaine des États-Unis ?

Hubert VÉDRINE : La volonté de contenir le Soudan et de faire pression sur lui explique chronologiquement leur engagement aux côtés des régimes ougandais, rwandais, et, à ses débuts, de Kabila. Avec des conséquences à double tranchant… Mais je ne dirais pas que les attentats de Nairobi et de Dar es-Salaam sont liés à la politique africaine des États-Unis ; les ambassades étaient visées en tant qu’ambassades américaines, comme elles auraient pu l’être ailleurs.

Le Figaro : Pourquoi aviez-vous envoyé Charles Josselin au début du mois au Soudan ?

Hubert VÉDRINE : La France est sensible à la tragédie humanitaire dans laquelle la guerre civile a plongé le Sud-Soudan. Charles Josselin est allé sur place faire le point de l’aide humanitaire et des efforts de solution politique.

Le Figaro : L’ex-Zaïre n’est-il pas aux portes de l’implosion ?

Hubert VÉDRINE : Certains voisins, ou certains intérêts, y trouveraient leur compte, d’autres non. Ils vont peut-être se paralyser, ce qui les obligera à chercher une solution politique. Les événements actuels sont en tout cas une épreuve de vérité pour ce pays, comme l’avaient été ceux de 1960-1961. Son intégrité territoriale doit être restaurée.

Le Figaro : L’Ouganda et le Rwanda ne veulent-ils pas instaurer un protectorat de fait sur le Kivu ?

Hubert VÉDRINE : Ils veulent, semble-t-il, juguler toute menace contre eux qui pourrait venir de cette région. L’Ouganda dit avoir créé une zone tampon. C’est justement cet enchaînement guérillas-ingérences-conflits qu’il faut briser, Cela nécessite des États modernes, forts et démocratiques, comme l’a rappelé le Premier ministre.

Le Figaro : La proposition française d’une conférence de paix des pays de l’Afrique des grands lacs reste-t-elle d’actualité ?

Hubert VÉDRINE : Plus que jamais, puisque l’implication de sept ou huit pays, et pas seulement de la RDC, est maintenant avérée dans l’actuel conflit. On voit donc que cette région ne commencera à s’en sortir que si ces pays aux ambitions contraires, mais liés par leurs problèmes (réfugiés, ethnies, guérillas), recherchent ensemble un modus vivendi, à commencer par un cessez-le-feu et l’arrêt des ingérences. C’est pourquoi cette idée, lancée à l’origine par le Burundi, relancée par le président de la République en 1998, conserve toute sa pertinence. N’est-ce pas ce que démontrent les dirigeants de la région en se réunissant ?

Le Figaro : Que pensez-vous des efforts de médiation de Nelson Mandela ?

Hubert VÉDRINE : Nous soutenons les efforts régionaux de solution. Ceux de Nelson Mandela sont légitimes, compte tenu de ce qu’il est et de ce qu’est son pays, et méritent en particulier d’être soutenus, même s’ils n’ont pas encore abouti. La France a toujours préconisé que l’Afrique prenne en main son destin. Mais c’est d’abord aux protagonistes directs de se ressaisir.

Le Figaro : Le tabou des frontières nées de la colonisation peut-il tomber ?

Hubert VÉDRINE : Ce n’est pas un tabou mais une garantie. Et ce sont les Africains eux-mêmes qui l’ont établie au moment de l’indépendance. C’est donc à eux de décider si, dans certains cas, une exception est nécessaire et admissible, comme cela s’est fait une fois pour la séparation de l’Érythrée de l’Éthiopie. Certains présidents africains se sont interrogés publiquement à ce sujet. La plupart s’y opposent car ce serait rouvrir la boite de Pandore. C’est pourquoi il faut rappeler le principe de l’intégrité territoriale. Cela dit, des États à la fois plus forts et plus démocratiques pourraient admettre en leur sein de vraies autonomies et, entre eux, des coopérations transfrontalières, ce qui apaiserait bien des tensions. Ce devrait être un des objectifs des États d’Afrique.

Le Figaro : Où en est l’initiative franco-égyptienne pour faire revivre le processus de paix au Proche-Orient ?

Hubert VÉDRINE : Nous y travaillons. Nous la concrétiserons si les efforts actuels de Madeleine Albright – que nous saluons et soutenons – n’aboutissent pas. L’idée est de rassembler, dans un premier temps sans les protagonistes, tous les pays qui ne se résignent pas à la mort des accords d’Oslo. Mais il faut être lucide : les fanatiques qui, de part et d’autre, veulent empêcher tout compromis frapperont si le processus de paix parait redémarrer. Comme on l’a vu ailleurs tragiquement, en Irlande. C’est alors qu’il faudra du courage pour le poursuivre.

Le Figaro : Bref, vous interviendrez si Mme Albright échoue.

Hubert VÉDRINE : Nous sommes des partenaires fiables et amicaux des États-Unis. Mais si leurs efforts nous paraissent ne plus pouvoir aboutir, nous prendrons nos responsabilités et avancerons. Le rôle des États-Unis est bien sûr central. Mais nous sommes également directement concernés par la paix, ou l’absence de paix, au Proche Orient. Dans l’immédiat, il s’agit de savoir si l’acceptation par M. Netanyahou des 13 % peut relancer les choses malgré les restrictions qu’il veut introduire sur le statut des 3 %.

Le Figaro : Inde-Pakistan : existe-t-il une chance de ramener ces deux pays à la table des négociations sur le nucléaire ?

Hubert VÉDRINE : Oui, en parlant avec eux, ce que nous faisons. Après leurs essais nucléaires, la France a clairement désapprouvé ces décisions à contre-courant, mais elle s’est opposée à des sanctions. Les sanctions sont en effet, à quelques exceptions près, rarement efficaces et souvent contre-productives. Si l’on écoutait le Congrès des États Unis, plus de la moitié de la population mondiale devrait être frappée ! L’absurdité d’une telle fuite en avant et d’une approche aussi simpliste commence à apparaître.
Après ces essais, il fallait démontrer que le mouvement mondial vers une meilleure maîtrise des armements n’est pas cassé. J’ai donc proposé, en mai dernier à Genève, le lancement des négociations en vue d’un traité sur le « cut-off », c’est-à-dire l’élimination et l’interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire. Les autres membres permanents ont approuvé cette idée et, fait important, l’Inde et le Pakistan l’ont acceptée. Mais cela ne suffit pas : il faut qu’ils arrêtent l’escalade nucléaire, qu’ils abaissent la tension entre eux, y compris sur le plan des armes conventionnelles, et acceptent de parler du Cachemire.

Le Figaro : En plein accord avec Washington ?

Hubert VÉDRINE : J’observe que sur plusieurs sujets la politique américaine a progressivement adopté une ligne que je pourrais qualifier de franco-européenne : sur la Chine, l’Afrique, le contentieux avec l’Inde et le Pakistan, et même sur le Proche-Orient. Peut-être un jour sur l’Iran ? Ils s’interrogent aussi sur un recours trop systématique aux sanctions. Ils ne font pas cela pour être proches de nous mais parce que c’est leur intérêt. Mais je trouve cela intéressant.

Le Figaro : Au Kosovo, l’avancée des Serbes et le recul des guérilleros albanais de l’UCK marquent-ils un tournant ?

Hubert VÉDRINE : Oui, mais il y en aura d’autres. La situation reste très instable, avec son cortège d’horreurs : guérilla, contre guérilla, provocations, répression, terre brûlée, exode. Pour des raisons qui tiennent à la fois à l’obstination serbe et aux divisions des Albanais du Kosovo, le groupe de contact et la communauté internationale, pourtant d’accord sur les objectifs, n’ont pas encore réussi à forcer la négociation pour aboutir à la seule solution possible : un statut d’autonomie substantielle. Le Kosovo demeure donc une poudrière. Mais nous sommes opiniâtres. Nous ne relâcherons pas nos efforts.

Le Figaro : Sur l’éventuel recours à la force via l’Otan, n’y a-t-il pas des désaccords au sein du groupe de contact ?

Hubert VÉDRINE : Techniquement, nous savons comment agir, si nécessaire. Nous l’avons fait étudier en détail par l’Otan. Le groupe de contact discute sur la façon dont la décision d’intervenir doit être prise. La position de principe de la France est que c’est au Conseil de sécurité de décider d’un recours à la force.

Le Figaro : Les Américains seraient-ils prêts à intervenir militairement ?

Hubert VÉDRINE : Je le suppose, s’il le fallait, comme plusieurs autres puissances. Mais, pour le moment, ils espèrent surtout des résultats des navettes diplomatiques de M. Hili, avec lequel les émissaires français sont en liaison régulière.
Le but est de maintenir la pression sur Milosevic, pousser les Kosovare à s’unifier, soutenir Rugova, parler avec tous, être prêt à frapper, suggérer des solutions, forcer le compromis, réfléchir aux garanties à apporter, ne pas se décourager.

Le Figaro : Existe-t-il un remède au chaos politique et financier chronique en Russie ?

Hubert VÉDRINE : Oui, un travail de réformes politique et économique de longue haleine. N’oublions pas qu’il y a six ans à peine, c’était encore l’URSS. On ne bâtit pas en un jour, ni en un an, un grand pays démocratique et une économie moderne. Surtout si cette économie doit « émerger » dans un monde où les masses financières spéculatives qui tourbillonnent excédent les moyens de régulation de toutes les banques centrales et des organisations internationales spécialisées. J’ai plutôt tendance à trouver que les dirigeants et le peuple russes ont traversé les immenses bouleversements des dernières années avec un sang-froid remarquable. Je suis sûr que ce pays trouvera, à sa façon, le chemin des réformes nécessaires.

Le Figaro : Mais Boris Eltsine a-t-il les moyens politiques et physiques de les faire aboutir ?

Hubert VÉDRINE : Boris Eltsine est parvenu depuis des années à faire accepter beaucoup de réformes et je pense que Victor Tchernomyrdine et lui comprendront qu’ils doivent aller dans ce sens. Il faut que l’aide du FMI soit mieux employée. Le FMI peut et doit préconiser des mesures. Certaines sont urgentes. Il faut aussi tenir compte du contexte russe, d’autant que la responsabilité politique de la mutation ne peut être prise et expliquée au peuple russe que par les dirigeants russes.

Le Figaro : Si Boris Eltsine est affaibli, Bill Clinton aussi… Que dire du « Monicagate » ?

Hubert VÉDRINE : Comment croire qu’il s’agisse là d’une forme avancée de vie politique démocratique ? Vues de France, ces procédures judiciaires dévoyées évoquent plutôt le retour à une forme de maccarthysme. Mais il ne faut pas en exagérer les conséquences sur la diplomatie américains qui restera grosso modo la même. Pour nous qui sommes partenaires et alliés des États-Unis, le vrai problème c’est l’antagonisme entre l’administration et le Congrès, et c’est la tentation unilatéraliste.

Le Figaro : Et l’Union européenne ? N’êtes-vous pas inquiet de ses dysfonctionnements ?

Hubert VÉDRINE : Oui, je suis inquiet de voir l’Europe, cette immense idée, cette démarche historique faite d’intelligence et de volontarisme politiques, confrontée à un risque d’enlisement et de dilution.
Nous entrons en effet dans une période cruciale de dix-huit mois à deux ans où il faudra tout à la fois fixer l’enveloppe financière des années 2000-2005, préserver en les adaptant la politique agricole commune et les fonds structurels, débattre de ces sujets en sachant que les élargissements à venir en modifieront les données, négocier ces élargissements, préparer les prochaines échéances commerciales multilatérales, convaincre nos partenaires de la nécessité absolue d’une réforme institutionnelle si l’on veut que l’Europe puisse fonctionner encore « après », à 20 ou 25. Tout cela dans le contexte de la ratification d’Amsterdam, des élections européennes, de la désignation du président de la Commission, de celle de Monsieur PESC !

Le Figaro : C’est trop ?

Hubert VÉDRINE : C’est ainsi. Ces échéances s’imposent à nous. Nous devrons trouver des solutions et nous les trouverons pour que l’Europe ne se dilue pas et progresse. Pour cela, il faut aussi restaurer les fonctions de direction et de coordination au sein de l’Union, ce qui est la tâche dévolue par les traités au conseil « Affaires générales », où siègent les ministres des Affaires étrangères. Dans le domaine de la politique étrangère commune, il devrait se concentrer plus sur les vraies priorités. Et consacrer plus de temps à la coordination générale, aussi pour mieux préparer et décanter les ordres du jour des Conseils européens. La répartition des rôles avec la Commission (proposition, exécution, contrôle pour la Commission, décision et coordination pour le Conseil) doit aussi être plus claire. L’Union doit retrouver sa capacité de décision.

Le Figaro : Vous répétez à tous vos collègues des pays candidats à l’adhésion qu’il ne faut pas presser le mouvement. Comment ce discours est-il perçu ?

Hubert VÉDRINE : Nous disons aux pays candidats que, dans leur intérêt même, les négociations d’élargissement doivent être sérieusement menées ; qu’on ne peut décréter à l’avance pour des raisons purement politiques combien de temps elles vont durer ; et que s’ils veulent entrer dans l’Union, c’est parce qu’elle marche et que, par conséquent, ils doivent soutenir la demande française de réformes institutionnelles pour qu’elle puisse encore marcher à l’avenir, adapter son budget, avoir des politiques communes. Pierre Moscovici et moi leur affirmons que nous travaillons ainsi dans l’intérêt des membres actuels et futurs de l’Union. Eh bien, ce langage de franchise me parait respecté, et de mieux en mieux compris, même si l’impatience et l’espérance européennes sont très grandes chez tous les candidats. C’est notre intérêt commun de réussir l’élargissement.

Le Figaro : Mais pour quelle Europe ?

Hubert VÉDRINE : Un grand débat sur les limites institutionnelles et géographiques de l’Union me parait maintenant nécessaire. On ne peut plus se contenter de dire : « On construit l’Europe ». Entraînant à l’origine, ce chantier permanent finit par devenir anxiogène pour les opinions publiques. Les gens veulent savoir jusqu’où nous voulons aller institutionnellement : quels pouvoirs au bout du compte pour l’Europe, pour les États, pour les régions ? Et, géographiquement, quels pays auront vocation à entrer un jour, même lointain, dans l’Europe et quels autres seront des voisins de l’Europe, avec un statut spécial à inventer ?

Le Figaro : Avez-vous un pronostic sur les élections allemandes ?

Hubert VÉDRINE : Je ne joue pas aux pronostics. Les Allemands trancheront. Quoi qu’il arrive, l’apport d’Helmut Kohl à l’Europe, aura été exceptionnel. Quels que soient les résultats, il y aura une relance franco-allemande à réussir.

Le Figaro : Où en et la modernisation du Quai d’Orsay ?

Hubert VÉDRINE : Je souhaite développer une véritable culture de gestion au ministère, et j’ai engagé de nombreuses réformes qui forment un tout : de la politique immobilière du ministère – qui est en train d’être remise à plat et rendue plus rigoureuse – à la réorganisation de la direction générale de l’administration et la reprise en main de la gestion des réceptions par une professionnelle de l’hôtellerie. Mais ce sont aussi les méthodes de travail qu’il faut rénover, la politique du personnel qui doit être redéfinie. À l’heure de la réforme de l’État voulue par le Premier ministre, il s’agit de permettre au ministère de jouer pleinement et efficacement son rôle de tour de contrôle et de coordonnateur sur tous les sujets à dimension Internationale.

Le Figaro : Et que devient la fusion-acquisition de la Coopération par la Quai d’Orsay ?

Hubert VÉDRINE : Cette expression n’est pas conforme à la réalité. Il s’agit d’un regroupement, au sein d’un grand ministère des Affaires étrangères, voulu et arbitré par le Premier ministre, mais qui respectera l’héritage, et la culture de chaque maison. Charles Josselin et moi travaillons à la mise en place au 1er janvier prochain d’une nouvelle direction générale de la coopération internationale et du développement.

Le Figaro : Vous adaptez l’outil diplomatique français. Mais que dire des organismes internationaux ?

Hubert VÉDRINE : Dans le monde global, aucun « nouvel ordre international » ne se met en place naturellement. En Afrique, en Asie centrale, des États implosent. Les conflits régionaux se multiplient. La crise financière court comme le furet : Asie, Russie, Amérique latine… Elle entraîne des masses financières cycloniques qui excèdent les moyens d’intervention des banques centrales et du FMI. Le Conseil de sécurité, le G-8 montrent leurs limites. Cette situation est inquiétante et appelle des propositions et des initiatives.

Le Figaro : Quelles sont vos priorités des prochains mois ?

Hubert VÉDRINE : Moderniser le ministère ; faire sortir l’Europe plus forte des négociations financières, institutionnelles et d’élargissement ; y affirmer la poids de la France ; trouver une solution au Kosovo ; européaniser les Balkans ; réussir la mutation de notre politique africaine ; affirmer notre présence en Asie et en Amérique latine et notre culture dans le monde ; poursuivre notre action pour la paix au Proche-Orient ; renforcer les institutions ou organes chargés de la régulation diplomatique, sécuritaire, monétaire ou juridique du monde ; être réalistes et volontaires… Vous comprendrez que la diplomatie aujourd’hui ne peut faire l’impasse sur rien.