Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur l'organisation contractuelle de partenariats entre agriculteurs producteurs, industriels et distributeurs pour le partage équitable de la valeur ajoutée, Paris le 30 novembre 1994.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque de l'ANIA (Association nationale des industries agro-alimentaires) le 30 novembre 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

Il y a dix ans, le Président de la F.N.S.E.A. serait-il venu participer à un colloque sur l'industrie agro-alimentaire organisé par l'A.N.I.A. ? Je n'en suis pas bien sûr.

Mais depuis lors, tout a changé pour la profession agricole. L'Agriculture a effectué une révolution. Nous avons découvert le marché. Le consommateur est devenu notre référence. Notre horizon ne se borne plus au champ du voisin. Et nous avons engagé le dialogue avec les distributeurs et les transformateurs.

Pourquoi cette révolution ? Mais par nécessité, bien sûr ! Parce que nos débouchés ne sont plus illimités.

Nous sommes victimes de notre propre succès. À force de moderniser notre appareil de production, nous nous sommes suréquipés. Et il a fallu réagir. Hier, toute notre production trouvait preneur. Désormais, nous ne produisons plus qu'après avoir identifié un marché.

« Vendre d'abord. Produire ensuite » : voilà ce que nous avons appris.


Seconde constatation : pendant 30 ans, au lieu de travailler pour nous, nous avons travaillé pour les autres. Certes, nous sommes les champions toute catégorie de la productivité. Nous avons même battu le secteur industriel. Celui des 30 Glorieuses, s'il vous plaît !

Mais que devenait la valeur ajoutée issue de la production agricole ? Nous aurions pu nous poser la question…

Aujourd'hui en tout cas, sur des marchés désormais saturés et repus, les gains de productivité ne suffisent plus à assurer la rentabilité de nos entreprises. Nous devons donc raisonner autrement, c'est-à-dire avec des objectifs de marge et de valeur ajoutée.

À l'avenir, nous voulons travailler en concertation avec nos partenaires d'aval. Nous voulons identifier avec eux les marchés à satisfaire nous voulons aller au-devant du consommateur. Et nous voulons aussi répartir de manière équitable la valeur ajoutée créée successivement, par le producteur, le transformateur et le distributeur.

Autant vous le dire clairement : nous ne serons pas les mineurs de fond de la filière agro-alimentaire.

Ils ont tort, ceux qui s'imaginent que le monde agricole est passéiste. Nous ne restons pas enfermés dans nos cours de ferme nous sortons de nos exploitations, nous allons vers les villes, nous montons au-devant du consommateur et des partenaires de l'aval.


Et déjà, ce travail porte des fruits. En juillet dernier, nous avons signé un premier accord avec la grande distribution, à propos de la promotion des produits agricoles dans les grandes surfaces. Cette concertation profite à tous, notez-le bien. Ce n'est pas un jeu à somme nulle.

Peu à peu, les distributeurs comprennent les effets de leur politique commerciale sur l'amont de la filière. Ainsi par exemple pour les promotions de produits de saison, et pour leurs effets sur les cours, notamment au début de la période de mise en vente.

Nous apprenons quelles dépendances mutuelles nous lient aux distributeurs, et comment tenir compte de nos intérêts respectifs. C'est un progrès appréciable.

Ces travaux se poursuivent. À l'ordre du jour des prochaines semaines, la qualité des produits et le partage de la valeur ajoutée. La qualité, parce que, contrairement à ce qui se dit dans certains cercles, la qualité d'un produit se décide dès l'acte initial de mise en production, et que les industriels ne sont pas les seuls concernés. D'ailleurs, c'est le terroir que recherche le consommateur. La qualité est un enjeu économique fondamental, et un enjeu que nous entendons maîtriser.

Bien sûr, il est indispensable que la totalité de la filière soit associée à ce travail. La C.F.C.A. est déjà cosignataire de notre accord de juillet avec les distributeurs. Et elle est associée à nos travaux en cours. Nous devons poursuivre dans cette voie et je compte bien avec vous Monsieur le Président SHERRER.

Nous avons bien compris que la partie qui s'engage se joue à trois. Producteur, transformateur, distributeur : trois partenaires qui doivent se donner un objectif commun celui d'une confrontation constructive.

Dans ce dialogue, nous sommes peut-être les derniers venus (PAC oblige). Mais nous n'en sommes pas moins des interlocuteurs à respecter. Pas à cause de nos manifestations, comme le croient les gens de l'extérieur, mais à cause de notre représentativité et de notre réalisme.

Lorsque le président de la FNSEA prend un engagement, toute la profession agricole. S'y conforme, sachez-le. C'est pour cela que les Pouvoirs Publics nous écoutent avec autant d'attention.


Résumons-nous : hier, le revenu des agriculteurs était fixé en huis clos, une fois l'an, au Berlaymont à Bruxelles. Aujourd'hui, c'est la négociation permanente. Permanente et décentralisée, avec tous les partenaires de la filière.

Cette négociation tous azimuts, il convient d'y mettre de l'ordre. Il faut créer des partenariats stables, c'est le souhait légitime de toute entreprise. C'est pourquoi, entre producteurs et industriels, nous préconisons la contractualisation. Notre objectif est d'assurer aux entreprises un horizon défini d'avance.

Car une chose entre toutes unit producteurs et industriels : le besoin d'un peu de stabilité, condition absolue à la prospérité de nos entreprises.

À mes yeux, « contrat » signifie engagements multilatéraux. Et donc, réciprocité dans les droits comme dans les devoirs.

Les droits, tout d'abord. La valeur ajoutée, nous voulons la créer avec nos partenaires. C'est la finalité de ce partenariat entre agriculture et industrie de transformation. Mais nous voulons aussi partager cette valeur ajoutée. C'est cet objectif que nous assignons à la contractualisation.

Quant aux obligations des contractants, elles doivent aussi obéir à la règle de réciprocité. Il ne s'agit pas de s'engager dans les beaux jours… et de se dédire à la première vacillation du baromètre. Dans un contrat de fourniture, le prix convenu n'est pas seulement un prix-plafond ; c'est aussi un prix-plancher.

La position de la FNSEA peut se résumer ainsi : « une véritable contractualisation des relations entre les fournisseurs et les clients, en mettant fin au gaspillage logistique constaté actuellement, on pourrait générer d'importantes économies pour chacun des partenaires ».

Ne me répondez pas que vous êtes contre ! Ce que je vous lis, c'est la brochure de l'A.N.I.A., et le chapitre sur l'avenir des relations entre distributeurs et industriels… Ce qui vaut pour vos clients vaut bien pour vos fournisseurs, sans doute.


Notre avenir nous devons donc l'écrire ensemble. C'est une vérité que les Pouvoirs Publics doivent admettre. Jusqu'à présent., nous n'avons pas obtenu un ministère commun. Mais si tous ensemble, comme je l'ai fait il y a deux ans, nous demandons un grand ministère de l'agriculture et de (...), nous l'obtiendrons. Car c'est le sens de l'histoire.

Si vous n'en n'êtes pas convaincus, prenez la peine d'examiner les grandes échéances internationales. Explosion démographique planétaire, bouleversements des équilibres entre les continents, besoins agro-alimentaires en pleine expansion : tout nous pousse à exporter.

Mais ce qu'exigent les marchés, l'Uruguay Round veut nous l'interdire. À nous de nous affirmer, en nous dotant des moyens nécessaires – qu'ils soient publics ou privés, qu'ils soient juridiques ou politiques. Travaillons ensemble à ce projet ; ici aussi, un travail en commun peut profiter à tous.


Voilà l'esquisse du partenariat que nous voulons établir entre agriculture et industrie. Avec pour objectif de permettre à chacun de nous de prospérer et de maîtriser notre destin. Être maître de son avenir, c'est une aspiration légitime que nous partageons tous.

C'est dans cet état d'esprit, où personne ne cherche à prendre l'ascendant sur son partenaire, que nous devons avancer.

Nous pourrons alors nous retrouver dans les instances qui préparent l'avenir de la filière je veux parler du Conseil Supérieur d'Orientation, ou encore du Comité de Suivi du G.A.T.T

Sur cette question de valeur ajoutée, je terminerai par une annonce, qui vous indiquera le degré de détermination de la profession agricole. Lors du prochain Congrès annuel de la FNSEA, en mars 95, nous examinerons comment générer de la valeur ajoutée. Créer de la valeur ajoutée, et savoir en conserver le bénéfice voilà notre leitmotiv. Nous serons appelés à en reparler avec vous tous. Et je m'en félicite…


J'ai donc consacré l'essentiel de mon intervention à parler de l'avenir économique de notre secteur. C'est naturel créer des richesses est le préalable à toute autre entreprise. Et, de ce point de vue, qui fait mieux que l'agriculture ? À eux seuls, nos céréales et nos vins et spiritueux, produits agricoles par excellence, dégagent un excédent commercial de 57 milliards de francs. Soit autant que notre excédent agro-alimentaire total pour 1993.

Mais l'agriculture n'est pas une filière tout à fait comme les autres. Comme le soulignait un autre intervenant il y a quelques minutes, l'agriculture, et l'agro-alimentaire dans son ensemble, c'est aussi l'aménagement du territoire et la répartition harmonieuse des hommes, des richesses et des emplois.

Attention à la tentation de l'approvisionnement sur les marchés mondiaux. C'est le choix qu'avait fait l'industrie textile en son temps. Voyez où elle en est aujourd'hui…

Apposer une étiquette à des produits fabriqués dans le tiers-monde, ce n'est pas une ambition pour un industriel, je pense…

Cela, nous devons l'avoir à l'esprit à tout moment. Pour nos agriculteurs, l'activité économique n'est pas seulement une source de rentabilité ; c'est aussi une façon de consolider les zones rurales.

Le terroir français doit nous aider à conserver des hommes partout sur notre vaste territoire.

Cette conception, nous espérons que vous la partagez avec nous. Car nous devons tout faire, (puisque c'est là que réside notre originalité), tout faire donc, pour conserver un secteur bien réparti sur tout le territoire, un secteur capable de fixer des populations et de les faire vivre.

L'agriculture et l'agro-alimentaire, pour nous, ce n'est pas une industrie, concentrée sur un petit quart de territoire national. C'est un ensemble de chefs d'entreprise responsables, acteurs du monde rural, un milieu animé et vivant.

Tel est notre idéal. Tel est aussi le gage de notre dynamisme, et de notre prospérité.