Interviews de M. Jean-Louis Debré, secrétaire général adjoint du RPR, dans "Le Figaro" du 6 mai et à RMC le 11 mai 1994, sur les thèmes de campagne de la liste RPR UDF pour les élections européennes et ses réserves face à l'idée d'une adhésion de tous les élus au groupe PPE et sur l'attitude du Président Mitterrand.

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Intervenant(s) : 

Média : Le Figaro - RMC

Texte intégral

Le Figaro : 6 mai 1994

Le Figaro : Comment quelqu'un comme vous, qui a voté « non » à Maastricht, peut-il aujourd'hui soutenir une liste conduite par des personnes qui avaient voté « oui » ?

Jean-Louis Debré : J'ai effectivement fait campagne contre le traité de Maastricht et aujourd'hui je persiste dans mes convictions d'alors et signe ce que j'avais, à l'époque, écrit au sujet de ce traité. L'évolution des choses semble d'ailleurs me donner raison. L'Europe est une grande entreprise qui suppose, pour réussir durablement, une vision politique précise, et celle du traité de Maastricht n'est pas celle à laquelle j'adhère. La philosophie de ce traité est marquée du sceau du fédéralisme, du centralisme et de la technocratie. Mais le peuple français a tranché par référendum, c'est-à-dire directement, après une campagne d'explication exemplaire. Il n'est donc pas question de revenir sur cette décision du peuple souverain, même si elle a été acquise à une très faible majorité. Le débat n'est plus de savoir s'il faut ou non accepter le traité de l'Union européenne, mais de savoir comment éviter une dérive fédéraliste et technocratique qui sous-tend certaines dispositions de ce traité.

Le Figaro : Ne craignez-vous pas que bon nombre d'électeurs gaullistes préfèrent s'abstenir ou bien voter pour la liste de Philippe de Villiers le 12 juin ?

Jean-Louis Debré : Non, car ils doivent être rassurés par le projet européen élaboré par le RPR et l'UDF. Celui-ci a été discuté, amendé et finalement adopté par le bureau politique de notre mouvement. Ce projet, et c'est pour nous l'essentiel, exclut toute dérive fédérale de la construction européenne. Il indique également qu'un débat au Parlement français sera organisé avant le passage à la troisième étape de l'Union économique et monétaire (UEM). C'est aux députés et sénateurs, qui incarnent la nation française, de se prononcer sur l'avenir de l'Europe, précise notre projet. C'est un engagement que nous réclamions au moment du débat sur Maastricht.

Le Figaro : Comment, concrètement, entendez-vous mobiliser les électeurs RPR qui avaient voté contre Maastricht ?

Jean-Louis Debré : Bien des candidats qui figureront sur cette liste ont pris parti contre le traité de Maastricht, et, je le répète, le projet européen du RPR et de l'UDF leur permet d'être fidèles à leurs convictions. Par exemple, les dispositions adoptées pour réussir l'élargissement de l'Union européenne et ne pas laisser les nations des pays de l'Europe de l'Est en dehors de notre Europe se situent dans le sillon tracé par le général de Gaulle, quand il plaidait pour une Europe allant de l'Atlantique à l'Oural. L'affirmation de la nécessité d'un contrôle politique accru sur la Commission, de la possibilité pour le Conseil des ministres de mettre fin à son mandat, correspondent à ce que je crois être indispensable à la construction d'une Europe démocratique.

Le Figaro : Sur quels thèmes entendez-vous faire campagne ?

Jean-Louis Debré : Notre liste, qui a comme objectif de défendre les intérêts de la France en Europe et ceux de l'Europe dans le monde, pourrait avoir pour slogan : « La France est notre patrie, l'Europe notre ambition ». Le temps des illusionnistes a vécu, celui de ceux qui estimaient que la nation française devait rapidement laisser la place à la nation européenne et à un pouvoir européen central, s'est écroulé face aux réalités et à l'implosion du monde communiste. Depuis quelques années, l'Europe qui s'est construite a exaspéré et déçu bien des militants de l'Europe, même parmi les plus convaincus. Les divergences entre bon nombre d'UDF et de RPR se sont manifestement atténuées aujourd'hui.

Le Figaro : Comment l'inscription des députés du RPR au Parti populaire européen, qui a toujours été favorable à une Europe fédérale, peut-elle vous laissez de marbre ?

Jean-Louis Debré : La dispersion des élus français, présents dans au moins sept groupes différents à l'Assemblée de Strasbourg, est indiscutablement un élément de faiblesse pour la défense de nos intérêts. D'où la réflexion conduite pour un regroupement de nos forces.

Dans cet esprit s'est posée l'hypothèse d'une adhésion de tous les élus UDF-RPR au PPE. En fait, cette solution se heurte à des difficultés. D'abord, et dans l'état actuel de nos informations, les dirigeants du PPE ne seraient pas favorables à cette adhésion. Ensuite, un certain nombre d'élus UDF appartiennent et entendent rester au groupe libéral. Enfin, s'agissant des élus gaullistes, ils ne sauraient souscrire à la Charte d'Athènes du PPE, qui définit une vision de l'Europe fédérale contraire à notre conception des choses et d'ailleurs également contraire au projet européen qui sert de pacte à la liste commune RPR-UDF. Ce problème n'est donc pas d'actualité.


RMC : 11 mai 1994

P. Lapousterle : Quelle a été votre première réaction à la fin de l'intervention du président de la République ?

Jean-Louis Debré : Vous parlez de la première série télévisée qui s'intitule « les adieux du président » et qui pourrait avoir comme sous-titre, il se passe toujours quelque chose à l'Élysée ou comment faire croire qu'on a été un bon Président quand on en a été un mauvais. J'ai trouvé cela pathétique, cet effort du président de la République pour faire semblant, faire croire et laisser paraître que, pendant 14 ans, il a bien dirigé la France. J'ai trouvé pathétique cet homme qui se dit socialiste et qui se retrouve dans Tapie, cet homme qui a toujours dit qu'il était un président au-dessus des partis et qui est devenu maître ès sciences dans l'art de brouiller les cartes et de décerner les bons points. Bref, j'ai trouvé que cette série était une série du passé. À un moment où les Français ont des préoccupations qui sont l'emploi, l'exclusion, à un moment où nous nous interrogeons sur l'avenir de l'Europe, cette série télévisée, premier épisode, qui consistait pour le Président à essayer d'inculquer aux Français la pédagogie de F. Mitterrand, à savoir « j'ai été un bon Président », tout cela est d'une tristesse à pleurer.

P. Lapousterle : Il a quand même parlé de l'avenir…

Jean-Louis Debré : Il n'a pas parlé de l'avenir, il a cherché des objets de polémique. Le président de la République est en place. Il a, du fait de la cohabitation, un certain nombre de prérogatives, moins que lorsque qu'il n'y a pas de cohabitation. Et donc il dit, en ce qui concerne la Défense nationale, qu'il a une certaine politique. Mais il cherche maintenant à imposer ses vues à l'époque où il ne sera plus là. Donc, je considère qu'il cherche à polémiquer. Et donc je ne polémiquerai pas avec quelqu'un qui représente pour moi le passé.

P. Lapousterle : À votre avis, la cohabitation peut-elle changer de visage et de ton ?

Jean-Louis Debré : D'abord, je serais inquiet si j'avais entendu le président de la République approuver notre politique parce que cela voudrait dire que c'était la même que celle qu'il a suivie. Et on connaît les résultats de la politique des socialistes pendant 13 ans au pouvoir. La cohabitation va changer de nature. Car la cohabitation est inscrite dans la Constitution. C'est l'article 5 et l'article 20 de la Constitution. Or, monsieur F. Mitterrand, maintenant, parce qu'il est à la fin de son mandat, va chercher sans arrêt à sortir de son rôle d'arbitre, de garant de la France, pour asticoter les uns et les autres.

P. Lapousterle : Vous pensez que la majorité gouvernementale actuelle a dans la personne du président de la République un ennemi politique ?

Jean-Louis Debré : C'est évident mais c'est très difficile de savoir où se trouve F. Mitterrand. Il était socialiste, certains le disent. Mais quand je le vois prendre comme modèle du socialisme M. Tapie, je m'inquiète. F. Mitterrand est-il respectueux des institutions ? Certains l'affirment. Moi, je suis inquiet quand je le vois sortir de son rôle de président de la République, distribuer des bons points ici et là et inciter les Français à voter pour telle liste aux européennes plutôt que pour telle autre. Est-ce que c'est cela l'image d'un président de la République, Président de tous les Français ? Non ! Je crois que F. Mitterrand hier soir, a abîmé l'institution présidentielle.

P. Lapousterle : Est-ce que vous avez été sensible au petit compliment de F. Mitterrand vers J. Chirac ?

Jean-Louis Debré : Je ne suis jamais sensible aux compliments de F. Mitterrand car c'est toujours avec des arrières pensées.

P. Lapousterle : Il y a eu une petite remontrance pour les partisans de l'Europe de Maastricht de façon générale. Il a dit qu'on entendait plus ceux qui étaient opposés au traité que les partisans…

Jean-Louis Debré : F. Mitterrand est encore un homme du passé. Le peuple français a approuvé le traité de Maastricht par voie du référendum. Je le dis d'autant plus clairement, que je suis et j'ai été un opposant à ce traité de Maastricht. Mais la démocratie, la souveraineté nationale est passée par là. Le traité maintenant est la loi. Le problème pour nous n'est pas de remettre en cause ce traité, le problème est de savoir comment à l'intérieur de ce traité éviter certaines dérives fédéralistes, comment promouvoir une Europe qui ne soit plus dirigée par les fonctionnaires ou les technocrates, mais qui soit dirigée par les politiques, comment faire en sorte que l'Europe s'occupe des vrais problèmes des Français et non pas les asticoter par les règlements, des circulaires. Je préfère une Europe qui se préoccupe d'Ariane, du TGV, de grands projets pour restaurer la fierté française, plutôt qu'une Europe qui s'occupe d'ennuyer les Français sur la chasse où sur l'harmonisation de tel ou tel lait pour les fromages français. Bref, le problème, et c'est là où F. Mitterrand se trompe, le problème pour nous n'est pas de remettre en cause Maastricht, mais d'essayer par notre travail, par notre conception de l'Europe d'éviter la dérive supranationale, qui avait été celle voulue par les socialistes.

P. Lapousterle : Monsieur Pasqua a dit qu'il ne fera pas campagne pour l'Europe telle qu'on la présente en ce moment. Il est fidèle à ce qu'il avait dit l'an dernier…

Jean-Louis Debré : Je reste fidèle à ce que j'ai dit. Je suis contre la supranationalité, contre une évolution de l'Europe qui enlève aux politiques, c'est-à-dire aux gens qui ont la légitimité, la capacité de diriger cette Europe. Mais il y a deux attitudes. Il y a une attitude négative qui dit, on ne fait plus rien et il y a une attitude positive, offensive parce que moi je crois en la France et en l'Europe. Mon attitude consiste à essayer à l'intérieur de ce cadre de faire évoluer l'Europe vers ce que je crois être utile pour la France. Je résumerais mon action européenne par ces mots : la France est ma patrie, l'Europe est mon ambition. Mon ambition européenne est de faire que l'Europe défende les intérêts de la France et défende les intérêts de l'Europe hors du monde. Évitons de bouder, de nous replier sur nous-même parce que l'avenir n'est pas dans le protectionnisme, l'avenir est de rechercher avec les nations européennes une voie vers le progrès, vers la liberté et vers la paix.

P. Lapousterle : L'expérience des européennes vous pousse à penser qu'un seul candidat pour les présidentielles, cela serait bien meilleur ?

Jean-Louis Debré : Je l'ai toujours dit. Je souhaite que la majorité aux prochaines élections se rassemble derrière un candidat unique de la majorité. Pour moi, je souhaite que ce candidat qui rassemble l'ensemble des Français, cela soit J. Chirac.

P. Lapousterle : Il y a d'autres candidats…

Jean-Louis Debré : C'est ça la démocratie.

P. Lapousterle : Comment va-t-on trancher ?

Jean-Louis Debré : Le peuple tranchera, ou ils trancheront entre eux. Ce n'est pas mon problème. Mon sentiment, c'est qu'il faut se rassembler aujourd'hui et non pas se diviser, se rassembler derrière un homme qui incarne l'avenir et je crois beaucoup dans les chances de J. Chirac.