Interviews de M. Charles Pasqua, conseiller politique du RPR, à RTL et Europe 1 le 17 juillet 1998 et à France 2 le 30, sur sa proposition de régulariser tous les étrangers sans papiers qui se sont déclarés et la préparation des élections européennes de 1999 au RPR.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

RTL – 17 juillet 1998

Q - Vous proposez donc de régulariser tous les étrangers sans-papiers qui se sont déclarés. Au fond, vous n'êtes pas aussi répressif que vous en avez la réputation ?

« J'ai fait une réflexion générale sur les problèmes politiques et notamment sur les problèmes de l'immigration. Et j'ai fait un constat qui est simple. J'avais en temps utile au Sénat prévenu moi-même le ministre de l'Intérieur dans le débat de ce qui risquait d'arriver dès lors qu'on mettait la main dans l'engrenage qui consistait à demander à tous les clandestins de se déclarer. Ce qu'ils ont fait. Mais effectivement 150 000 d'entre eux se sont fait inscrire dans les préfectures. La moitié sont régularisés et l'autre moitié ne l'est pas. Ça c'est un constat. »

Q - Ça semble équilibré.

« Mais le problème n'est pas que ce soit équilibré ou pas, je n'entre pas dans ce détail. Je constate simplement que 80 000 sont régularisés, 70 000 ne le sont pas. Alors question : sommes-nous en mesure d'expulser 70 000 personnes ? »

Q - Et là vous dite non.

« Bien sûr que non. En rassemblant tous les moyens possibles et en se mobilisant on arrive péniblement à en expulser 8 ou 10 000. Donc s'il s'agissait de quelques milliers de personnes, le problème pourrait être résolu. »

Q - Quand Jacques Chirac dit : les étrangers en situation irrégulière, il faut les expulser…

« Mais il est dans son rôle de Président de la République lorsqu'il demande l'application de la loi. Personne ne peut le contester. Et nous sommes devant un problème précis : que l'on me dise comment on compte faire ? Comment compte-t-on pratiquer ? J'avais posé cette question aussi au ministre de l'Intérieur qui m'avait dit : mais ceux qui seront déboutés, on leur écrira et ils partiront. Chacun sait bien qu'ils ne partiront pas. Parce que dans leur pays d'origine, ils ont des conditions matérielles qui sont lamentables, qui n'ont rien à voir même avec la situation d'un clandestin dans notre pays. »

Q - Donc par réalisme, vous jugez que c'est aussi bien de les régulariser tous ?

« Oui. A partir du moment où ils ne partiront pas, nous avons le choix entre deux attitudes. Ou bien nous faisons preuve de la plus grande hypocrisie, c'est-à-dire on leur dit qu'ils ne sont pas régularisés et ils repartent où ? Eh bien ils repartent dans une semi-clandestinité où ils deviendront la proie des trafiquants de toute sorte, de toute nature. Je crois que ce n'est pas convenable. C'est une démarche hypocrite et qui est indigne de la France. Dès lors qu'on a mis la main dans cet engrenage, il faut en sortir. Et on ne peut en sortir que de la façon que j'indique. »

Q - Vous ne retenez pas l'argument de l'appel d'air. C'est-à-dire qu'une régularisation massive serait interprétée comme un signal favorable donné à l'immigration clandestine. Je reprends là une formule de François Fillon.

« C'est une formule que je connais bien, je l'ai tellement utilisée en son temps. Mais on n'est pas du tout dans la même situation. Ces étrangers sont là. Je redis une nouvelle fois que ce n'est pas moi qui ai pris l'initiative d'engager ce processus de régularisation. Lorsque j'étais ministre de l'Intérieur, nous avions des estimations sur le nombre de personnes entrées clandestinement dans notre pays. »

Q - Mais à l'époque vous aviez créé des cas différents qui étaient non expulsables mais pas régularisables non plus.

« Ça c'est facile à dire. Je veux bien avoir ce débat avec qui l'on veut, quand on voudra. Nous sommes devant un autre problème. Je disais que quand j'étais au ministère de l'Intérieur, nous n'avions que des estimations. Les chiffres les plus fantaisistes circulaient. Certains disaient : il y a 300 000 étrangers en situation irrégulière ; d'autres disaient : il y en a 500 000 ; etc. Là, il y en a 150 000. D'autre part, à l'occasion de la coupe du monde, un événement s'est produit. C'est que la victoire de l'équipe de France dans le cadre du mondial a entraîné une adhésion à la nation. C'est clair. Quelles que soient les origines de la population, il y a eu une espèce de rassemblement unanime derrière le drapeau tricolore, derrière la nation. Ce qui a donné de notre pays une image exceptionnelle. Alors on ne va pas gâcher ça en traînant pendant des mois ou des années cette situation de sans-papiers avec des occupations d'églises ou de temples, des grèves de la faim etc. Napoléon, je l'ai dit dans mon interview, disait : il est des situations dont on ne peut sortir que par une faute. Et bien, nous sommes dans cette situation. Maintenant, je comprends très bien que ce que j'ai dit était une sorte de coup de poing au plexus pour l'ensemble de la classe politique. »

Q - A gauche comme à droite.

« Ça je le comprends très bien. Il faut un certain temps pour que les gens réalisent et réagissent. Il n'en reste pas moins que le problème est posé. Si quelqu'un a une autre solution, qu'il l'a propose. »

Q - Vous êtes conseiller politique de P. Seguin, vous pensez que c'est le genre de conseil qu'il attend de vous ?

« P. Seguin a un rôle propre, il est président du RPR. Il a d'abord à faire en sorte que le mouvement retrouve à la fois son dynamisme et son efficacité. Je ne pense pas que ce que j'ai dit soit de nature à le gêner profondément parce qu'il a certainement sur l'essentiel le même sentiment que moi, il s'est passé quelque chose et il faut en prendre acte ».

Q - Et en tous cas, ça peut lui permettre une certaine autonomie par rapport au Président ?

« C'est un autre problème. On a l'autonomie que l'on veut bien se donner. Je comprends très bien l'attitude du Président de la République et sa démarche, je ne la conteste pas. Mais j'ai déjà eu l'occasion de dire ce que j'en pensais. Il faut que l'opposition ait une certaine autonomie, faute de quoi, elle n'existera plus. Mais cette affaire de régularisation des sans-papiers n'est, dans mon esprit, qu'un des éléments d'une politique de l'immigration. Je l'ai rappelé. Il faut revenir au contrôle par les frontières. Cela suppose que nous restions maîtres de notre destin et que nous ne nous en remettions pas à d'autres pour cela. Et là où on rejoint un autre problème qui est celui du Traité d'Amsterdam etc. »

Q - Vous avez parlé de coup au plexus, est-ce que cela vous amuse d'avoir pris tout le monde à contre-pied pour reprendre l'expression de J.-P. Chevènement ?

« Très honnêtement, si quelqu'un à gauche avait dit ça, ça n'aurait été repris par personne. Et à droite, je vois mal, en dehors de moi, qui aurais pu prendre cette initiative. L'initiative que j'ai prise n'est pas destinée à me donner une auréole ou une audience particulière. Elle est destinée à créer cet électrochoc et à faire en sorte qu'on se décide à traiter les problèmes d'une manière raisonnable en fonction de la réalité et non pas en fonction des présupposés ou des idéologies ou des sentiments politiques. »

Q - Pour les élections européennes l'an prochain, il pourrait y avoir des gens de gauche sur la liste que vous envisagez de conduire ?

« Mais moi je ne sais pas du tout si je ferai une liste aux élections européennes. De mon point de vue, c'est un problème très secondaire et très marginal. Moi ce qui m'intéresse, c'est la souveraineté nationale. Donc c'est ce problème là qui est en cause. Que sur ce problème de la souveraineté nationale, sur l'existence de la nation, se rassemblent des gens de droite et de gauche, ça me paraît tout à fait normal. C'est ça la France. Mais j'ajoute autre chose, je voudrais terminer par un proverbe chinois comme ça, ça incitera mes collègues de la classe politique à un peu de réflexion. Ce proverbe chinois dit : quand le sage montre la lune, le sot ne voit que le doigt.


Europe 1 – 17 juillet 1998

« J'ai regretté, je l'ai dit à l'époque au ministre de l'Intérieur Chevènement pour lequel j'ai de l'estime, au moment où il s'est engagé dans cette voie que ça le conduirait dans une impasse. Aujourd'hui, il est dans cette impasse. On ne peut pas les renvoyer chez eux. Donc qu'est-ce qu'on fait ? Voilà. D'autre part, la France vient de donner au monde, d'autres l'ont dit mieux que moi, notamment le Président de la République, l'image d'un pays rassemblé, uni, etc. Donc il faut en tirer les conséquences. Et quand la France est forte et généreuse, elle peut traiter ses problèmes. »

Q - En gros, vous dites, le gouvernement, c'est le moment pour lui de régler ce problème ?

« Oui, probablement. »

Q - Vous lui donnez un conseil, quoi ?

« Je lui donne un conseil, je suis probablement le mieux placé pour pouvoir dire ce que je dis. Parce que je ne suis pas suspect de laxisme. »

Q - Mais les associations de sans-papiers le disent elles-mêmes ce soir, le fait que ce soit C. Pasqua qui le dise, ça va être encore plus dur à faire comprendre. Même si, sur le fond, le discours est cohérent j'allais dire ?

« Moi, je me moque éperdument dans cette affaire que les gens soient de droite ou de gauche, ce n'est pas le problème. Il s'agit de se déterminer en fonction de ce que l'on croit conforme à l'intérêt national. »

Q - C'est ce que vous répondrez aussi sans doute aux gens du mouvement gaulliste qui ce soir disent, c'est une mesure qui risquerait d'encourager l'immigration clandestine ?

« Mais ça, c'est un argument que je connais. D'ailleurs je n'ai pas demandé au RPR de me soutenir. La démarche que j'ai entreprise, la déclaration que j'ai faite n'engagent que moi. Mais cela étant, ce sont des gens qui sont là, on ne va pas créer un appel d'air avec ceux-là, ils y sont déjà. J'ai dit également qu'il y avait naturellement à la mesure que l'on pourrait prendre, un certain nombre de corollaires. Le premier, ce serait un contrôle beaucoup plus strict de nos frontières, ce qui suppose qu'on ne s'en remette à personne d'autre du soin de les contrôler, vous voyez à quoi je fais allusion, c'est au Traité d'Amsterdam. D'autre part, il est bien évident que dans mon esprit, mais je l'ai dit également, il ne saurait être question de régulariser ceux qui ont commis des délits. Ceux qui ont commis des délits de doivent pas être régularisés, c'est las contrepartie. Une France forte et généreuse qui régularise mais qui, dans le même temps, sanctionne ceux qui ne respectent pas ses lois. »

Q - Ça permet aussi de rassurer les gens qui pourraient penser que vous êtes devenus de gauche ?

« Oui, alors ça, je crois que personne n'imagine tout d'un coup que je suis devenu gauchiste, ni de gauche. »


France 2 – 30 juillet 1998

Q - Les sans-papiers manifestaient hier devant Matignon. Vous auriez presque pu être à leurs manifestations, vous qui avez pris fermement position pour que tous les sans-papiers soient régularisés ?

« C'est-à-dire que j'ai constaté une situation. Ce n'est pas moi qui aie décidé que toute personne rentrée irrégulièrement sur notre sol devrait se faire connaître en vue de la régularisation de sa situation. Dès lors qu'on a pris cette initiative, il était évident qu'on se mettait dans un piège. Napoléon disait : il est des situations dont on ne peut sortir que par une faute. Alors qu'est-ce qu'on va faire ? On ne peut pas les expulser, on sait très bien que la plupart d'entre eux ne partiront pas. On peut naturellement faire preuve d'hypocrisie et leur dire on ne vous régularise pas, et puis faites ce que vous voulez. Ce n'est pas très convenable ni digne de notre pays. Ou on les garde et on prend les mesures nécessaires - ou alors on les expulse. Comme on ne peut pas  -  car est-ce qu'on peut expulser 70 000 personnes, est-ce qu'on peut faire un véritable pont aérien ? Non. On s'est mis dans une situation stupide. »

Q - Vous dites qu'il vaut mieux un acte volontaire, clair plutôt qu'une succession de …

« Bien sûr. Seulement je n'ai pas dit seulement ça. J'ai dit qu'il y avait un ensemble de mesures à prendre et qu'il fallait discuter avec les pays émetteurs de main d'oeuvre ou d'immigrés pour obtenir qu'ils contrôlent eux-mêmes les départs en contre-partie de notre coopération. J'ai dit également qu'il était préférable, plutôt que de se trouver dans cette situation, d'avoir une politique de quotas et que nous décidions par nous-mêmes du nombre de gens qu'on pouvait recevoir. Tant qu'on de fera pas cela, on ne contrôlera rien du tout. »

Q - Est-ce que le contexte particulier du Mondial que vous avez évoqué était important et pourquoi ?

« Parce que le Mondial a donné une image du pays qui d'ailleurs a fait le tour du monde, d'une France qui avait retrouvé une certaine fierté, qui se rendait compte qu'elle était capable de faire de grandes choses, de gagner dans une compétition mondiale, et dans le même temps, on a vu que beaucoup de gens à cette occasion avaient retrouvé ou trouvé la nation. Ce qui n'était pas le cas avant. Et lorsqu'on voit tout un tas de gens brandir le drapeau tricolore et chanter la Marseillaise, ça a quand même une certaine signification. »

Q - Mais une nation qui s'est retrouvé pour célébrer des joueurs qui précisément étaient d'origine étrangère pour la plupart.

« Pas tous. »

Q - Enfin des français de souche étrangère. C'est ça aussi la nation.

« C'est ça aussi qui est formidable. Oui tout à fait. »

Q - Dans un autre registre, hier au conseil des ministres, Jacques Chirac a plaidé pour une ratification, rapide du traité d'Amsterdam et a expliqué que dans le même temps, la France garderait des compétences en matière de circulation des personnes. Vous en pensez quoi de cette ratification rapide ?

« Ratification rapide ou pas, dès lors que le Traité est signé, il est normal que le Président de la République demande à ce qu'il soit ratifié. Jusque-là, il n'y a rien des très extraordinaire. Je savais que le Conseil des ministres du 29 allait se saisir du projet de loi constitutionnelle préparé par le gouvernement et qui est la première étape de la révision de la Constitution – la révision précède la ratification. Il ne peut pas y avoir de ratification. Le conseil constitutionnel l'a dit, il a considéré que ce Traité était contraire à la constitution parce qu'il y a des abandons nouveaux de souveraineté et même des transferts de compétences. Dès lors, il faut modifier la constitution. Comme je savais que le conseil des ministres allait se saisir de ce problème, j'ai écrit au Président de la République la semaine dernière pour lui faire connaître la position qui est la mienne. »

Q - C'est-à-dire ?

« D'une part, je signale les dangers pour la souveraineté nationale de ce Traité. Je considère en ce qui me concerne, qu'il est inacceptable. Mais d'autre part, j'ai insisté auprès du Président de la République sur la nécessité, après le débat parlementaire, de soumettre ce Traité au référendum. Premier point. Deuxième point : je crois qu'il ne serait pas convenable qu'un Traité qui est important pour le pays ne fasse pas l'objet d'un débat et qu'on le présente au gouvernement le 29 juillet à la veille du départ en vacances et puis qu'on en débatte entre Noël et le jour de l'an. Je crois que ce ne serait pas très convenable. Donc il faut qu'il y ait un débat dans le pays. En ce qui concerne Demain la France, le mouvement que j'anime, il réunira un forum dans la première semaine de septembre ; il y aura un large débat avec des constitutionnalistes, des personnalités diverses, et à cette occasion, nous arrêterons notre position. Je rappelle aussi que le RPR dans la deuxième quinzaine de septembre va tenir une convention sur le même sujet. Et c'est cette convention qui décidera. »

Q - Ça veut dire que pour vous la ratification par le parlement ne suffit pas, il faut un référendum sur Amsterdam ?

« Je m'en tiens à une lecture stricte de la Constitution. La Constitution dit qu'en matière de révision constitutionnelle la voie normale c'est le référendum. »

Q - Et vous pensez que le Président de la République va l'accepter ? C'est lui qui doit prendre la décision, ça relève de sa compétence en tout cas.

« Oui. La Constitution précise bien les choses. Elle dit qu'une fois le texte de révision adopté en termes identiques par les deux Assemblées, ce texte doit être soumis à référendum, toutefois, et le mot est important, le Président de la République peut décider de le soumettre au Congrès. Mais tous les travaux préparatoires de la Constitution montrent bien que la voie normale, c'est le référendum. D'ailleurs Maastricht a été soumis au référendum. Je ne vois pas ce qui devrait retenir les partisans de ce Traité. Je souhait qu'il y ait un débat et ensuite, je souhaite que les Français se prononcent. Et puis chacun d'entre nous nous acceptera le verdict des Français. Je ne vois pas pourquoi les partisans de ce Traité, qui considèrent que c'est un traité de peu d'importance – ce qui à mes yeux est faux, au contraire – s'y opposeraient. Il ne faut pas avoir peur du peuple. »

Q - Les affaires de dopage sur le Tour de France, vous en pensez quoi ?

« Il y a un aspect un peu choquant de voir une grande épreuve sportive soumise aux interventions policières. »

Q - C'est l'ancien ministre de l'Intérieur qui dit ça.

« Mais – c'est ce que ressentent les Français, cela – mais le même temps, il faut bien que la justice et la police fassent leur travail. Et le problème c'est celui du dopage. Et c'est vrai que les coureurs sont davantage des victimes d'un système qu'autre chose et c'est donc à ce système-même qu'il faut s'attaquer. Il faut que le sport retrouve ses lettres de noblesse. »