Interview de M. Philippe Vasseur, secrétaire général du PR, à RMC le 24 mai 1994, sur la polémique autour de l'embargo sur les ventes d'armes à la Bosnie, sur les affaires de financement des partis politiques et sur les perspectives de baisse des charges sociales.

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Média : RMC

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P. Lapousterle : Il y a quelques semaines, vous et votre parti ne cachiez pas votre déception, vous vouliez J.-F. Deniau, vous avez eu D. Baudis pour diriger la liste commune de la majorité aux élections européennes du 12 juin prochain. Est-ce que l'usage aidant, vous vous êtes convertis ?

P. Vasseur : Ce n'est pas l'usage aidant, ce qui nous a déplu c'est la façon dont la nomination s'est déroulée, parce qu'on a eu l'impression qu'il y a eu un jeu de dupes, c'est du passé. La personnalité de D. Baudis n'a jamais été en cause, D. Baudis est une bonne tête de liste, même si j'ai soutenu J.-F. Deniau, je reconnais que D. Baudis fait une très bonne tête de liste. Il fait une bonne campagne, intelligente, sereine, sérieuse et je participe à cette campagne sans aucun état d'âme et même avec un certain enthousiasme.

P. Lapousterle : Il a eu raison hier de ne pas céder devant les pressions, notamment de B.-H. Levy, et de refuser qu'on lève l'embargo sur les armes en direction des Bosniaques ?

P. Vasseur : Il a fait preuve de sang-froid, c'est-à-dire qu'il n'a pas cédé à un certain tapage médiatique ou une pression des milieux artistiques, intellectuels, enfin tout ce que vous voudrez, il a fait preuve de sang-froid et de sens des responsabilités. Je veux bien qu'on lève l'embargo sur les armes, mais ça veut dire quoi lever l'embargo sur les armes : il faut réfléchir un petit peu, je ne savais pas que B.-H. Levy avait de tels talents de stratège militaire qu'il pourrait d'ailleurs utiliser différemment, comme A. Malraux l'avait fait en son temps. Ça aurait de la gueule de voir B.-H. Levy aller combattre là-bas en Bosnie, mais il ferait bien de regarder à deux fois avant de préconiser une levée de l'embargo. Cela veut dire que l'on va surarmer, que l'on va se livrer à une escalade, à une surenchère d'armement de part et autre, ajouter de la guerre à la guerre, comme l'a dit un personnage illustre. Je ne pense pas malheureusement que ce soit la bonne solution, c'est-à-dire fournir des capacités de destructions considérables à des hommes qui sont déjà en train de se détruire et ce n'est pas raisonnable.

P. Lapousterle : D'un autre côté, on les laisse aussi désarmés.

P. Vasseur : D'un autre côté on les laisse désarmés, d'abord ils ne sont pas complètement désarmés, c'est vrai qu'ils n'ont peut-être pas la capacité de riposte que nous voudrions. Mais réfléchissons bien, si en les armant un peu plus nous ne déclencherions pas un véritable massacre qui serait – vous me direz ça ne peut pas être pire qu'aujourd'hui – numériquement encore plus important. Je ne crois pas malheureusement que la réponse soit dans le fait de livrer des armes.

P. Lapousterle : Les intellectuels ont eu raison d'agiter le problème bosniaque et est-ce qu'il faudrait une liste d'intellectuels, est-ce que vous pensez que c'est utile ?

P. Vasseur : Oui, je pense que le rôle des intellectuels c'est de lancer des cris d'alarme ou des cris de détresse et d'appeler l'attention des élus et, au-delà des élus, de l'opinion sur ce qui est en train de se passer. Ils ont parfaitement raison, est-ce qu'il faut faire une liste pour ça, c'est leur affaire, leur problème s'ils ont envie de se lancer dans la vie politique qu'ils le fassent. Là où je suis un peu plus perplexe, c'est qu'il ne suffit pas de lancer un cri d'alarme, tout le monde peut lancer un cri d'alarme, nous en sommes tous capables. Il faut après cela, lorsqu'on a l'ambition de se lancer dans la chose politique, être capable d'avancer des propositions. Or la seule proposition qui consiste à dire livrons-leur des armes est une proposition, malheureusement, qui ressemble à celle de M. Rocard lorsqu'il voulait envoyer des bateaux au large de la Pologne.

P. Lapousterle : L'enquête préliminaire sur le financement du PR : pas d'inquiétudes ?

P. Vasseur : Inquiet non, je suis perturbé, irrité. J'en ai même ras-le-bol ! Je suis arrivé au secrétariat général du PR, il y a un an. Je ne sais pas trop ce qui s'est passé, mais j'y vois un peu plus clair : il n'y a aucun lien entre l'affaire Trager et le PR. S'il y avait eu un lien, M. Van Ruymbeke aurait mis en examen les personnes qu'il soupçonnait d'y avoir été mêlées. Il y a eu des tas d'affaires dont le PR a plutôt été victime ; notamment l'assassinat de Y. Piat. Je souhaite que l'on aille au bout tranquillement et que l'on fasse tout ce qu'il y a à faire. L'enquête préliminaire conclura ce qu'elle devra conclure. Que la justice fasse vraiment son travail. D'après ce qu'on m'a dit – et je crois que l'on a été sincère avec moi – je n'ai aucune inquiétude sur la suite judiciaire de ce qui s'est passé. En revanche, je vis cela très très mal sur le plan politique, celui de la suspicion. La politique passe derrière cet espèce de bouc que l'on se plaît à remuer sans même savoir s'il y a quelque chose au fond.

P. Lapousterle : Il y acharnement judiciaire contre B. Tapie ?

P. Vasseur : On pourrait parler d'acharnement judiciaire dans bien des affaires. J'ai tendance à penser, qu'aujourd'hui, la justice se rend avec moins de sérénité qu'autrefois, dans la mesure où elle est hyper-médiatisée. On se demande quelles sont les sources d'informations, et dès qu'une décision, quelle qu'elle soit, est prise, la justice est amenée à faire la une des journaux. Je souhaite que dans l'affaire Tapie, comme dans d'autres qui peuvent concerner le PR ou d'autres formations politiques, que la justice suive son cours tranquillement. Il faut que l'on arrête de considérer que les gens sont coupables à partir du moment où on se dit tient on pourrait faire quelque chose ! On verra ! Si M. Tapie a des ennuis qui l'amènent à être condamné, on en tirera les conséquences.

P. Lapousterle : Politiquement, cela lui profite ?

P. Vasseur : C'est tout à fait paradoxal ! On a le sentiment que plus l'on s'acharne sur M. Tapie, et plus cela le fait monter dans les sondages. Si on lui passait les menottes, il prendrait encore trois points !

P. Lapousterle : Baisse des impôts ou affectation de l'argent à la baisse des charges sociales : de quel côté êtes-vous ?

P. Vasseur : Je suis résolument du côté de ceux qui se battent pour l'emploi. Si l'on baisse les impôts, il est vrai que l'on va améliorer la consommation. Mais la consommation ça n'est pas évident parce qu'il y a des gens qui consomment moins et qui épargnent. De plus, la consommation va à différents types de produits, produis fabriqués en France ou venant de l'extérieur. Nous avons un réel problème de coût du travail en France qui est excessif. Il l'est non pas parce que nous payons trop les salariés, mais parce qu'il y a des charges considérables qui pèsent sur l'emploi. Si l'on parvient, sans réduire ce que perçoivent les salariés – j'insiste sur ce point –, à baisser le coût du travail en abaissant les charges, on aura fait œuvre utile pour l'emploi. Ma position va clairement vers l'allégement des charges sur l'emploi, même si, électoralement, il est probablement plus payant de baisser les impôts.

P. Lapousterle : Cela fait deux promesses électorales qui sont passées à la trappe : la CSG non-déductible et la baisse des impôts ?

P. Vasseur : Vous parlez des promesses électorales, je ne suis tenu que par les promesses électorales que j'ai prononcées devant mes électeurs. J'ai toujours dit que le problème de l'emploi nécessiterait des solutions difficiles, courageuses, et même des sacrifices. Je n'ai nullement le sentiment de me renier. Battons-nous pour l'emploi. Faisons de la lutte contre le chômage la priorité de nos priorités.

P. Lapousterle : L'affaire British Airways : le gouvernement a accepté que la ligne britannique qui, par parenthèses, engrange des bénéfices de folie, puisse exploiter les lignes les plus rentables en France.

P. Vasseur : Le gouvernement ne pouvait pas faire autrement. Le gouvernement était tenu par ses accords internationaux. Il ne pouvait pas s'y dérober. Ce que je constate, c'est qu'il y a des compagnies qui sont capables de faire des bénéfices. Soyons, nous aussi, capables de faire des bénéfices tout en assurant notre devoir de service public.

P. Lapousterle : Il est intéressant qu'un tel problème arrive en pleine campagne européenne ?

P. Vasseur : C'est intéressant, oui ! Nous avons deux attitudes : celle du personnel d'Air Inter qui peut s'inquiéter légitimement, et à qui nous devons donner des assurances. Il y a l'attitude du conservateur, celle des gens qui vont avoir besoin de prendre l'avion et à qui on est en train de dire : vous allez pouvoir avoir des fréquences supérieures et payer votre billet moins cher. En termes électoraux, il n'est pas certain que ce soit quelque chose de complètement négatif. Mais ce n'est pas comme cela que je me pose la question. Je me dis est-ce, oui ou non, bon pour l'économie français et européenne ? Je pense que cela n'est pas mauvais, même s'il faut être vigilant vis-à-vis d'une certaine déréglementation qui pourrait mettre en péril les entreprises françaises.