Texte intégral
Monsieur le Président de la mission d'information sur la télévision éducative,
Monsieur le rapporteur,
Messieurs les sénateurs,
Qu'il me soit tout d'abord permis de vous remercier pour votre invitation à ce colloque. Je sais que, depuis le 23 décembre 1992, votre mission d'information sur la mission éducative a travaillé sans relâche, à l'écoute des chercheurs, des diffuseurs, des producteurs et des personnalités qui peuvent nous éclairer pour la mise en œuvre d'un tel projet.
Réfléchir sur ce que pourrait être une véritable télévision éducative, penser plus précisément à ce que pourrait être la contribution de la télévision à la formation est indéniablement fondamental. D'abord parce qu'il faut répondre au défi existentiel continuel que constitue ce que certains appellent l'accélération de l'histoire. Un défi qui concerne directement, pêle-mêle, les entreprises, l'État, les personnes qui ont des difficultés d'intégration, ou qui ont besoin, à un moment ou à un autre de leur vie, d'une nouvelle formation.
Un défi qui concerne aussi, en même temps, la France, sa puissance actuelle, son avenir. Il en va en effet par cette question de son progrès, de sa cohésion sociale et de sa place dans le monde. Progrès ? Sans formation, comment accéder au développement scientifique et technologique et comment l'impulser ? Cohésion sociale ? Qui ne voit que la situation économique et sociale conduit à laisser sur les bas-côtés une partie de la population et, par contrecoup, à produire des effets de marginalisation, d'exclusion et de déstructuration pour notre pays? Place dans le monde ? Comment affronter la concurrence internationale si notre pays ne s'en donne pas les moyens ? Répondre vite et efficacement tout en évitant la précipitation et la prévention, tel est bien le pari.
Mais vous savez que ce chemin jusqu'ici n'a pas été suivi. Au lieu d'user des médias pour contribuer à répondre à l'exigence d'information sur les emplois, de formations, aux besoins d'adaptation et de réadaptation de notre population, la France s'est égarée. Quand l'on songe qu'il existe plus de 50 chaînes éducatives dans 32 pays, quand l'on songe même que la « BBC Education » commercialise son programme d'apprentissage de la langue française sans que nous puissions proposer un produit équivalent, on mesure notre retard. Retard dans la production d'émissions éducatives malgré les efforts du CNDP ou du CNED, retard, plus encore peut-être, dans les diffusions de ces émissions, l'un et l'autre alimentant une politique de jachère qui délaisse les savoir et les savoir-faire pourtant mobilisables.
Une telle carence est évidemment d'abord celle du secteur public, même s'il ne faut pas oublier que le secteur privé n'est pas exempt d'une mission éducative. Cette carence est le signe que le secteur public n'a pas su répondre aux impératifs qui découlent de sa mission éducative et sociale. Il a même été oublié que parmi les obligations générales du service public imposées aux organismes publics de radiodiffusion par la loi, il est celle de concevoir et de programmer des émissions dans le souci d'apporter à toutes les composantes du public information, enrichissement culturel et divertissement, en fonction de la mission culturelle, éducative et sociale qui est assignée par la loi. Quant aux obligations particulières, elles comprennent aussi, celles de diffuser et faire programmer des émissions éducatives et sociales, qui ont trait aux formations professionnelles et aux promotions sociales. Or non seulement cette mission n'a pas été respectée mais compte tenu de la multiplication des chaînes, la part de l'éducatif et, dans l'éducatif, celle de la formation, s'est réduite.
Il est clair que, lorsque l'impératif premier est la course à l'audience, l'idée chère à André Malraux du rôle que le domaine des arts et de la connaissance, ne peut se développer. L'idée que l'accès savoirs peut être favorisé par la télévision, devient en même temps incongrue.
Dès lors, comment s'étonner si au lieu d'engager une réflexion de fond, comme vous l'avez fait sous la présidence de Monsieur le Sénateur Pierre Laffitte, les discussions ont dans le passé souvent opposé deux camps, qui étaient au fond comme les Docteur Jeckyll et Mister Hyde de ce scénario télévisuel. D'un côté, la télévision n'avaient par essence aucune vocation éducative. De l'autre, ceux qui proclamaient les vertus de la télévision éducative formatrice, le modèle de la télévision scolaire, tel qu'on avait pu l'imaginer au cours des années 60. Les premiers justifiaient leur refus en dénonçant un projet ennuyeux, inadapté puisqu'il devrait précisément intéresser ceux qui sont peu réceptifs aux structures et aux schémas éducatifs classiques. Les seconds refusaient la télévision-divertissement, indifférente à l'exclusion, au malaise dans la civilisation. Ainsi est-on rentré dans un jeu où chacun confortait l'autre et où le résultat le plus tangible fut le frein à la production et à la diffusion et les difficultés d'adaptation des programmes offerts, modes de perception et aux nouvelles attentes. Pénurie d'un côté aux nouveaux, inadaptation de l'autre.
Qu'il me soit donc permis de saluer le très remarquable travail tel qu'il est rapporté par Monsieur le Président Pierre Laffitte, Monsieur le Sénateur René Trëgouet qui a posé les véritables conditions de possibilité d'une télévision éducative en évitant ce travers d'esprit qui consiste à s'intéresser au contenant et non au contenu.
Comme si le débat de la mission éducative de l'audiovisuel devait être réduite à celle de savoir comment on remplit l'avant-Arte ! Je voudrais vous remercier Monsieur le Président Pierre Laffitte, Monsieur le Sénateur René Trëgouet, et vous tous d'avoir bien clairement indiqué qu'il fallait d'abord et avant tout déterminer les priorités face à la multiplicité des projets de formations et les penser dans un ensemble cohérent qui permettrait aussi le surgissement d'une véritable industrie du programme éducatif.
Je vous remercie aussi d'avoir rappelé qu'il fallait ensuite réfléchir sur la notion même de télévision éducative en définissant des angles pédagogiques adaptés aux publics ciblés et les passerelles nécessaires entre le champ télévisuel et les autres champs sociaux. Je vous remercie enfin d'avoir montré qu'il fallait enfin prendre en compte les développements futurs des télécommunications, en relation avec ces nouvelles technologies de l'information qui permettront une véritable interactivité et qui l'intégreront dans un ensemble plus vaste où cohabiteront l'écrit, la vidéo, les outils multimédia.
Soyez assurés, Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Messieurs les sénateurs membres de la mission, que la Commission sur les missions du secteur public présidée par Monsieur le Conseiller Maître Jacques Campet, saura intégrer les résultats de vos réflexions.
Pour ma part, je les étudierai avec le plus grand soin, car ils me seront d'une aide précieuse pour mon action au service de la France.