Interviews de M. Bernard Tapie, député MRG, à France-Inter et France 2 le 13 juin 1994, sur son score aux élections européennes, les relations du MRG avec le PS, et ses prochaines ambitions politiques.

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Média : France Inter - France 2

Texte intégral

France Inter : lundi 13 juin 1994

I. Levaï : Est-ce qu'il faut auditionner votre score à celui des socialistes ?

B. Tapie : J'essaye d'être l'interprète des gens que j'ai rencontrés et qui m'ont fait comprendre qu'ils me feraient confiance. Il n'y a pas l'ambiguïté pour eux. Ils sont à la fois de gauche, dans une très très grande proportion, et d'autre part ils sont follement amoureux de l'Europe. Et c'est parce que j'étais un peu plus pro-européen que les autres que ce projet leur a plu. Par conséquent, on ne peut pas se poser la question s'il est utile, nécessaire ou logique d'additionner les voix avec celles de M. Rocard. On a l'habitude d'additionner des gens qui sont moins d'accord que nous.

I. Levaï : Ils ont été aussi plus séduits par Tapie que par les radicaux de gauche ...

B. Tapie : Je ne suis pas sûr. Mais ce n'est pas le problème des radicaux de gauche. Il faut cesser de prendre les gens pour des imbéciles sous prétexte qu'ils ne votent pas comme vous l'aviez imaginé. Je pense, au contraire, que dans la discussion qu'on a entamé à la fin de chaque réunion publique, on s'est aperçu que les gens voulaient entendre parler de l'Europe, de la monnaie unique, des incidences sur le chômage, etc.

P. Le Marc : Vous avez un électoral fidélisé. Qu'est-ce que vous voulez en faire ? Est-ce que vous voulez être candidat à la présidentielle ?

B. Tapie : Je ne crois pas que le mandat qui m'a été donné momentanément par des gens à qui je n'ai parlé que d'Europe, me permette aujourd'hui de dire ou d'affirmer que telle était la signification de leur position personnelle à mon égard. Sauf à Marseille, où, là, la proportion très forte, me montre qu'il n'y avait pas que le sujet de l'Europe et que le message des Marseillais est clair. Je ne dis pas qu'ils veulent que je gagne, mais ils veulent que je sois candidat. Sur le plan national, je ne pense vraiment pas. Il y a un vide qui a été créé. Ce vide, les socialistes, en partie, l'ont laissé abandonné parce qu'ils n'ont pas eu le courage de revendiquer le rôle essentiel qu'ils voulaient jouer sur l'Europe et de l'appeler par son nom, c'est-à-dire l'Europe fédérale.

P. Le Marc : L'avenir de la gauche à la présidentielle ne vous concerne pas ?

B. Tapie : Pas du tout. Pas aujourd'hui en tout cas. Il faut toujours avoir des objectifs qui soient compatibles avec son parcours, ses moyens. Je ne serais jamais candidat à une élection si je ne me sens pas des épaules assez pour supporter la charge que cela implique.

I. Levaï : Et votre avenir à l'Assemblée nationale ?

B. Tapie : Je risque de quitter mon mandat puisque je crois savoir qu'on ne peut pas cumuler.

I. Levaï : Donc la demande de levée de l'immunité, vous vous en moquez ?

B. Tapie : Pour l'instant, je suis un homme politique et à ce titre-là, je mérite… Vous n'interpellez pas les autres hommes politiques sur autre chose que leur fonction. J'ai vu Longuet, hier, sur tous les plateaux de télé. Si demain vous le voyez, vous n'allez pas lui parler de son patrimoine.

I. Levaï : Est-ce que c'est la liste des radicaux de gauche qui a coûté le plus ou est-ce que c'est celle de P. de Villiers. Est-ce que c'est B. Tapie qui a mis le plus au pot ou est-ce que c'est J. Goldsmith ? 

B. Tapie : Je comprends pas. Nous, on a dépensé moins de 5 millions et on est fauchés. Parce que moi, en ce moment, je ne suis pas comme Goldsmith en ce moment. Je ne sais pas si vous êtes au courant, j'ai quelques problèmes d'argent.

P. Le Marc : Vos ambitions municipales à Marseille vous obligent à être très sage avec le PS et avec le PC. Est-ce que cela n'explique pas un peu votre modestie aujourd'hui ?

B. Tapie : Je n'ai à être sage avec personne, et avec tout le monde.

P. Le Marc : Il vous faut des alliés ?

B. Tapie : Arrêtez de parler des alliances des partis. Vous n'avez rien compris à ce qui se passe. Vous n'avez pas compris que la politique, c'est les gens, ce n'est plus les appareils ni les partis. Tant que vous n'aurez pas compris ce truc, il va falloir vous le mettre dans la tête, vous n'aurez pas compris ce qui est en train de se passer.

P. Le Marc : Cela fait 12 % des voix, cela ne fait pas 50 % des voix.

B. Tapie : Les socialistes, sur Marseille. ils sont à 6 % des voix. Vous pensez qu'il n'y a plus que 6 % de socialistes à Marseille. Il ne faut pas dire n'importe quoi. Les socialistes, il y en a toujours autant. Simplement, ils ne se reconnaissent pas dans les élus ou dans les candidats élus. Les électeurs décident, ce ne sont pas les appareils. Vous faites de la politique comme on fait du Monopoly. Je te donne la gare de Lyon, je te prends la Compagnie générale des eaux.

P. Le Marc : Ça se fait un peu comme ça ?

B. Tapie : Ce n'est pas vrai. Vous ne pouvez pas faire auprès des électeurs. Ils ont décidé d'être matures et d'être indépendants des consignes. Vous avez compris ?

P. Le Marc : Le conseil de B. Tapie à M. Rocard ?  

B. Tapie : Selon moi, il ne suffit pas d'avoir la majorité du pouvoir dans un appareil politique si les ambitions, les projets, la créativité, l'imagination qu'on a dans ce parti ne correspond pas aux désirs des gens qui sont sensibles à cette couleur politique. La première question, ce n'est pas de savoir comment on peut mettre Jospin, Emmanuelli, Lang, Fabius, Royal et Kouchner. La principale démarche, c'est de savoir quel est le projet que souhaiteraient voir élaboré les socialistes et il y en a plein. Vous savez, leur première surprise, c'est de ne pas trouver une seule fois le mot « socialiste » sur le bulletin de volt. Un socialiste qui milite depuis trente ans, vous vous rendez compte ce que cela doit lui faire. Ils n'ont même plus envie de dire le mot. Faut assumer, c'est incroyable.

P. Le Marc : Un des mots que les journalistes entendent souvent, c'est le mot moral, probité, honnêteté. Est-ce qu'on doit les mettre sur les affiches ?

B. Tapie : Exactement.

P. Le Marc : Et plutôt « social » que « fric » ?

B. Tapie : Vous voulez dire quoi ? Vous savez, la preuve que vous n'avez rien compris, c'est que le socialisme, cela se suffit à lui-même. Il veut dire tout ça en même temps. Il y a tout ça malgré l'affaire Urba, malgré l'abus de biens de B. Tapie. Parce que la société n'est pas faite d'un côté avec les surgelés et d'un autre côté une société figée dans un système où avant, on ne savait rien. La grande différence avec avant, elle n'est pas que les partis, les hommes politiques se sont dégradés, c'est avant. Avant, vous ne disiez rien, même quand vous saviez, vous n'aviez pas le droit de dire, parce qu'avant le journal télévisé il se faisait à Matignon et il n'était pas question de sortir l'ombre d'un début d'une affaire ou d'une critique. Aujourd'hui, et c'est bien, vous dites même plus que ce qu'il y a. Au moins, cela permet de savoir les choses. C'est la seule grande différence. On est en train de découvrir. Même si aujourd'hui, cela apparaît un peu brouillé et que cela arrive aux oreilles des gens, cela a toujours été, cela a même été un peu plus. Aujourd'hui, la situation oblige à ce que cela soit beaucoup moins pour finir par être plus du tout. C'est un passage très embêtant. Quand on fait le métier que je fais, on a plus de chances d'être un jour mis en examen pour abus de biens que quand on est journaliste.


France 2 : lundi 13 juin 1994

E. Leenhardt : Un mot concernant les réflexions de MM. Vigouroux et Gaudin sur votre candidature à la mairie de Marseille ?

B. Tapie : Non ! Ils ont leur analyse. J'essaie de ne pas donner mon avis sur eux parce que je pense que les Marseillais ont le leur et qu'ils sont bien plus aptes que moi à se faire une idée sur qui est aujourd'hui capable de représenter la deuxième ville de France.

E. Leenhardt : Pourquoi B. Tapie monte et M. Rocard descend ?

B. Tapie : Je ne suis pas sûr que ce soit lié. Quand on analyse bien le score que j'ai fait, en réalité, il y a une partie importante des électeurs qui étaient socialistes. Mais je ne suis pas sûr que la défaite relative, mais importante, du PS corresponde à la montée de ma liste à moi.

E. Leenhardt : Vous n'avez piqué aucune voix ?

B. Tapie : Si ! Mais pas les 7, 8, 9, 10 % qui auraient permis à Rocard de dire : « voilà, notre résultat est bon ! » Il y a comme toujours chez les socialistes une manie à vouloir expliquer ce qui est simple par des raisons très compliquées. Il y a une première raison forte. Je connais plein de  gens dans le PS qui sont des gens qui viennent de milieux très défavorisés, et qui ont une idée pratique de la gauche et de ce que les gens de gauche attendent ; mais on ne les trouve plus dans la hiérarchie tout en haut. Ils sont là pourtant. La première des choses, c'est qu'il ne faut pas faire un parti qui représente des masses populaires, qui sont celles qui attendent le plus d'un parti de gauche, si on n'est pas soi même un peu d'origine gauche. Je prends Sainjon pour parler du syndicalisme parce qu'il a vraiment une réelle expérience. La deuxième raison, c'est qu'ils ont mal vécu, et c'est compréhensible, la défaite des dernières législatives et que, quelque part, ils n'ont pas le courage d'assumer le fait qu'ils étaient socialistes avec tout ce que cela comporte et ce qu'on attend de lui. Le PS est indispensable à la France, ne l'oublions pas. Toutes les grandes avancées sociales se sont faites lorsque la coalition était de gauche, pas lorsque la droite était au pouvoir.

E. Leenhardt : Est-ce que vous êtes prêt à travailler avec M. Rocard dans les mois qui viennent ?

B. Tapie : Ce n'est pas le sujet. Cela n'a aucune importance.

E. Leenhardt : Il y a une échéance électorale.

B. Tapie : Il faut vraiment vous débarrasser de ça parce que, sinon, pendant un an on ne va pas jouer à autre chose que ça. Or, il y a d'autres choses à faire d'ici là. La première des choses, ce n'est certainement pas de désigner Pierre, Paul ou Jacques, c'est d'essayer de profiter de la situation alors qu'on n'a pas la charge du pouvoir. La charge du pouvoir ça vous oblige à dire des choses très concrètes pour demain matin. On a cette chance-là. On est libre de pouvoir aujourd'hui inventer, créer, travailler, être utopiques. Cela fait partie des obligations d'un homme politique, d'être utopique.

E. Leenhardt : Vous avez dit hier soir : on cherche un nouveau Mitterrand.

B. Tapie : Parce que, si on en avait un, ce serait formidable. Il a conduit la droite à la défaite alors que la droite est majoritaire en France depuis toujours. Avec 55 % de gens à droite, l'aire deux fois de suite un mandat avec un président à gauche, je crois que c'est un homme ! Il faudra essayer de trouver le troisième puisque cela fait deux de suite.

E. Leenhardt : C'est bien dans la perspective de l'élection présidentielle ?

B. Tapie : Cela se mérite. Vous ne déclarez pas aujourd'hui : « j'ai un candidat pour gagner les élections. » C'est : vous travaillez en oubliant. C'est comme un championnat de football. Chaque match vient après un autre. À la fin, vous devenez champion. Travaillons pour satisfaire les gens qui attendent de nous autre chose, faisons-leur des propositions très concrètes, très pragmatiques et d'autres plus utopiques, plus imaginatives et, tout naturellement, il va se dessiner. Il y a plein de gens de talent à gauche.

E. Leenhardt : Qui ?  

B. Tapie : Plein ! Lang a du talent, Delors a du talent, Joxe a du talent, Jospin, Rocard qui a du talent. En dehors de ça, de l'autre côté, vous en avez plein, S. Royal, Kouchner, M. Aubry. Vous vous rendez compte, la richesse des gens qui sont à gauche !

E. Leenhardt : Et B. Tapie ?

B. Tapie : Il n'est pas dans ce trip-là. Il est parti ailleurs. Il est parti pour essayer de faire de la deuxième ville de France la deuxième ville de France. Je ne suis plus participatif à ça.

E. Leenhardt : Ça ne vous démange pas avec vos 12 % ?

B. Tapie : Pas du tout.

E. Leenhardt : Ça ne vous démange pas Si E. Balladur se déclare candidat demain et que vous estimez qu'il n'y a personne à gauche capable de le contrer ?

B. Tapie : Il y aura. Je pense que dans les six mois – après ce sera trop tard – le PS doit proposer une candidature. Nous, on en proposera une. S'il y a unanimité sur la même personne, c'est formidable, on sera tous derrière. S'il n'y a pas unanimité, on se déterminera pour savoir lequel a le plus de chances. Maintenant, il y a des moyens de contrôle. Si vraiment chacun reste sur ses positions, il y aura un premier tour, ou bien il peut y avoir une primaire.

E. Leenhardt : Deux hommes ont émergé pour ce scrutin, P. de Villiers et B. Tapie. Est-ce qu'ils se ressemblent ?

B. Tapie : Ce qui est intéressant, c'est que c'est tout le contraire. De Villiers, il incarne tout ce que je déteste le plus, et je pense que c'est bien réciproque. Cela veut dire qu'il y a, en France, deux catégories qui sont en train de se détacher. Est-ce que ces deux-là vont entraîner avec eux le reste ? Dieu merci non. Il y a une place pour un radicalisme qui est très différent du socialisme, qui n'est pas la remorque du socialisme, et il y a une place énorme qui doit être utilisée par le socialisme, sans oublier les communistes qui ont encore leur place.