Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur la politique de restructuration hospitalière et sur le projet de réforme des centres hospitaliers universitaires (CHU), Tours le 19 septembre 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Assises des hôpitaux universitaires à Tours le 19 septembre 1994

Texte intégral

Messieurs les Doyens,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Directeurs Généraux,
Mesdames et Messieurs,

Vous aviez bien voulu, l'année dernière m'accueillir à Bordeaux pour vos assises des hôpitaux universitaires. C'était pour moi l'occasion de renouer le dialogue avec vous, quelques mois à peine après avoir repris mes fonctions au ministère de la santé.

Plus d'un an a passé depuis, mais c'est avec un égal plaisir que je me rends à nouveau, à votre invitation, dans cette ville de Tours qui, cette année accueille vos travaux.

Ces rencontres sont, pour moi, un moment privilégié, car elles me permettent de vous écouter, bien sûr, mais aussi de faire, devant vous le bilan de l'année écoulée, et de rappeler les priorités qui guident mon action.

Vous êtes, faut-il le rappeler, des interlocuteurs essentiels pour mon administration, certes en raison de la taille des établissements que vous dirigez, mais surtout du fait de l'importance des missions qui vous incombent : les soins bien sûr, dont la haute qualification, reconnue par tous, est un atout pour l'ensemble du monde hospitalier ; mais aussi la recherche et l'enseignement sans lesquels la science médicale ne pourrait ni se diffuser ni progresser. Et je n'oublie pas les écrasantes responsabilités qui incombent aux directeurs généraux, à la tête de véritables entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse plusieurs milliards et qui sont bien souvent le plus gros employeur de la ville.

Vous êtes aussi des interlocuteurs exigeants, soucieux toujours d'avoir les moyens humains et financiers de répondre à la triple vocation que vous a fixée l'ordonnance de 1958 qui créait les hôpitaux universitaires.

Au cœur du monde hospitalier, vous vivez avec acuité les changements et les tensions, qu'il connaît aujourd'hui, et mesurez, autant que moi la nécessité de le faire évoluer pour qu'il puisse mieux répondre aux attentes de nos concitoyens dans un contexte financier nécessairement encadré.

L'hôpital public traverse aujourd'hui une période de mutation, qui prépare j'en suis convaincue un renouveau.

Notre devoir est non seulement d'accompagner, mais de faciliter cette mutation, et, pour y parvenir, comme le soulignait Jean Monnet « il nous faut compter avec les hommes, les circonstances et notre propre détermination ».

Pour nous aider dans notre réflexion et guider la définition de la politique hospitalière des prochaines années, avec mes collègues les ministres de l'Économie, du Budget et de l'Intérieur, j'ai demandé aux inspections générales des Affaires sociales, des Finances et de l'Administration de mener une enquête approfondie sur la situation actuelle de l'hôpital et de proposer au gouvernement les voies et moyens d'une amélioration de nos outils d'évaluation, de gestion et de pilotage.

Ce rapport, qui m'a été remis au mois de juillet et que je compte rendre public dès demain, dresse un bilan sans concession de la situation, en mettant en lumière les lacunes de nos moyens de contrôle et d'évaluation de l'hôpital. Mais n'est-ce pas la loi du genre dans la mesure où ces rapports ont pour objet principal de rechercher les dysfonctionnements et les carences, et de faire des propositions pour y remédier ? C'est bien ce que fait ce rapport en ouvrant un certain nombre de pistes de réflexion.

Trois orientations me paraissent d'ores et déjà devoir être retenues.

1) La première tient à la nécessité de renforcer la cohérence entre programmation et financement.

Un effort très important a été accompli, au cours des deux dernières années pour définir, région par région, l'évolution souhaitable des établissements de soins publics et privés. Cette réflexion s'achève actuellement avec la signature, par les préfets de région, des schémas régionaux d'organisation sanitaire.

Préparés en concertation avec l'ensemble des acteurs du monde hospitalier ainsi qu'avec les élus locaux et les personnels, ces schémas, dont l'application se fera progressivement sur les 5 prochaines années, offrent désormais la possibilité d'une évolution raisonnée, et raisonnable, de l'offre de soins.

Certes, nul doute que les schémas adoptés soient perfectibles. Il a fallu parfois prendre en compte les contraintes locales, les inquiétudes des uns et des autres. Mais l'essentiel est atteint. Chacun a accepté de comprendre que la dimension et la qualité des établissements de soins ne peuvent s'analyser sans tenir compte des réalités et des complémentarités. Ce n'est pas à vous qu'il faut rappeler que la qualité des soins offerts aux malades tient certes aux équipements disponibles, mais surtout à la pratique quotidienne des actes médicaux et chirurgicaux. C'est un impératif de santé publique que de rationaliser l'organisation de l'offre de soins, C'est également une condition de maîtrise intelligente des dépenses hospitalières.

Pour accompagner la mise en application de ces schémas régionaux, j'ai décidé que, dès 1995, l'allocation des ressources aux établissements hospitaliers s'examinerait dans un cadre plus large que le seul département, comme c'est le cas actuellement. Le regroupement des moyens au niveau régional permettra de rééquilibrer les dotations entre les établissements mais également d'affecter les crédits disponibles aux priorités de santé publique. La réorganisation en cours des services déconcentrés du ministère, directions régionales et directions départementales et le renforcement de leurs moyens, doivent permettre à la tutelle exercée sur l'hôpital, d'assurer une meilleure cohérence entre les évolutions souhaitées de l'organisation sanitaire et les choix, nécessairement difficiles d‘attribution de moyens.

2) La cohérence indispensable entre la planification et l'attribution des budgets exige une meilleure connaissance de l'activité médicale.

L'hôpital demeure, à bien des égards, une « boite noire » dont ne sortent que des informations imprécises et incomplètes. Certes les directeurs fournissent de nombreuses indications comptables ou financières. Mais la nature des soins pratiqués et les pathologies traitées sont trop largement méconnues. Il est dès lors difficile de prendre des décisions budgétaires pertinentes.

Après près de 10 ans de budget global, où l'on s'est borné trop souvent, faute d'informations sur l'activité, à indexer de manière trop uniforme les dotations, les tensions auxquelles sont soumis les établissements les plus dynamiques sont devenues parfois insupportables. À l'inverse, d'autres établissements connaissent des rentes de situation qui ne sont pas acceptables à l'heure où les difficultés financières de l'assurance maladie pèsent si fortement sur l'équilibre des comptes sociaux.

Cette situation ne peut plus durer.

Aussi, ai-je demandé que soit accéléré le programme de médicalisation du système d'information afin que nous disposions, enfin, d'informations médicalisées susceptibles d'éclairer les choix budgétaires.

L'expérimentation engagée en région Languedoc Roussillon nous permettra de vérifier la validité d'une telle démarche. Si les enseignements en sont positifs, je souhaite que, dès 1996, l'activité médicale évaluée selon des critères aussi objectifs que possible constitue un élément déterminant pour l'allocation des budgets aux hôpitaux.

Ce sera, un changement majeur, pour l'hôpital. Je suis convaincue que nous avons tous à y gagner.

3) La troisième orientation que je souhaite imprimer, dès cette année, doit tendre à permettre une meilleure maîtrise des dépenses hospitalières.

Celle-ci incombe bien sûr aux directeurs généraux. Le taux directeur d'évolution des budgets hospitaliers vous sera bientôt notifié. S'il permettra de faire face aux conséquences financières des mesures en faveur des personnels, il exigera la poursuite et l'approfondissement des efforts d'amélioration de la gestion.

Mais nous ne parviendrons pas à maîtriser les dépenses hospitalières sans la collaboration de l'ensemble du corps médical.

Les derniers mois ont montré que, dans le secteur libéral, la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, qui suscitait bien souvent commentaires acerbes et ironiques, a fait la preuve de son efficacité, sans que la qualité des soins offerts aux malades en soit affectée bien au contraire.

Il ne saurait être question, bien entendu, de vouloir transposer tel quel et sans adaptation au secteur hospitalier un mécanisme qui commence à faire la preuve de son efficacité dans la médecine de ville. C'est l'esprit qu'il faut en retenir

Je sais – et vous saurez me le rappeler – que la médecine hospitalière diffère par bien des aspects de la médecine de ville. Plus encore, la notion même d'opposabilité des références ne peut avoir le même sens chez un médecin en exercice libéral et à l'hôpital.

Je demeure convaincue néanmoins que la maîtrise médicalisée des dépenses constitue une voie d'avenir très prometteuse pour l'hôpital. J'ai confié à l'ANDEM le soin d'examiner comment définir des protocoles de référence adaptés au monde hospitalier. De la même manière, il nous faudra rénover les méthodes de gestion interne de l'hôpital afin que les services hospitaliers se sentent davantage responsables financièrement et, pourquoi pas, qu'ils soient intéressés à une bonne gestion de leurs services, comme le propose le rapport de Mme Esper.

De cet effort de rénovation et de modernisation de l'hôpital, les CHU doivent bien entendu être partie prenante. Mais leur place particulière dans le système hospitalier leur impose sans doute des mutations plus importantes encore – ne serait-ce qu'en raison de la volonté d'excellence qui est leur juste ambition.

Le moment me semble venu en effet d'entamer une réflexion sur l'évolution des CHU depuis leur création en 1958, et sur la définition des missions qui leur sont confiées. J'évoquerai, trois points qui me tiennent à cœur.

Le Centre Hospitalier Universitaire est d'abord un établissement de soins mais c'est un établissement très particulier puisqu'il juxtapose, d'une part des activités de soins classiques et, d'autre part, des activités consacrées aux techniques innovantes de diagnostic et de traitement, techniques de plus en plus sophistiquées et performantes, nécessitant un savoir-faire qui s'acquiert lentement et se transmet de maître à élèves.

Ainsi, coexistent dans le même établissement des activités qui ne sont pas significativement différentes de celles qu'on est en droit d'attendre d'un établissement public de qualité, et des activités d'innovation clinique et technologique. De même, les laboratoires sont appelés à des tâches classiques ou à des fonctions de recherche clinique et fondamentale.

Il faut bien reconnaître que ces activités sont prises en compte de la même manière au sein des hôpitaux universitaires. Aucune distinction n'est faite entre ces différentes activités au plan financier et comptable.

Dès lors, l'activité des services de proximité est organisée selon le même schéma hospitalo-universitaire que des services hautement qualifiés. Et les surcoûts de prise en charge qui en découlent ne sont pas actuellement correctement appréhendés.

Je m'interroge sur la possibilité de distinguer au sein d'un même hôpital des unités ayant une vocation essentiellement tournée vers les soins classiques et d'autres qui relèvent avant tout d'activité de recherche.

Il va de soi qu'une telle démarche, si elle devait être engagée, devrait tenir compte des nécessités de l'enseignement.

De même, devra-t-elle contribuer à une insertion plus assurée du CHU au sein d'un véritable réseau de soins, gradué et coordonné.

Je souhaite que les prochains mois permettent d'approfondir ensemble notre réflexion pour une organisation rénovée des centres hospitaliers universitaires. Je sais combien ce sujet est délicat. Je me doute qu'il ne sera guère populaire Il n'en est à mon sens que plus urgent que cette réflexion soit menée en concertation et sans a priori.

Tout aussi fondamentales me paraissent être les évolutions indispensables du personnel hospitalo-universitaire.

Au fil des ans, la pyramide médicale s'est inversée. Actuellement, 75 % des personnels médicaux sont professeurs, maîtres de conférences ou praticiens hospitaliers et 25 % sont assistants hospitalo-universitaires ou chefs de clinique.

Il y a 20 ans c'était le contraire alors que les étudiants en médecine étaient trois fois plus nombreux.

Cette diminution du nombre des chefs de clinique explique la lourdeur de leurs tâches de soins et, pour ceux qui s'y destinent, leur manque de disponibilité pour la recherche biomédicale universitaire dont les performances s'en trouvent d'autant diminuées.

Enfin j'observe que le nombre de praticiens hospitaliers non universitaires dans les Centre Hospitaliers Universitaires est maintenant l'équivalent de celui des hospitalo-universitaires sans que la mission des uns et des autres ait été bien définie, suscitant parfois amertume et frustration.

Si ces évolutions contrastées entre les différentes catégories, de praticiens exerçant dans les hôpitaux universitaires ne sont pas maîtrisées, on peut craindre qu'il soit difficile d'assurer un parfait équilibre entre les différentes missions des CHU.

Il faut donc progressivement renverser la tendance. Si des créations de postes sont possibles, elles devront porter en priorité sur les chefs de cliniques et les assistants dont vous savez mieux que moi le rôle essentiel dans les Centres Hospitaliers Universitaires.

Le dernier point que je souhaite évoquer a trait à l'enseignement et à la recherche. Le ministre chargé de la Santé doit se préoccuper de la qualité des futurs médecins ; il contribue au financement de la recherche clinique ; il a la cotutelle de l'INSERM.

C'est pourquoi j'attache une importance toute particulière à l'amélioration de l'enseignement pratique a l'hôpital que ce soit au cours du 2e ou 3e cycle. Je souhaite que l'accent soit mis sur la formation des généralistes et sur l'enseignement de la santé publique qui doit devenir un des pivots de l'enseignement universitaire. Ce n'est que lorsque nous disposerons d'un vivier nombreux de spécialistes de santé publique et d'épidémiologistes que nous pourrons mieux définir les orientations de notre politique de santé et effectuer les choix, indispensables dans une perspective qui ne sera plus comptable mais qui tiendra mieux compte des réalités médicales.

L'amélioration de la recherche dans les Centres Hospitaliers Universitaires passe par une collaboration étroite avec les unités INSERM et CNRS.

La coopération entre chercheurs, cliniciens et biologistes de Centres Hospitaliers Universitaires est une nécessité.

J'encouragerai la politique de site, amorcée à l'INSERM, pour regrouper, sous forme d'instituts de recherche des unités INSERM et CNRS, des laboratoires de Centres Hospitaliers Universitaires, des services cliniques de pointe. La recherche clinique est indissociable de la recherche fondamentale et doit s'appuyer sur elle.

La formation doctorale que dispense le DEA, nécessaire à toute carrière hospitalo-universitaire doit être le catalyseur de ces instituts.

Les Centres Hospitaliers Universitaires sont à un tournant décisif de leur histoire.

Des modifications majeures sont nécessaires. Elles ne pourront se faire que dans la concertation, en particulier avec vos conférences respectives.

La période que nous traversons est difficile car elle nous impose le changement à un rythme soutenu.

Et pourtant, nous savons tous que le secteur de la médecine est sans doute celui qui, au cours des dix dernières années, a connu le plus de progrès. Qui pouvait prévoir il y a dix ans les prodiges que les médecins et les recherches pourraient accomplir aujourd'hui ?

C'est pourquoi je suis convaincue que, ensemble, nous parviendrons à relever les défis des prochaines années.

Soyez assurés que le gouvernement et l'ensemble des Français savent ce qu'ils vous doivent et ont pleine confiance dans vos capacités à bâtir l'hôpital et la médecine de demain.