Texte intégral
Le Figaro : 22 novembre 1994
Le Figaro : L'UDF est tellement divisée qu'on peut se demander si elle existe encore. Qu'en est-il ?
B. Bosson : L'UDF aurait pu et aurait dû être le parti de la rénovation. Elle n'a été qu'une volonté de restauration. Elle a été dirigée de telle sorte que, pour la première fois depuis sa création, elle n'est pas aujourd'hui capable de présenter une candidature crédible à l'élection présidentielle.
Le Figaro : À vos yeux, la candidature de Charles Millon n'est pas crédible ?
B. Besson : J'ai beaucoup d'estime et d'amitié pour Charles Millon. S'il fallait une candidature de témoignage, ce serait une bonne candidature. Mais, après quatorze années d'échecs, je veux gagner et faire gagner nos idées.
Le Figaro : Êtes-vous résolument hostile à toute candidature UDF ?
B. Besson : Il y a une chose dont je suis sûr depuis plusieurs années Valéry Giscard d'Estaing, avec toute l'estime que je pour lui, ne peut pas redevenir président de la République. C'est peut-être injuste, mais c'est comme ça. J'avais prévu que l'on allait dans le mur avec l'UDF, puisque toute la stratégie de la confédération a été mise au service d'un seul homme. J'étais également certain que la confrontation entre le président du RPR, Jacques Chirac, et un candidat tel que Michel Rocard ou, ce qui est encore plus dangereux pour la majorité, Jacques Delors, conduirait a deux résultats : la perte de l'élection présidentielle et des dégâts dans l'électorat de ma propre formation politique. Voilà pourquoi je travaille depuis quatre ans avec Édouard Balladur. Voilà pourquoi je souhaite que nous choisissions le candidat pouvant unir et rassembler la majorité pour gagner. Je proposerai au CDS de se prononcer démocratiquement, très rapidement pour un candidat d'union.
Le Figaro : Quel avenir voyez-vous à l'UDF ?
B. Besson : Il faudra demain construite une nouvelle UDF. Une UDF plus confédérale, s'enrichissant de ses composantes, de ses différences, une UDF qui ne se prenne pas pour un parti politique, qui ne sont pas au service d'un homme. Comme président possible pour conduire cette évolution, je pense, parmi d'autres, à Pierre Méhaignerie.
Le Figaro : Pensez-vous que Charles Millon pourra maintenir sa candidature jusqu'au bout ?
B. Besson : Jusqu'où ? Encore une fois, sa candidature conduira, au soir du 1er tour à 20 h 01, à rallier l'autre candidat de la majorité, qui aura été choisi sans nous par les autres électeurs de la majorité. Pour nous, ce serait le pire des ralliements.
Le Figaro : Et vous pensez que la candidature unique, pour laquelle vous n'avez cessé de militer, peut encore voir le jour…
B. Besson : Bien sûr. Je crois que notre électorat, qui nous a déjà vu être majoritaire dans le pays mais perdre en 1981 et 1988, pense que l'union, cette fois-ci, est une nécessité absolue. Notre électorat sait que nous nous divisions pendant des semaines et que nous n'avons plus ensuite le temps et les moyens de panser les plaies entre les deux tours. Il peut y avoir des moments où il faut plusieurs candidats, pour ratisser large. Mais celle fois-ci, nous avons besoin de nous unir.
Le Figaro : Une élection à deux tours ne permet-elle pas, justement, la concurrence gauche et à droite, au premier tour ?
B. Besson : Notre électorat constate que nous faisons l'union à chaque élection (aux cantonales, municipales sénatoriales…) et il constate que personne ne veut la division… sauf à la présidentielle. Pourquoi tous ceux qui prônent la division à la présidentielle ne veulent-ils pas en entendre parler dans leur circonscription, dans leur mairie ? Si la division permet de gagner, il faut se diviser partout ! Que tout le monde alors se mette à accepter des primaires aux législatives, aux cantonales, aux sénatoriales !
Le Figaro : Quel est le moyen de faire émerger cette candidature unique ? Croyez-vous, vous qui avez toujours été très réticent sur cette procédure, à des primaires ?
B. Besson : Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing ont commencé par faire le même constat que moi, ils ont affirmé la même volonté. Ils ont signé solennellement le texte des primaires. Son contenu m’apparaît extrêmement lourd, je l'ai toujours dit. Mais c'est de la cuisine, de la mécanique. Il ne faut pas s'abriter derrière des problèmes de procédure. Si on veut un candidat unique, on peut avoir un candidat unique. Si on ne le veut pas, tous les prétextes sont bons pour dire que c'est impossible.
Le Figaro : Et concrètement ?
B. Besson : Mettons-nous autour d'une table. Que les candidats trouvent une solution, qu'ils montrent qu'ils sont responsables, dignes d'accéder à la plus haute fonction, qu'ils se conduisent en hommes d'État. On arrivera bien à trouver une procédure. Nous sommes bien capables de la faire pour toutes les autres élections.
Le Figaro : Mais encore ?
B. Besson : Il doit y avoir un réflexe, une volonté, un appel de l'électorat pour dire : assez ! Choisissez-en un choisissez le meilleur ! On ne va quand même pas permettre vingt et un ans de présidence socialiste, alors que nous sommes majoritaires dans le pays ! J'ai parfois l'impression de revoir un film : j'ai déjà vu le début, je revois les mêmes acteurs. Et je n'ai pas envie de voir la même fin, tragique, pour la troisième fois.
Le Figaro : Ne pensez-vous pas, ne craignez-vous pas que le clivage entre pro et anti Maastricht ne réapparaisse lors de l'élection présidentielle ?
B. Besson : Il est normal qu'il réapparaisse. L'Europe est un sujet important, qui sera au cœur de la campagne présidentielle, surtout si le candidat socialiste est Jacques Delors. Avec les élargissements successifs de l'Europe, qui sont souhaitables. L'Europe risque de se déliter. S'il n'y a pas un sursaut, la création d'une Europe a plusieurs cercles, une union qui permette à la fois l'élargissement et l'approfondissement pour tous ceux qui le veulent et le peuvent, sinon ce serait la fin de l'Europe communautaire. Le rendez-vous historique, il est entre le chancelier Kohl, réélu pour la dernière fois et qui veut l'Europe communautaire, et le prochain président de la République française.
Le Figaro : Comment, justement, différencier Jacques Delors et Édouard Balladur sur ce sujet européen ?
B. Besson : Vous savez que j'ai toujours été pour un CDS qui ne soit pas centriste, qui ne soit pas le marais, mais un chemin de crête, le parti de l'exigence. Je suis contre l'ambiguïté, l'hésitation. Nous devons clairement affirmer que nous sommes dans un camp. Nous sommes l'aile sociale, européenne de la majorité. Je suis européen, comme Jacques Delors, mais je ne suis pas socialiste. C'est la raison pour laquelle, je veux choisir le candidat qui, dans la majorité, a la vision la plus européenne, en tout cas la plus compatible avec la mienne. Pour faire gagner et nos idées et la majorité.
Le Figaro : Pour l'avenir que vous souhaitez à l'Europe, existe-t-il de réelles différences entre Édouard Balladur et Jacques Delors ?
B. Besson : Ce serait dangereux que de réunir tous les européens dans un camp et tous les anti-européens dans l'autre ; car le jour de l'alternance il n'y aurait plus de politique européenne. Le miracle européen, ce qui a permis à l'Europe d'avancer, c'est qu'il y a des européens dans tous les camps. Notre mission à nous, CDS, c'est d'être les européens les plus entraînants, les plus solides de la majorité. Nous ne pouvons laisser les deux Philippe – Séguin et de Villiers – devenir la voix de la majorité sur l'Europe. Si le CDS manquait de fermeté, de volonté, de courage, non seulement il trahirait ses valeurs mais il conduirait la majorité à sa perte. J'appelle les européens de la majorité à se mobiliser. Je leur proposerai une initiative pour travailler ensemble et dégager un projet européen pour le candidat de la majorité. J'en ai assez des stratégies de premier tour qui font perdre le second tour ! Il y a un moyen assuré de perdre l'élection présidentielle ce serait de faire de Jacques Delors le seul candidat européen. Cela, le CDS l'empêchera.
France Inter : Mercredi 23 novembre 1994
A. Ardisson : Votre collègue de la Fonction publique a estimé qu'on n'était pas dans une situation de conflit général en rappelant que les salaires des fonctionnaires avaient augmenté de 2,3 %. Est-ce que cela veut dire que ni les uns ni les autres, vous n'allez bouger un cil face à ces conflits ?
B. Besson : Cette grève me semble avoir deux causes. D'abord une revendication salariale et il faut rappeler que la fonction publique, l'année dernière a été plutôt une bonne année avec une augmentation réelle du pouvoir d'achat. Et quand on connaît la situation générale du pays, même sur fond de reprise, il faut tout de même relativiser les choses. Par contre, cette grève a un deuxième fondement, c'est une inquiétude. Dans mon ministère, le ministère se sent attaqué par l'Europe, vers le haut qui n'a pas toujours le respect du service public et par la décentralisation. Le ministère est un des piliers de l'État, il se sent ébranlé, il y a une inquiétude profonde des agents et chacun de nous, et moi en particulier, on peut le comprendre. Il y a ensuite, le problème des effectifs. Les agents veulent un très bon service public, ils ont tendance à ne pas comprendre qu'il est difficile de faire peser des emplois publics sur la perte d'emploi dans le privé en surchargeant nos entreprises et l'économie nationale et que l'équilibre est difficile entre qualité du service public et nombre des agents qui doit tout de même être limité. Et puis enfin, il y a une crainte diffuse que le gouvernement ne soit pas assez attaché au service public. Et là, je veux vraiment m'inscrire en faux. Nous nous battons pour le service public, nous sommes souvent les seuls, notamment en Europe, à nous battre pour le service public. Et sous la présidence de la Communauté que ce gouvernement va assurer en janvier, je mets tout en œuvre pour assurer une charte européenne du service public parce que c'est une valeur à laquelle nous sommes nombreux à croire.
A. Ardisson : On vit quand même dans un pays curieux parce que vous êtes finalement sensible aux revendications des grévistes, moyennant quoi, il y a quand même une grève et ils ont l'impression qu'il n'y a pas de réponses ?
B. Besson : Mais la réponse, on l'apporte tous les jours. Lorsqu'on se bat dans mon secteur pour le rail, pour améliorer le service public aérien ou le service de la météo, lorsqu'on se bat avec l'ensemble des conseils généraux de France pour essayer de trouver un équilibre entre décentralisation et nécessaire présence de l'État, on se bat tous les jours pour une certaine définition du service public.
A. Ardisson : Quand vous défendez une communication sur les transports combinés, ça fait partie de la même stratégie ?
B. Besson : C'est tout à fait dans la même stratégie. Le transport combiné consiste à utiliser le train pour l'essentiel d'un transport à longue distance et de ne prendre le camion que pour les deux bouts de ce transport. C'est l'un des grands avenirs du rail pour notre pays et dans le domaine du transport des marchandises. Nous multiplions le budget par six de manière à rendre le transport combiné compétitif et nous le faisons en liaison avec le transport routier et non plus en opposition, en mettant fin à cette guerre de tranchées entre le rail et la route. C'est vraiment l'avenir de la SNCF. On l'assure dans le cas du TGV, on essaye de l'assurer dans le cadre du transport combiné, on le fait avec la réforme du transport voyageur régional, en transférant de l'État vers les régions. Bref, nous essayons de construire la SNCF de l'avenir. Une SNCF qui va perdre cette année 9 milliards alors qu'elle reçoit déjà 42 milliards de l'État, pose un problème.
A. Ardisson : Un sondage tombe aujourd'hui et place J. Delors en tête, à 56 % face à J. Chirac. Dans le même temps, on voit que les Français ne sont pas très sensibles aux primaires.
B. Besson : Il y a longtemps que je dis que si la majorité continue à s'entre-déchirer, elle va perdre toute seule l'élection. On a déjà vu le film en 81 et 88. On a un véritable génie dans cette majorité, on est majoritaire dans le pays et on perd presque l'élection à nous tous seuls. On a à peine besoin d'avoir un candidat en face. Il faut arrêter le massacre. Il est donc tout à fait clair que nous avons besoin d'un candidat unique. La méthode – les primaires –, J. Chirac et V. Giscard d'Estaing l'ont mise au point et l'ont solennellement signée. Si à l'intérieur de ce qu'ils ont fait, il y a des choses impraticables, ce que je crois, il faut améliorer le texte mais tout cela c'est de la cuisine, le problème est de savoir si on a la volonté d'avoir un candidat unique ou non. La majorité a besoin d'un candidat unique car lorsqu'elle se déchire pendant trois mois, elle n'a pas le temps de panser les plaies et de faire l'union.
A. Ardisson : Mais vous croyez vraiment que les électeurs se sentiront engagés par le résultat des primaires. Imaginons que ce soit E. Balladur qui sorte vainqueur, qu'est-ce qui empêchera un candidat anti-européen ou moins européen de se présenter. Et à l'inverse, si c'est J. Chirac, qu'est-ce qui empêchera des électeurs pro-européens d'aller voter avec une canne à pêche ?
B. Besson : Ce dont je suis sûr, c'est que nos électeurs seront sévères si nous nous déchirons pendant trois mois de telle sorte que comme en 81, en 88, les électeurs du second préfèrent l'adversaire au concurrent. Nous devons gagner cette élection et il nous faut aller à l'élection unis.
A. Ardisson : C'est une question d'image finalement ?
B. Besson : Non, c'est une question d'intelligence. La majorité fait l'union à toutes les municipales, toutes les cantonales, toutes les législatives, les sénatoriales, il y a qu'une élection où elle se divise soi-disant pour gagner, c'est les présidentielles. Je dis à ceux qui ne sont pas pour l'union, acceptez donc la division partout, à commencer par votre propre élection, et tout à coup, ils ne sont plus d'accord.
A. Ardisson : Vous briguez la présidence du CDS qu'est-ce qui vous distingue de F. Bayrou ?
B. Besson : C'est un débat interne, mais comme il n'est pas là, je ne vais pas en débattre à travers les ondes. Ce que je veux faire du CDS, c'est un parti moderne, vivant, démocratique qui s'élargisse sur ses valeurs, un parti vrai qui unisse des personnes sur des convictions, qui ne soit pas un pavillon de complaisance. Et ce que je veux, c'est qu'on soit le parti de l'exigence éthique dans les mandats publics, de l'exigence sociale et européenne. Il y a un rendez-vous historique entre le chancelier Kohl et le président de la République française après ces élections je ne veux pas que les deux Philippe, Séguin et De Villiers, deviennent la voix de la majorité, je ne veux pas qu'on laisse à Delors, le monopole de l'Europe. Et le CDS, s'il trahissait ses valeurs, trahirait la majorité et conduirait à perdre les présidentielles. Nous sommes Européens et nous devons réunir la majorité de la majorité, qui est européenne, contre ceux qui ont une vision dépassée de notre continent.
A. Ardisson : Et vous mettez votre centre de gravité où ?
B. Besson : Nous sommes dans la majorité et c'est par notre force de conviction, avant, pendant et surtout après les présidentielles, que nous ferons gagner la majorité sur une vision d'une Europe communautaire, d'une Europe à cercles qui permette aux pays qui peuvent et veulent avancer, d'aller vers l'Europe politique.
A. Ardisson : 50 ans après la création du MRP, qu'est-ce que c'est qu'un centriste aujourd'hui ?
B. Besson : C'est un parti qui veut être vrai et exigeant, qui a une vision du nouveau modèle français qu'on doit construire et une vision de la Communauté européenne qui ne peut pas être un simple grand marché ultra-libéral, un grand ventre mou élargi, sans âme et sans colonne.
A. Ardisson : Et vous êtes centriste ?
B. Besson : Je ne suis pas du tout centriste, je suis CDS, c'est pas la même chose. Le CDS, c'est l'exigence, ce n'est ni le marais, ni le compromis.