Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur l'effort accompli par le département d'Ille-et-Vilaine en matière d'insertion et les expérimentations qui sont envisagées pour les personnes âgées dépendantes, Rennes le 13 juin 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales de la santé et de la ville

Circonstance : Assemblée générale du Conseil général d'Ile-et-Vilaine, à Rennes le 13 juin 1994.

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président, 
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,

Cela faisait très longtemps que je souhaitais me rendre en Ille-et-Vilaine pour voir concrètement le travail exemplaire que vous accomplissez dans le domaine social. C'est donc aujourd'hui une très grande joie d'être pour moi parmi vous.

Joie, je dirais, du simple citoyen qui observe la société si dure aux faibles dans laquelle nous vivons, et qui trouve ici les motifs concrets de croire que les solidarités de notre société sont suffisamment solides pour ne pas laisser, malgré les difficultés, certains de nos concitoyens dériver vers la grande marginalité.

Joie également du ministre des Affaires sociales devant le dynamisme de ce département en matière sociale, devant ses capacités d'innovation, ses capacités de mobilisation de l'ensemble des acteurs : les associations, les collectivités locales au premier rang desquelles les communes et les départements, l'État, le monde économique et bien sûr des intéressés eux-mêmes.

Vous avez rappelé, monsieur le ministre, les efforts de votre gouvernement pour l'insertion, ainsi que votre volonté d'innover dans le domaine de la dépendance des personnes âgées, et vous m'avez invitée à m'exprimer sur ces deux sujets.

Le devoir d'insertion est, d'une certaine manière, inscrit dans notre Constitution. Rappelons-nous, en effet, les termes du préambule de la Constitution 46, par lequel furent consacrés de la manière la plus solennelle les droits sociaux de l'individu : « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous la protection de la santé, de la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge ou de son état physique mental, de la situation, économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Cette déclaration de principe qui est l'un des socles de notre droit a gardé toute sa force. Elle nous rappelle que la mise en œuvre de la solidarité nationale est une responsabilité éminente des pouvoirs publics et que cette responsabilité ne peut être abdiquée.

Elle doit d'autant moins l'être aujourd'hui que la mutation économique très profonde que nous traversons menace de déchirer en profondeur notre tissu social.

Elle doit d'autant moins l'être que les pouvoirs publics sont, à travers la montée de l'exclusion et des phénomènes de marginalité sociale, directement interpellés sur les politiques sociales dont ils ont la charge, sur leur efficacité, sur leur coût, sur les priorités qu'ils sont contraints de fixer afin d'appréhender les difficultés de ceux qui sont les plus démunis.

Alors bien sûr, la mise en œuvre de la solidarité nationale suppose d'abord de faire face à l'urgence, d'entendre la voix de ceux qui n'ont plus rien, leur tendre la main, en un mot remédier à l'intolérable.

Mais des dispositifs comme ceux concernant l'accueil d'urgence en hiver ne sont, chacun peut le comprendre, que l'expression la plus immédiate de la solidarité nationale. Il faut bien sûr aller plus loin, lutter sans relâche contre ce cancer social qui est l'exclusion, sur tous les terrains. Il ne faut pas seulement faire face à l'urgence, mais agir le plus en amont possible afin de limiter l'extension du fléau.

C'est bien ce que, depuis des années, vous avez compris en Ille-et-Vilaine. Je dirais même que vous l'avez compris avant que la crise ne devienne si dure. Et c'est peut-être pour cela que vous êtes mieux armés que d'autres pour faire face à la situation sociale si difficile que nous connaissons aujourd'hui.

L'insertion passe, pour la plupart de nos concitoyens, par une activité adaptée à leurs capacités et par le statut social qui s'y attache. Vous adhérez pleinement à cette approche et surtout, vous savez en tirer des conséquences pour le dispositif d'insertion que vous animez.

Je voudrais citer quelques chiffres qui illustrent bien cette politique active de tous les acteurs du département pour favoriser l'insertion socio-professionnelle de tous, et en particulier les bénéficiaires du RMI, en proposant une mise en situation rapide, par une proposition d'activité susceptible de renforcer leur sentiment d'utilité dans notre société.

Sur les 7 400 bénéficiaires du RMI que comptait l'Ille-et-Vilaine au 31 décembre dernier :

Plus de 70 % avaient signé au moins un contrat d'insertion.

40 % des contrats d'insertion comprenaient une mesure pour l'emploi financée par l'État, qu'il s'agisse d'un contrat emploi-solidarité, d'un emploi consolidé, d'un contrat de retour à l'emploi, d'actions d'insertion sous forme d'insertion par l'économique ou d'autres encore. Le chiffre n'est que de 22 % France entière.

Une personne sur cinq sortant du dispositif l'avait fait pour une reprise d'emploi.

Il y a donc une mobilisation exceptionnelle de l'ensemble des outils permettant le retour à l'emploi. Et à tous ceux qui s'étonnent de ce qu'on appelle dans le jargon administratif « le recentrage des dispositifs emploi sur les plus exclus », c'est-à-dire tout simplement le fait de réserver les outils les plus subventionnés à ce qui en ont le plus besoin, je peux répondre dorénavant regardez ce que fait l'Ille-et-Vilaine.

Bien sûr la situation n'est pas parfaite. Le nombre d'allocataires du RMI continue à croître. Mais la croissance est inférieure à la croissance en métropole (19,9 % contre 21,1 %).

Les nouveaux arrivants au RMI n'ont d'ailleurs pas exactement le même profil que leurs aînés. Ils sont en moyenne de plus en plus jeunes (35 % des bénéficiaires ont moins de 30 ans en 1993 contre 27 % en 1990), ils sont de plus en plus isolés (80 % vivent sans conjoint contre 74 % en 1990), mais aussi de plus en plus de diplômés (un nouveau bénéficiaire sur trois dans les zones urbaines ou péri-urbaines a au moins le baccalauréat).

Je voudrais souligner un autre point : l'Ille-et-Vilaine a su montrer depuis des années, sa capacité d'être un laboratoire d'idées, une source d'innovations locales qui peuvent ensuite se développer à l'échelle nationale.

Je pense par exemple à ce qui a été organisé dans ce département en matière d'insertion par l'économique. Vous avez su créer une diversité de possibilités pour permettre à des personnes en difficulté d'accéder à une activité économique qui mérite une analyse attentive, à travers les chantiers d'insertion, les entreprises d'insertion, les ateliers d'insertion pour faciliter l'accès à l'emploi de ceux qui en sont le plus proche, tout en permettant de développer le lien social préalable à l'emploi, pour ceux qui ont été durablement éloignés du marché du travail.

Je sais également que vous cherchez aujourd'hui à trouver les moyens de vous adapter à ces nouvelles populations en situation d'exclusion.

Je voudrais citer ici cette action expérimentale le « remue-méninge » dont les résultats me semblent, à première vue du moins, extrêmement encourageants. En mars dernier, il y a donc quelques mois à peine, la Commission Locale d'Insertion regroupant les communes du Sud de Rennes, devant l'entrée importante au RMI de personnes jeunes diplômées, a décidé de mettre en place une opération expérimentale concernant neuf diplômés de l'enseignement supérieur bénéficiaires du RMI.

Cette opération, d'une durée de six jours, s'est déroulée sur deux mois et s'est achevée par une demi-journée de simulation de recrutement, véritable mise en pratique des acquis face à des chefs d'entreprise d'Ille-et-Vilaine.

Résultat au premier juin, déjà cinq d'entre eux ont un contrat de travail en entreprise.

L'innovation, je la vois également dans votre volonté de mobiliser le monde économique à travers l'Union professionnelle d'Ille-et-Vilaine, la Chambre de Commerce et d'Industrie mais aussi des entreprises privées comme la société de travail temporaire ECCO qui depuis le début des années ont accepté, tous les lundis, que son agence située dans le centre de Rennes s'ouvre aux bénéficiaires du RMI.

L'Ille-et-Vilaine est donc l'exemple d'un département où l'insertion se porte bien. En fait, lorsqu'on observe l'ensemble des résultats en matière de RMI, on peut tirer un certain nombre d'enseignements.

Tout d'abord, le RMI fonctionne mieux dans les départements de taille moyenne. Les résultats sont un peu décevants dans les gros départements urbains. Nous avons donc un problème à résoudre comment traiter ces départements qui sont aussi les départements dans lesquels un grand nombre d'allocataires du RMI sont concentrés dans les quartiers de la politique de la ville.

Second enseignement : l'insertion marche bien lorsqu'il y a une mobilisation de l'ensemble des acteurs et lorsqu'il y a un patron qui se sent responsable. Je sais bien que certains me poussent à décentraliser le RMI et l'ensemble des dispositifs d'insertion. Une décentralisation aurait des avantages bien sûr, mais aussi un certain nombre d'inconvénients que le monde associatif ne manque pas de souligner régulièrement.

Je suis persuadée qu'il n'y pas de formule miracle, mais qu'il faut que nous trouvions dans chaque département un patron qui se sente investi du fonctionnement des dispositifs d'insertion.

Troisième et dernier enseignement que je citerai aujourd'hui. Même dans les départements où il y a de bons résultats, où il y a une mobilisation exceptionnelle, nous nous trouvons devant un véritable défi.

La montée du chômage de longue durée, du nombre d'allocataires du RMI, de jeunes sans qualification et sans avenir, devient insoutenable. Nous sommes devant un risque de déchirure sociale grave.

La croissance revient, et nous nous en réjouissons tous. Chaque semaine sont publiés de nouveaux indicateurs qui nous rendent optimistes quant à la capacité de notre économie à renouer durablement avec la croissance et donc avec l'emploi.

Toutefois, le lien entre les deux concepts n'est pas aussi systématique et rapide qu'on le pensait il y a encore quelques années. Nous savons qu'il faudra des années avant que la création d'emplois ne permette à tous ceux qui le souhaitent de retrouver un emploi et nous devons nous interroger pour savoir s'il n'est pas temps de franchir une nouvelle étape dans la mise en activité des personnes en grande difficulté pour leur permettre de retrouver un statut.

C'est un des points que nous examinons dans le cadre de la préparation du programme de lutte contre l'exclusion que le Premier ministre a annoncé.

La cohésion sociale est un gigantesque défi pour nos pays occidentaux.

Les solidarités familiales ou de voisinage, les solidarités locales et bien sûr nationales permettent de rendre la vie un peu moins dure aux faibles. Mais plus les personnes sont dans la difficulté, plus il est nécessaire de les aider individuellement. Plus le nombre d'exclus augmente, plus nous sommes condamnés à trouver de nouvelles solutions.

J'en viens maintenant à la question de la dépendance des personnes âgées dont je sais qu'elle vous préoccupe beaucoup, comme elle préoccupe toutes les assemblées départementales de France.

Vous êtes en effet, du fait des compétences qui vous ont été dévolues par les lois de décentralisation, particulièrement bien placés pour apprécier les besoins réels des personnes âgées dépendantes, et les moyens que la collectivité devrait y consacrer, et, par ailleurs, vous supportez sur votre budget une partie importante de l'effort qui est fait aujourd'hui en leur faveur.

Pierre Méhaignerie m'a d'ailleurs entretenue à plusieurs reprises, avec passion, des difficultés que la situation actuelle vous crée.

Aussi, je voudrais maintenant vous exposer la voie que je vous propose d'emprunter, pour que nous fassions progresser ensemble ce dossier de la dépendance, et vous indiquer également les mesures de rationalisation de l'allocation compensatrice et des COTOREP que je souhaite prendre.

Vous savez que le Gouvernement a envisagé de déposer un projet de loi traitant de la dépendance des personnes âgées au cours de cette session parlementaire. Une de ses dispositions essentielles aurait été la création d'une allocation destinée aux personnes âgées dépendantes, qui se serait substituée à l'allocation compensatrice.

À l'issue de la concertation que j'ai menée sur ce projet avec les partenaires sociaux, le comité national des retraités et des personnes âgées et l'assemblée des présidents de conseils généraux, il s'est avéré que le dépôt de cette loi n'était pas possible maintenant, compte tenu de l'importance des problèmes non résolus.

Tout d'abord, la réaffectation vers la nouvelle allocation des sommes aujourd'hui consacrées par les départements à l'allocation compensatrice pour les personnes âgées posait des problèmes techniques très difficiles, alors même qu'une opération de clarification des relations financières entre l'État et les collectivités locales est en cours et n'a pas encore été menée à son terme.

Ensuite la nouvelle allocation aurait exigé un financement supplémentaire que nous avions pensé obtenir grâce à l'augmentation des cotisations d'assurance maladie des retraités, qui sont aujourd'hui sensiblement inférieures à celles des actifs. Les réactions des partenaires sociaux et des retraités eux-mêmes nous ont conduits à écarter cette hypothèse.

De plus, des préalables techniques indispensables à la mise en œuvre d'une nouvelle prestation devaient être poursuivis, comme la validation d'une grille nationale d'évaluation de la dépendance et la mise sur pied d'une coordination effective entre tous les acteurs institutionnels concernés.

Enfin, l'incertitude qui affectait l'estimation du nombre réel de personnes âgées dépendantes rendait très aléatoire la mise au point du plan de financement de cette nouvelle allocation.

Pour autant, nous ne renonçons pas à la création d'une allocation pour les personnes dépendantes, mais nous la préparons. Pour cela, nous allons expérimenter dans plusieurs départements volontaires des formes nouvelles de coordination entre les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale, à l'occasion desquelles nous validerons les outils et les procédures indispensables. Il s'agit en effet de faciliter l'information et l'orientation des personnes âgées dépendantes et de leur famille et de mieux utiliser les moyens dégagés par les différentes collectivités.

Le Sénat a d'ailleurs adopté, sur la proposition de sa commission des affaires sociales, un amendement qui donne une base législative à ces expérimentations et crée un comité national chargé d'en assurer le suivi et d'en établir le bilan.

Le comité sera composé de représentants des deux Assemblées, des collectivités territoriales, des organismes de sécurité sociale et du comité national des retraités et des personnes âgées.

Ces expérimentations sont nécessaires et apporteront au Gouvernement les enseignements indispensables pour qu'un texte généralise, le moment venu, les meilleures solutions qui auront été mises en place.

Cependant, j'ai conscience que le report du texte de loi sur la dépendance laisse en l'état les problèmes liés à la dérive de l'allocation compensatrice, et à la composition de la COTOREP.

C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de rationaliser et de clarifier, par la voie réglementaire, un dispositif qui ne donne aujourd'hui satisfaction ni aux usagers, ni aux collectivités territoriales.

Des projets de décret ont été préparés et ils font actuellement l'objet d'une concertation auprès des associations représentatives des personnes handicapées et de l'assemblée des présidents de conseils généraux.

Sans préjuger des résultats de cette concertation, et des enrichissements qu'elle permettra d'apporter aux projets de décrets, les modifications devraient porter sur les trois points suivants :

La représentation des conseils généraux au sein des COTOREP sera élargie. Plusieurs conseillers généraux y siégeront, au lieu d'un seul aujourd'hui. Le Président du conseil général désignera des personnalités qualifiées, et pourra également désigner des membres de l'équipe technique chargée d'instruire les dossiers.

Les modalités du contrôle de l'effectivité de l'aide apportée aux titulaires de l'allocation  compensatrice seront définies. Il s'agit d'un aspect essentiel de la clarification que nous souhaitons, puisqu'il nourrit aujourd'hui beaucoup des critiques apportées à l'allocation Compensatrice. Le Président du conseil général sera doté d'un pouvoir de suspension de l'allocation si les éléments justifiant l'effectivité de l'aide ne sont pas fournis.

Enfin, le montant de l'allocation compensatrice sera limité, en hébergement, au prix de journée réellement supporté par la personne hébergée, après mobilisation de ses ressources.

Ainsi nous apporterons à la question de la dépendance une réponse transitoire, qui permettra à la fois de préparer une réforme d'une plus grande ampleur, grâce aux enseignements apportés par les expérimentations et de tenir compte des difficultés nées, pour les départements, de la dérive de l'allocation compensatrice.

Je connais votre volontarisme, monsieur le Président, mesdames et messieurs, et les efforts que vous menez d'ores et déjà pour favoriser la cohésion sociale dans votre département et répondre aux attentes des personnes âgées dépendantes et de leurs familles.

Je prends acte de votre proposition de participer à la mise en place d'un dispositif expérimental d'aide aux personnes âgées dépendantes.

Pour apporter des solutions aux problèmes qui nous sont posés par la crise économique et par le vieillissement de la population française, nous avons besoin de partenaires enthousiastes, imaginatifs et sérieux. Je sais que le département de l'Ille-et-Vilaine est un de ceux-là.

J'attends, vous l'avez compris, une mobilisation de tous au service de la cohésion sociale de notre pays. Je sais que je peux compter sur vous. Sachez que vous pourrez toujours compter sur moi.