Texte intégral
Démocratie et emploi : les enjeux du 12 juin
L'UDF bien mené jusqu'ici la préparation des élections européennes. Elle doit maintenant bien conduire la campagne. Elle doit le faire en partenariat étroit avec le RPR, puisque nous avons fait le choix d'une liste commune UDF-RPR.
Pour ma part, je conduirai la campagne sur deux thèmes : le premier est qu'il faut voter aux Européennes ; le second est qu'il faut forcer l'Europe à s'occuper de l'emploi.
Il faut voter aux Européennes
Cette affaire n'est pas une affaire banale mais une entreprise historique commentée il y a cinquante ans et qui n'a cessé de progresser. Au fond, c'est avec le traité d'Union Européenne qu'a été créée l'idée de citoyenneté européenne. C'est pourquoi, nous voterons pour la première fois, en juin 1994, comme des citoyens européens.
À cette raison de fond, raison historique, vient s'en ajouter une autre : voter est la seule manière pour un individu de peser sur la façon dont l'Europe est gérée.
Si on a des critiques à formuler sur la façon, dont sont conduites les affaires de l'Europe ou des demandes à exprimer, il faut voter.
Il faut voter pour que l'Europe de Strasbourg contrôle mieux l'Europe de Bruxelles. Nous sommes là non pour nous faire l'écho des critiques mais pour défendre l'Europe. Nous pensons et nous regrettons tous que le contrôle démocratique sur la vie de l'Europe ne soit pas plus actif et plus visible. Nous souhaiterions que les uns et les autres, dans nos régions, dans nos villes, dans nos professions, puissions faire connaître nos sentiments sur les solutions à apporter aux problèmes qui se posent à l'échelle de l'Europe.
En votant le 12 juin, on soutient en Europe démocratique et en s'abstenant, on laisse faire une Europe technocratique.
"Il faut forcer l'Europe à s'occuper de l'emploi"
Lorsque vous voterez le 12 juin, vous le ferez pour l'Europe mais je sais que beaucoup d'entre vous penseront au problème de l'emploi. Chacun ressent, je crois, qu'il y a un lien entre l'Europe et l'emploi et donc entre la décision à prendre et le problème le plus obsédant, le plus angoissant de la France d'aujourd'hui. Beaucoup de gens pensent que l'Europe créée le chômage. D'autres pensent que l'Europe crée de emplois. On peut rappeler l'exemple exaltant de l'aviation civile et des transports à longue distance, les grands chantiers européens de communication, le tunnel sous la Manche, le TGV Nord … On peut dire aussi qu'il n'y a pas ou qu'il n'y a plus, en France, de petites entreprises industrielles, en mécanique, en technologie de pointe, en services de pointe, qui ne pourraient survivre dans le marché européen. L'Europe crée des emplois.
Pour autant, il faut bien reconnaître que ce qui a été fait ces dernières années en matière d'emplois, au niveau européen, reste largement insuffisant. Il faudra donc demander aux futurs élus de notre liste, que je souhaite le plus nombreux possible, de réclamer une action européenne commune pour l'emploi.
Notre objectif n'est pas d'arrêter la montée du chômage comme on le dis trop souvent. C'est le retour au plein emploi. Peut-on concevoir la destruction du tissu social de la France et le désespoir des générations qui arrivent actuellement en âge de travailler si nous restons indéfiniment avec plus de 10 % de notre population à la recherche d'un emploi, c'est-à-dire coupée du lien social de notre société moderne. L'objectif de l'UDF n'est donc pas d'arrêter la montée du chômage mais le retour au plein emploi. Cela ne se fera pas en revenant aux emplois d'hier mais en allant vers les emplois de demain.
Mais on peut revenir au plein emploi que si on change un certain nombre de situations fondamentales en France. Les entreprises ne feront pas disparaître le chômage à long terme, elles ne feront pas disparaître le chômage des jeunes mais elles peuvent faire disparaître, et l'espère que nous en aurons des signes, le chômage conjoncturel. C'est aux politiques de changer et c'est de tout changement seul que dépendra le retour au plein emploi.
L'UDF est aujourd'hui à la tête du combat pour l'Europe. Elle sera demain à la tête du combat pour le retour au plein emploi.
Vendredi 3 juin 1994
RMC
P. Lapousterle : On a l'impression que vous mettez le turbo dans la campagne ?
V. Giscard d'Estaing : Je n'ai pas été tellement discret puisque j'ai participé à de réunions dès le début. Mais il est vrai que je suis partisan de campagnes courtes parce que l'opinion publique ne peut pas s'intéresser très longtemps à des sujets complexes. C'est toujours vers la fin de la campagne qu'il faut accélérer. C'est pourquoi j'apporte un soutien des plus déterminés à la liste unique RPR-UDF de D. Baudis et d'H. Carrère d'Encausse.
P. Lapousterle : La majorité a-t-elle la meilleure liste possible et mène la meilleure campagne possible ?
V. Giscard d'Estaing : La meilleure liste possible, je le crois. Je me réjouis du choix des deux têtes de listes. Il ne faut pas comparer la campagne de 1989 avec celle de 1994 parce qu'en 1989 on était dans l'opposition. Il ne faut pas oublier cela. Ce n'était pas la même situation politique. Actuellement, c'est la liste de la majorité. Elle fait une très bonne campagne. Je ne peux pas comparer à 1989. Ce serait difficile, de ma part, je mènerai alors cette campagne. Mais je trouve que c'est une bonne campagne qui est moderne, honnête, ce qui tranche, et qui est communicante.
P. Lapousterle : Moins d'un Français sur deux déclare vouloir aller voter le 12 juin.
V. Giscard d'Estaing : Ce n'est pas un sujet drôle. Les institutions européennes, le fonctionnement d'une Communauté qui ne fonctionne pas très bien à un moment où nous avons une crise militaire, en Bosnie-Herzégovine, où nous nous sommes hélas relevés assez largement incapables d'agir tout seuls, et une crise sociale avec un chômage-record dans la Communauté, tout cela n'est pas gai. Je comprends bien que ce soit une campagne sérieuse qui exprime une certaine préoccupation. J'espère bien que les Français vont aller voter, pour eux et pour la France. Il faut bien voir quel intérêt pourrait avoir la France d'être absente du débat européen ou des endroits où les décisions vont se prendre. Dans les cinq prochaines années, on va prendre des décisions très importantes en Europe ; on va se décider sur le point de savoir s'il faut une monnaie unique ou non. C'est quand même très important pour les Français de savoir si leur épargne, leurs achats se feront en ECU ou dans des monnaies qui flottent les unes par rapport aux autres. Il va falloir reformer les institutions européennes. S'il y a un point sur lequel tout le monde est d'accord, c'est qu'elles ont besoins d'être reformées. Comment et dans quel sens ? Je souhaite que les Français donnent leur opinion et soient présents au Parlement européen pour influencer cette réforme.
P. Lapousterle : Les candidats n'ont-ils pas L'Europe honteuse dans cette campagne ?
V. Giscard d'Estaing : Il y a deux raisons aux désintérêts des Français. Le milieu politique et les journalistes s'intéressent beaucoup à l'élection présidentielle qu'à l'élection européenne. Ils voient les élections européennes en se demandant ce qu'elles pourraient donner pour les présidentielles. Évidemment, ça ne les motive pas beaucoup pour parler e l'Europe. La deuxième raison, c'est qu'il y a trop de listes, que ça brouille un peu le débat. Certaines des listes sont positionnées sur des sujets qui ne sont pas vraiment européens. Le total des listes qui ont une position favorable à la construction européenne de dépasser largement 50 %. Ça va donner un message aux Français : poursuivez et améliorez l'union de l'Europe.
L'améliorer, comment ? C'est ce que propose notre liste en disant très précisément ce qu'il faut faire, en particulier la monnaie européenne, des institutions qui permettent de décider tout en évitant d'intervenir dans des sujets de proximité ou de la vie quotidienne où il faut laisse les collectivités nationales et locales régler les problèmes. Il faut aussi défendre la place de la France en Europe. Nous sommes un pays fondateur de l'Union européenne. Nous avons donc des droits. Il faut être présents pour les affirmez et les défendre.
P. Lapousterle : Ne regrettez-vous pas qu'il y ait deux listes pour la majorité ?
V. Giscard d'Estaing : S'il n'y avait pas eu la cohabitation, il y aurait deux listes. Dans une situation politique normale, il était tout à fait légitime que le RPR propose sa version de l'Europe et que l‘UDF propose sa version plus engagée de l'Union européenne. Mais nous sommes dans une situation politique particulière et difficile, qui est celle de la cohabitation. Il faut que la majorité montre son unité. Il fallait faire l'effort que nous nous sommes imposés : aboutir à une liste commune et à une liste commune. Cet effort, l'UDF l'a mené avec beaucoup de foi. On a abouti à un projet qui est très largement conforme aux propositions que l'UDF comptait faire sur l'Europe. Il y a un point très important : que tous nos députés aillent siéger dans le même groupe. C'est pour moi presque l'essentiel. À la limite, le programme va bouger, puisque la vie bouge. Par contre, si les députés sont dans le même groupe, ils feront la même chose, ils agiront dans la même direction. Ils se sont engagés par écrit, dans notre programme à aller tous siéger dans le même groupe : le PPE.
P. Lapousterle : Faudra-t-il un candidat UDF pour la présidentielle ?
V. Giscard d'Estaing : Je n'ai rien à dire sur l'élection présidentielle à l‘heure actuelle, rien à dire et rien à retrancher à ce que j'ai pu dire l'autre jour à la télévision. Il faut laisser les élections se passer de l'ordre. Les Français ne s'intéressent pas beaucoup à l'élection européenne. Si on leur parle en plus d'une élection présidentielle, vous brouillez tous les messages. Jusqu'à l'élection européenne, je parlerai à l'Europe. Je n'ajouterai ni ne retrancherai rien à ce que j'ai dit jusqu'ici sur ce sujet.
P. Lapousterle : Quand vous avez annoncé vouloir dévoiler vos projets pour la France pour la période 1995-2000, pourquoi de cinq ans ?
V. Giscard d'Estaing : Vous venez de donner la réponse à votre insu ! 2000 est une date très forte. Il y a des images et des symboles pour les gens. Nous allons célébrer le cinquantième anniversaire du Débarquement. Quand j'étais Président de la République, nous avons célébré la 35e anniversaire du Débarquement. C'était passé inaperçu. 50 est un chiffre très fort. Quand on se rapprochera de l'an 2000, ce sera très fort. Qu'aura-t-on terminé avec le millénaire ? Que commencera t-on avec le millénaire suivant ? Ça fait une tranche de temps qui sera vécu intensément par les gens dans leur vie individuelle et collective. La seconde raison, c'est que le mandat présidentiel est trop long en France. Cela empêche le rajeunissement, la rotation régulière de nos dirigeants politiques. J'espère que dans l'intervalle une réforme voulue par les Français, par près de 80 % des Français, sera enfin réalisée par le milieu politique ?
P. Lapousterle : C'est encore possible avant la présidentielle ?
V. Giscard d'Estaing : Ça serait raisonnable. Mais vous savez qu'en France, on a du mal à faire aboutir les réformes, même évidentes. Quand vous avez 80 % des gens qui sont d'accord, le Premier ministre qui dit que c'est nécessaire et le Président de la République qui dit qu'il n'y fera pas obstacle, pourquoi ne pas le faire ?
P. Lapousterle : Pourquoi ?
V. Giscard d'Estaing : On a toujours du mal à faire en France des réformes à temps. C'est ce qui explique une partie de nos difficultés. Mendes-France avait dit "gouverner, c'est choisir". Pour moi, gouverner, c'est anticiper. Quand vous voulez gagner une partie, il faut anticiper. Il faut voir ce que va faire l'adversaire, à l'avance, il faut préparer son coup. À ce moment-là, on gagne.