Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à RTL le 22 novembre 1994, dans "National Hebdo" du 24 et "Le Figaro" du 26, sur sa stratégie et son programme pour l'élection présidentielle de 1995.

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Média : RTL - Le Figaro - National Hebdo

Texte intégral

M. Cotta : Avez-vous vos chances aux présidentielles ?

J.-M. Le Pen : Le Front national a fait campagne en 1993 sous la banderole "tête haute et mains propres", dans l'atmosphère de corruption généralisée qui est celle de la classe politique française, on peut dire que les candidats qui ont les mains propres ont quelques chances supplémentaires et je compte sur la prise de conscience des citoyens français, de l'iniquité de la classe politique, pour établir un classement qui ne soit pas habituel.

M. Cotta : Vous n'êtes pas dans une période de stagnation politique ?

J.-M. Le Pen : Non, nous n'avons surtout pas un grand accès aux médias et je vous remercie d'avoir rompu cet isolement.

M. Cotta : P. de Villiers se livre à une captation de fonds de commerce sur vous ?

J.-M. Le Pen : Je crois qu'il est l'homme de Pasqua et il copie totalement le programme du Front national, dans le but d'essayer d'empêcher le Front national de prendre des électeurs de la majorité.

M. Cotta : Il fixe les mécontents du côté de la majorité ?

J.-M. Le Pen : C'est sa mission, c'était sa mission au moment du référendum de Maastricht et elle continue.

M. Cotta : Il "roule" les électeurs ?

J.-M. Le Pen : Je ne sais pas pour qui il roule, mais il roule ses électeurs.

M. Cotta : Il se soumettra aux primaires et vous non ?

J.-M. Le Pen : Je ne sais pas s'il s'y soumettra, quant à moi je ne suis pas membre de la majorité, ce n'est pas mon affaire.

M. Cotta : Les primaires sont une machine à perdre ?

J.-M. Le Pen : C'est une machine à fabriquer des cocus parce qu'il n'y aura qu'un élu pour beaucoup d'impétrants. Ce qui me paraît plus grave, c'est qu'on introduit un mécanisme, une copie servile des institutions américaines, nous marchons vers le mondialisme.

M. Cotta : C'est parce que la majorité a peur de J. Delors ?

J.-M. Le Pen : On ne change pas les institutions et on ne change pas les modes d'expression du suffrage universel chaque fois qu'on a une difficulté. Il y a une difficulté qui est interne au RPR, que le RPR la règle en faisant un congrès du RPR. Je vois bien quelle est l'intention de cette pasqualinade nouvelle, c'est de monopoliser l'espace médiatique pendant trois ou quatre mois où l'on ne parlera que du RPR, que de la majorité, au détriment du débat politique. Que peuvent penser les Français quand ils entendent des gens régler leurs affaires personnelles tout au long des semaines et des mois, alors que la situation du pays est dramatique et que les Français voudraient bien entendre quelques propositions sur leur avenir.

M. Cotta : Vous trouvez que les candidats de la majorité sont tous pareils ?

J.-M. Le Pen : Oui et Delors aussi. Dans cette espèce de proposition sociale-démocrate, je ne vois pas de différence entre la politique que mène M. Balladur, celle que menait son prédécesseur, celle que mènera son successeur. Il y a aujourd'hui un consensus mou et légèrement nauséabond de la politique française, nous mourrons tranquillement, c'est la méthode des soins palliatifs.

M. Cotta : Vous êtes le seul à pouvoir sauver de la social-démocratie ?

J.-M. Le Pen : Je crois être le seul à pouvoir apporter un programme cohérent et complet d'une alternance à la politique sociale-démocrate menée jusqu'à présent.

M. Cotta : Quand vous dites que la Ve république est "en état de naufrage", vous n'exagérez pas ?

J.-M. Le Pen : Pas du tout, tout le monde s'en rend compte, la paralysie de notre pays, l'impotence des pouvoirs publics dans le règlement des questions qui importent aux Français : l'immigration, la sécurité, le chômage, le fiscalisme, tous les problèmes qui se posent de façon dramatique à notre pays, aucun d'entre eux n'a de chance d'être résolu.

M. Cotta : Votre programme peut se résumer au renvoi des immigrés et à la lutte contre les prélèvements obligatoires, est-ce crédible ?

J.-M. Le Pen : Nous avons un programme de 300 mesures, mais il faut s'attaquer aux réelles causes du problème et tout le monde convient que le chômage est la cause principale des dysfonctionnements. Les causes de ce chômage, c'est la présence et le poids des immigrés, le commerce international érigé en religion nouvelle et le poids écrasant des prélèvements obligatoires, c'est là-dessus qu'il faut agir.

M. Cotta : Vous dites qu'il y a six millions d'immigrés et six millions de chômeurs, ce n'est pas un peu rapide ?

J.-M. Le Pen : Non, c'est un chiffre officiel. L'immigration coûte, au pays. 250 milliards par an, l'immigré qui prend un travail, il le prend à un Français qui n'en a pas. Les immigrés prennent des emplois tout au long de l'échelle sociale, y compris à des échelons plus élevés.

M. Cotta : Vous êtes pour une suppression progressive de l'impôt sur le revenu et pour une baisse des charges des entreprises, où prenez-vous l'argent ?

J.-M. Le Pen : Il faudrait que l'État français se serre la ceinture en évitant les formidables gaspillages, les subventions, les détournements de fonds, ce qui devrait permettre au pays de redémarrer.

M. Cotta : Ce n'est pas un peu facile ?

J.-M. Le Pen : Ce sera très difficile mais, au moins, il y a un espoir dans cette voie-là alors qu'il n'y a que désespoir dans l'autre.

 

24 novembre 1994
National Hebdo

Le Pen "Il faut rendre leur argent aux Français"

Bien avant que certains ne découvrent les méfaits de la corruption, le Front national avait lancé sa première campagne "mains propres, tête haute". Parce qu'il est seul à être hors de cause. Aujourd'hui, contre cette gangrène de la société et ce cancer du pouvoir qu'est le mélange de l'argent et de la politique, le candidat national à la prochaine élection présidentielle prend la vraie mesure du fléau. Et propose ses solutions. Draconiennes.

National Hebdo : Dans un pays si prompt à se moquer des "Républiques bananières" et des bakchichs, la corruption est-elle vraiment un fléau de première grandeur ?

Jean-Marie Le Pen : La nature de l'homme ne l'a jamais préservé, mais ce qui est grave aujourd'hui, c'est que le laisser-aller moral est érigé en système, en doctrine d'action. Les résultats prennent une ampleur catastrophique. Bien sûr, les politiciens s'efforcent de cacher celle-ci à l'opinion. Le Premier ministre vient ainsi de dire que la France n'est pas l'Italie, elle ne compterait que quelques centaines de politiques corrompus : si l'on applique le qualificatif à celui qui viole la loi afin de se procurer de l'argent pour lui ou un parti, alors il faut inverser la proportion.

Parmi les politiciens corruptibles (c'est-à-dire ceux dont la signature vaut de l'argent), quelques centaines seulement sont honnêtes.

National Hebdo : Quelles sont les causes principales de ce phénomène ?

J.-M. Le Pen : Il y a d'abord l'abaissement de la moralité publique et privée. Mais il existe aussi des causes économiques : le socialisme en général, l'économie mixte en particulier, qui mélange systématiquement les serviettes du privé aux torchons du public, la loi Defferre de décentralisation qui multiplie les tentations par trente-six mille, l'absence de contrôle sérieux des marchés passés par les collectivités. Et enfin la croissance de la part des services immatériels dans le secteur marchand : si vous avez un budget de communication par exemple, il est facile de surfacturer un "travail de création intellectuelle" pour lequel il est bien difficile de fixer un "juste prix".

National Hebdo : Qui est victime de la corruption ?

J.-M. Le Pen : Vous, moi, le contribuable, le client. Un promoteur racketté par tel élu va répercuter le pot-de-vin qu'il a dû débourser dans ses loyers ou ses ventes. Ainsi nous devons payer pour un "service" inexistant, et même nuisible : c'est le principe de la mafia, qui prélève son tribut. L'effet sur le moral et la morale publics est catastrophique : comment frapper sérieusement un "petit délinquant" quand le pire exemple est donné par ceux qui devaient servir de modèle ?

National Hebdo : Vous dites racketté ? Est-ce le décideur qui rackette, ou l'entrepreneur qui corrompt ?

J.-M. Le Pen : Les deux. Il arrive qu'un décideur exige une enveloppe pour donner une autorisation administrative. Il arriva à l'inverse que les entreprises arrosent un élu dont ils ont besoin, et qui ne leur avait rien demandé.

Du point de vue politique, cette pratique de la corruption active est plus grave, car elle soumet peu à peu le pouvoir politique aux grands intérêts économiques.

En outre, la règle démocratique d'égalité des chances électorales, déjà mise à mal par le mode de scrutin choisi par la majorité en place, se trouve violée par les moyens donnés à certains politiciens pour se faire connaître et faire connaître leur programme. Ici d'ailleurs il faut ajouter une chose que personne ne prend en compte : le détournement d'espace médiatique, qu'on peut assimiler à une corruption. C'est-à-dire l'accaparement de certains médias par certains partis : quand une grande chaine privée, au mépris de son obligation d'équité, réserve ses "créneaux horaires" (hors de prix d'ailleurs) à tel ou tel, y a-t-il racket. Y a-t-il corruption ? Je vous laisse choisir le mot. En tout cas, les puissants, finance et politique complices, ont tendance à abuser de plus en plus de leur situation dominante.

National Hebdo : Oui est victime de cette forme particulière de détournement de fonds ?

J.-M. Le Pen : Le peuple français tout entier. Et le Front national en particulier, qui, pour assurer la même fonction pédagogique que les autres partis, a subi un triple handicap :
- pas d'élus au Parlement,
- en conséquence une allocation d'État réduite de moitié,
- l'exclusion du système médiatique.

National Hebdo : Quelles sont vos solutions ?

J.-M. Le Pen : Nous préconisons la transparence de la vie publique. Si l'on admet que le peuple et ses volontés doivent faire la loi. Alors :
- la représentation parlementaire,
- la séparation de l'espace médiatique légal,
- les subventions de fonctionnement prévues par l'État doivent être calculées à la proportionnelle des suffrages obtenus lors d'une élection type, par exemple le 1er tour des législatives.

Cette proposition n'exclut pas la nécessité de purger la situation actuelle, c'est-à-dire : démanteler les réseaux de corruption, refuser toute amnistie, rendre inéligibles les corrompus, incompatibles les fonctions de contrôle et de gestion, interdire le cumul des mandats législatifs et municipaux, et enfin le financement de la politique par les entreprises.

Ce dernier point est important. Le FN est le seul parti qui ait les braies nettes. Et la meilleure preuve que les entreprises n'ont aucun souci de civisme ou d'idéal politique quand elles distribuent de l'argent, c'est qu'elles ne se déterminent pas en fonction d'un programme (par exemple pour le FN qui préconise la libre-entreprise, la diminution de la fiscalité, etc.), mais, en fonction des commandes ou de la protection qu'elles attendent : ainsi arrosent-elle tout le monde, même le PC, mais pas le FN !

Il faut en finir avec ces pratiques : l'argent des particuliers ne doit plus être racketté, l'argent des entreprises doit rester aux actionnaires et aux employés, l'argent public doit servir aux citoyens. En finir avec la corruption, c'est à la fois rendre le pouvoir au peuple et rendre leur argent aux Français.

 

26 novembre 1994
Le Figaro

Le président du Front national est "prêt à s'associer, dans le cadre d'une rupture avec la politique sociale-démocrate menée depuis quatorze ans".

La campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen s'ouvre lundi soir par un meeting à Perpignan. Le leader du Front national entend mettre la lutte contre la corruption au cœur de sa campagne. Il estime que la France va suivre le précédent italien.

Le Figaro : On a dit que vous aviez pris quelque distance avec le combat politique. Seriez-vous, aujourd'hui, candidat par devoir ?

Jean-Marie Le Pen : Non, je serai candidat par amour. Par amour de mon pays, la France, et par amour des Français. Parce que je crois que c'est ce dont ils manquent le plus dans la vie politique. Je pense que beaucoup de gens veulent s'insérer dans la hiérarchie politique, y compris au sommet, mais n'ont pas de réelles préoccupations de l'avenir humain des Français et de la France. Car pourquoi faisons-nous de la politique ? Pourquoi faisons-nous de l'économie ? Si ce n'est pour essayer de rendre plus heureux, ou en tout cas moins malheureux, ceux au nom desquels nous parlons.

La débandade de la majorité

Le Figaro : Candidat, vous n'avez pas suivi l'exemple de Jacques Chirac. Vous n'avez pas abandonné la présidence de votre mouvement ?

J.-M. Le Pen : Non, parce que ce serait une hypocrisie. Il n'y a aucune raison que j'abandonne la direction d'un mouvement dont je suis le créateur (ce qui n'est pas le cas de M. Chirac, lui n'avait changé que l'étiquette) et qui a souhaité à l'unanimité que je sois le candidat des idées qu'il défend. Mais le fait d'être le président du Front national ne m'empêche pas de m'adresser à la France et aux Français, quel que soit leur engagement politique.

Le Figaro : Il y a un mouvement qui a été lancé le week-end dernier : le mouvement pour la France, de Philippe de Villiers. Comment le jugez-vous ?

J.-M. Le Pen : Je crois que M. de Villiers n'a pas caché qu'il se voulait un rénovateur de la majorité. Il veut rassembler les dépouilles opimes de ce champ de bataille en déroute. Il a pour cela un parrainage efficace et lourd dans tous les sens du terme, c'est celui de M. Pasqua. En ce sens, il n'est pas un phénomène original. Je crois que l'objectif qui est visé, c'est d'empêcher qu'une grande partie des électeurs de la majorité viennent au Front national. C'est pour cela que M. de Villiers copie pratiquement mot à mot notre programme. C'est un ersatz de Front national qui se présente pour essayer de lui faire concurrence. Mais je crois que la logique va à l'encontre de ce qui est prévu par les promoteurs de cette opération. Il va accélérer la débandade de la majorité.

Le Figaro : Que répondez-vous pourtant aux observateurs qui disent que finalement les deux mouvements sont complémentaires ?

J.-M. Le Pen : Ce que révèlent les initiatives de M. de Villiers, c'est qu'il existe dans la majorité beaucoup de gens qui pensent comme le Front national. Mais qui, pour des raisons de convention sociale, préfèrent trouver une formule plus "soft", comme dirait M. Toubon. Mais il est évident que, par exemple en cas de crise grave ou dans le cas où M. de Villiers ne serait pas candidat, rien ne devrait empêcher ces voix de se porter sur celui qui défend leurs idées.

Le Figaro : Vous pensez renouveler votre score des dernières présidentielles ?

J.-M. Le Pen : Je pense faire mieux. Altius fortius !

Le Figaro : Quand vous parlez de crise grave, vous pensez au climat des affaires ?

J.-M. Le Pen : D'une part, mais pas seulement. Les affaires, c'est un phénomène de décomposition interne du système politique. Je dirais que cela aggrave la situation de la France. Ça remet en péril les formules de redressement. Comment une tête pourrie pourrait-elle redresser un corps malade ? Mais l'analyse de notre décadence et de notre faiblesse ne s'arrête pas là. Il faut voir la situation économique. Le tissu économique de la France ne cesse de s'affaiblir sous la pression de la concurrence illimitée des pays à bas salaires, entraînant donc un chômage croissant. En outre, l'insécurité prend des proportions qui peuvent faire basculer l'opinion française dans une angoisse incoercible.

Le Figaro : Le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua a mis en relief l'existence de réseaux islamistes…

J.-M. Le Pen : Il ne fait que cela, le ministre de l'Intérieur ! Il est en fait le ministre de la Propagande. Il n'agit pas, sans doute parce qu'il ne peut pas le faire. Dans l'état actuel de la législation française, de l'administration française et de l'établissement, il ne peut prendre que des mesures d'apparence, des mesures spectacles, sans atteindre à aucun moment le début de solution des problèmes qu'il approche. Par exemple, on va faire beaucoup de bruit autour de l'arrestation d'un réseau, sans mettre en cause le fait que s'il existe des réseaux islamiques, c'est parce qu'on a laissé entrer des millions d'islamistes, des millions de musulmans en France. Et surtout que l'arrivée, que le nombre des immigrés du tiers monde reste constant, avec un minimum de 150 000 par an. Sans nous mettre à l'abri pour autant d'une arrivée massive de plusieurs centaines de milliers ou plusieurs millions d'immigrés algériens fuyant la guerre civile et la misère consécutive à l'effondrement de 30 ans de politique FLN. Tous ces éléments peuvent constituer des détonateurs qui rendraient, en une journée, dérisoire la question des primaires.

Le Figaro : Vous venez d'évoquer les primaires. Pourquoi les avoir condamnées ?

J.-M. Le Pen : C'est inconstitutionnel ! D'abord, ça viole le bon sens. Dans un système à deux tours, il est bien évident qu'il n'est pas nécessaire de créer un troisième tour. J'ajoute qu'il viole une des dispositions essentielles du vote en France : le secret du vote, qui n'est pas autorisé à l'électeur, mais qui lui est imposé. J'avoue que cette pâle copie des institutions américaines aurait de quoi se faire retourner le général de Gaulle dans sa tombe. Surtout qu'il est préconisé par ceux qui affirment être ses fidèles. Mais il est vrai qu'ils sont aussi pour l'Europe de Maastricht. C'est dire !

Le Figaro : Pour en revenir au climat et aux affaires, est-ce que vous pensez que la France est en train de suivre le modèle de l'Italie ?

J.-M. Le Pen : Oui, et je prendrai le contre-pied de la proposition énoncés par le premier ministre, qui avait dit : "Il n'y a que quelques centaines d'hommes politiques en France qui sont coupables d'actions illégales". Moi, j'inverse la proposition : il y a quelques centaines d'hommes politiques en France qui ne sont pas coupables. C'est-à-dire que la corruption, telle qu'elle est poursuivie et dénoncée aujourd'hui, est un fait central de la vie politique française. Tous les partis politiques, à l'exception du Front national, sont compromis dans le financement de leur campagne électorale, dans le financement de leurs activités politiques, dans le financement de cette campagne électorale permanente qu'ils entretiennent par le clientélisme. Or le clientélisme a besoin d'arrosage. Pour arroser, il faut du liquide !

"Amendement liberticide"

Le Figaro : On parle de l'Italie. Quelle est la leçon politique que vous tirez pour votre mouvement de ce qui se passe en Italie ?

J.-M. Le Pen : Je crois que ce qu'il y a de plus important en Italie, c'est la destruction des clivages devenus artificiels de la vie politique italienne, et qui se sont maintenus pendant plusieurs décennies. C'est l'accès de la droite nationale à une audience qui lui avait été jusque-là interdite par la politique de blocus républicain, de blocus dit démocratique. Mais il est évident que le grand rassemblement novateur de M. Berlusconi n'a probablement pas vocation à durer. Il est une formule transitoire, et l'équilibre italien n'est pas réalisé. Mais l'Italie est en cours de changement. Elle a amorcé le processus qui doit conduire à la rénovation de l'État et des institutions.

Le Figaro : Pensez-vous que la France puisse connaître ce même type de changement ?

J.-M. Le Pen : Je crois qu'elle est au tout début de ce processus. Tout à fait normalement, à moins qu'une loi d'amnistie votée par l'unanimité de la classe politique ne bloque tous les systèmes judiciaires ou l'information de l'opinion. On vient de voir un premier pas dans ce sens avec l'amendement liberticide présenté par le député Marsaud. Ces gesticulations ne servent à rien : le processus est irréversible, et il va mettre en cause pratiquement tous les dirigeants politiques aux différents niveaux ; il va amener tout naturellement un renouvellement profond des élites, tant dans le domaine politique que dans le domaine industriel et économique. Voilà pourquoi le Front national se présente tout à fait naturellement comme une alternative, en tout cas l'amorce d'une alternative.

Le Figaro : Cette alternative, vous ne pouvez pas la construire seul. De même que l'Alliance nationale a des alliés, vous avez besoin de partenaires. Comment allez-vous en trouver ?

J.-M. Le Pen : Nous n'avons jamais rejeté la perspective d'alliances sur un programme, en particulier sur un programme de salut public. Je ne prononce aucune exclusive. Il faut prendre le camp national comme il est, avec toutes ses nuances et ses contradictions. Mais il est bien évident que le Front national ne peut être prêt à s'associer que dans le cadre d'une rupture franche avec la politique sociale-démocrate menée depuis quatorze ans.