Déclaration de M. Jacques Chirac, président du RPR, sur les idéaux du gaullisme, la nécessité de lutter contre le chômage et l'exclusion sociale, et les relations entre le gouvernement Balladur et le RPR, Bordeaux le 3 septembre 1994.

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Circonstance : XIIèmes universités d'été des jeunes RPR à Bordeaux du 2 au 4 septembre 1994

Texte intégral

Mes chers Compagnons,

Vous êtes jeunes, vous êtes enthousiastes. Et à ce titre, au delà de tout clivage politique, vous êtes la France dans ce qu'elle a de plus prometteur.

Vous devez être aussi la France dans ce qu'elle a de plus généreux.

Vous avez du cœur et de l'intelligence. Vous avez des angoisses et aussi des espoirs.

Vous avez la vie devant vous. Cette vie vous impose des contraintes, et Dieu sait qu'elles sont rudes aujourd'hui. Mais vous savez, et c'est là votre force, que la vie n'est marquée d'aucune fatalité et que vous pouvez aussi lui imposer votre volonté si vous en avez la détermination et le courage.

D'aucuns, qui nous regardent, pourraient se demander pourquoi nous sommes ici, ce soir, ensemble et heureux de l'être, avec cette conscience forte du lien affectif qui nous unit. Malgré nos différences.

Je suis un homme politique forgé par son expérience, sa réflexion, ses certitudes et ses interrogations, ses succès et ses échecs.

Et si l'on doit me reconnaître un jour un mérite, je souhaite que cela soit d'avoir réussi à maintenir, souvent contre vents et marées, un mouvement gaulliste dans notre pays. Un Mouvement dont il y a 20 ans on se disputait les dépouilles.

Et d'avoir fait de ce Mouvement, lors des dernières législatives et de l'équilibre des pouvoirs qui s'en est suivi, la première force politique de notre pays.

Mais ce Rassemblement, pour quoi faire ? Tout simplement parce qu'il est aujourd'hui nécessaire.

Parce que la France, une fois encore, se trouve incertaine face à une situation nationale et sociale grave.

Parce que seule une inspiration gaulliste lui permettra de surmonter la crise et d'écarter les risques de décadence.

Parce qu'il faut pour cela une certaine vision de l'avenir de notre peuple et de notre nation.

Parce qu'il faut redonner aux affaires publiques le sens de la dignité et le sens de la grandeur.

Parce que l'État doit à nouveau incarner l'autorité, la justice et la vertu.

Parce que les Français doivent retrouver l'espoir et la certitude de leur avenir.

Parce que, nous le savons depuis longtemps, le gaullisme est le guide des temps difficiles.

Et, au delà du Mouvement qui l'incarne, c'est cette volonté, cette volonté de servir, qui crée ce lien qui nous unit et qui, ce soir, nous rassemble.

Vous le savez, lorsque la mer est mauvaise, que le bateau tangue et que l'inquiétude mine l'équipage, il faut au capitaine une force et une volonté sans faille, en un mot une rage de vaincre.

Le Général de Gaulle nous l'a appris, en 1940 comme en 1958 : le génie de l'homme d'État en temps de crise suppose des convictions tirées de l'expérience.

Il suppose une vraie détermination fondée sur la conscience que le temps n'est pas un allié et que l'immobilisme ou l'apparence du mouvement sont les pires ennemis.

Il suppose l'optimisme dans la mesure où il parie sur la jeunesse et sur le changement.

Il suppose la cohérence fondée sur de fortes convictions patriotiques et républicaines.

Il suppose enfin et surtout la générosité qui met l'homme au centre de nos préoccupations et refuse la misère et l'oppression, l'injustice et les inégalités.

Cette dernière exigence, cette exigence sociale, Mes Chers Compagnons, mérite réflexion. Les gaullistes en prennent-ils toujours la mesure ? Je n'en suis pas si sûr.

Le Général de Gaulle, prouvant que rien n'est impossible, a rendu deux fois à notre pays son honneur et sa grandeur. Il incarne « une certaine idée de la France ». Et pourtant les siens et ses compagnons ont mis en exergue, sur l'admirable croix de Lorraine qui domine Colombey, cette citation pour illustrer son ambition : « La seule querelle qui vaille est celle de l'homme ».

La croissance puis la crise, dix ans de socialisme aussi, un comportement d'opposition trop systématique parfois, le manque de vision peut-être, ne nous ont-ils pas fait perdre ce cap ? Ne nous ont-ils pas conduit à oublier qu'une nation dont l'ambition n'est pas de conquérir des terres par la force ne peut avoir qu'un objectif, en dehors de l'indépendance et de la sécurité de son peuple : le progrès social. Nos dirigeants, depuis vingt ans, n'ont-ils pas été aveuglés par les problèmes économiques au point de mal distinguer la finalité sociale de toute action politique ? Et je voudrais saluer ici, à Bordeaux, l'un des nôtres qui avait eu cette intuition : Jacques Chaban-Delmas l'avait en effet exprimée dans un discours sur la nouvelle société dont on n'a peut-être pas pris alors toute la mesure.

Selon un rapport remis au Gouvernement en décembre dernier, 1 400 000 Français sont ou s'enfoncent dans la grande exclusion. Il faut y ajouter 1 800 000 illettrés et 1 200 000 immigrés non alphabétisés en français !

À l'évidence notre société se dualise, comme on dit aujourd'hui. Le contrat social est gravement mis en cause. La citoyenneté est donc en péril. Qu'est-ce en effet que la citoyenneté pour les centaines de milliers de ménages endettés et mal logés, pour les jeunes passant d'un CES au RMI, pour le nombre croissant de sans domicile fixe ?

La liberté suppose la possibilité de faire des choix. La pauvreté interdit de les faire. Alors comment exiger le respect de leurs devoirs de ceux qui n'ont pas accès à leurs droits ? Oui, la citoyenneté est en péril.

Face à une crise sociale sans précédent nous devons retrouver l'ambition humaine du gaullisme. Nous devons pour cela changer nos habitudes et nos mentalités. En clair il faut lever les tabous et débattre librement et sans idée préconçue des grands problèmes : que doit être l'Europe de demain ? Quelle doit être la politique économique et financière de la France ? Comment l'activité peut-elle être accrue et comment doit-elle être partagée ? Quelle est la réforme qui s'impose pour financer notre protection sociale ?

Et aussi, comment la France doit elle être gouvernée ? Quel doit être l'équilibre de nos institutions ? Comment rendre au pouvoir politique la responsabilité qui lui incombe ?

Cela suppose enfin que la politique redevienne le lieu où l'on décide et ne soit plus celui où l'on gère le quotidien en amortissant les conséquences d'évolutions présentées comme inéluctables.

C'est pourquoi nos compatriotes, qu'ils se disent de droite ou de gauche, ressentent aujourd'hui la nécessité d'un État responsable qui donne la direction dans un monde désorienté, qui fasse respecter la loi dans une société où l'individualisme est exacerbé, qui veille à la cohésion sociale dans une communauté gravement affectée par l'exclusion et le chômage, qui s'assure que le territoire national ne se fracture pas sous le double effet d'une urbanisation et d'une désertification incontrôlées.

Les Français savent que rien ne peut remplacer un État digne et fort dans ses domaines de compétence, à condition qu'Il respecte l'éthique qui le fonde et qui repose, je le répète, sur les valeurs de l'autorité, de la justice et de la vertu. L'autorité de l'État qui vient non de la force ou de la contrainte mais du respect que suscitent ses décisions et son action. La justice qui assure l'application de la loi et la défense des faibles. La vertu, et d'abord chez ceux qui servent l'État et qui, plus que tous autres, doivent être sages et irréprochables.

Mes chers Compagnons,

Il y a deux ans, avec l'ensemble des responsables de notre Mouvement, avec ceux de l'opposition d'alors, avec vous tous qui êtes ici ce soir, nous avons fait campagne contre le socialisme et nous avons pris des engagements vis-à-vis des Français. Ceux-ci nous ont fait confiance et il faut tenir ces engagements. Je m'en étais à l'époque porté garant et je ferai en sorte qu'il en soit ainsi. Que personne ne doute de ma détermination !

Aujourd'hui, alors que la gauche ne parvient pas à retrouver un minimum d'assurance, beaucoup scrutent les rapports entre Édouard Balladur et moi et glosent sur leurs évolutions supposées ou souhaitées.

La moindre phrase est interprétée, le silence aussi, toute suggestion devient critique. On essaye de nourrir une querelle entre nous deux.

Ceux qui agissent ainsi, par intérêt ou par ignorance, ont tort. Ils alimentent une polémique vaine et inutile. Ils ont une vision très réductrice de la politique française.

Depuis bien des années j'ai donné à Édouard Balladur toute ma confiance. Au lendemain d'une victoire législative à laquelle j'ai ardemment contribué, j'ai voulu sa nomination à Matignon et j'ai fait ce qu'il fallait pour cela. J'ai soutenu la politique qu'il a menée et j‘ai approuvé l'action de son Gouvernement, action conduite dans des conditions que la cohabitation ne facilite naturellement pas.

Voilà pour les faits.

Pour l'avenir il ne saurait y avoir de place, au sein de notre famille, face aux défis auxquels est confronté notre pays à l'aube de l'an 2000, pour des divisions ou pour des querelles. Qu'il y ait parmi nous des personnalités fortes et capables, il faut s'en réjouir. Édouard Balladur, Charles Pasqua, Philippe Séguin, Alain Juppé sont la richesse de notre Mouvement. Que des ambitions s'expriment, c'est humain. Mais en fin de compte l'union doit l'emporter car c'est l'intérêt de la France qui l'exige, et ceci n'est pas un vain mot pour des gaullistes.

Ce qui est en cause aujourd'hui, et le sera plus encore demain, ce n'est pas une rivalité de personnes et, la gauche étant ce qu'elle est, ce n'est plus une rivalité de partis. Ce n'est pas non plus le jugement porté sur un bilan dont toute l'actuelle majorité est solidaire. Ce qui est en cause c'est une vision de l'avenir et le choix d'un art de gouverner.

Va s'ouvrir maintenant, à la veille des élections présidentielles, le grand débat national sur les réformes à mettre en œuvre pour relever le défi de notre temps : assurer à la nation la cohésion et la croissance, renforcer les solidarités, combattre pour l'emploi et contre l'exclusion.

Ce débat exigera de la foi et de l'imagination. Je vous demande ce soir d'y participer, sans sectarisme, bien sûr, mais avec une passion que je souhaite égale à celle que j'y mettrai moi-même.

Et s'agissant de passion je sais que je peux vous faire confiance.