Interview de M. Marc Vilbenoit, président de la CFE-CGC, à RMC le 5 octobre 1998, sur l'inquiétude causée par la crise financière, la reprise de l'embauche des cadres, les relations du syndicat avec M. Aubry et la négociation sur les 35 heures.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

RMC :
La crise financière frappe durement dans le monde entier. On en appelle à la responsabilité des opérateurs. A votre avis, ça suffit ou y a-t-il eu beaucoup de belles paroles et trop peu de décisions ?

M. Vilbenoit :
 « Vous savez, les effets d’annonce ou les appels sans décision, ça n’apporte pas grand-chose. C’est ce que j’ai compris, moi. Or nous sommes au sein d’une crise qui nous inquiète profondément. Ce n’est pas pour faire du catastrophisme. On vient de voir dans cette période, on espère que ça va durer, que la croissance est déterminante pour la confiance dans notre pays, déterminante pour l’emploi, déterminante pour les revenus et pour l’emploi des jeunes, ça on l’a vu, c’est essentiel. Alors je crois que tous ceux qui nous disaient que les crises asiatiques ou russes aujourd’hui, peut-être demain sud-américaines, n’auraient aucun effet, vous savez on est passé par tous les stades de déclaration, alors les déclarations aujourd’hui on a tendance à les écouter mais à ne juger que sur des actes. Et des actes, il n’y en a pas eu. »

RMC :
Vous trouvez Strauss-Kahn trop optimiste dans cette affaire ?

M. Vilbenoit :
« Difficile de juger. Il est dans son rôle. Je dois dire qu’un ministre des Finances qui ferait du catastrophique, on n’aurait jamais vu ça. Et d’ailleurs, ça ne serait sans doute pas sa fonction. Mais enfin, après nous avoir dit que la crise asiatique n’aurait aucun effet, maintenant la plupart des analystes financiers disent qu’elle ne va pas laisser neutre l’économie européenne et donc l’économie française. Alors je crois qu’aujourd’hui aussi on revient d’un certain nombre de choses. Tels analystes, tels économistes très libéraux qui nous disaient que le marché devait tout régler encore il y a trois mois, aujourd’hui commencent à s’interroger qu’il ne faudrait pas revenir à des mécanismes internationaux de régulation des flux de capitaux. Et voilà peut-être un chemin qu’il faudrait creuser et  emprunter, car je crois que quelques mesures pour fixer les capitaux spéculatifs et flottants, seraient sans doute de bonne venue. Et ça, ce serait des actes ».

RMC :
Il y a, à peu près, 4 millions de gens qui ont un statut cadre en France. Est-ce qu’il y a eu une forte amélioration de l’emploi pour les gens en France ?

M. Vilbenoit :
« Il y a eu, au cours des derniers mois, une reprise de l’embauche des cadres en France, de l’encadrement plus largement parce que c’est aussi des techniciens supérieurs qui ont bénéficié de cela. Ce que personne aujourd’hui ne peut nous dire sérieusement, c’est qu’elle est la part conjoncturelle – c’est-à-dire liée notamment à l’informatique, à l’an 2000, au fameux bug informatique de l’an 2000, ou au passage à l’euro qui requiert la révision de toute une série de programmes, d’applicatifs – et de ce qui serait une tendance plus structurelle. Alors, il y a une croissance dont on ne sait pas si elle va durer, il y a des effets conjoncturels, que je rappelais avec l’euro et l’an 2000 : est-ce que derrière, et on le souhaite tous, il y a comme aux États-Unis, un effet structurel lié à l’émergence, les réseaux Internet et tous les systèmes de travail en réseau ? Nous l’espérons. Mais aujourd’hui, ni chez les DRH, ni chez les spécialistes de l’emploi, ni chez les chefs d’entreprise, personne ne peut nous l’assurer ».

RMC :
Vous avez de bonnes relations avec M. Aubry, ou bien vous partagez l’opinion d’autres syndicalistes qui pensent qu’elle est un peu trop personnelle, et qu’elle a la tentation de décider un peu trop seule ?

M. Vilbenoit :
« Je ne juge généralement que sur les faits. Alors sur les faits, nous avons des relations avec M. Aubry normales entre un syndicaliste et un ministre du Travail. Elles sont parfois tendues. Nous nous sommes copieusement empoignés sur les histoires de la famille par exemple. Elles sont parfois meilleures quand on a des mesures favorables que l’on discute. Moi, je juge que la loi de financement, par exemple sur la Sécurité sociale que M. Aubry vient de faire, a entraîné chez nous une approbation sur la maitrise des dépenses de santé. On finit de se cacher derrière son petit doigt comme c’était fait depuis le plan Juppé où on voulait le faire, sans le faire, sans le dire. Là les choses sont claires et il faut le mettre en œuvre. Par contre, il faudra bien que M. Aubry se décide de modifier les bases de cotisations au régime de Sécurité sociale dans la mesure où il faudra davantage lier demain les ressources à la richesse produite plutôt que simplement au travail. Là, elle a failli parce qu’elle n’a pas avancé. Au contraire, elle avait imaginé un dispositif fou où on surtaxait le travail qualifié. Ce qui, par rapport à l’avenir de notre pays, est une folie. Alors, elle l’a pour le moment suspendu. Ce n’est pas faute d’être entré dans le dossier avec violence ».

RMC :
Des études prouvent que cadres travaillent trop en France et vous, vous avez signé un accord dans la métallurgie qui permet aux salariés d’échapper aux 35 heures.

M. Vilbenoit :
« C’est une lecture que je ne partage pas du tout. La fédération CFE-CGC de la métallurgie a signé pour un ensemble de raisons. D’abord, ce n’est pas au niveau de la branche qu’on crée de l’emploi. Dans les discussions dans les entreprises qui suivent derrière, on a signé un certain nombre d’accords où il y a création d’emplois par aménagement du temps de travail dans le cadre de cet accord. Deuxièmement, on a obtenu quelque chose que le patronat ne voulait pas discuter depuis sept ans, c’est de mettre de l’ordre dans le temps de travail de l’encadrement. Et c’est pourquoi on a obtenu des séries de forfaits : un forfait tous horaires pour des cadres de très haut niveau, puis des forfaits avec des références horaires et des augmentations substantielles de salaire… »

RMC :
Sans embauches ?

M. Vilbenoit :
« Mais il s’agissait de mettre de l’ordre. Vous savez bien que dans le travail des cadres, les cadres se plaignent tous, et l’encadrement en général, d’avoir un temps de travail maintenant qui se dilate sans arrêt. Là nous essayons de remettre de l’ordre. Et, ce que le patronat ne voulait pas discuter depuis sept ans, le problème des forfaits, on l’a inclus dans cet accord. C’est une de raisons, pas la seule, mais une des raisons de la signature. Quant à diminuer le temps de travail de 120 heures par an, et dire qu’au niveau des entreprises, ça n’aura aucun effet sur l’emploi – parce que malgré les heures supplémentaires, on diminue le temps de travail – ça, c’est du parti pris. Et là je considère que M. Aubry n’a pas distribuer aux partenaires sociaux des bons points ou des mauvais points pour dire que tel accord est bon ou que tel accord est mauvais. La loi prévoit des accords, eh bien nous négocions et nous en signons quand nous le jugeons utile ».

RMC :
Il faut des fonds de pension en France ou non ?

M. Vilbenoit :
« Les fonds de pension en France, on en parle depuis belle lurette. Alors peut-être en faudra-t-il un jour pour que l’épargne de longue durée puisse s’investir dans nos entreprises, mais de grâce ne parlons pas de retraite. Parce que, la retraite, je le vois bien, Strauss-Kahn l’a dit et les compagnies d’assurance le font, les fonds de retraite ne sont pas placés en actions, ils sont placés essentiellement en obligations ».