Texte intégral
RMC : 10 septembre 1998
Q - Un mot, peut-être, sur J.-P. Chevènement qui est dans le coma, en ce moment, à l'hôpital du Val de Grâce. On sait que vous n'avez pas toujours été d'accord avec lui sur mais pensez-vous que votre successeur est un républicain et un homme de conviction ?
- « Indiscutablement. J'ai pour J.-P. Chevènement beaucoup d'estime et une certaine amitié. C'est vrai que c'est un républicain de conviction et c'est un homme qui a le sens de l'Etat, ce qui ne se trouve pas aussi souvent qu'on l'imagine, aussi bien à droite qu'à gauche. Donc je forme des vœux pour son rétablissement. »
Q - C'est normal que les Français soient informés de son état de santé ou c'est de la curiosité malsaine ?
- « Je trouve que l'on exagère un peu. Que les Français aient été informés de l'accident et qu'ils sachent donc que le ministre de l'Intérieur est en traitement à l'hôpital, c'est normal. C'est quand même un personnage-clef du Gouvernement. Mais à partir de là, je trouve qu'il y a une espèce de voyeurisme de mauvais goût. »
Q - Vous avez lu le rapport parlementaire sur la Corse adopté à l'unanimité : situation pré-mafieuse. Je voulais connaître votre réaction lorsque vous avez lu que l'Etat n'était pas ménagé dans ce rapport, qu'il avait réagi, par éclipses - je cite le rapport -, procédé à des remises en ordre éphémères et qu 'il est accusé d'avoir cherché des accommodements avec les miliciens nationalistes. Est-ce que vous vous êtes senti concerné ?
Q - « D'abord, contrairement à ce que vous dites, je n'ai pas lu le rapport puisqu'il est disponible seulement depuis hier. J'ai donc lu les dépêches de l'AFP qui en retracent les grandes lignes ou les articles de presse… »
Vous vous êtes senti concerné ?
- « Non. Je dirais que les conclusions de ce rapport ne m'étonnent pas outre mesure. Mais on enfonce un certain nombre de portes ouvertes. Lorsque l'on dit par exemple qu'il n'y a pas eu de continuité dans la politique de l'Etat, c'est oublier les alternances. Avant 1986, il y avait une certaine politique en Corse ; de 1986 à 1988, il y en a eu une autre ; de 1988 à 1993, encore une autre ; et de 1993 à 1995, encore une autre politique. Alors il est bien évident que dans des dossiers de ce type, où nous avons affaire à la fois au terrorisme, à une certaine forme de criminalité, la continuité des actions de l'Etat est capitale. Si cette continuité n'existe pas, il est bien évident que les adversaires de la République en profitent. Je rappellerai simplement que, quand je suis arrivé en 1986 au ministère de l'Intérieur, j'ai dû conduire une politique de répression très ferme. Quand je suis parti en 1988, tous les gens qui avaient été arrêtés et dont les dossiers étaient en cours d'instruction ont été libérés. Il est bien évident que quand je suis revenu en 1993, les mouvements nationalistes, qui en 1986. représentaient un peu moins de 10 % des voix aux élections, représentaient 25 %. Donc je crois qu'il faut assurer la continuité de l'Etat et pour cela, je crois que le mieux eût été, dans ce domaine comme dans d'autres, dès lors qu'on considère que l'intérêt national est en cause, non pas de se lancer dans des diatribes parce que cela ne sert à rien, mais d'avoir une sorte de table ronde réunissant à la fois les dirigeants de la majorité et de l'opposition - tous ceux qui ont eu des. responsabilités - et définir ensemble une politique dont on sait qu'elle sera appliquée dans le temps. »
Q - C'est une proposition pour aujourd'hui ?
- « Non, ce n'est pas une proposition, c'est une réflexion. Il me semble que c'est une réflexion de bon sens. »
Q - Et l'Etat est responsable ou co-responsable de ce qui s'est passé ?
- « L'Etat est responsable, c'est vite dit. L'Etat a une part de responsabilité indiscutablement, mais davantage au travers de ses volte-face ou de ses vicissitudes entraînées par les alternances successives qu'autre chose. »
Q - Un mot sur le procès Chalabi : vous avez pris une colère, hier...
- « Elle me paraît justifiée. »
Q - … sur la méthode utilisée. Il faut dire quand même que c'est un curieux procès : dans un gymnase, en face d'une prison, ils ne se connaissent pas entre eux…
- « Le problème n'est pas de savoir si ça se déroule dans un gymnase aménagé en tribunal ; le problème est de savoir, premièrement, s'il s'agissait bien d'un réseau terroriste, la réponse est oui. Deuxièmement, qu'ils soient 138 ou 150 à mes yeux, ça n'a strictement aucune importance. Ils constituent un réseau et à ce titre, ils doivent être jugés. Et j'entends un certain nombre de choses qui ont de quoi faire tourner le sang à quelqu'un qui a le sens de l'Etat et de la défense des citoyens. Moi, je veux bien que l'on pétitionne en faveur des terroristes … »
Q - Y compris les magistrats d'ailleurs.
- « Oui enfin, je n'ai jamais entendu lesdits pétitionnaires pétitionner en faveur des victimes. Alors ma sympathie, elle va aux victimes, pas aux terroristes. »
Q - L'opposition s'est beaucoup déchirée cet été, elle a désespéré ses électeurs, je crois qu'elle continue encore un peu. Quel regard portez-vous sur l'état politique de vos amis proches ?
- « Je crois qu'il y a les apparences et la réalité. La réalité, c'est que la carte politique n'a pas tellement changé. Il y a des constantes dans le pays, des tendances très fortes. De même je me souviens, au moment des élections présidentielles dernières, lorsque certains disaient : « Le deuxième tour se déroulera entre Chirac et Balladur. » Et moi je disais : « Enfin, vous plaisantez, la gauche existe dans le pays. Ce n'est pas parce qu'elle a l'air atomisée, elle se rassemblera. » Je crois que c'est pareil pour l'opposition. L'opposition est sortie groggy de la dissolution - dissolution qui était un échec davantage d'ailleurs par les apparences que la réalité parce que 18 000 voix seulement ont séparé la majorité à l'opposition. D'autre part, je rappelle que lorsque les socialistes avaient été sanctionnés par le corps électoral, il restait seulement 80 députés à l'Assemblée nationale. Là, il y en a 250… »
Q - Oui, mais ça traîne.
- « Oui, mais c'est inévitable parce qu'on ne se remet pas d'un choc comme celui qu'on a eu, choc qui était inattendu parce qu'un certain nombre de nos amis, peut-être le Président de la République aussi d'ailleurs, avalent oublié que lorsqu'il y a une élection, il y a une chance sur deux de perdre, voilà. Je crois qu'il faut un peu de temps. Ce qu'il faudrait, c'est mettre un terme aux débats personnels entre X, Y et Z, ce qui n'intéresse personne. Et il y a suffisamment à dire sur la situation du pays sans consacrer trop de temps à ces questions personnelles. »
Q - Lorsqu'on a entendu M. Sarkozy, M. Madelin dire qu'il fallait une liste unie de l'opposition pour les élections européennes, est-ce qu'on peut imaginer que vous participiez à cette liste ou bien vous allez prendre votre bâton et faire votre chemin tout seul ?
- « Je dirais très honnêtement que ça, ça fait partie aussi des défauts de l'opposition. Il y aura les élections européennes, elles se dérouleront au mois de juin prochain. Donc, c'est dans neuf mois. Est-ce que vous croyez qu'à l'heure actuelle… »
Q - Ce n'est pas loin neuf mois, quand même ?
- « D'accord, c'est le délai requis pour la conception et l'enfantement. Mais est-ce que vous croyez qu'à l'heure actuelle, les Français sont intéressés par les élections européennes ? Tout le monde s'en fiche, moi aussi d'ailleurs. Ce n'est pas le problème. Les élections européennes auront lieu le moment venu et il s'agira alors de tirer les leçons de la situation politique telle qu'elle sera »
Q - Et vous avez envie d'être sur une liste de... ?
- « Je n'ai aucune envie du tout. Je le redis, ce n'est pas mon problème. Moi, je considère qu'il y a ce qui est important, ce qui l'est moins. Ce qui est important, c'est le Traité d'Amsterdam qui va être soumis à la révision constitutionnelle pour permettre son adoption, je suis résolument contre. Je le dirai partout où je pourrai. »
Q - M. Sarkozy a dit, hier, qu'il n'y aura pas de RPR qui sera sur une liste contre celle du RPR ?
- « Le RPR se déterminera le moment venu, parce que Sarkozy parle beaucoup, ce qui, dans une certaine mesure, est son rôle. Mais chaque chose en son temps. »
Q - Arles, premier forum de « Demain la France» Qu 'est-ce que vous direz, en deux mots ?
- « Arles est une très belle ville. Cette initiative a été prise par les jeunes de notre mouvement qui se préoccupent de l'avenir du pays et qui ne veulent pas que la France disparaissent dans une sorte de magma informe, puisque pour le moment, l'Europe n'est pas organisée comme elle devrait l'être. Donc nous dirons ce que nous avons à dire sur ce point. »
RTL : lundi 14 septembre 1998
Q - Vous êtes toujours gaulliste ?
- « Toujours et vous, vous êtes toujours à RTL ? »
Q - A lire tout ce que vous dites depuis 48 heures, on a l'impression qu'il y a plusieurs gaullismes : le vôtre, celui de J. Chirac et celui du RPR ?
- « Il n'y a pas plusieurs gaullismes. Chacun interprète les choses comme il l'entend et chacun se détermine en fonction de sa conscience. Moi, je ne donne de leçon à personne, je ne prétends pas posséder un morceau de la vraie croix et les autres non. Mais je me détermine en fonction de ce que je crois. »
Q - Tout de même vous prenez vos distances par rapport au Président de la République. Par exemple dans le Figaro, Samedi, vous lui faites porter la responsabilité du désarroi de la droite à cause de la dissolution ?
- « Je crois que je ne suis pas le seul. Je crois que tous les Français ont le sentiment qu'effectivement la dissolution a été une erreur. »
Q - Et dans votre insistance à réclamer un référendum sur le traité d'Amsterdam, vous faites référence au général de Gaulle en disant que les référendums, c'est la clé des institutions voulues par le général.
- « Je ne fais pas seulement référence au général de Gaulle, je fais référence aux institutions de la Vème République. »
Q - Et voulue par le général de Gaulle.
- « Mais si vous voulez vous donner la peine de lire dans la Constitution l'article 89, vous verrez que je ne demande rien d'autre que l'application de la Constitution qui dit qu'en matière de révision, que celle-ci devient définitive lorsque après avoir été votée en termes identiques par les deux Assemblées elle a été soumise aux Français par la voie du référendum. Il y a un ajout qui précise : « toutefois le Président de la République peut décider… » mais tous les travaux préparatoires de la Constitution confirment que dans l'esprit du général, la voie de la révision constitutionnelle c'est bien le référendum. J'ajouterais qu'il y aurait un certain paradoxe à ce que F. Mitterrand ait consulté par voie du référendum - alors qu'on ne peut pas dire qu'il était un adepte de la Vème République telle que la voyait le général - et que J. Chirac ne le fasse pas. »
Q - Il s'éloigne un peu du gaullisme, J. Chirac ?
- « Mais je ne dis pas qu'il s'éloigne du gaullisme. Chacun interprète les choses comme il l'entend. Il se trouve que je ne suis pas d'accord et je le dis. »
Q - N. Sarkozy, dans Le Monde, dit qu'il n'est de l'intérêt d'aucun gaulliste de nourrir sur l'Europe une querelle factice.
- « Ecoutez c'est son point de vue. Si l'abandon de la souveraineté nationale relève du factice, nous n'avons pas la même vision des choses. »
Q - Mais Amsterdam ?
- « Amsterdam est une bêtise, c'est une erreur monumentale. Maastricht en était déjà une, Amsterdam complétera cette erreur et privera les Français d'une part importante de leur souveraineté en matière de justice, de sécurité et de contrôle de l'immigration. »
Q - Mais M. Barnier qui est un autre membre du RPR relevait qu'Amsterdam prévoit que le passage à la majorité - c'est-à-dire ce que vous appelez l'abandon de souveraineté - ne se fera dans cinq ans que si tous les pays sont d'accord. Donc la France dispose d'une minorité de blocage.
- « Oui, mais il se trouve que moi, je ne suis pas aussi perspicace que M. Barnier et je ne lis pas dans la boule de cristal : je ne sais pas qui sera à la tête de la France dans cinq ans et je ne sais pas, par conséquent, ce que fera le Gouvernement de la France. Par contre, ce que je sais, c'est qu'en ratifiant le traité d'Amsterdam, aujourd'hui, la France accepte d'abandonner une part de sa souveraineté. Je suis contre et je ne l'accepterai pas. C'est tout. »
Q - Mais est-ce qu'il y a de votre part beaucoup d'obstination sur l'euro ? Parce que vous dites pour l'instant : on ne peut jurer que l'euro protégera à jamais l'Europe. Mais enfin cela marche bien quand même ?
- « Pour l'instant, il n'existe pas et il ne protège rien du tout. »
Q - Si, il a été potentiellement créé déjà.
- « Mais pour le moment, il n'existe pas et il le sera dans quelque temps. »
Q - Vous ne croyez pas qu'il a un effet bénéfique et qu'il protège quand même l'Europe de la crise ?
- « Et l'Angleterre, et la livre sterling n'est pas dans l'euro ; est-ce qu'elle a pour autant été attaquée ? Ne nous trompons pas : moi, je n'attends pas avec délectation les catastrophes éventuelles, mais je vous dis les choses comme je les vois. Une monnaie n'a jamais protégé personne. Ce sont les politiques économiques, ce sont les décisions qui sont prises et ce sont les attitudes des marchés qui conditionnent les choses. Et en ce qui concerne l'euro, j'entends les partisans et les eurolâtres parer cette monnaie de toutes les vertus. Dans le même temps, ils· reconnaissent que si l'Europe occidentale bénéficie d'une certaine expansion, on le doit au fait que le dollar a augmenté, la valeur du dollar a augmenté. Si cette valeur du dollar diminue, nous serons dans une autre situation. Et nous, dans le même temps, on va faire un euro fort. Il y a une certaine contradiction. Je ne doute pas d'ailleurs qu'on pourra m'expliquer les choses mieux que ce qu'on a fait jusqu'à présent. »
Q - Ceux qui pensent et qui disent qu'il faut absolument que P. Séguin dirige la liste du RPR, voire une liste unie de l'opposition parce que c'est la seule méthode de vous empêcher de vous présenter à la tête d'une autre liste : ils ont raison ?
- « Les choses ne se présentent pas du tout en ces termes. Moi, je ne suis pas du tout obnubilé par les élections européennes, ce n'est pas mon problème. »
Q - Un petit peu quand même.
- « Je suis parlementaire, je ne suis pas à la recherche d'un autre mandat. Je me détermine sur un problème que je considère comme important pour la France et en fonction de ce qui se fera, j'aviserai. Mon problème n'est pas d'essayer… »
Q -
Mais vous iriez éventuellement contre P. Séguin ?
- « Pour le moment, il ne s'agit pas d'aller contre P. Séguin. P. Séguin n'est candidat à rien, les élections européennes ont lieu dans neuf mois. C'est la date qui sépare la conception de l'enfantement. Alors ! »
Q - Tout de même, N. Sarkozy vous a envoyé un petit avertissement. Il a dit : de toute manière, il n'y aura de candidat RPR que sur une seule liste. Donc ceux qui se présenteraient ailleurs - c'est la conclusion non dite mais quand même - seraient exclus du RPR.
- « Nous verrons bien le moment venu. Pour l'instant M. Sarkozy parle : c'est non seulement son droit mais c'est son devoir, c'est la fonction qui le veut. Pour l'instant, il n'engage pas le RPR. »
Q - Vous redoutez d'être exclu du RPR ?
- « Je dois dire que ce serait assez amusant. Vous essayez vainement de me faire battre ce matin tantôt avec J. Chirac, tantôt avec Séguin, tantôt avec Sarkozy. Vous n'y parviendrez pas. »
Q - Vous dites quand même que vous ne voulez pas aller à la convention sur l'Europe du RPR début octobre, que vous menacez de ne pas y aller ? Pourquoi ?
- « Pourquoi est-ce que vous vous exprimez avec autant de véhémence ce matin ? »
Q - C'est vous qui dites : je ne vais pas y aller.
-- « Vous verrez bien. »
Q - Mais pourquoi vous craignez d'y aller ?
- « Je ne crains rien du tout. Je souhaite que cette convention soit ouverte. J'y vois un grand avantage : pour la première fois, on parlera d'Amsterdam alors que tout le monde pour le moment fait le black-out. »
Q - On va aller vers les Etats-Unis : B. Clinton doit rester Président des Etats-Unis ?
- « Cela regarde les Américains. »
Q - Et qu'est-ce que vous jugez de ce déballage ?
- « Moi, je ne prend pas position sur cette affaire. »
Q - Vous trouvez normal que l'on déballe la vie privée d'un homme politique ?
- « Non, je ne crois pas que ce soit tout à fait normal, mais je crois aussi qu'un Président devrait se comporter un peu mieux. »