Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la réévaluation de la subvention de fonctionnement et des aides à la scolarité versées aux établissements d'enseignement agricole privés et sur l'adaptation des filières de formation et des structures pédagogiques, Issy-le-Moulineaux le 5 octobre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - Ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Congrès du Conseil national de l'enseignement agricole privé (NEAP) à Issy-les-Moulineaux le 5 octobre 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers amis,

Vous voudrez bien tout d'abord m'excuser de venir ainsi perturber le déroulement de votre congrès en intervenant aujourd'hui devant vous. Des obligations internationales m'auraient empêché d'être parmi vous demain et je crois que vous m'auriez difficilement pardonné mon absence cette année, même si, peut-être vous en souvenez-vous, c'est à votre assemblée que j'avais réservé le 8 avril 1993 ma première intervention en tant que nouveau ministre de l'agriculture et de la pêche. Mais était-il envisageable de ne pas célébrer avec vous le dixième anniversaire de la loi du 31 décembre 1984 aux principes et à l'application de laquelle nous demeurons tous profondément attachés ?

Nous venons, me semble-t-il, de vivre une année importante pour l'enseignement agricole dans son ensemble. Parmi les raisons que me conduisent à dire cela je citerai en premier lieu les deux rentrées exceptionnelles que nous avons connues avec une progression des effectifs en deux ans de près de 20 000 élèves supplémentaires : à la rentrée 1994, la croissance dans l'enseignement agricole privé à temps plein s'établit à plus de 3 000 élèves et, comme vous le savez, l'effectif global de l'enseignement agricole dépassera les 152 000 élèves. Je me félicite de ce succès qui témoigne de la confiance des jeunes et de leurs familles dans notre système de formation.

Année importante ensuite avec la publication des conclusions du rapport présenté par la commission d'évaluation qu'a présidée le Professeur René Rémond : non seulement la commission a exprimé une appréciation largement positive sur l'ensemble de l'enseignement agricole, et en particulier sur la qualité de l'enseignement agricole privé, mais encore elle a réaffirmé son identité en apportant des arguments déterminants qui légitiment les spécificités de notre système. Il est d'ores et déjà évident que l'écho de ce rapport sera profond et durable.

Enfin, année importante marquée par le très large débat sur l'école, voulu par le Premier ministre et qui se traduira par la mise en œuvre du nouveau contrat pour l'école. Notre ministère a activement pris part à ce débat et il est actuellement associé à l'élaboration du projet de loi qui permettra de faire approuver par le Parlement les orientations et les mesures d'application du nouveau contrat pour l'école, à la réalisation duquel nous participerons.

Le succès de notre système de formation, son dynamisme et le rôle d'accompagnement qu'il joue pour les politiques agricoles et d'aménagement du territoire ne pouvaient que m'inciter à faire de la rénovation et du développement de la filière du progrès une des priorités de mon action ainsi que je l'avais indiqué à l'occasion du débat d'orientation sur l'agriculture. J'ai souhaité que cette priorité se concrétise dans le projet de budget pour 1995 et vous savez déjà qu'avec une hausse globale de ses crédits de 7,6 % le secteur éducatif bénéficiera de l'effort budgétaire le plus important du ministère.

Dans ce projet, la part d'augmentation en faveur de l'enseignement privé s'établira à 11,6 %, cette progression de plus de 200 millions de francs devant permettre notamment d'améliorer la situation des personnels enseignants, d'actualiser les nouveaux contrats passés entre l'État et les établissements de l'enseignement supérieur privé et de financer la revalorisation des subventions à l'élève versées à vos établissements techniques.

Vous reconnaîtrez que dans le contexte budgétaire actuel, l'effort est significatif. Cependant, je ne me déroberai pas, monsieur le Président, devant la question que vous m'avez posée sur l'avenir de la subvention de fonctionnement. C'est là sans doute votre principale revendication : son application est prévue aux termes de la loi du 31 décembre 1984 et il va sans dire que je la considère comme légitime. Sa mise en œuvre a nécessité et nécessite encore, des études et elle devra s'inscrire dans le cadre de l'effort de maîtrise des dépenses publiques décidé par le Gouvernement.

Comme vous le savez, le montant de la subvention à l'élève est fixé annuellement par arrêté, sur la base du décret du 14 septembre 1988 qui établit un rapport constant entre la subvention versée à l'élève interne et celles qui sont versées au bénéfice des élèves externes et demi-pensionnaires. Pour 1992 et 1993, les taux de majoration avaient été fixés à 8 % et il en sera de même au titre de l'année 1994. L'arrêté, que j'ai pour ma part déjà signé, sera publié avant la fin du mois d'octobre.

Pour l'avenir, il a été décidé de faire le point sur les montants de référence en fonction desquels seront arrêtés les relèvements annuels des taux de la subvention. Pour fixer ces montants, nous nous appuierons, à la fois, sur les conclusions du rapport des inspections générales de l'agriculture et des finances et sur les résultats de l'étude complémentaire qui est actuellement conduite tant auprès des établissements publics que privés.

Bien entendu, ces résultats seront examinés conjointement par les ministères de l'agriculture et du budget et les propositions qui en découleront feront l'objet d'une concertation approfondie avec le CNEAP afin d'aboutir à un accord avant la fin de l'année.

C'est à partir de l'accord sur la base de référence que nous mettrons en œuvre les phases du plan de rattrapage, dont le principe est d'ores et déjà acquis, et qui s'étaleront sur une période de quatre ans. C'est à partir de cet accord que nous procéderons à la modification du décret de 1988.

Vous me pardonnerez le côté un peu trop technique dans mon propos mais je sais combien ce dossier vous importe. Soyez persuadés que je mettrai tout en œuvre pour que nous parvenions à un bon accord avant la fin de cette année.

Nous savons, vous et moi, que pour accueillir les élèves dans des conditions que nous souhaitons toujours meilleures, il ne suffit pas de subventionner les établissements, il faut aussi aider financièrement les élèves à poursuivre leur scolarité.

À cet égard, vous m'avez fait part, monsieur le Président de votre inquiétude sur les conditions d'application de la loi sur la famille du 25 juillet 1994. Cette loi prévoit la suppression des bourses de collège et le versement aux familles d'une aide à la scolarité pour les enfants de moins de 16 ans sous certaines conditions de revenus. À l'évidence, cette réforme, proposée par le ministère de l'éducation nationale, ne tient pas compte de spécificités de l'enseignement agricole, un nombre important de nos élèves de 4e et 3e percevant des bourses d'un montant supérieur à l'aide à la scolarité. Sans attendre votre intervention, j'ai demandé et obtenu du ministère du budget que soit maintenu, pour tous les élèves boursiers déjà en cours de scolarité dans l'enseignement agricole, le niveau antérieur des bourses, bien entendu défalqué de l'aide à la scolarité.

De plus, j'ai demandé que soient examinées les conditions d'application de la nouvelle réglementation, à l'issue de ce moratoire, pour les nouveaux élèves entrant dans l'enseignement agricole à la rentrée 1995.

Je sais, monsieur le Président, que d'autres projets suscitent actuellement votre inquiétude, en particulier la préparation du projet de loi sur l'alternance et le financement de la formation professionnelle. Vous craignez que certaines mesures ne créent de nouveaux déséquilibres pour la situation financière de vos établissements.

Les projets, qui font actuellement l'objet de discussions interministérielles, ne sont pas encore suffisamment élaborés pour que je puisse vous en dire quoi que ce soit aujourd'hui.

J'ai demandé que vos remarques soient très précisément prises en compte dans ces discussions et je veillerai à ce que les projets soient soumis à la concertation.

Plus généralement, je tiens à vous assurer de ma volonté de voir garantie l'égalité de traitement de chacune des familles qui composent l'enseignement agricole. En disant cela, je ne fait que me conformer à ce principe fondamental de la République : garantir l'égalité des citoyens. À l'occasion de la mise en œuvre de la loi quinquennale sur la formation professionnelle, vous savez bien que nous avons eu la même préoccupation, à savoir que l'État joue son rôle de régulation, rôle que doivent assurer les Préfets ainsi que les y a invités une récente circulaire interministérielle. Dans la même perspective, je reste profondément attaché au schéma prévisionnel national qui doit demeurer lui aussi un élément de régulation. Je donnerai des instructions aux services régionaux relevant de mon département ministériel pour qu'ils veillent à cette égalité de traitement dans l'examen des projets qui leur sont soumis.

Améliorer l'enseignement agricole, lui donner un nouvel élan, lui fixer de nouvelles frontières, autant d'objectifs qui concernent toutes les familles de l'enseignement agricole.

J'ai déjà dit que je me réjouissais de la nouvelle progression de nos effectifs depuis deux ans. J'ai déjà dit également – je ne suis pas certain d'avoir été bien compris – que je souhaitais que nous réfléchissions à une croissance raisonnée de ces effectifs. Certains s'inquiètent et me soupçonnent de préparer les esprits à un nouveau "coup d'arrêt". Mon objectif, et ce n'est pas là la moindre des missions du politique, c'est de prévoir.

Réfléchir à une croissance raisonnée, cela suppose, à la fois, que nous soyons au clair sur les missions prioritaires que nous devons remplir et que nous ayons à notre disposition des indicateurs fiables de prospective et d'évaluation.

Si nos taux d'insertion dans la vie active sont aujourd'hui satisfaisants, nous devons toutefois disposer d'informations régulièrement actualisées sur leur évolution et adapter en conséquence nos filières de formation. C'est la mission que j'ai confié, à l'Observatoire national de l'enseignement et de la formation professionnelle agricoles qui concernera tout autant le secteur privé que le secteur public.

En outre, la croissance raisonnée s'imposera d'autant plus que nous seront confrontés à des contraintes budgétaires durables. Je me dois de répéter devant vous ce que je disais jeudi dernier à Arc-et-Senans.

Nous ne pouvons nous laisser enfermer dans cette alternative, soit une fuite en avant sans être assurés que les moyens suivront, soit la mise en place d'un système sélectif ; dans l'un ou l'autre cas, le risque serait grand de voir s'instaurer une ségrégation entre les établissements de nos différentes familles et même au sein de chacune de ces familles. C'est cette volonté d'une programmation rigoureuse qui m'a conduit à appliquer pour la rentrée 1995 en matière de structures pédagogiques et d'ouverture de nouvelles filières les mêmes règles qu'en 1994.

La croissance raisonnée suppose aussi de circonscrire nos missions. Certes, la formation des agriculteurs n'est plus notre uni que finalité et nous devons continuer de diversifier nos formations : bien entendu, nous nous reconnaissons dans l'enseignement agricole, mais nous sommes aussi un enseignement voué au développement rural et à l'aménagement du territoire, un enseignement qui vise à une plus grande maîtrise des connaissances biologiques, écologiques, économiques, sociologiques et environnementales, ce que nous appelons aujourd'hui communément le savoir vert.

Mais, en même temps, cette nécessaire diversification ne doit pas nous faire oublier que notre raison d'être, c'est d'abord de dispenser un enseignement technologique et professionnel en affirmant son originalité par rapport à l'enseignement général. Vous m'autoriserez cette formule : même si l'enseignement général doit conserver sa place dans l'enseignement agricole, par exemple avec le baccalauréat "S", il ne peut en constituer le "cœur de cible".

La croissance raisonnée n'a pas non plus pour objet de remettre en cause le rôle promotionnel et social de notre système éducatif que favorise la double finalité de ses différents parcours de formation : débouchés sur la vie active et poursuite d'études. Je tiens à cet égard à vous rassurer : l'introduction des baccalauréats ne réduira en rien la capacité promotionnelle de notre système et toutes les passerelles entre les formations seront encouragées et favorisées.

En revanche, il convient de ne pas engager l'enseignement agricole dans des voies qui ne correspondraient pas à ses priorités. Nombreux sont ceux par exemple qui s'interrogent sur les évolutions futures du collège dans le cadre du nouveau contrat pour l'école, notamment sur sa nouvelle organisation en trois cycles. Il sera bien sûr nécessaire de réfléchir avec l'Éducation nationale sur les conséquence de cette décision pour nos classes de 4e et 3e et sur la manière dont elles s'inséreront dans ce dispositif.

Mais, il ne serait conforme ni à l'idée de croissance raisonnée, ni aux objectifs du nouveau contrat pour l'école, d'envisager d'accueillir systématiquement des élèves à la fin de 6e qui – faut-il le rappeler ? – n'est pas un palier d'orientation.

J'espère que vous serez convaincus que cet appel à une croissance raisonnée ne doit pas être vécu comme un repli sur soi : il est à mes yeux aujourd'hui le garant du maintien de la qualité de l'enseignement agricole.

Faut-il vous confirmer que l'enseignement privé est partie prenante de toutes les évolutions de notre système de formation ? Vous savez que je me suis exprimé il y a quelques jours à Arc-et-Senans pour présenter les suites que je souhaitais donner à la vaste consultation que s'est déroulée pendant le premier semestre de cette année. Bien entendu, les orientations que j'ai annoncées à cette occasion concernent le secteur privé.

En premier lieu, vous savez que j'ai souhaité profiter de la mise en œuvre du nouveau contrat pour l'école pour renforcer nos liens de collaboration avec le ministère de l'Éducation nationale tant au plan national que régional et local. Nous avons donc décidé, François Bayrou et moi-même, de conclure dans les prochains mois un protocole de coopération.

Au-delà de l'application des décisions prises dans le cadre du nouveau contrat, ce qui me paraît constituer le noyau de ce protocole, c'est, à la base, la mise en réseau de nos établissements. Je crois avoir répété à l'occasion de chacune de mes interventions concernant l'enseignement agricole combien j'étais favorable à la création de véritables réseaux locaux, y compris entre établissements de catégorie de tutelle et de famille différentes.

C'est ainsi que nous pourrons mieux valoriser notre appareil éducatif en encourageant une gestion optimale des ressources humaines et matérielles.

Le dynamisme de votre secteur de formation tient aussi à sa capacité d'évoluer. C'est dans cet esprit que j'ai privilégié un certain nombre de recommandations du rapport d'évaluation pour les mettre très rapidement en œuvre.

Sans remettre de quelque manière en cause les principes de la rénovation pédagogique, j'ai décidé de faire procéder à une simplification et à une harmonisation du contrôle certificatif en cours de formation à partir de la rentrée 1995. Cette réforme, qui fera l'objet d'une concertation au sein des instances consultatives, répond au souhait d'allègement exprimé par les enseignants.

Cette harmonisation devrait se faire dans l'esprit de la délivrance du baccalauréat technologique et ne remettra pas en question l'existence du CCF qui participe largement à la bonne image de l'enseignement agricole.

Il est évident que le recrutement et la formation des enseignants sont un enjeu stratégique pour l'avenir de l'enseignement agricole. Afin de mieux coordonner notre action dans ce domaine, j'ai décidé de mettre en place un comité pour la formation de l'enseignement agricole.

Je souhaite que l'institut de formation des maîtres de l'enseignement agricole privé puisse être régulièrement associé aux travaux de ce comité.

Enfin, il convient de donner une nouvelle impulsion à l'innovation, à l'expérimentation et à la recherche pédagogique. Pour soutenir ces actions un appel d'offres sera diffusé auprès des établissements publics et privés. J'ai dit que j'invitais à une expérimentation sans tabou ! Je sais que l'innovation n'a jamais fait peur au CNEAP et j'ai cru comprendre que vous aviez déjà des idées et des projets à présenter.

Vous pourrez bientôt les soumettre au comité de suivi et d'évaluation de l'expérimentation et de la recherche pédagogique qui sera très prochainement créé afin de garantir l'objectivité, la qualité scientifique et la publicité des projets retenus dans le cadre de l'appel d'offre.

Telles sont donc, monsieur le Président, mesdames et messieurs, les orientations que je souhaitais vous présenter. Au-delà des différentes familles qui composent l'enseignement agricole, j'appréhende notre système de formation comme un ensemble dont nous pouvons être fiers. Mais vous me permettrez, au moment de conclure, de vous exprimer mon émotion, monsieur le Président, au moment où vous allez quitter vos fonctions à la tête du CNEAP. Vous avez été, vous êtes encore, un acteur essentiel du inonde agricole.

Vous avez été ces dernières années, l'âme du CNEAP, toujours profondément attaché à la formation dont vous savez mieux que quiconque qu'elle est indissociable de l'avenir du monde agricole et rural.

Partenaire vigilant, exigeant non seulement à l'égard du ministère mais aussi avec votre organisation et avec vous-même, vous aurez été pour nous tous un exemple des valeurs auxquelles nous sommes si profondément attachés.

Au nom de tous et en mon nom propre, merci, monsieur le Président.