Texte intégral
UEO (adhésion de la Grèce)
Le projet de loi soumis à votre approbation a pour objet d'autoriser la ratification par la France du protocole d'adhésion de la République hellénique à l'Union de l'Europe Occidentale, signé le 20 novembre 1992 à Rome par les États membres de cette organisation et par la Grèce. Selon les termes de ce protocole, la Grèce deviendra effectivement membre plein de l'UEO lorsque tous les États parties au traité de Bruxelles auront déposé leur instrument de ratification. À ce jour, cinq pays ont ratifié le protocole d'adhésion : le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg et l'Allemagne. Je rappellerai brièvement quel est le contexte de ce protocole, quelles en sont les dispositions principales, quel en est l'intérêt pour notre pays :
En ce qui concerne d'abord le contexte, il faut savoir que le traité de Maastricht a établi un lien entre l'Union européenne dont il portait création et l'organisation antérieure qu'est l'UEO. Ainsi les États membres de l'UEO ont publié, lors du Conseil européen de Maastricht, une déclaration invitant les États apparentant à l'Union européenne et non à l'UEO – le Danemark, la Grèce et l'Irlande – à adhérer comme membres pleins ou à devenir observateurs s'ils ne souhaitaient pas être d'emblée des membres pleins. Dans le même temps, pour tenir compte des besoins de coordination accrus avec nos alliés, les mêmes États ont invité les autres États européens membres de l'Alliance atlantique – la Norvège, l'Islande et la Turquie – à devenir membres associés de l'UEO.
Nous avons donc trois statuts au regard de l'UEO : les membres pleins, les observateurs – qui sont membres de l'Union européenne mais n'ont pas souhaité devenir tout de suite membres pleins de l'UEO – et les membres associés, qui sont les pays membres de l'Alliance atlantique ne faisant pas partie de l'Union européenne.
Une semaine après cette déclaration, le 17 décembre 1991, le ministère des affaires étrangères de la République hellénique a adressé au conseil de l'UEO, une lettre dans laquelle le Gouvernement hellénique faisait part de son intention de devenir membre de l'UEO.
Protocole d'adhésion à l'UEO
J'en viens aux dispositions principales du protocole. En adhérant à l'UEO, la Grèce adhérera au traité de Bruxelles modifié, à ses protocoles et annexes et acceptera pleinement les déclarations de portée politique qui, depuis 1984 et 1987, ont permis à l'UEO de se développer. Lorsque les ministres de l'UEO ont défini en juin 1992, à Petersberg, les modalités de l'élargissement de cette organisation, ils ont mis au point une disposition spécifique destinée à éviter à l'UEO de se trouver engagée dans un éventuel conflit entre deux de ses membres ou entre deux membres de l'Alliance atlantique. Cette disposition figure dans la déclaration de Petersberg, laquelle est expressément visée dans le préambule du protocole d'adhésion que la Grèce a accepté dans son intégralité. Elle est ainsi rédigée : « les garanties de sécurité et les engagements de déforme, contenus dans les traités qui lient les États membres au sein de l'UEO, et qui les lient au sein de l'Alliance atlantique, se renforcent mutuellement et ne sauraient être invoquées dans les différends survenant entre les États membres de l'une ou l'autre des deux organisations ».
Enfin, quel est l'intérêt pour la France et pour l'Europe d'une adhésion de la Grèce ? La France, rappelons-le, a joué un rôle prépondérant dans la « réanimation », si j'ose dire, de l'Union de l'Europe Occidentale, dont la plateforme sur les intérêts européens en matière de sécurité, dite plate-forme de La Haye, adoptée en 1987, a été une étape décisive. L'élargissement du cercle des États membres à la Grèce, en renforçant le lien, entre ce qui est devenu l'Union européenne – l'Europe des Douze – et l'UEO, devrait contribuer au développement de la composante de défense de l'Union et à la mise en œuvre des dispositions du traité de Maastricht sur la politique étrangère et de sécurité commune.
UEO (processus d'élargissement)
La majorité de nos partenaires de l'UEO a jugé opportun de ratifier le protocole d'adhésion de la Grèce à cette organisation. Tel a été le cas récemment de l'Allemagne dont les deux chambres ont décidé d'autoriser la ratification du protocole, en avril pour le Bundestag, eu mai dernier pour le Bundesrat. À ce jour, notre pays compte donc parmi les derniers à ne pas l'avoir ratifié, avec la Belgique, les Pays-Bas et le Portugal. Enfin, et surtout, la ratification de ce protocole est un élément central dans le processus d'élargissement de l'UEO et de développement de l'identité européenne ! de sécurité et de défense, processus dans lequel, la France joue un rôle particulièrement actif. En effet, ce n'est pas lorsque la Grèce sera devenue membre plein de l'UEO que les pays d'Europe centrale et orientale et les pays baltes, qui ont conçu ou qui vont conclure un accord européen avec l'Union européenne, pourront officiellement bénéficier du statut de membre associé à l'UEO. Vous savez, en effet, que la France et l'Allemagne ont proposé à leurs partenaires de l'UEO d'accepter que les pays d'Europe centrale et orientale participent à nos réflexions et même à certaines de nos actions en faveur de la sécurité de l'Europe, dans le cadre d'un statut particulier défini comme celui d'associé-partenaire. Le spectre des statuts au regard de l'UEO va donc être élargi, offrant ainsi la possibilité à tous les pays du continent européen de travailler, sous une forme ou sous une autre, dans le cadre de ce forum de sécurité que devient l'Union de l'Europe occidentale, le seul où les Européens peuvent parler entre eux et seulement entre eux de cette préoccupation commune que constitue la sécurité du continent européen. En effet, dans toutes les autres organisations, soit la sécurité ne figure pas parmi les compétences définies, soit les Européens s'y retrouvent avec des puissances étrangères au continent européen.
N'oublions pas que l'un des objectifs principaux de notre diplomatie et de notre politique européenne est de renforcer l'identité européenne de défense comme cela est prévu dans le traité de Maastricht, sur la base de l'Union de l'Europe Occidental, qui a vocation à rassembler – sous des statuts différents, au moins dans un premier temps – l'ensemble des pays du continent européen. Il est cependant bien naturel que nous commencions par renforcer le noyau dur de l'Europe des Douze. Encore eût-il fallu, en effet, que les Douze fussent membres pleins de l'Union de l'Europe Occidentale avant que nous élargissions l'institution, grâce au statut particulier d'associé-partenaire, aux pays d'Europe centrale et orientale.
J'ai évidemment pris note des observations formulées par votre commission des affaires étrangères dont nous allons entendre le rapporteur. Cette dernière, compte tenu du litige opposant actuellement la Grèce et la Macédoine, se demande s'il est opportun de ratifier aujourd'hui ce protocole d'adhésion de la Grèce à l'UEO. Le Gouvernement s'est aussi posé la question. S'il a décidé de vous soumettre aujourd'hui ce protocole, c'est parce qu'il a le sentiment profond que, pour sortir de la difficulté que constitue le litige entre la Macédoine et la Grèce, il est préférable d'offrir à cette dernière la possibilité d'adhérer à toutes les institutions européennes telles qu'elles existent, en particulier à son organisation de défense, plutôt que de la laisser en dehors.
UEO (ajournement de l'adhésion de la Grèce)
Je voudrais apporter quelques éléments d'information complémentaires après cette discussion générale. Je ne crois pas, monsieur Glavany, que le sujet prête à l'humour, vous avez d'ailleurs conclu avec un sentiment différent. Nous devons traiter tout ce qui concerne la sécurité en Europe en général, dans les Balkans en particulier, et notamment les problèmes de la Grèce, avec beaucoup de sérieux et de sens des responsabilités. Je ne crois pas non plus qu'on puisse se contenter de dire : si l'on ajourne la décision aujourd'hui, c'est une simple modalité : on peut très bien imaginer que l'Assemblée nationale, tout en étant favorable à l'adhésion de la Grèce, indique que le moment n'est pas venu aujourd'hui.
Ne nous dissimulons pas l'importance du choix politique qui est devant nous. On peut adopter une attitude ou une autre, mais ne nous dissimulons pas la portée de nos décisions, d'autant que. Semble-t-il, la motion d'ajournement a pour but de faire un lien entre deux choses très différentes et deux entités qui ne peuvent pas discuter entre elles. Il y a d'un côté la Grèce et, de l'autre côté, la Cour de justice des Communautés européennes, qui va d'abord rendre une décision en référé, peut-être demain ou dans la semaine qui vient, puis, surtout, une décision au fond plus tard.
On pourrait imaginer que, dans le cadre d'un dialogue entre l'Union européenne et la Grèce, l'on prenne une position qui permette l'ouverture d'un dialogue, mais lier le vote d'aujourd'hui, qui est un vote de ratification d'un protocole d'adhésion à l'Union de l'Europe Occidentale, avec une décision que va prendre la Cour de justice des Communautés européennes sur le point de savoir si la Grèce a respecté ou non une disposition du traité de Rome, ce n'est pas évident du tout.
En réalité, personne à l'extérieur de cet hémicycle ne se trompera sur le sens du vote : s'il est en faveur de l'ajournement, il sera considéré comme un refus de l'Assemblée nationale de l'adhésion de la Grèce à l'Union de l'Europe occidentale aujourd'hui. Il faut le savoir. À partir de là, je voudrais insister à nouveau sur trois ou quatre points :
Sommet de Corfou
Premier point : la proximité du sommet de Corfou. Un vote qui serait ressenti comme un désaveu du pays qui assure la présidence affaiblirait l'Union à la veille d'un sommet. C'est un sommet important pour la relance de l'Europe après des élections européennes qui ont été difficiles, et tous ceux, dans cet hémicycle, qui sont attachés à une certaine vision de la construction européenne doivent avoir cela à l'esprit.
Il s'agit aussi d'un sommet important pour la défense des intérêts français dans le cadre de la politique européenne, étant donné qu'y seront évoqués notamment trois sujets essentiels pour notre pays : le choix du président de la Commission européenne pour les cinq prochaines années ; l'adoption du programme des grands réseaux européens – en l'état actuel les textes, quatre des onze chantiers qui devraient être décidés concernent directement notre pays ; enfin, le choix d'une politique en faveur de la sécurité nucléaire dans les pays de l'Est – et je rappelle que l'idée de fermer Tchernobyl est au départ une Idée française. Nous espérons que nos partenaires partageront nos vues, mais, bien entendu, le résultat de tout cela dépend, entre autres, de l'attitude de la Présidence ;
Grèce
Le deuxième élément que nous devons avoir présent à l'esprit, c'est que la Grèce est confrontée à d'autres problèmes avec d'autres pays voisins. Par exemple, en ce qui concerne l'affaire de Chypre, si les négociations entre les deux communautés de cette île sont aujourd'hui dans l'impasse, c'est, selon le secrétaire général de l'ONU et selon l'observateur désigné par l'Union européenne – ce dernier ayant déposé des conclusions corroborant celles du secrétaire général –, non du fait de la partie grecque, mais du fait de la partie turque. Nous espérons d'ailleurs un déblocage de ces négociations et nous y travaillons activement. L'Assemblée nationale doit donc savoir que, si elle envole un signal, celui-ci pourra avoir un effet négatif sur d'autres négociations pour lesquelles le dossier de la Grèce est sensiblement meilleur que dans le cas de la Macédoine.
Nous savons bien que, pour des raisons historiques, la Grèce n'a pas connu le même destin que l'Europe occidentale : elle a eu moins de chance que nous. Aussi depuis 1980, l'intuition qui a prévalu – et qui a été au départ celle du président Giscard d'Estaing avant d'être partagée ensuite par l'ensemble des membres de la Communauté européenne – a été que nous pourrions convaincre la Grèce d'adopter notre vision de la politique européenne en l'intégrant pleinement dans toutes nos institutions et non en la laissant en dehors. Nous avons aujourd'hui le devoir de poursuivre dans cette voie : il serait donc regrettable que nous montrions que nous avons changé d'avis.
Et si, vu d'ici, le litige avec la Macédoine peut nous paraître secondaire, ce n'est pas à nous de dire ce qui est important ou secondaire pour le peuple grec. De même, ce n'est ni aux Grecs ni à d'autres de nos partenaires de dire ce qui est important ou secondaire pour le peuple français. Dans la Communauté européenne, cette union originale qui est une union politique mais qui est aussi une communauté de nations, chacun respecte la définition par les autres de ses intérêts fondamentaux. La vision que nous avons de la préférence communautaire veut que lorsqu'un pays membre de la Communauté est confronté à des problèmes avec des pays extérieurs, nous avons à tout le moins le devoir de l'écouter. Nous souhaitons bien entendu, qu'on agisse de même lorsque c'est nous qui nous trouvons dans une situation de ce genre. Mais si nous voulons que nos partenaires nous respectent, nous devons les respecter, même lorsque nous avons l'impression qu'ils ont tort. Le meilleur moyen de les aider consiste, non à les rejeter, mais, au contraire, à essayer de les comprendre pour les amener à trouver des solutions raisonnables.
UEO
Enfin, reste un dernier élément, qui est peut-être le plus important ; j'y ai fait allusion tout à l'heure mais je voudrais y revenir pour être sûr que sa portée z été bien comprise par tous. L'idée de l'Union de l'Europe Occidentale en tant qu'entité de défense de la Communauté européenne est, depuis le début, une idée de la France, en particulier du gouvernement de Jacques Chirac en 1987 ; elle a été reprise ensuite par les gouvernements qui ont suivi et par l'actuel gouvernement. Nous avons eu beaucoup de mal à la faire admettre à nos partenaires dans le cadre du Traité de Maastricht, lequel prévoit bien que le « bras armé de l'Union européenne » sera l'UEO. Depuis, à force de patience et de persuasion, nous avons obtenu, notamment au dernier sommet de l'Alliance atlantique en janvier à Bruxelles, puis lors de la venue du président Clinton à Paris.il y a une quinzaine de jours, que les Américains eux-mêmes admettent que l'Union de l'Europe occidentale avait vocation à devenir l'enceinte où les Européens s'expriment sur les problèmes de défense – au sein même de l'OTAN, mais aussi parallèlement à l'OTAN – dans le cadre d'un partage des responsabilités entre l'Alliance atlantique et l'entité européenne, entre Américains et Européens, partage rendu nécessaire par le nouveau contexte stratégique en Europe.
Dans le même esprit, nous avons convaincu tous les pays d'Europe centrale et orientale que l'UEO devait être le forum où les Européens, et eux seuls, parlent et traitent tous ensemble des problèmes de sécurité. Mais l'élargissement de l'Union européenne avec ses cercles concentriques – partenaires, observateurs, associés – supposé que soit réglé d'abord le statut des douze membres de l'Union européenne au regard de l'UEO, et donc que soit réglé le problème grec. Différer d'un an le règlement du problème grec, c'est différer d'autant l'élargissement de l'UEO. Or les tensions et les risques à l'est du continent sont tels qu'il serait très grave de le différer.
C'est après avoir pesé tous ces éléments, tout en éprouvant, bien entendu, les mêmes inquiétudes, voire la même irritation, que celles exprimées par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée, que nos principaux partenaires ont, après avoir eux aussi hésité, choisi la ratification. C'est ce qu'ont fait le Parlement allemand – le Bundestag, puis le Bundesrat – la Chambre des communes britannique, le Parlement italien et le Parlement espagnol. Dans ces conditions, j'insiste pour que, tout en prenant en considération les observations excellentes qui ont été formulées ici et là, en particulier par la commission des affaires étrangères, l'Assemblée nationale ne diffère pas son vote et donne son accord pour l'entrée de la Grèce dans l'Union de l'Europe occidentale.