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Le Figaro : Quelle impression fait sur vous l'accession d'un Silvio Berlusconi à la tête de l'Italie à partir d'une carrière construite autour des médias et du sport ?
Michèle Alliot-Marie : Cela relève de ce que j'appelle le sport paillettes, ou sport spectacle. Deux choses que je n'aime pas. Je regrette profondément que certains utilisent le sport dans un but de manipulation politique. Sa fonction sociale et de formation des jeunes doit éloigner le sport de la politique politicienne. C'est ce que je fais dans mon ministère où je déconnecte mon activité de femme politique de mon action en faveur du développement du sport. Ce que nous voyons en Italie, nous le percevons malheureusement en France, au niveau local, et cela aboutit à des catastrophes avec des situations négatives pour tout le monde. Nous avons vu des personnes : ruinées et des communes en danger. Car l'on entre dans des surenchères financières qui conduisent à la volonté de gagner à tout prix, à engager des joueurs dans des proportions qui excèdent les moyens du club, et qui risquent de pousser à autre chose…
Le Figaro : Est-il acceptable que le sport professionnel soit subventionné ?
Michèle Alliot-Marie : Le sport français est celui qui, en Europe, vit avec le plus de subventions publiques. Si ce soutien est compréhensible pour le sport amateur, il se discute en faveur du sport professionnel. Le ministre de l'Intérieur l'a rappelé : les collectivités locales ne peuvent pas subventionner le sport professionnel. Car pour quoi soutenir tel club et pas n'importe quel commerce ? Comme il était difficile de passer brusquement de la situation actuelle à une réforme totale, nous avons adopté une formule transitoire au cours de laquelle l'aide diminuera progressivement.
À terme il faudra la remplacer par autre chose. Ce pourrait être de véritables prestations du club qui seraient rémunérées par la collectivité locale ou la commune. Des achats de places pour des jeunes, des actions d'animation des joueurs, etc. Ce serait naturellement plus sain.
Le Figaro : Des grèves agitent le sport professionnel américain. Croyez-vous que la France pourrait être touchée par ce mouvement ?
Michèle Alliot-Marie : Non, nous n'en sommes pas là. Les difficultés ne naîtraient pas chez nous au niveau d'une ligue et des joueurs, mais je perçois des tensions entre les secteurs amateur et professionnel.
Le Figaro : Vous avez dénoncé dans un discours au Parlement de Strasbourg les « groupes de pression » et les « organisateurs privés » qui nuisent au sport. Voulez-vous préciser ?
Michèle Alliot-Marie : Les télévisions jouent un rôle important dans le sport actuel. Je n'ai rien à dire si elles interviennent par de simples détails de mise en scène. Mais si elles modifient des éléments clés du sport, par exemple certains règlements, je dis qu'il y a dérive et qu'il faut enrayer le phénomène.
Les sponsors qui ont passé contrat avec des sportifs de haut niveau peuvent avoir des exigences qui sont en contradiction avec l'appartenance à l'équipe de France ou avec la santé de l'athlète (interférences des exhibitions, par exemple). Cela mérite d'être sifflé ».
Le Figaro : Êtes-vous certaine que les clubs professionnels font tout ce qui est en leur pouvoir pour lutter contre les agitateurs des tribunes ?
Michèle Alliot-Marie : Ils font ce qu'ils peuvent pour favoriser la mise à l'écart des supporters les plus voyants et les plus négatifs pour leur image. Mais je ne suis pas certaine qu'ils font ce qu'il faut pour entretenir une ambiance sereine dans le stade. Je suis frappée ainsi par le contenu de prétendue animation qui consiste à chauffer le public avant une rencontre quand on exalte les gens, on prend le risque que les esprits les plus fragiles « dérapent » en cours de match.
Je suis également choquée par l'attitude de certains dirigeants. S'ils ne donnent pas eux-mêmes l'exemple, comment peut-on s'étonner que des Supporters qui ont beaucoup moins de responsabilités se laissent aller à des débordements ?
Le Figaro : Les champions eux-mêmes ne vont-ils pas trop loin dans la critique lorsqu'ils sont membres de l'équipe nationale ?
Michèle Alliot-Marie : Oh si ! C'est un de mes étonnements de voir des sportifs incapables de se rendre compte qu'ils forment l'image de leur pays lorsqu'ils le représentent. Cela n'apparaît ni dans leur attitude ni dans leurs propos. Attitude ? On peut être décontracté lors d'une cérémonie d'ouverture sans créer la pagaille. Propos ? La dérive est encore plus nette, nous venons d'en avoir des exemples. Il faut rappeler à ces jeunes gens et jeunes filles qu'ils représentent la France, et le rôle pédagogique de l'encadrement est, à cet égard insuffisant. Il est remarquable de noter que, de toutes les délégations, la France est souvent celle dont les membres ne chantent pas l'hymne national...
Le Figaro : Que pensez-vous de la manière dont les médias parlent du sport ?
Michèle Alliot-Marie : Ils pourraient servir mieux et plus le sport. En ce qui concerne la télévision, une de mes préoccupations est de lui voir donner plus de place à des sports autres que les cinq ou six qui accaparent de façon discriminatoire les écrans. Car, qu'elle le veuille ou non, elle joue un rôle pédagogique. C'est à travers elle que les jeunes découvrent en grande partie le sport. C'est là qu'ils apprennent règles et… comportements.
Il y a certains excès de langage dans les commentaires, et il m'est difficile de les accepter quand les arbitres en sont la cible. Il y a aussi des excès dans les appréciations positives ou négatives portées sur les résultats ou le comportement des athlètes : Savez-vous que la presse française est considérée comme, disons, la plus « méditerranéenne » dans les milieux officiels ?
Le Figaro : Le crédit du sport n'est-il pas entamé par les « affaires » ?
Michèle Alliot-Marie : Le sport est en soi une valeur positive constante. Il ne peut être entamé par une affaire en passant. Mais si les dérapages se multipliaient, il pourrait être en effet menacé.
Le Figaro : Pouvez-vous faire le point sur le dopage ?
Michèle Alliot-Marie : Nous progressons sur le plan des contrôles inopinés, lors des entraînements ou des compétitions locales, selon l'engagement que nous avions pris. Nous travaillons sur la recherche des nouvelles substances. Nous essayons avec le Comité national et olympique du sport français de faire progresser l'harmonisation des règlements entre les fédérations. Et comme il ne faut jamais oublier la formation en cette matière, j'ai parrainé le film Dernier Stade, qui traite de façon sérieuse et sensible du sujet.
Le Figaro : L'année n'a pas été très bonne pour le sport français aux Jeux olympiques d'hiver de Lillehammer et même aux championnats d'Europe d'athlétisme d'Helsinki. Votre sentiment ?
Michèle Alliot-Marie : Il y a en effet des leçons à tirer de ces deux événements. J'ai dit qu'il n'était plus question de voir la France représentée par des délégations pléthoriques, comprenant des sélectionnés qui ne pouvaient espérer un bon résultat et un encadrement trop important. Il est clair que les présidents de fédération cherchent en ces occasions à « faire plaisir ». Je leur ai dit que ce n'était pas acceptable, même si cela leur était utile et que la France doit participer à de grandes compétitions pour gagner. On m'a avancé le cas des jeunes athlètes qu'il fallait aguerrir : je crois que pour cela il existe assez de compétitions dans le calendrier, sans choisir les Jeux ou un grand championnat.
C'est tout un esprit général qu'il faut revoir. C'est la victoire qui doit être l'objectif de tous. C'est l'état d'esprit qui doit primer. C'est pourquoi il faudra dorénavant respecter des quotas sévères pour figurer dans les sélections aux plus grandes compétitions.
Le Figaro : Le sport français espère avoir un milliard pour mieux vivre : votre avis ?
Michèle Alliot-Marie : Le chiffre n'a pas grand sens, en soi. Ce qu'il y a de certain, et je l'ai déjà dit, c'est que la France est déjà le pays qui met le plus d'argent public dans le sport. Ce qui compte, c'est ce que l'on fait de cet argent et notamment du Fonds national de développement du sport. Ce qu'il faut, c'est bien gérer le FNDS.
Le Figaro : Est-ce que le sport est reconnu comme un fait majeur, premièrement à l'Éducation nationale, deuxièmement dans l'univers politique ?
Michèle Alliot-Marie : Au sein de l'Éducation nationale, je réponds non, et j'ajoute que c'est dommage, et qu'il faudrait que ça change ! Au sein du monde politique, il y a une compréhension de l'importance du sport, mais ce qui bloque tout par la suite ce sont les pesanteurs classiques du système administratif qui, sur le plan budgétaire, obéissent à la vieille règle du précédent et de la reconduction ».
Il y a une prise de conscience que le sport est un fait social, mais cela ne passe pas au niveau des faits. Il faut se battre tous les jours pour le faire comprendre. Ainsi je viens de le faire entrer dans l'aménagement du territoire...