Texte intégral
Le colloque "organisation du travail et emploi" organisé par le CNPF le 13 avril dernier, a marqué la volonté des entreprises de faire converger deux démarches – une réponse aux impératifs économiques et une politique sociale active – dans la perspective de préserver, consolider et développer l'emploi.
Le Premier ministre Édouard Balladur, ainsi que Michel Giraud, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle ont assisté à ce colloque au cours duquel François Perigot a proposé aux partenaires sociaux d'entamer des rencontres bilatérales sur les problèmes liés à l'emploi.
En marge du 13 avril, le CNPF a recensé auprès des entreprises et des branches professionnelles "Cent initiatives pour l'emploi".
Ces réalisations font, en premier lieu, ressortir l'ampleur des difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises : évolution des marchés, apparition de nouveaux concurrents, diminution des commandes, concurrence sur les prix, sur les délais, rupture des plans de charge…
Mais, au-delà du court terme, les entreprises savent qu'il faut lancer de nouveaux produits, rechercher de nouveaux marchés, améliorer la qualité et pour cela repenser les modes d'organisation du travail, enrichir les qualifications, investir dans l'accueil des jeunes et dans la formation, conforter les salariés qualifiés qui sont un capital déterminant de l'entreprise.
Des différentes expériences analysées il ressort, notamment, que les modalités de mise en œuvre du temps partiel font une entrée importante aussi bien dans le secteur tertiaire que dans le secteur industriel. L'aménagement du temps de travail devient, quant à lui, un élément déterminant des solutions retenues pour limiter ou éviter des licenciements, et l'annualisation du temps de travail, avec programmation indicative, progresse. L'intérêt accordé à la formation initiale des jeunes ne se dément pas. Les engagements des entreprises se multiplient et on constate que les branches appuient, impulsent, encadrent ce développement.
L'action des branches professionnelles et des entreprises a fait l'objet de deux tables rondes réunissant des dirigeants patronaux et des chefs d'entreprise.
Une troisième table ronde a réuni les partenaires sociaux autour du thème "impératif économique, innovation sociale".
Colloque Organisation du travail et emploi
Intervention de François Perigot, Président du CNPF
La signification d'une rencontre
Cette journée de réflexion consacrée à l'innovation sociale et à l'emploi, à laquelle participent le Premier ministre, le ministre du Travail, et les responsables des organisations syndicales est une première dans les annales de l'organisation professionnelle. Elle s'inscrit dans le cadre du plan sur l'emploi et la formation que le CNPF a présenté au Premier ministre le 17 janvier dernier.
Ne pas se laisser gagner par la désespérance
Nous avons choisi d'illustrer l'innovation sociale à partir des initiatives prises en matière d'organisation du travail par les branches professionnelles et les entreprises. L'objectif est de répondre aux difficultés économiques tout en préservant, en consolidant et, si possible, en développant l'emploi.
Elle est le témoignage d'une réalité qui mérite d'être mieux connue car elle constitue une réponse aux inquiétudes des Français qui se demandent si le chômage ne serait pas la malédiction de la fin du XXe siècle et qui craignent qu'il n'existe, en dehors de la remise en cause fondamentale du fonctionnement de notre société, aucune perspective, aucun soulagement possible.
Le témoignage d'une réalité telle que nous la vivons ensemble aujourd'hui me paraît particulièrement important dans le contexte actuel.
Ce contexte, c'est avant tout l'inquiétude devant l'accroissement apparemment irrépressible du nombre des laissés pour compte de la vie active.
Inquiétude qui, si l'on y prend garde, est en passe d'atteindre des dimensions insupportables au point d'occulter les raisons d'espérer et d'entraver – en les rendant dérisoires – les mesures nécessaires pour combattre le chômage. Or, il n'y a aucune raison objective de se laisser gagner par la désespérance qu'engendrerait une fatalité du chômage. Ce que la France connaît, elle le doit à une crise économique sans précédent depuis la guerre, mais qui ne durera pas. Elle le partage avec les pays occidentaux qui n'ont pas su prévoir les ravages de la concurrence internationale qu'ils ont pourtant voulue et organisée et à laquelle ils refusent de s'adapter en s'accrochant à leurs acquis de vieux pays comblés et dont la capacité d'innovation émoussée ne justifie plus le confort dans lequel ils se sont installés.
Mais il n'y a aucune fatalité dans tout ceci, la crise passera et il n'appartient qu'à nous de réaffirmer notre supériorité scientifique sur le monde et avec elle, notre compétitivité.
N'oublions tout de même pas qu'il y a quelques années à peine, nous avons créé plusieurs centaines de milliers d'emplois dans un contexte international aussi concurrentiel qu'aujourd'hui.
Une reprise timide
Le contexte dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui, c'est aussi celui des premiers signes annonciateurs d'une reprise économique timide, fragile, qui nécessite pour se confirmer et se consolider le retour de la confiance des consommateurs, des investisseurs.
Il est vital que cette confiance – au lieu d'être inhibée par le désespoir – soit confortée par les nombreux exemples d'initiatives positives.
Nous avons conduit tous ensemble, gouvernement, syndicats, chefs d'entreprise, une opération exemplaire de mobilisation autour de la formation en alternance et de l'apprentissage.
Permettez-moi de penser que la contribution de "Cap sur l'avenir" à l'augmentation considérable du nombre de jeunes en apprentissage (+ 76 % de mars 94 par rapport à mars 93) et en contrat de qualification (+ 36 %) a été déterminante. Elle constitue un signal positif à l'égard des jeunes.
Imagination, excellence, audace
Ce contexte enfin, c'est celui de l'image de l'entreprise citoyenne, sérieusement atteinte par la crise et le chômage. Il est essentiel qu'elle puisse une nouvelle fois démontrer ses capacités de rebondissement, d'imagination et d'innovation, dans le domaine social comme dans les autres.
Je suis, à cet égard, en désaccord total avec tous ceux qui pensent que la solution à nos difficultés passe par la répartition de la pénurie. La sortie de la crise, le retour de la compétitivité et de l'emploi se fera par le haut.
Par l'imagination, l'excellence, la prise de risque et par l'audace.
Voici pour moi la première signification de cette rencontre : le témoignage d'une réalité que nous devons faire connaître et, si possible, étendre à l'ensemble des entreprises françaises.
Le témoignage d'une responsabilité partagée
La présence ici aujourd'hui des acteurs concernés est hautement symbolique.
C'est d'abord à l'État qu'il appartient de fixer le cadre à partir duquel pourra s'effectuer le changement, l'innovation sociale en établissant les conditions d'une nécessaire flexibilité.
Ce travail, l'État l'a fait. C'est à la fois l'objet et le contenu de la loi quinquennale. Elle doit être maintenant mise en œuvre.
Cette mise en œuvre pour être une réussite, doit s'appuyer bien évidemment sur une véritable concertation, mais elle doit aussi faire preuve de beaucoup de souplesse et du souci de faire une place maximum au droit à l'expérimentation sur le terrain.
Ceux qui vivent et travaillent ensemble au même projet, qui partagent les mêmes joies et les mêmes angoisses, et qui connaissent leur métier, ne sont-ils pas les mieux placés pour trouver les formules les plus efficaces et les mieux adaptées aux réalités économiques et sociales ?
Ce sont ensuite les salariés
Parce que c'est avec eux qu'il convient d'établir les modalités pratiques de l'innovation sociale, c'est à eux qu'il incombe d'éclairer les chefs d'entreprise sur ce qu'il est possible d'accepter pour répondre aux exigences de la compétitivité. Ce sont eux qui sont capables de se prononcer sur l'impact des réformes dans la réalité quotidienne.
Parce que c'est avec eux qu'il faut créer et entretenir des relations personnelles fondées sur le respect de l'écoute des autres afin d'imaginer et mettre en œuvre les adaptations nécessaires à la rigueur des temps.
Plus le changement se fera au niveau opérationnel et il est souhaitable qu'il en soit ainsi, plus le consensus sera nécessaire, plus la qualité des rapports entre les hommes jouera un rôle important pour la recherche et surtout le succès des formules nouvelles.
Enfin les entreprises
C'est sur elles en définitive et sur leurs dirigeants, que repose pour le meilleur ou pour le pire, le risque de la décision.
N'oublions jamais que la fragilité, la vulnérabilité d'une entreprise et son extrême sensibilité aux contraintes et aux rigidités conditionnent le succès ou l'échec dans la concurrence internationale.
Ne perdons pas de vue leur équilibre aléatoire, même en période de prospérité. Exigeons de l'entreprise beaucoup d'audace, d'imagination, de créativité au plan social comme sur les autres plans.
Enfin et ce sera ma conclusion, notre réunion d'aujourd'hui est aussi et surtout le témoignage d'une volonté commune.
Celle de trouver ensemble des remèdes immédiats pour endiguer la propagation du mal et pour répondre à l'inquiétude de nos concitoyens afin d'assurer le maintien du tissu des entreprises et de l'emploi de leurs salariés.
Celle de comprendre aussi, qu'au-delà des remèdes immédiats, il nous faut concevoir et accompagner le changement nécessaire à la survie de notre collectivité gravement exposée aux rigueurs de la mondialisation de l'économie.
Je souhaiterais, très sincèrement, poursuivre le dialogue que nous avons entamé aujourd'hui sur ces sujets avec chaque organisation syndicale ayant accepté de se joindre à nous, pour essayer de trouver ensemble les vraies réponses à un problème que nous devons certes refuser de dramatiser, mais qu'il est de notre responsabilité collective de résoudre.
Intervention d'Édouard Balladur, Premier ministre
C'est avec plaisir que j'ai accepté de participer au Colloque organisé par le Conseil national du Patronat Français sur l'organisation du travail et l'emploi. Je tiens à saluer l'action engagée par le CNPF au service de la lutte contre le chômage. Les chefs d'entreprise, dans une situation économique difficile, ont apporté leur concours à une mobilisation nationale en faveur de l'emploi, notamment grâce à l'opération "Cap sur l'avenir".
D'une manière plus générale, le colloque qui nous réunit aujourd'hui montre que les partenaires sociaux sont prêts à participer activement à la recherche négociée de solutions permettant de sauvegarder l'emploi et de le développer. Ils y sont d'autant plus prêts que les dispositifs proposés par les pouvoirs publics sont simples, efficaces et durables.
Une croissance plus créatrice d'emplois
La priorité de l'action du gouvernement est la lutte contre le chômage. Pour atteindre cet objectif, il faut à la fois plus de croissance et une croissance plus créatrice d'emplois. En d'autres termes, notre société doit retrouver la voie du dynamisme et de l'innovation. Prospérité économique et progrès social : telles sont les conditions du succès de la lutte pour l'emploi. Je me réjouis de constater que sur ces deux fronts, les entreprises françaises ne sont pas restées l'arme au pied. Elles savent que tout ne peut résulter de l'action de l'État. Les expériences en cours dans le domaine de l'organisation du travail sont le gage d'un avenir prometteur pour l'emploi dans notre pays.
Notre économie est en train de renouer avec la croissance : au printemps 1993, la France subissait, depuis 6 mois, la plus sévère récession qu'elle ait connue depuis la seconde guerre mondiale. Le Gouvernement a cherché, depuis son installation, à ramener la confiance. Dans un premier temps, il s'est agi d'assainir les comptes publics et sociaux, afin d'éviter que notre pays ne soit aspiré dans la spirale des déficits. Dans un deuxième temps, des mesures de relance ont été engagées dans les domaines les plus touchés par la récession : le logement, les travaux publics, le secteur de l'automobile. Des mesures de portée générale ont été prises pour éviter une dégradation de la situation des entreprises.
Ces mesures commencent à porter leurs fruits. L'ensemble des experts attendent une croissance de l'ordre de 1,5 % cette année. Les chefs d'entreprise prévoient une amélioration de la production, une diminution des stocks, une hausse des commandes, une reprise de l'investissement.
Mais l'action du gouvernement ne se limite pas à favoriser le retour à la croissance. Elle cherche à rendre la reprise de l'activité plus créatrice d'emplois. Telle est l'ambition de la politique de réforme conduite depuis un an. Cette politique se heurte, comme il était prévisible, à quelques difficultés. L'enjeu est clair : l'immobilisme ou la réforme. Il s'agit de savoir si une société qui fabrique du chômage et de l'exclusion mérite d'être maintenue en l'état. Ma réponse est non. Le choix du gouvernement est de continuer le changement. Je ne cesserai pas de pratiquer la tolérance, le dialogue, l'ouverture. Je ne ménagerai aucun effort pour dissiper les inquiétudes, légitimes ou non, mais je ne me laisserai pas arrêter sur la voie de la réforme.
Il n'existe pas de recette miracle dans la lutte contre le chômage. Le calendrier électoral favorise parfois l'éclosion de promesses insolites, qui annoncent des créations d'emplois par millions. Vous ne m'avez jamais entendu tenir de tels propos. En revanche, le Gouvernement s'attache à mettre en œuvre rapidement des mesures concrètes en faveur de l'emploi. Messieurs Michel Giraud et Alain Madelin ont fait adopter par le Parlement des lois importantes qui modifieront les comportements face à l'emploi dans notre pays tout en respectant les garanties fondamentales des salariés.
Les conditions d'exercice des entreprises sont simplifiées par la loi sur l'entreprise et l'initiative individuelle.
Des dispositions novatrices
La loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle encourage, dans tous les domaines, la création d'emplois. Elle comporte notamment, dans le domaine de l'organisation du travail, des dispositions novatrices, qui accompagnent et consacrent l'action menée par nombre d'entreprises.
La politique de réforme entreprise depuis 1993 commence à porter ses fruits : le nombre des demandeurs d'emploi s'est accru de 9 000 personnes au cours des trois dernier mois, contre 58 000 pendant la période correspondante de l'année dernière. Nul ne peut s'en satisfaire, mais j'observe que les offres d'emploi ne cessent d'augmenter : + 30 % en janvier, + 40 % en février, + 50 % en mars. Les entrées en apprentissage, quant à elles, sont, en mars, comme au cours des trois mois précédents, en forte hausse par rapport à l'an passé : + 76 %.
En d'autres termes, le succès est à portée de la main, pour peu que notre pays donne maintenant le meilleur de lui-même.
C'est dire à quel point une politique sociale active est, plus que jamais, nécessaire pour préserver et développer l'emploi.
Le colloque d'aujourd'hui donne l'occasion de recenser les initiatives qui, d'ores et déjà, ont été prises dans ce domaine par de nombreuses entreprises et par certaines branches professionnelles.
Des expériences qui ont été tentées, je retiens que les thèmes de négociation les plus souvent abordés sont le travail à temps partiel, l'aménagement du temps de travail et, parfois, son annualisation, le développement de la préretraite progressive et la formation de jeunes en alternance.
Je remarque que nombre des accords conclus sont à durée déterminée. J'y vois la preuve que notre vie sociale, dans les entreprises et dans le branches, est moins sclérosée qu'on ne le dit et que chacun comprend qu'à des situations données doivent correspondre des solutions nouvelles, mais pas forcément définitives.
Surtout, il me paraît important que les dispositions retenues par ces accords d'entreprise ou de branche soient diverses et ne procèdent d'aucun esprit de système.
En outre, je tiens à souligner que nombre des solutions nouvelles élaborées pour promouvoir une organisation du travail plus respectueuse de l'emploi s'inspirent, fût-ce par anticipation, des dispositifs prévus par la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle. Cette circonstance achève de me convaincre, si besoin était, du caractère novateur de ce texte.
Encourager la négociation
Le gouvernement et le législateur ont souhaité faire en sorte qu'une fois la croissance retrouvée, notre pays crée plus d'emplois que par le passé. À cette fin, ils ont recherché toutes les formules permettant d'organiser le travail de telle sorte que le dynamisme économique et la préservation de l'emploi cessent d'être antinomiques. Il s'agit d'une démarche expérimentale. Je me réjouis de constater aujourd'hui que nombre d'entreprises et de branches professionnelles ont d'ores et déjà décidé de tenter l'expérience. Je les en félicite. Et j'appelle toutes les entreprises de notre pays à s'engager dans cette voie, c'est-à-dire dans la voie d'une politique sociale active.
La loi quinquennale a fixé un cadre. Celui-ci correspond aux besoins de notre économie et à la nécessité de développer l'emploi. Je souhaite que le champ de l'expérimentation soit exploré par le plus grand nombre possible d'entreprises. Ainsi, des idées nouvelles verront le jour, des modes inédits d'organisation du travail feront leurs preuves. La négociation collective peut y trouver une plus grande vitalité. Celle-ci est essentielle au développement d'une politique sociale efficace et ouverte sur l'avenir. Le législateur tirera les leçons de ces expériences le moment venu, de telle manière qu'à croissance égale notre pays crée autant d'emplois que ses principaux concurrents.
Le rôle des pouvoirs publics en la matière est d'encourager la négociation, partout où elle est possible et d'en consacrer les résultats, chaque fois qu'ils s'avèrent conformes à l'intérêt général, je puis vous assurer que le Gouvernement ne faillira pas à cette mission.
Le message que je veux vous délivrer aujourd'hui est un message d'encouragement et de foi en l'avenir.
La lutte pour l'emploi nécessite volonté et courage de la part de tous les Français. C'est par l'action concrète que nous changerons les comportements. Les initiatives et les expériences de la nature de celles que je salue aujourd'hui concourent, j'en suis convaincu, à ce que nos compatriotes prennent conscience de cet enjeu essentiel pour notre pays.
La foi en l'avenir doit marquer notre action, nous voulons faire en sorte que la France soit de nouveau un pays où la croissance crée l'emploi. Nos entreprises doivent reprendre leur marche vers plus de dynamisme, de justice et de progrès.
Plus que jamais, le rassemblement des Français au service du changement est indispensable.
Intervention de Jean Domange, Président de la Commission sociale du CNPF
Les enseignements tirés des expériences d'entreprises et de la banque de données
Depuis le début de l'année dernière, nous avons entrepris de recenser des initiatives d'entreprises et de branches professionnelles dont le dénominateur commun est la volonté de faire converger deux démarches qui, traditionnellement, étaient le plus souvent menées de façon séparée :
– une réponse aux impératifs économiques ;
– une politique sociale active et ceci dans la perspective de préserver, consolider et développer l'emploi.
Les expériences présentées ce matin et celles que nous avons retenues dans le document "cent initiatives pour l'emploi" – nous paraissent significatives et en nombre suffisant pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés :
– étayer une analyse ;
– tirer des enseignements ;
– proposer une ligne de conduite.
Quelle analyse pouvons-nous faire de ces initiatives ?
Elles font d'abord ressortir l'ampleur et la diversité des problèmes auxquels sont confrontées, aujourd'hui, les entreprises ainsi que les principaux défis qui doivent être relevés.
Mais, au-delà du court terme, les entreprises savent qu'il faut lancer ces nouveaux produits, rechercher et créer de nouveaux marchés, améliorer la qualité et, pour cela, repenser les modes d'organisation du travail, enrichir les qualifications, corriger les pyramides d'âge, investir dans l'accueil des jeunes et dans la formation, favoriser l'évolution des salariés qualifiés qui constituent le capital le plus précieux de l'entreprise.
Ces accords, ces initiatives, ces réalisations montrent clairement que personne ne fait semblant d'être en difficulté, que personne n'invente la gravité des situations. Les chefs d'entreprise n'inventent pas les problèmes. Ils s'efforcent de trouver les solutions. Ils agissent.
Dans ces différentes expériences qui ont comme préoccupation commune l'emploi, quels sont les thèmes qui sont le plus souvent recensés ?
L'aménagement du temps de travail : un élément déterminant
L'aménagement du temps de travail devient un élément déterminant des solutions retenues pour limiter ou éviter des licenciements. Il constitue l'outil privilégié de réponse aux évolutions de marché. L'annualisation du temps de travail progresse. Depuis l'accord national interprofessionnel de 1981, il aura fallu près de 15 ans pour avancer dans une pratique plus souple de l'organisation du temps de travail, tout en ayant le souci de fixer les règles et de prévoir des contreparties.
Concernant la flexibilité salariale, plusieurs des réalisations présentées montrent que nous savons, pour préserver des emplois, modifier une part des composantes salariales, en réduisant dans certains cas le temps de travail avec des contreparties raisonnables sous la forme, par exemple, de moindres augmentations, de gels momentanés des salaires ou de rémunérations différées.
L'analyse des solutions apportées au problème des salariés âgés fait apparaître le développement de la préretraite progressive qui fait perdre au départ en retraite son caractère couperet.
Le temps partiel se développe – certes avec quelques difficultés – aussi bien dans le secteur tertiaire que dans le secteur industriel. Les modalités de mise en œuvre se multiplient.
Enfin, l'intérêt accordé à la formation initiale des jeunes ne se dément pas.
Dorénavant, il est admis que des salariés anciens puissent, notamment grâce à la préretraite progressive, préparer la place à des jeunes, ceci sous réserve d'analyse et d'adaptation. Les engagements des entreprises se multiplient et on constate que les branches appuient, impulsent, encadrent ce développement.
Les professions et les entreprises sont déterminées à faire de l'alternance un outil permanent de leurs politiques.
Au demeurant, les entreprises, malgré leurs difficultés, ne réduisent pas leurs investissements formation. Mais une attention croissante est portée à l'évaluation, c'est-à-dire à l'efficacité des actions de formation.
Enfin, notons que nombre de ces accords sont à durée déterminée. Là encore, un mythe s'efface selon lequel les Français ne sauraient négocier que des accords à durée indéterminée, sans possibilité de révision. La pratique s'instaure d'adopter des dispositions qui répondent à des situations données, avec la volonté de pouvoir prendre en compte les évolutions qui interviendront ultérieurement.
Quels sont les enseignements que nous pouvons tirer de ces expériences ?
D'abord, l'emploi mobilise les chefs d'entreprise et les professions. Il les mobilise soit parce qu'ils affrontent une situation économique qui menace l'emploi, soit qu'ils anticipent et savent qu'il faut qualifier, embaucher pour préparer l'avenir. Ils cherchent donc, selon les situations, à préserver, à consolider ou à développer l'emploi.
Deux leçons se dégagent alors :
1. D'abord, il n'y a pas une réponse unique pour traiter des conséquences sur l'emploi des difficultés conjoncturelles ou structurelles. C'est la combinaison d'un ensemble de solutions qui permet d'avancer. Et cette combinaison doit être adaptée à chaque entreprise, à ses objectifs, ses projets, son mode d'organisation du travail, sa culture et son personnel.
2. Ensuite, la majorité de ces réalisations prend la forme d'accords d'entreprise ou de branche. Cela fait apparaître que, dans des périodes de mutation profonde ou de crise, lorsque la survie et l'avenir de l'entreprise et des emplois sont en jeu, les interlocuteurs syndicaux, pour la plupart d'entre eux, sont prêts à participer activement à la recherche négociée de solutions. Observons que, selon les questions à traiter, selon les niveaux où se posent les problèmes, l'entreprise, l'établissement ou la branche, recherche les solutions les mieux adaptées. Ainsi la branche garde-t-elle, en ce domaine, son rôle d'éclairage, d'impulsion et d'encadrement. Enfin, on peut noter que les entreprises, et d'une manière plus générale les partenaires sociaux, utilisent d'autant mieux les dispositions législatives ou réglementaires qu'elles sont simples, claires, réalistes et assurées d'une certaine stabilité.
D'abord cessons de raisonner dans l'abstrait, de façon théorique, et développons l'information sur ces réalisations. Il est important d'améliorer la connaissance des solutions qui se dégagent, des orientations qui sont prises, des méthodes d'analyse, de dialogue, de prise de décision.
Ensuite, il faut tout faire pour que d'autres entreprises, au vu de ces expériences, adoptent à leur tour ce type de démarche en l'adaptant, bien entendu, à leur propre situation.
Ainsi pourrons-nous faire partager notre certitude que l'adaptation est possible, que le progrès est possible.
Nous montrons aujourd'hui de façon très concrète que le progrès est en marche dans l'entreprise, sur le terrain, au plus près des problèmes à résoudre.
Ce n'est pas facile. Le progrès demande un certain consensus aussi bien dans l'analyse de la situation que dans le choix des solutions.
Les débats sont vifs. Les accords ne sont pas toujours signés par l'ensemble des partenaires. Il ne faut pas s'en étonner.
La nécessité de changement n'est pas encore apparue comme une nécessité absolue aux yeux de tous.
Une journée comme celle-ci a pour objectif d'aider au développement d'une politique de diffusion des expériences et des réalisations, ce qui est à nos yeux éminemment qui est à nos yeux éminemment nécessaire pour sortir de la crise et continuer à progresser.
Le rôle des organisations professionnelles s'est enrichi, il consiste de plus en plus à recueillir, à faire connaître et à diffuser les solutions que d'autres entreprises ou professions ont trouvées, expérimentées, validées, et à organiser le débat à partir du concret. Cette fonction nouvelle est la contrepartie de la nécessaire autonomie de la négociation collective. Elle est essentielle pour le maintien et le renouvellement des liens entre les entreprises, les structures professionnelles et interprofessionnelles. Elle est également nécessaire à la permanence d'une politique sociale motivante et, grâce à l'expérimentation et à l'évaluation, efficace, imaginative et dynamique.
Nous souhaitons que tous, entreprises, Pouvoirs Publics et interlocuteurs syndicaux, en soient convaincus. C'est une condition essentielle du succès.
Intervention de Bertrand Collomb, Président de Lafarge Coppée
Compétitivité, solidarité, flexibilité et esprit d'entreprise
En m'attribuant le rôle de "grand témoin", le programme de cette journée semble conférer à Lafarge Coppée une sorte d'exemplarité en matière d'organisation du travail et de l'emploi. Même s'il est vrai que notre groupe a un long passé d'innovation sociale, il convient de rester modeste, surtout après avoir entendu ces exposés et témoignages, qui montrent bien la richesse et la variété de ce qui se fait, en ce moment, en ces domaines.
Les questions que nous nous posons aujourd'hui (et que nous pose la société) ne peuvent s'esquiver facilement ; elles sont brutales : les industriels français ont-ils "trop licencié" et créé trop peu d'emplois ? Avons-nous trop automatisé ? Avons-nous été trop financiers, trop gestionnaires, et méconnu la responsabilité sociale qui est collectivement la nôtre, en tant qu'employeurs ?
En quelques minutes, je me propose de vous indiquer, très simplement, ce que nous faisons en matière d'organisation du travail et d'emploi, et les principes qui nous guident ; et je vous ferai part de ce que je crois être notre devoir d'état d'entrepreneur, face à ces problèmes créer de la richesse, du développement, et permettre une nouvelle croissance.
Nous subordonnons notre action à un impératif : concilier compétitivité et solidarité.
Ne pas sacrifier la compétitivité…
Car j'ai une conviction : rien ne sera possible, ni pour la société française, ni pour ses entreprises, si celles-ci ne sont pas compétitives. Construire une telle compétitivité à moyen terme est la seule stratégie possible pour résister à une concurrence toujours plus vive, remplir notre mission de producteur efficace, être utile à nos clients, et – plus simplement – pour survivre.
Une telle recherche de compétitivité n'est pas synonyme de suppression d'emplois. Ainsi, notre Industrie a su réduire ses coûts de façon sensible par des économies d'énergie, une meilleure gestion des combustibles, des formulations, de la logistique, de l'entretien, ou des investissements… Mais il est vrai que la productivité du travail reste un élément important de la compétitivité, et que, selon que nous devons faire face à des évolutions conjoncturelles ou structurelles, les mesures à prendre pour l'accroître ne sont pas de même nature, et n'ont pas les mêmes conséquences sur l'emploi.
Face aux variations conjoncturelles des marchés, il faut développer des mesures à caractère temporaire permettant de passer un cap difficile sans provoquer de pertes définitives d'emploi. Par exemple, des réductions de rémunérations ou d'horaires, en contrepartie temporaire de non-licenciements ; ou encore les dispositifs de type chômage partiel ou le nouveau Temps Réduit Indemnisé de Longue Durée.
Mais j'observe que la façon dont nous sommes organisés conditionne en partie notre capacité à aménager – ou réduire temporairement – le temps de travail. Nous-mêmes avons une certaine habitude des marchés cycliques, et des flexibilités nécessaires :
1. Tout d'abord le fait d'être organisés en établissements de petite taille (la plupart de nos sites industriels comptent moins de 150 personnes), disposant d'une bonne autonomie et d'une capacité d'adaptation locale, permet probablement d'y avoir moins de rigidités sociales qu'ailleurs. Certains de nos métiers sont d'ailleurs organisés en PME ; ils suivent plus facilement les flexibilités horaires et saisonnières des chantiers. L'annualisation du temps de travail est pour ces entreprises une direction de progrès importante.
2. D'autre part, nous avons depuis longtemps recherché une organisation de travail qui favorise la flexibilité, en même temps que le développement des hommes.
Dès le début des années 60 nous avons développé, pour les ouvriers, des principes de construction de carrière favorisant la formation qualifiante et la polyvalence production/entretien. Les opérateurs de nos cimenteries ont reçu une formation d'entretien mécanique ou électrique et ont, dans certains cas, des cycles de travail en poste/travail à la journée alternant des types différents d'activité. Une telle conception élève la compétence, favorise le dialogue entre services et permet un meilleur développement de carrière. Mais elle permet aussi, lorsque l'usine ne tourne pas à pleine capacité, de mieux utiliser les effectifs en réduisant l'appel à la sous-traitance, et donc d'éviter les coups d'accordéon sur les horaires ou les emplois.
Malgré ces flexibilités, la capacité d'adaptation au conjoncturel n'est pas illimitée. D'où l'importance d'anticiper suffisamment les gains structurels de compétitivité nécessaires pour "passer" sans dommage les contre-cycles.
Trouver une telle compétitivité, sur le long terme, ne peut se faire qu'avec les hommes de l'entreprise (non contre eux); c'est en les formant, en les responsabilisant, en leur offrant l'opportunité d'un développement personnel que l'entreprise obtiendra d'eux, en retour, ces progrès continus qui sont la clé de l'efficacité des industries lourdes.
C'est dans les années 60, et non en réaction à la baisse du marché des années 80, puis de celle des années 90, que nous avons mis en place des organisations plus performantes, plus souples, mais aussi donnant aux hommes plus de possibilités de développement. Plus récemment, nous avons voulu, en accentuant la responsabilisation des hommes, favoriser la mise en place de diverses formes de management participatif, de travail en équipe (en matière de sécurité, de qualité totale)… Autant de leviers qui ont permis une anticipation suffisante d'efficacité et de flexibilité pour aborder la chute de 20 %, ces deux dernières années, des marchés français de plusieurs de nos matériaux, sans devoir baisser nos emplois en France de plus de 4 % pendant la même période. D'une façon plus générale, nous avons amélioré la productivité du travail de façon très régulière à travers les bonnes et les mauvaises années, ce qui a réduit l'impact des ajustements à faire en période de crise.
Néanmoins lorsque la récession est trop importante, ou se prolonge, il serait irresponsable de différer trop longtemps les mesures de restructurations industrielles nécessaires ou de s'accommoder d'une perte durable d'efficacité. Lorsque des décisions difficiles doivent être prises, il est important de manifester un esprit de solidarité.
Tout en étant solidaires…
Notre groupe est, à l'heure actuelle, confronté à une telle situation. Dans certaines de nos activités en particulier le ciment – nous savons que le nombre d'emplois va diminuer et nous avons annoncé il y a peu la fermeture de l'une de nos 12 cimenteries françaises.
Dans ce cas, nous nous obligeons à respecter les règles suivantes :
1. D'abord, ne laisser personne seul face à son problème d'emploi ; nous examinons avec chacun sa situation particulière, et cherchons l'aide la plus adaptée.
2. Ensuite, faire jouer la solidarité à l'intérieur du Groupe. Une Cellule Emploi a été mise en place pour permettre des reclassements internes (pour les ouvriers et employés, en particulier). Les résultats enregistrés au cours de ces six premiers mois sont encourageants (malgré la difficulté à faire accepter la mobilité géographique, souvent nécessaire).
3. Enfin, lorsqu'une mesure de réduction d'effectifs touche plus spécialement un établissement, nous mettons en place, sur le site même, une équipe chargée d'accompagner chacun dans sa recherche d'emploi.
Flexibilité du temps de travail : des pistes à explorer
En même temps, nous demandons à nos entreprises de chercher les flexibilités qui, sans sacrifier les objectifs d'efficacité, auront un impact positif sur l'emploi. Par exemple : recherche de travaux à temps partiels complémentaires (qui permettraient de partager un emploi entre deux titulaires), pré-retraite progressive, annualisation du temps de travail (pour une meilleure saisonnalisation du travail). Des enquêtes récentes (1) indiquent que les salariés sont plus ouverts que nous ne l'imaginons à des formes d'emploi plus différenciées, à condition qu'elles soient réversibles et ne conduisent pas à une régression sociale.
La nécessaire solidarité avec notre environnement social doit nous amener à prendre des initiatives en faveur de ceux que la crise actuelle risque d'exclure durablement.
Aider sur le terrain, dans l'environnement de nos sites, les entreprises d'insertion, les associations et les collectivités locales, peut être un mode d'action efficace. Nous mettons en place, pour la France, une Mission d'Implication Locale pour l'Emploi, qui a pour mission d'aider les responsables de sites à favoriser la création d'emplois locaux, de contribuer à la création d'entreprises par "essaimage", et de susciter initiatives et engagements de nos responsables locaux dans la lutte contre l'exclusion.
Accompagner nos collaborateurs dans leurs initiatives de solidarité
Certains salariés du Groupe, ou comités d'entreprise, ont entrepris d'aider – de leur propre initiative – diverses associations luttant contre l'exclusion, pour l'accueil de jeunes ou la réinsertion de salariés âgés… Nous sommes convenus de leur laisser la souplesse d'horaire nécessaire, et de compléter financièrement – au cas par cas – les contributions qu'ils seraient prêts à apporter eux-mêmes à diverses associations ou initiatives… Bref, d'être partenaire, et d'offrir ainsi une sorte d'effet de levier.
Laissés à eux-mêmes, dans les conditions présentes, les chômeurs âgés ou de longue durée n'ont que peu de chances de se réinsérer. On peut agir sur deux plans :
– soutien personnalisé fourni par une personne en activité (test que nous venons de démarrer avec l'ANPE des Hauts-de-Seine) ;
– mission en entreprise.
Un effort particulier pour accueillir les jeunes
L'aide aux jeunes est pour nous une action prioritaire. Nous avons déjà fait des efforts pour la formation des jeunes avec des contrats d'apprentissage et des formations qualifiantes. Notre objectif est de doubler cet effort en 1994 pour accueillir 200 jeunes en formation dans nos entreprises françaises (soit 2 % de nos effectifs). Nous voulons aussi continuer à développer le nombre des jeunes stagiaires que nous accueillons (plus d'une centaine) et doubler notre capacité d'accueil de jeunes diplômés (même pour des missions limitées dans le temps ou à temps partiel).
L'ardente obligation d'entreprendre
Cette solidarité active que je viens d'évoquer a pour objectif d'aider la société française à passer un cap difficile celui d'une conjoncture déprimée. Peut-elle constituer une solution aux problèmes structurels de notre société ? Je ne le pense pas. Mais je ne crois pas non plus que la réponse soit dans un repli frileux, où nous essaierions de nous protéger de la concurrence et de partager au mieux un volume d'emploi fixe en attendant passivement les effets d'une reprise mondiale qui donnerait à l'économie française la croissance souhaitable.
Je crois au contraire que c'est en prenant l'offensive, en étant plus actifs et plus performants sur les marchés mondiaux, que nous pourrons générer une nouvelle croissance et la création d'emplois. Nous devons nous sentir investis plus que jamais d'une "ardente obligation d'entreprendre".
C'est une telle dynamique que nous nous efforçons d'entretenir dans notre Groupe. Certes, une partie importante de notre croissance est internationale, mais ses effets induits à l'intérieur de nos sociétés, le courant d'affaire qu'elle entraîne chez nos fournisseurs d'équipement français et européens, l'exportation de savoir-faire qu'elle réclame, contribuent au dynamisme général de l'économie française. Simultanément, nous voulons favoriser les développements internes création de nouveaux produits, de nouveaux services, bref, création de richesse. Car de tels développements sont, en fait, les moteurs d'une nouvelle croissance économique durable.
À ce dynamisme de nos entreprises, doit aussi répondre une volonté du corps social de s'adapter à la situation de concurrence. Il ne s'agit pas de défendre la "ligne Maginot" des avantages acquis, ni d'accepter comme inévitable une baisse généralisée du niveau de vie et une dégradation de notre tissu social.
Il s'agit de voir comment les entre- prises peuvent être encouragées, et supportées dans leur offensive sur les marchés intérieurs et extérieurs, par un environnement qui a compris l'ampleur et la nature des défis, et qui sait que nous gagnerons ou nous perdrons tous ensemble.
Or si dans les entreprises les défis concurrentiels entraînent une mobilisation des énergies, une créativité et une combativité extraordinaires, nous percevons dans le corps social davantage de crispations, de replis ou de refus. C'est le cas actuellement des réactions à la loi quinquennale sur l'emploi, instrument imparfait certes, mais tentative d'introduire davantage de flexibilité dans un marché de l'emploi beaucoup plus rigide, voire bloqué, que dans la plupart des autres pays. On ne peut reprocher aux jeunes, confrontés à l'angoisse du chômage, leur inexpérience, leur idéalisme, ou leur manque d'information sur les problèmes réels. Mais il serait excessif de tirer des événements des dernières semaines la conclusion que tout est bloqué dans notre société.
Je suis persuadé qu'il est possible de faire comprendre à nos concitoyens, plus réalistes qu'on ne l'imagine, l'ampleur des changements nécessaires dans les modes de fonctionnement de notre société pour que nous gagnions la partie. Gagner, c'est-à-dire, péniblement et progressivement, et par un effort de dix ans au moins, faire reculer un chômage qui s'est insidieusement développé depuis près de vingt ans.
Les chefs d'entreprise doivent y contribuer, par leur parole et par leur action, en insistant, comme j'ai essayé de le faire devant vous, sur quatre mots-clés : compétitivité, solidarité, flexibilité et esprit d'entreprise.
Intervention de Bernard Boisson, Directeur général des affaires sociales du CNPF
Les enjeux de la loi quinquennale
Afin de porter une appréciation aussi exacte que possible sur les réels enjeux de la loi quinquennale relative au Travail, à l'Emploi et à la Formation Professionnelle, il apparait nécessaire de bien distinguer deux éléments :
1. Les débats qui se sont développés devant l'opinion à l'occasion de la discussion parlementaire et de la sortie des décrets d'application ;
2. Les dispositions législatives elles-mêmes, en insistant particulièrement sur celles qui concernent l'organisation du travail puisque ce thème est au cœur de nos travaux d'aujourd'hui.
Sur le premier point, force est de constater que les débats tout à fait étonnants qui ont fait rage sur les 32 heures d'abord, sur le CIP ensuite, apparaissent totalement déconnectés de la réalité économique et sociale de notre époque.
Le devant de la scène a été occupé par des échanges qui laissaient dans l'ombre les deux données essentielles de la situation :
La première, c'est que depuis une vingtaine d'années, nous sommes, à l'échelon planétaire, confrontés à de profonds bouleversements des circuits de production et d'échange et que ces bouleversements remettent en cause les certitudes et les acquis que nous nous sommes forgés durant les 30 années de croissance d'après-guerre.
La seconde donnée, c'est le fait que nous venons de connaître, en 1993, une récession d'une gravité sans précédent depuis une cinquantaine d'années, récession dont les effets sont ravageurs sur l'emploi et sur le financement de la protection sociale.
Face à cette situation, le danger du débat qui a envahi les journaux, les écrans et finalement la rue, c'est de créer l'illusion, l'illusion de croire qu'il suffit de changer les textes pour que tout s'arrange, de croire, par exemple, que la loi, le décret, la circulaire peuvent supprimer les licenciements dans les entreprises en difficultés et créer de l'emploi ailleurs, de façon plus ou moins artificielle.
Si l'on veut bien se rappeler que de 1986 à 1990, les entreprises françaises ont créé plus d'un million d'emplois et que, depuis, nous en avons perdu près de 600 000, la véritable question est de savoir comment on peut créer plus d'emplois quand ça marche bien et en perdre moins quand ça va mal.
À cette question essentielle, la loi quinquennale apporte des réponses tout à fait positives.
Si on l'examine – en oubliant les débats confus que nous venions de vivre –, on voit clairement qu'elle comporte des dispositions, dont certaines sont très novatrices, qui doivent permettre aux entreprises de s'adapter mieux et surtout plus vite aux évolutions du marché et, par conséquent, de sauvegarder, de maintenir ou développer l'emploi dans de meilleures conditions.
En ayant pour objectif d'abaisser le coût du travail, d'assouplir les règles concernant tant l'organisation du travail que la gestion du temps de travail et de donner une nouvelle impulsion à la formation professionnelle, elle opère de profondes réformes dans les trois domaines qui sont au centre de la problématique de l'emploi.
Certes, avec quatre-vingt-trois articles, plus de quarante décrets, une bonne trentaine de circulaires et quelques arrêtés, l'ensemble du dispositif législatif et réglementaire – dont la construction devrait être achevée dans les semaines qui viennent – est particulièrement lourd et paraît d'une grande complexité.
Certes aussi, un certain nombre de mesures ont été adoptées sans tenir compte de nos arguments et risquent, notamment, d'ébranler l'édifice contractuel de formation professionnelle que nous avons bâti avec nos partenaires syndicaux sans que nous soyons assurés pour autant d'une meilleure efficacité. Tant s'en faut.
Mais – et c'est l'essentiel – une étape décisive vient d'être franchie en matière d'organisation du travail avec l'annualisation du temps de travail qui constitue le stade avancé de la modulation. Une étape que nous attendions et demandions en vain depuis longtemps.
De plus :
1. La fusion du travail intermittent et du temps partiel, c'est-à-dire la possibilité d'annualiser le travail à temps partiel.
2. L'assouplissement des conditions relatives aux préretraites progressives et aux conventions d'aide au passage à temps partiel.
3. La possibilité de combiner les majorations salariales et les compensations en temps pour les heures supplémentaires constituent également des réformes tout à fait nécessaires et positives.
Il faut souligner que ces dispositions ne vaudront que par l'usage qui en sera fait dans les entreprises. En effet, puisqu'elles ne peuvent être mises en œuvre que par accord collectif, elles reposent sur les négociations de branche, d'entreprise ou d'établissement. Ainsi, la responsabilité du patronat et des organisations représentatives de salariés est-elle clairement engagée.
Il faut signaler là une grave lacune : les entreprises dépourvues de représentation syndicale (ce qui est le cas de beaucoup de PME) sont tenues à l'écart et ne pourront pas bénéficier des principales réformes de la loi quinquennale. En effet, malgré tous nos efforts, nous n'avons réussi à convaincre ni le Gouvernement, ni la majorité parlementaire, de prévoir la possibilité de négocier le temps de travail avec les instances élues du personnel, ce qui nous paraît tout à la fois parfaitement logique, juste, et tout à fait nécessaire. Nous poursuivrons notre action sur ce point en suivant de très près la façon dont les choses vont évoluer sur le terrain.
C'est là – et seulement là – dans le pragmatisme, la souplesse et la diversité des situations que l'on pourra juger de la qualité de la loi quinquennale et apprécier les ajustements qu'il conviendra d'y apporter.
Je suis persuadé qu'à l'issue de cette journée, nous pourrons afficher un optimisme résolu lorsque nous aurons constaté, au vu de nombre d'accords, que les partenaires sociaux ont souvent anticipé l'évolution législative, donnant ainsi toute sa valeur à la politique contractuelle qui, à l'initiative des responsables d'entreprise, dans le dialogue au plus près des problèmes à résoudre, démontre sa capacité à ouvrir des voies nouvelles.
Colloque Organisation du travail et emploi – Table ronde n° 1
"L'action des branches professionnelles"
La première table ronde, animée par François-Henri de Virieu était consacrée à l'action des branches professionnelles. Elle réunissait Guillaume Sarkozy de l'Union des industries textiles, Georges de Haldat de la Fédération des entreprises de distribution, de magasins à prédominance alimentaire et de services, Christiane Charbonnier de l'Union des industries métallurgiques et minières, Roger Breuil de la Fédération nationale du bâtiment et Henri Ktourza de SOPAD Nestlé représentant l'Alliance 7 (chocolatiers, biscuiterie, confiserie…) venus présenter les accords signés au sein de leur branche.
Textile : modulation des horaires
Le 13 avril 1993, les industries textiles ont signé un accord sur la modulation des horaires après six ans de négociations émaillées d'incidents multiples.
Cet accord dont l'objectif initial était "la durée hebdomadaire du travail doit pouvoir varier de 0 à 48 heures" a été conçu dans l'idée de privilégier une application souple : chacun de ses éléments peut être modifié par accord d'entreprise.
C'est sur accord à double détente selon l'amplitude de la modulation :
– automatiquement applicable jusqu'à 44 heures ;
– applicable après la conclusion d'un accord d'entreprise entre 44 et 48 heures.
Point essentiel, en l'absence de délégués syndicaux – ce qui est le cas de nombreuses PME du secteur – la modulation de 0 à 48 heures peut être mise en œuvre sur avis conforme du comité d'entreprise, ou à défaut, sur avis conforme des délégués du personnel.
La rémunération est lissée sur la base de 39 heures. Les heures effectuées au-delà ne sont pas considérées comme des heures supplémentaires, et donnent droit à un seul repos représentant 125 % des heures modulées ou à d'autres contreparties équivalentes.
L'accord n'ayant été étendu, par arrêté ministériel, qu'en août 1993, il est encore trop tôt pour en connaitre les effets sur l'ensemble de l'industrie textile. Mais précise Guillaume Sarkozy : "Dans ma société, en négociant la mise en place de la modulation des horaires, j'ai découvert des problèmes qui n'étaient pas apparus dans les discussions au niveau de la branche :
1. Grandes difficultés à faire comprendre la notion même de modulation des horaires aux délégués syndicaux et au personnel.
2. Blocage sur le travail du samedi après-midi.
Malgré tout, les premiers mois d'application sont très encourageants car nous avons pu absorber une pointe de production à la fin de l'année sans augmenter les délais et sans surcoûts pour l'entreprise".
FEDIMAS : annualisation du temps partiel
Les partenaires sociaux de la grande distribution alimentaire ont conclu en février 1993 un accord qui permet un large recours au temps partiel "Le problème de la grande distribution précise Georges de Haldat est de faire face aux flux très irréguliers de clientèle".
Deux premiers accords en 1982 et 1987 ont permis d'introduire de façon expérimentale l'annualisation du temps partiel et le travail intermittent. L'accord de 1993 pérennise le temps partiel et permet son annualisation tandis qu'il supprime le travail intermittent. Cet accord prévoit notamment :
1. Bénéfice de l'abattement des charges sociales patronales sur le temps partiel, si la durée minimale hebdomadaire du temps partiel est égale à 22 heures.
2. Incitation des entreprises à proposer des heures complémentaires plutôt que de recourir aux contrats à durée déterminée ou aux heures supplémentaires.
3. Incitation des entreprises à développer des organisations d'horaires sur une base annuelle.
4. Les salariés à temps partiel bénéficieront de l'égalité des droits et avantages des salariés à temps plein.
5. Le passage à temps partiel s'accompagne d'une demande écrite du salarié et un avenant au contrat de travail précise les conditions d'emploi.
Industries métallurgiques et minières : travail en continu pour motifs économiques
L'accord du 17 juillet 1986 pose le principe du travail en continu pour motifs économiques dans la métallurgie. Il garantit aux salariés travaillant en permanence selon ce système un horaire hebdomadaire moyen de 33 h 36 mn comme aux salariés travaillant en continu pour motifs économiques. Il prévoit les points essentiels qui doivent être abordés dans les accords d'entreprise, c'est-à-dire l'horaire des salariés et les modalités de leur rémunération (la compensation pour réduction d'horaire).
Le travail dit "en continu" est un système dans lequel le travail est organisé de telle façon que, les équipes de salariés se relayent continuellement sur les équipements pour que l'activité puisse être poursuivie sans interruption le jour comme la nuit, les sept jours de la semaine (dimanche compris). C'est un système qui permet de rentabiliser les équipements à leur maximum, étant donné qu'ils ne s'arrêtent jamais.
Les organisations syndicales n'ont pas soulevé d'obstacles de principe dès lors qu'elles étaient bien sensibilisées aux difficultés des entreprises concernées et dès lors que le texte de l'accord garantissait des droits, équivalents à ceux des salariés qui travaillaient en continu pour des raisons techniques.
Le seul problème dans la négociation est venu de l'éventualité d'intégrer les femmes aux équipes de nuit. Les discussions ont été vives sur ce point mais finalement un consensus a été trouvé : se limiter, au niveau de la branche, à conclure un accord cadre ouvrant la possibilité aux entreprises de travailler en continu, accord qui devrait être doublé pour sa mise en application d'un accord au niveau de l'entreprise.
Cet accord est entré en vigueur en 1987.
Depuis une cinquantaine d'entreprises ont utilisé cet aménagement.
Les entreprises mettent en place cet aménagement lors de l'acquisition de nouveaux matériels pour les amortir plus rapidement ou alors lors de l'expansion d'une activité déjà existante afin d'éviter un investissement supplémentaire.
Il est également utilisé de façon ponctuelle pour faire face à un surcroit temporaire de production, dans des entreprises travaillant déjà en 2 équipes ou en 3 équipes du lundi au vendredi, afin d'éviter le recours aux heures supplémentaires.
L'institution du travail en continu pour motifs économiques a toujours un effet positif sur l'emploi, et se traduit souvent par des embauches définitives ou temporaires.
Dans certains cas, il permet simplement d'éviter des licenciements par transfert de personnel d'un secteur en perte de vitesse à un secteur en expansion.
Bâtiment : un enjeu paritaire national
Comme tous les autres secteurs d'activité, le Bâtiment est confronté à la nécessité de s'adapter en permanence aux variations et aux exigences des marchés, s'il veut rester compétitif et répondre aux exigences de qualité globale pour ses produits et ses services.
Compte tenu de la diversité des situations et des entreprises (leur taille varie de 1 salarié à plusieurs milliers), il ne peut y avoir de solution unique car les besoins sont forcément multiples, très différents d'une entreprise à l'autre.
Au niveau national, un premier accord de branche a été signé le 15 février 1982. Aujourd'hui la FNB souhaite adapter cet accord et conclure un accord de branche sur l'organisation du travail en tirant parti de l'actuelle législation et notamment des dispositions de la loi quinquennale.
Les points en discussion au niveau national sur lesquels la négociation a déjà avancé sont les suivants :
– accès à tous les dispositifs des entreprises n'ayant pas de délégués syndicaux ;
– remplacement des heures supplémentaires par des repos compensateurs ;
– organisation du travail sur 4 ou 6 jours ;
– temps partiel ;
– mise en place d'équipes de fin de semaine.
En ce qui concerne l'annualisation des horaires qui est un point central de la négociation, ce que souhaite la FNB c'est que les entreprises s'en servent. Aussi bien les toutes petites que les très grandes.
Il faut donc que le système conçu pour être optionnel soit accessible à tous. Qu'il soit le plus simple et le plus ouvert possible afin de pouvoir prendre en compte tous les cas de figure envisageables.
Il est important de signaler que dans cette perspective, la FNB est prête à envisager une réduction de la durée du travail dans le cadre de l'année.
Il est encore trop tôt pour dire ce que sera l'issue de cette négociation. Elle est ambitieuse, recouvre différents aspects. Elle est donc complexe et justifie que chacun en mesure soigneusement les équilibres.
Un autre sujet concernant l'organisation du travail est en réflexion dans la profession du bâtiment en liaison avec celle des Travaux Publics. Il s'agit de l'aménagement de fin de carrière à partir de 55 ans.
La loi quinquennale offre la possibilité d'une répartition dégressive du temps partiel devant être accompli pendant la préretraite.
Quelle que soit la répartition retenue :
– le mi-temps travaillé devra être rémunéré par l'employeur selon les règles habituelles ;
– le mi-temps non travaillé ouvrira droit au salarié au versement par l'État d'une allocation FNB de 30 % de son salaire antérieur.
Au total, le salarié percevra pendant toute sa préretraite, en net, environ 85 % de son ancien salaire net.
On peut même envisager à condition de maintenir sa rémunération que le salarié soit dispensé d'accomplir une partie de son mi-temps de travail de telle sorte qu'il puisse cesser toute activité avant 60 ans.
Ce sont là des pistes explorées activement avec le souci de pouvoir déboucher rapidement sur des propositions concrètes, et avec l'espoir qu'elles seront acceptées par les partenaires syndicaux.
Enfin, pour préserver l'emploi, la FNB privilégie la formation et en 1993, l'ensemble des organisations syndicales de salariés de la Profession et de celle des Travaux Publics ont signé avec l'État un accord intitulé "Former plutôt que licencier" qui a permis à travers l'utilisation d'une partie des fonds de la formation du BTP de sauvegarder dans 850 entreprises l'emploi d'environ 5 000 salariés tout en élevant leurs compétences grâce à des actions longues de formation (en moyenne 450 heures).
Le 17 mars 1994, ce dispositif a été reconduit pour les 15 prochains mois avec comme objectif de préserver l'emploi de 10 000 autres salariés en leur assurant une formation diplômante ou qualifiante.
Ce dispositif est ouvert à tous les salariés quel que soit leur âge et à toutes les entreprises quelle que soit leur taille.
Alliance 7 : répondre aux variations de production
L'Alliance 7 adhérente de l'Association nationale des industries agro-alimentaires regroupe 7 syndicats professionnels, 400 entreprises, 35 000 salariés dans les secteurs de la chocolaterie, confiserie, biscuiterie.
Ces industries, comme beaucoup d'autres, sont soumises à des variations importantes de production et de vente, dues notamment aux fluctuations saisonnières, et aux marchés d'exportation.
Elles ont donc besoin de flexibilité et de souplesse, dans l'organisation du travail et dans l'aménagement du temps de travail.
C'est pourquoi, il a toujours été recherché avec les partenaires sociaux, des accords susceptibles de concilier à la fois les impératifs de la production, et des conditions de travail et d'emploi favorables.
En 1982 a été conclu au niveau de la branche, un accord important toujours en vigueur répondant à ces exigences.
Les entreprises ont la possibilité de moduler les horaires hebdomadaires de travail, en les portant jusqu'à 42 heures, ou en les ramenant jusqu'à 34 heures, en fonction des nécessités.
Cet accord prévoit aussi la possibilité d'employer des équipes de suppléance de fin de semaine.
En contrepartie de ces facilités, il est accordé des repos compensateurs, en cas de travail de nuit ou de travail en équipes alternantes.
Par ailleurs, la durée de travail est limitée à un maximum de 46 heures par semaine, et à 44 heures en moyenne sur 16 semaines consécutives.
Enfin le contingent annuel d'heures supplémentaires, est réduit à 100 heures ou même 80 heures selon les cas.
Parallèlement, une nouvelle négociation est en cours compte tenu de la concurrence à l'échelon mondial qui implique encore plus de souplesse.
Le projet comporte les propositions suivantes :
– possibilité de répartir la durée du travail sur tout ou partie de l'année ;
– possibilité de moduler les horaires de travail entre 31 heures et 46 heures par semaine ;
– autoriser le travail en continu 7 jours sur 7 ;
– aménager le travail à temps partiel, notamment le temps partiel annualisé.
En contrepartie de ces demandes le projet prévoit :
– dans le cadre de l'annualisation, une durée moyenne de 38 heures par semaine travaillée (réduction d'1 heure en moyenne par semaine) ;
– la limitation du contingent annuel d'heures supplémentaires à 60 heures ;
– des majorations de primes pour travail de nuit ou du dimanche ;
– la possibilité de transformer en congés compensateurs ;
– les majorations de salaire pour heures effectuées au-delà de 39 heures par semaine dans le cadre de la modulation d'horaire ;
– la rémunération des heures supplémentaires ;
– diverses primes, notamment les primes de nuit ou de dimanche ;
– des garanties particulières pour les salariés travaillant la nuit ;
– des garanties en cas de travail à temps partiel, notamment pour passer du travail à temps plein au travail à temps partiel.
Enfin, il convient de souligner que l'Alliance 7 a conclu le 21 décembre avec d'autres branches de l'ANIA, un accord relatif à la formation professionnelle qui devrait permettre d'élever le niveau de qualification et de compétence de nos salariés et concourir ainsi au maintien voire au développement de l'Emploi dans l'Agro-alimentaire.
Colloque Organisation du travail et emploi – Table ronde n° 2
Quatre accords d'entreprise
Quatre accords d'entreprise ont été présentés au cours de la table ronde n° 2 à laquelle participaient, MM. Raymond-Pierre Bodin de la société Manducher, Maurice Gadrey de Rhône-Poulenc, Paul Calendra de Thomson, et Henri Grégoire d'AXA.
Manducher : capacités productives articulées à la demande du client
Chez Manducher, entreprise de la Plastic-Valley d'Oyonnax, différents accords ont été conclus en 1993 entre la direction et les syndicats. Les accords prévoient notamment :
Passage au mi-temps pour les volontaires, rémunération 20 h 25 pour un mi-temps de 19 h 50 avec allocation complémentaire du FNB. Trois types de mi-temps: un jour sur deux, en continu, trois jours de travail et deux de repos puis inversement, une semaine sur deux.
La durée annuelle du travail est fixée à 1 677 heures, soit une moyenne de 37 heures hebdomadaires avec une amplitude de 32 à 48 heures et une rémunération calculée sur la base de 39 heures.
À ces accords s'ajoutent d'autres mesures :
– l'encouragement à la reconversion ;
– les mutations internes avec une bourse des emplois ;
– les préretraites progressives.
"Il s'agit là, précise Raymond-Pierre Bodin, de toute une série d'accords expérimentaux qui font d'ailleurs l'objet d'une évaluation par une équipe de recherche publique et dont les résultats, nous l'espérons, devraient permettre aux syndicats de s'engager encore plus loin".
Rhône-Poulenc : préretraites progressives
Rhône-Poulenc s'intéresse aux préretraites progressives depuis 1985.
Un nouvel accord a été signé en février 1993 qui prévoit :
1. Pour les salariés volontaires à partir de 55 ans, possibilité de travailler à mi-temps en percevant 80 % de leur rémunération. 50 % assurés par l'entreprise, 30 % par l'État (convention FNB de préretraites progressives). Ces salariés bénéficieront en outre d'une prime fixée selon l'âge entre 25 000 F et 37 000 F.
Embauche compensatrice de jeunes en contrat de travail à durée indéterminée (à la hauteur de 80 %). Un tiers de ces recrutements sera réservé à des publics demandeurs d'emploi prioritaires : jeunes chômeurs de longue durée.
Prise en charge par l'entreprise des cotisations sociales pour assurer le même niveau de retraites complémentaires que celui du temps plein.
L'objectif est d'embaucher 1 000 jeunes sur une période de 3 ans.
"Le succès d'une telle opération indique Maurice Gadrey dépend de plusieurs facteurs. Premièrement, le caractère de la négociation est majeur. Ensuite, il est impératif d'avoir d'emblée une implication de la hiérarchie. Enfin, une refonte de l'organisation afin de la rendre plus flexible est primordiale. Avec le temps, nous nous sommes rendu compte que les préretraites progressives sont plus appréciées par les métiers d'exploitation que par ceux de siège. Elles rencontrent également plus de succès parmi les ouvriers que chez les cadres. Ceux-ci ressentent comme dévalorisant le passage à temps partiel. Enfin, il faut faire attention à ce que ce dispositif ne marginalise personne".
Thomson CSF : temps réduit indemnisé de longue durée
Chez Thomson CSF un accord conclu en novembre 1993 prévoit la réduction généralisée du temps de travail de l'ensemble du personnel. L'horaire effectif de référence passera de 38 h 30 à 37 h 20 pendant la durée de l'accord. Soit une réduction de 3 %. L'impact de cette réduction du temps de travail sur le salaire brut sera compensé à hauteur de 50 % par une allocation financée conjointement par l'entreprise et l'État.
D'autres réductions du temps de travail, plus importantes, pourront être mises en œuvre dans la limite de 50 % du temps de travail. Le recours aux heures supplémentaires et aux heures complémentaires sera exceptionnel.
Cet accord prévoit également des recours aux mesures d'âge : 820 salariés, dont 650 en AS-FNB à partir de 56 ans et 2 mois et 170 AS-FNB dérogatoires à partir de 55 ans.
Une aide au temps partiel :
1. Allocation dégressive pour les salariés s'engageant dans le mi-temps pour une durée minimale de 2 ans 20 % de la rémunération antérieure la première année, 10 % la seconde.
2. Aide exceptionnelle de 20 000 F pour un passage définitif à mi-temps.
3. Encouragement aux autres formes de travail à temps partiel : transformation du 13ème mois en congés supplémentaires, temps scolaire.
Une aide de reclassement extérieur : différentes aides aux congés longs (congés parentaux, sabbatiques ou de création d'entreprise).
"La mise en œuvre du temps réduit de longue durée permet d'éviter 1 669 licenciements, souligne Paul Calendra. En revanche, ce genre d'accord pose des problèmes, en cas de dépassement d'horaire. Parmi les 7 500 cadres du groupe, beaucoup sont amenés à faire des rallonges lorsqu'il y a, par exemple, des impératifs de temps. Il existe aussi des structures à "dépassement permanent". C'est le cas de personnes qui font du logiciel. Ce sont des salariés solitaires, très indépendants qui continueront toujours à déborder sur les horaires. Or, comme tout le monde, ils sont soumis à une ponction sur leur salaire".
AXA : différentes formules de temps partiel
Chez Axa assurances en 1993, un accord a été inclus pour une durée de trois ans.
Il propose :
1. Des formules de travail à temps partiel dans les cadres journalier, hebdomadaire et annuel.
2. Dans le cadre annuel, deux formules peuvent être choisies :
– soit 45 jours ouvrés de congés, 25 jours de congés d'été et 4 fois 5 jours de petites vacances, avec salaire proratisé à hauteur de 93,85 % ;
– soit 63 jours ouvrés de congés, 25 jours plus 8 pour la Toussaint et 10 pour les autres petites vacances, avec salaire proratisé à 86,93 %.
Cet accord permet aussi la création de cadres de réserve : les salariés âgés de plus de 55 ans volontaires peuvent, sous certaines conditions, bénéficier d'une dispense d'activité rémunérée de 60 mois maximum, jusqu'à l'âge de leur retraite à taux plein. Ils conservent leur statut de salarié et bénéficient d'une rémunération égale à 70 % de leur rémunération annuelle brute. Elle peut être améliorée par le versement mensuel anticipé de leurs indemnités de fin de carrière. Les bénéficiaires peuvent être rappelés par l'entreprise à un poste identique ou similaire à celui qu'ils occupaient dans les limites fixées à 8 mois maximum dans les 12 premiers mois, 6 dans les 12 suivants, 4 dans les 12 suivants. Ils ne peuvent plus être rappelés dans les derniers 24 mois de réserve.
"Axa, précise Henri Grégoire, ne souhaite pas faire de ce temps partiel un statut. Il n'est instauré que pour une période déterminée d'un an". Malgré cela, Axa se heurte à des résistances, puisque actuellement seulement 8 % de l'ensemble du personnel est à temps partiel. Les réticences proviennent pour beaucoup de la crainte de devenir salarié de "seconde zone".
Colloque Organisation du travail et emploi – Table ronde n° 3
Impératif économique, innovation sociale
La dernière table ronde de la journée réunissait : Francis Bazile Président de l'Union des Industries Chimiques (UIC) ; Marc Blondel Secrétaire Général de la CGT-FO ; Alain Deleu Président de la CFTC ; Jacques Dermagne Président du Conseil National du Commerce (CNC) ; Nicole Notat Secrétaire Général de la CFDT ; Denis Gautier-Sauvagnac Délégué Général de l'UIMM ; Jacques-Francis Peltier Président de la Commission Nationale Paritaire de la Banque et Marc Vilbenoît Président de la CFE-CGC.
Tous ensemble, comme les avaient invités à le faire François Périgot, ils ont tenté "de trouver des remèdes pour endiguer la propagation du chômage et de concevoir et accompagner le changement nécessaire à la survie de notre collectivité gravement exposée aux rigueurs de la mondialisation de l'économie".
"Nous sommes en train d'impulser des normes sociales dans des pays qui en sont dépourvus et, dans le même temps, au nom d'un ultra-libéralisme, nous remettons en cause nos acquis sociaux. Je reste persuadé que nous vivons une crise de demande de la consommation c'est pourquoi j'incite vivement les entreprises à reprendre des négociations sur les salaires". Marc Blondel, CGT-FO
"Il y a un vice de fond dans la loi quinquennale, c'est qu'elle traite l'emploi comme un banal marché qui obéit à la loi de l'offre et de la demande. L'actuel déséquilibre entraîne inévitablement l'idée d'un abaissement du coût du travail". Alain Deleu, CFTC
"La flexibilité ne se décrète pas, elle se négocie".
"L'innovation sociale constitue un impératif économique". Denis Gautier-Sauvagnac, UMM
"Il faut sortir d'une vision instrumentale du social au service de l'économique. le "tout-entreprise" conduit à une fragmentation du social et à un morcellement de l'économie. Le niveau micro-économique ne crée pas un ensemble dynamique suffisant. Il est nécessaire d'imaginer une démarche globale et plus ambitieuse qui dépasse le simple cadre de l'entreprise". Nicole Notat, CFDT
"Les partenaires sociaux affichent une volonté commune de répondre aux préoccupations sur l'emploi. Il est urgent de revivifier la négociation de branche". Marc Vilbenoît, CFE-CGC
"Le dialogue social doit trouver sa place et s'articuler à tous les niveaux : au niveau confédéral, au niveau des branches et au niveau de l'entreprise". Jacques-Francis Peltier, AFB
"Seule l'imagination sociale et économique peut permettre d'apporter une réponse à la mondialisation de l'économie et à l'accélération des technologies. Il faut créer des emplois nouveaux, des services nouveaux, des entreprises nouvelles". Jacques Dermagne, CNC
"Si nous voulons résoudre nos problèmes, nous devons tenir compte de la complexité des phénomènes économiques et de la mondialisation de notre économie". Francis Bazile, UIC