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Le Provençal : Le projet Euro méditerranée, le TGV Sud-Est, l'autoroute Sisteron-Gap-Grenoble et jusqu'au site des anciens chantiers navals de la Ciotat : ces 4 dossiers clés pour l'avenir de Marseille et de cette région tardent à se concrétiser. Et le plus souvent du fait de l'État. À quoi cela tient-il ?
Édouard Balladur : Les dossiers que vous évoquez sont de nature différente. Il y a ceux pour lesquels un engagement politique de l'État est nécessaire, mais dont la réalisation ne relève pas de l'État seul. Il s'agit du projet Euro méditerranée et de l'évolution du site des chantiers navals. Pour euro méditerranée, le gouvernement a clairement exprimé sa position : il veut en faire une opération d'intérêt national. Aucun gouvernement depuis un quart de siècle, n'avait formulé de telles propositions pour le développement d'une agglomération. C'est dire la volonté qui est la mienne et la confiance que j'ai en l'avenir de Marseille et du département. Ce sont les négociations avec les collectivités qui durent. Notamment, le Conseil Général ne semble pas vouloir être partie prenante au projet.
La cohésion des collectivités territoriales a été plus rapidement obtenue pour les chantiers navals de La Ciotat. Je m'en réjouis. Un accord a été signé en août. Il prévoit la création d'une société d'économie mixte pour le réaménagement du site et, pour accompagner la reprise du travail des salariés, diverses mesures particulières et la création d'une entreprise d'insertion.
Le Provençal : Et pour les autres dossiers ?
Édouard Balladur : Le TGV Sud-Est, l'autoroute Sisteron-Grenoble relèvent plus complètement de l'État. Sur ces deux sujets, le gouvernement a accéléré les choses. Lors de la formation, le projet du TGV-Méditerranée était dans une situation incertaine, notamment en ce qui concerne le tracé. Le gouvernement a pris ses responsabilités : le tracé a été arrêté début septembre 1993. La déclaration d'utilité publique a été publiée le 2 juin 1994, afin de permettre la réalisation des travaux conformément au calendrier. Quant à l'autoroute Grenoble-Gap-Sisteron, les déclarations d'utilité publique ont été prises rapidement et les autorisations financières ont été mises en place en 1994 pour que les travaux soient engagés dès que possible pour deux des trois tronçons. Ces deux sections : Grenoble-Col du Fau, La Saulce-Sisteron, seront mises en service fin 1997. La réalisation du troisième tronçon qui va du Col du Fau à la Saulce, pose de difficiles problèmes techniques. M. Bernard Bosson a désigné des experts internationaux pour les examiner et formuler des propositions. Leur rapport sera remis au ministre fin octobre. Ainsi, l'État fait tout ce qui est en son pouvoir pour concrétiser rapidement les grands projets d'avenir qui concernent Marseille et la région. Cela suppose que l'ambition du gouvernement soit partagée par les collectivités territoriales concernées. La France doit disposer d'un point fort avec l'aire marseillaise.
Le Provençal : Quelle vision avez-vous du monde méditerranéen, vous, dont la famille en est originaire et qui avez vécu ici ?
Édouard Balladur : La France appartient au monde méditerranéen par sa géographie, par son histoire et par sa culture. Il est l'une des sources les plus importantes de son identité et j'ai toujours été personnellement très attaché à cette dimension, à la fois culturelle et politique, de notre pays. Aujourd'hui, le monde méditerranéen est partagé par des influences diverses. Nous voyons au Moyen-Orient la marche d'un processus de paix entre Israël et les pays arabes que nous avons appelé de nos vœux depuis de très nombreuses années. C'est un fait extrêmement positif. Nous voyons également dans d'autres pays un dynamisme économique qui témoigne du génie des peuples de cette région, l'on a par ailleurs observé dans la dernière décennie une croissance très forte des pays du sud de l'Europe. En revanche, il existe d'importantes sources d'instabilité dans la région méditerranéenne. Qu'il s'agisse de la situation en Algérie ou encore de celle qui prévaut dans les Balkans. Les efforts de la France doivent s'appliquer à développer entre les pays riverains de la Méditerranée, un dialogue qui permette de favoriser la stabilité de cette zone et sa sécurité. Cela ne sera possible que si nous arrivons à faire prévaloir ensemble les valeurs de dialogue, de tolérance et de bon voisinage qui ont fait la richesse des cultures qui sont nées autour de cette mer.
Le Provençal : Marseille et sa région sont particulièrement concernées par ce qui se passe en Algérie. La situation de ce pays voisin vous inquiète-t-elle ? Face à un éventuel risque de contagion islamiste, quel message adressez-vous à la population immigrée restée, pour l'heure, extrêmement discrète.
Édouard Balladur : Comme vous le soulignez à juste titre, la population immigrée dans son immense majorité vit de façon paisible sur notre sol. Elle n'en est pas moins préoccupée, comme le sont d'ailleurs aussi beaucoup de Français, par la situation qui prévaut en Algérie dont, très souvent, parents et amis sont les victimes. Le gouvernement comprend naturellement et partage cette préoccupation ? Il n'a cessé de condamner à la fois, le recours à la violence et au terrorisme d'où qu'ils viennent et d'appeler à la restauration du dialogue sans lequel rien de durable ne pourra être construit. Et c'est évidemment aux Algériens de dire sur quoi doit déboucher le dialogue que nous appelons de nos vœux.
Si nous n'avons pas à nous immiscer dans les affaires intérieures de l'Algérie, il est en revanche de notre devoir de protéger nos ressortissants et de tout faire pour empêcher que s'installent en France des réseaux de soutien au terrorisme. C'est le sens des mesures qui sont prises à l'encontre des extrémistes dont les agissements ne doivent pas être tolérés dès lors qu'ils menacent ceux dont nous avons la charge, ou nos intérêts, en France ou à l'étranger. Le gouvernement est tout à fait déterminé à cet égard. Il fait son devoir. Pour autant la France a, vous le savez, une tradition de tolérance à laquelle elle est, et entend rester, très attachée. Elle respecte toutes les croyances et garantie en particulier la liberté des cultes. Les mesures prises à l'encontre de quelques-uns pour assurer la sécurité de tous n'ont donc aucune raison d'inquiéter ceux qui vivent en France dans le respect de nos lois.
Le Provençal : La fermeture du lycée Français d'Alger n'est-elle pas le signe d'un changement, sinon de ligne politique, du moins d'attitude de la France vis-à-vis de l'Algérie ?
Édouard Balladur : Cette mesure a été décidée par ce que le gouvernement ne pouvait pas accepter que la vie de jeunes ressortissants français et de leurs professeurs soit mise en danger inutilement. Dans les circonstances actuelles, le Lycée Français d'Alger ne pouvait pas fonctionner dans des conditions satisfaisantes et jouer son rôle culturel et d'éducation dans un environnement qui ne serait pas marqué par la tolérance. Nous avons pris cette décision avec beaucoup de regrets mais il fallait la prendre.
Le Provençal : Que répliquez-vous à ceux qui, à gauche et même dans la majorité, accusent votre politique de fragiliser, davantage encore, les plus démunis et de favoriser la précarité ?
Édouard Balladur : Je réponds qu'ils se trompent. La politique du gouvernement, depuis bientôt dix-huit mois, est toute entière tournée vers un seul objectif : faire en sorte qu'en renouant avec la croissance notre pays reprenne le chemin du progrès social. Je souhaite que l'on cesse d'opposer l'économique et le social. Il n'y a pas de progrès économique durable s'il ne profite à tous. Il n'y a pas de progrès social qui ne s'appuie sur une économie forte. L'ambition de justice et de prospérité qui inspire l'action du gouvernement vaut pour tous nos compatriotes et d'abord pour ceux d'entre eux que frappent les différentes formes d'exclusion.
Le Provençal : Ambition de prospérité ?
Édouard Balladur : Depuis dix-huit mois, le gouvernement n'a ménagé aucun effort pour que notre pays retrouve un rythme de croissance qui permette d'assurer le retour des créations d'emplois. Ces efforts commencent à être couronnés de succès. Tout doit être fait pour consolider ces premiers résultats qui se sont traduits, au cours du premier semestre, par la création de plus de 120 000 emplois nouveaux. Quant à l'ambition de justice : je n'ai pas souvenir qu'aucun gouvernement, depuis longtemps, ait, en aussi peu de temps, déployé autant d'énergie pour garantir les solidarités essentielles à la cohésion de notre société. La première expression de ces solidarités, c'est notre système de protection sociale. Il y a dix-huit mois, il était menacé par la banqueroute. Nous l'avons sauvé en consentant les efforts financiers nécessaires et en engageant des réformes de structures trop longtemps différées. Je pense à l'assurance chômage, au régime général de retraite, à l'assurance-maladie. Beaucoup reste à faire, je le sais aussi bien que quiconque. Nous devons inventer et bâtir, jour après jour, une autre société. Elle ne peut être ni la répétition de la société d'il y a 20 ou 30 ans, ni la reproduction de la société de crise d'aujourd'hui, plus dure et moins fraternelle. Nous n'y parviendrons que si le plus grand nombre possible de nos compatriotes adhèrent à cette ambition. Notre pays en est capable, pour peu qu'on lui tienne le langage de la vérité et de l'espoir.
Le Provençal : Le nombre de réponses au questionnaire des jeunes a dépassé vos prévisions. Comment allez-vous traduire concrètement l'exploitation de ces réponses ?
Édouard Balladur : Plus d'un million et demi de jeunes sur les huit millions concernés ont renvoyé le questionnaire qui leur avait été adressé : je crois qu'effectivement personne n'aurait pu prévoir le caractère massif du succès de cette consultation. Cela prouve non seulement que la démarche était juste, mais aussi que le Comité d'experts a beaucoup et bien travaillé et enfin – surtout – que les jeunes ont un grand besoin d'être consultés, écoutés, de s'exprimer. Quand on leur en donne l'occasion, de toute évidence, ils la saisissent Nous apprenons beaucoup au travers des réponses, sur les aspirations, les problèmes et les opinions des jeunes. Ils demandent en particulier un accès à l'emploi plus facile, plus de lieux à eux, où ils puissent se prendre en charge et aussi plus de participation à la vie publique. C'est probablement dans ces directions que nous irons : mais j'attends le rapport du Comité d'experts indépendants qui contiendra des propositions, à la fin de ce mois, pour préparer les premières mesures gouvernementales, il s'agira nécessairement d'un effort de longue baleine.
Le Provençal : Premier ministre plébiscité par les sondages, ancien ministre d'État et ancien secrétaire général de l'Élysée : fort de cette triple expérience, quel profil devra avoir le futur président de la République ?
Édouard Balladur : Vous savez que j'ai souhaité que la France n'entre pas prématurément en campagne présidentielle. Le redressement de notre pays est entamé. Rien ne doit être fait qui puisse le compromettre. Déjà les premiers résultats apparaissent. Mais l'effort doit être poursuivi. C'est la tâche que je m'assigne pour les prochains mois. Mais évidemment, libre à ceux qui ne participent pas au gouvernement d'en juger différemment.