Texte intégral
L'Humanité : 30 août 1994
Dominique Voynet : un non résolu
À l'occasion de l'université d'été des Verts, à Saint-Malo, Dominique Voynet, l'une des porte-parole de ce mouvement, nous a déclaré : « Je suis résolument hostile à la privatisation de Renault. Le gouvernement actuel mène son mouvement de privatisation de façon quasiment idéologique en réaction à la politique de nationalisations menée en 1981. Il brade le patrimoine collectif pour cacher les effets de sa politique, de ses choix budgétaires, et les privatisations déjà menées n'ont en rien atténué les difficultés du pays. Mais, pour moi, le problème n'est pas seulement nationalisation ou privatisation. C'est surtout : des nationalisations pour quoi faire ? Elles doivent servir au maintien des effectifs (ce qui n'a pas été le cas chez Renault). L'entreprise nationalisée doit aussi être un terrain d'expérimentation sociale, pour appliquer la baisse du temps de travail (sans perte de revenu grave) et la réduction de l'échelle des salaires. La nationalisation doit aider aux innovations technologiques. Par rapport à l'industrie automobile, les Verts ont des exigences : nous voulons le développement des transports en commun, plus de recherches pour des véhicules moins pollueurs et moins gaspilleurs en énergie… Personnellement, sans revenir à l'autogestion, je pense que, dans les groupes nationalisés, il faudrait réfléchir à une formule associant les salariés à la marche de leur entreprise. Pourquoi ne pas leur donner une partie du capital plutôt que de le brader aux grands groupes ? Une chose est sûre : la notion de service public doit rester au premier plan chez Renault, comme cela devrait l'être encore dans les Télécommunications ! »
France 2 : Vendredi 16 septembre 1994
G. Leclerc : Quelles sont les conditions pour relancer le mouvement écologique ?
D. Voynet : Relancer est le bon mot, car la convention a un sens premier qui est de montrer que les écologistes en ont fini avec les chamailleries stupides qui ont fini par détourner d'eux les électeurs et les citoyens. Ils veulent montrer qu'ils sont prêts à repartir car les problèmes écologiques sont toujours aussi importants et toujours aussi urgents à résoudre. Cette convention rassemble tous ceux qui y sont prêts et c'est pour parler des projets qu'ils ont ensemble qu'ils le font, et pas seulement pour parler des échéances électorales.
G. Leclerc : le problème est que ni A. Waechter, ni N. Mamère, ni B. Lalonde ne seront là…
D. Voynet : Les divas de l'écologie pensent, en général, qu'elles peuvent se passer du soutien de leur mouvement et des citoyens qui se préoccupent des problèmes écologiques au sens large, ceux de l'environnement mais aussi les problèmes sociaux ou les problèmes de citoyenneté. Je ne pense pas que les états d'âme de ces divas puissent freiner une dynamique. Les écologistes redémarrent et j'en suis absolument convaincue. Preuve en est toutes les inscriptions à cette convention qui montrent une demande des militants et des sympathisants de faire enfin quelque chose ensemble.
G. Leclerc : Mais on vous reproche d'aller de plus en plus vers la gauche ?
D. Voynet : La convention de l'écologie politique et sociale est la convention des écologistes. Nous ne faisons pas des écologistes une définition aussi étroite et aussi étriquée que certains des leaders qui ont marqué l'écologie ces dernières années. Tous ceux qui se préoccupent d'un mouvement écologiste rassembleur dynamique motivant, notamment pour préparer les prochaines municipales sur le terrain avec la population, seront présents à cette convention. Ce sont les absents qui ont tort car nous ne sommes déjà pas assez nombreux et on ne peut pas se priver de l'énergie de tous ceux qui sont prêts à travailler.
G. Leclerc : Ne faudrait-il pas, comme le propose B. Lalonde, organiser des primaires afin de trouver le meilleur candidat écologiste ?
D. Voynet : B. Lalonde a repris une idée des Verts qui proposaient d'associer la désignation du candidat écologiste aux présidentielles à un maximum de personnes. L'idée était donc de faire des primaires ouvertes aux électeurs, à tous ceux qui se reconnaissent dans les préoccupations des écologistes. Cela serait à mon avis très difficile à mettre en œuvre aujourd'hui alors que nous avons pris beaucoup de retard. Il va falloir donc trouver un compromis entre la démocratie et l'efficacité pour que les citoyens n'apprennent le nom du candidat écologiste quelques jours avant le premier tour.
G. Leclerc : Quelle est votre réaction à l'augmentation des prix de l'essence sans plomb ?
D. Voynet : Nous sommes convaincus que les carburants que nous mettons dans nos véhicules ne sont pas assez chers. Nous avons à développer à la fois des transports en commun de façon massive, mais aussi à augmenter régulièrement le prix de l'essence pour dissuader les utilisateurs, au moins en ville, d'avoir un recours abusif à l'automobile.
G. Leclerc : Pensez-vous que l'idée de M. Bon est une bonne idée ?
D. Voynet : Je ne crois pas que cela soit une bonne idée parce que cela revient à dire finalement que les chômeurs sont peu ou prou responsables de l'état qui les frappe. Je ne crois pas que cela soit le cas car nous savons que la crise est durable et nous ne nous en sortirons qu'en baissant de façon massive le temps de travail. Cela dit, je pense que tout ce qui peut aider les chômeurs à rester dans le bain et à garder un regard ouvert et curieux sur les problèmes du travail et de l'entreprise est quelque chose de bien. Mais il faut que ceci se passe sur la base du volontariat et que cela soit de nature à renforcer l'insertion des chômeurs et non à la désigner du doigt comme les responsables de leur chômage.
G. Leclerc : Quelle est votre réflexion au sujet de la polémique autour du passé du chef de l'État ?
D. Voynet : Nous faisons partie des gens qui ne peuvent pas accepter que F. Mitterrand ait pu dissimuler son passé aux électeurs à qui il demandait de lui renouveler leur confiance, et nous ne pouvons pas accepter qu'il ait maintenu des liens d'amitié avec R. Bousquet. C'est à notre sens quelque chose qui est de nature à remettre en cause le lien entre F. Mitterrand et ses électeurs. Il est bien tard au cours de son mandat pour en discuter, cela dit F. Mitterrand ne m'a pas convaincu lors de son intervention télévisée. Je le déplore car j'aurais aimé être convaincue et pouvoir retrouver une certaine confiance dans une personne qui représente quand même les intérêts de la France à nos yeux à ceux du monde entier.
Le Monde : 26 septembre 1994
Le Monde : Est-ce pour faire comme des « grands » MM. Balladur, Chirac ou Delors que, depuis pas mal de temps déjà, vous faites mystère de votre candidature à l'élection présidentielle ?
D. Voynet : Les gens dont vous parlez ont des conseillers en communication, qui leur ont demandé de ne pas s'engager trop rapidement dans un débat présidentiel. Ma démarche est bien différente. La convention de l'écologie politique et sociale, réunie le week-end dernier, a affirmé sa volonté de présenter une candidature porteuse d'un projet collectif.
Parce que je pense pouvoir incarner ce projet d'une écologie sociale, citoyenne, solidaire et paritaire, d'une écologie généreuse, qui respire, qui s'ouvre sur la réalité, je suis, aujourd'hui, candidate à la candidature. La décision revient évidemment aux militants écologistes, qui choisiront le ou la candidate, au cours de « primaires » ouvertes.
Le Monde : À quoi sert, dans le contexte politique actuel, de porter une candidature de témoignage ?
D. Voynet : Bien sûr, nous ne nous nourrissons pas d'illusions sur nos chances d'entrer à l'Élysée, et nous restons hostiles à l'élection du président de la République au suffrage universel direct, mais cette candidature n'est pas, pour autant, une candidature de témoignage, comme cela a été le cas par le passé. Elle a deux ambitions. La première est d'inaugurer de nouvelles pratiques, dans le cadre bien imparfait des institutions de la Ve République. Nous voulons amener les autres forces politiques à prendre position sur les thèmes que nous porterons au débat : le partage équitable des ressources et du travail, la démocratie participative, la sortie du nucléaire, la solidarité territoriale. Nous voulons obtenir à ce propos des engagements précis. Aucun candidat du second tour ne pourra mépriser les voix écologistes.
La seconde ambition est de faire de cette campagne un temps fort de la recomposition politique autour des écologistes.
Le Monde : Quand vous parlez d'engagements de la part des candidats du second tour, vous comptez vous adresser indifféremment au représentant de la droite et à celui de la gauche ?
D. Voynet : Je n'ai pas oublié les promesses non tenues. Je n'ai pas pardonné l'engagement de la France dans la guerre du Golfe, ni le coup porté par le traité de Maastricht à nos espoirs d'une Europe sociale et environnementale ; mais je ne fais pas partie de ceux qui renvoient dos à dos la droite et la gauche. Le candidat du camp conservateur a fait preuve, depuis dix-huit mois, d'une complète cécité vis-à-vis de nos préoccupations. Le vote des lois Pasqua, la signature des accords du GATT, la peine incompressible de trente ans, le redémarrage de Superphénix, l'allongement de la durée de cotisation pour la retraite, la remise en cause des droits des associations en matière d'urbanisme, tout cela constitue un lourd bilan.
Quelles que soient nos réticences envers un candidat de gauche, je pense nécessaire de proposer à ce candidat, le moment venu, de s'engager fermement, publiquement, sur trois ou quatre points qui nous paraissent essentiels et qui pourraient constituer les premiers pas d'un travail en commun.
Le Monde : Lesquels ?
D. Voynet : Il est trop tôt pour les arrêter définitivement, et ce sont des choix que nous ferons collectivement. Je pense, par exemple, à l'abandon de la filière de la surgénération nucléaire, à l'abandon définitif des essais nucléaires, à la mise en place d'un processus de réduction massive du temps de travail. Je pense, aussi, à la mise en place d'un fonds mutualiste garantissant le droit au logement des personnes en situation de précarité ou d'exclusion. Sans oublier un engagement précis de poursuivre la régionalisation, démocratiser le fonctionnement des collectivités locales et introduire une bonne dose de proportionnelle dans les modes de scrutin.
M. Delors, représentant du consensus
Le Monde : Le choix que vous exprimez signifie-t-il que les écologistes sont désormais ancrés à gauche ?
D. Voynet : Non. Considérer comme possibles des partenariats avec les candidats ou listes de gauche ne signifie pas que nous nous positionnons sur un axe droite-gauche. La plupart des forces politiques n'ont pas rompu avec un productivisme destructeur. Il existe un espace autonome pour l'écologie politique, j'en suis convaincue. Les écologistes sont porteurs d'un projet de développement durable, fondé sur la prise de conscience des limites de la planète, comme des besoins et des droits de ses habitants. C'est un projet en devenir, à construire avec les gens, à confronter à la réalité et qui resterait incomplet s'il ne s'enrichissait pas de l'apport d'autres traditions, du mouvement ouvrier, des luttes des femmes, des mouvements de citoyenneté.
Ce qui est en train de changer dans la culture des écologistes, c'est que nous passons progressivement d'une méfiance instinctive à une confiance constructive. Cela nous conduit à penser qu'on peut avancer de façon décisive grâce à des contrats de partenariat, mais sans diluer notre identité propre dans un ensemble plus vaste.
Le Monde : Vous avez renoncé à sensibiliser, de l'intérieur, la gauche socialiste à l'écologie. Alors, pourquoi vous embarrasser avec les petits groupes de la gauche dite alternative ?
D. Voynet : Nous n'avons pas de l'écologie une conception étriquée, réduite à la seule protection de l'environnement. Bien des militants de la gauche alternative sont devenus, avec le temps, des partenaires au moins aussi crédibles que le Parti socialiste. Ils ont fait, les premiers, une bonne part du chemin, en prenant en compte la nécessité d'un développement soutenable. Ils ont pris conscience que les mécanismes qui broient les êtres humains sont les mêmes que ceux qui détruisent l'environnement. C'est pourquoi nous n'excluons pas qu'il soit possible, par des échanges avec eux et sans souci d'hégémonie de qui que ce soit, de réconcilier des traditions politiques différentes, mais il n'est pas question de rapprochements structurels entre les Verts et ces organisations.
Le Monde : Lorsque vous étiez au Parlement européen, vous avez pu approcher Jacques Delors. Qu'en pensez-vous ?
D. Voynet : Je l'ai perçu comme un démocrate, capable d'écouter, mais c'est aussi le représente le plus adapté du consensus qui lie les forces sociales-démocrates et chrétiennes-démocrates autour d'un modèle économique libéral, productiviste et inégalitaire. On a pu le constater lors du débat sur le traité de Maastricht ou lors de la présentation du Livre blanc pour la relance européenne.
Le Monde : Le fait que vous êtes une femme jouera-t-il dans votre campagne ?
D. Voynet : Je l'espère, mais je ne suis encore que candidate à la candidature. Je ne suis pas Mère Teresa, mais, comme médecin, j'ai déjà ressenti le poids de la vie : il m'est arrivé de pleurer de rage en observant certaines situations douloureuses. J'ai envie que l'on mesure bien deux choses le caractère collectif de la campagne et le passage de témoin entre les générations que constituerait une telle candidature.
Le premier candidat écologiste à une élection présidentielle, René Dumont, en 1974, n'était pas un « écolo ni-ni ». Il était porteur de la question de l'environnement, mais aussi de celle de la cohésion sociale, de la solidarité avec le tiers-monde, de la non-violence, des droits des femmes. Je suis bien décidée à assumer l'héritage qu'il nous laisse.