Texte intégral
Dernières Nouvelles d'Alsace - 30 août 1998
Dernière Nouvelles d’Alsace : Être candidat à la présidence d’un parti que l’on dit moribond, voire mourant, doit être une aventure quelque peu déprimante, non ?
François Bayrou : Il faut se méfier de ce genre d’affirmation. Il y a cinq ans, c’était le PS que l’on disait mourant. Aujourd’hui, il gouverne. Pour moi, les moments les plus intéressants de la vie, les plus exaltants, ce sont les moments de reconstruction. C’est quand il faut rebâtir la maison qu’apparaissent au grand jour la qualité des êtres et celle des équipes, leur foi et leur volonté. J’aborde cette période avec le sentiment d’une renaissance.
DNA : Tout de même, l’été de l’opposition a été un chemin de croix…
François Bayrou : Il a été terrible, c’est vrai, mais dans la tourmente on réfléchit à l’essentiel. Que croyons-nous vraiment ? Que voulons-nous vraiment ? Pour moi, je me sens porteur d’un héritage. Celui des pères fondateurs de notre famille. Celui de Robert Schuman. Celui de Pierre Pflimlin, qui est pour moi un guide et un ami. Quand j’hésite sur l’avenir, c’est lui que je vais voir. Avant les régionales, par exemple, je sentais venir l’orage. Alors je suis venu parler avec lui, pour mûrir ma décision. Il faut à la France un grand parti d’opposition humain, démocrate et européen. Il faut concilier une politique libérale et la préoccupation sociale. Quand ce parti existera, il jouera un rôle majeur.
DNA : Alors ?
François Bayrou : Je crois que les conditions sont maintenant réunies pour que naisse une maison nouvelle. Nous allons construire, avec la nouvelle UDF, un vrai rassemblement, à l’image du Parti populaire européen, qui réunira un courant démocrate-chrétien puissant, un courant libéral et social, un courant républicain et radical. Et nous allons les faire vivre, et j’espère, gagner ensemble.
DNA : Concrètement, une UDF bis ou autre chose ?
François Bayrou : Non. Pas une constellation de parti concurrent. Mais un mouvement unifié avec une seule organisation sur le terrain, avec des services nationaux communs. Ils ont des valeurs communes. Mais jusqu’à maintenant, ils étaient divisés. C’est de là que venait leur faiblesse. C’est cela qui va changer.
DNA : Avec un nouveau nom aussi ?
François Bayrou : Ce sont nos adhérents qui prendront la décision le moment venu. Pour moi, je fais campagne sur le thème « Nouvelle UDF ».
DNA : Et que vont devenir les différentes familles constitutives de ce nouveau parti ? Vont-elles continuer à vivre ?
François Bayrou : Elles vont mettre leurs forces en commun sur le terrain et dans leur organisation nationale. Ce n’est pas une disparition, c’est une intégration. Et chacun choisira son rythme. Mon pari, c’est que la majorité de ces familles choisira d’aller vite pour répondre aux défis du temps difficile que nous traversons.
DNA : Lorsque vous aviez pris les commandes du CDS, vous aviez évoqué le rêve d’une grande formation allant d’Édouard Balladur à Jacques Delors…
François Bayrou : C’est mon projet. J’essaie de le construire, pas à pas.
DNA : Ce ne serait pas une auberge espagnole !
François Bayrou : Au contraire. Pour moi, le but de la politique, c’est de rassembler. J’ai souvent à l’esprit la profession de foi de la petite Antigone, dans la Grèce antique : « Je ne suis pas née pour partager la haine, mais pour partager l’amour ». Ma vocation, c’est de faire vivre des gens différents dans la même communauté, de faire qu’ils se respectent, s’apprécient et travaillent ensemble. C’est plus difficile sans doute, mais plus juste et plus intelligent que le contraire.
DNA : Le problème, c’est votre frontière ! Car pour le moment, c’est Lionel Jospin qui a réussi à rassembler avec la gauche un électorat modéré, centriste qui se reconnaît dans l’action du gouvernement. Cela vous laisse peu d’espace, non ?
François Bayrou : Voyons plus loin. Le jour où la désillusion sera là, quand il apparaîtra clairement que le gouvernement, malgré son habileté, ne répond pas aux vraies attentes et aux vrais problèmes, qu’il se contente de mêler des réformes idéologiques à un vrai immobilisme. Ce jour-là toute une fraction de l’opinion cherchera un pôle tolérant et réformateur qui réponde mieux à ses attentes. Et ces Français, raisonnables et courageux qui veulent une politique de réforme, volontaire, libérale et sociale sur des valeurs de tolérance et d’humanisme, ils sont majoritaires. Notre espace, en réalité, c’est le plus vaste de la politique française.
DNA : Soit ! Mais quelle autre vision de la société avez-vous à offrir ? Car la difficulté majeure de l’opposition semble précisément de trouver une identité propre qui se démarque de la social-démocratie douce du gouvernement Jospin…
François Bayrou : Je vous répondrai en une phrase : dans un monde ouvert, une société stable et qui a confiance dans ses valeurs. Le monde ouvert, c’est la compétition. Il faut en accepter les règles et les contraintes, qui se résument assez facilement : aider les gens qui travaillent, inventent et innovent au lieu de les pénaliser. On fait aujourd’hui à peu près le contraire. Donner des réponses courageuses aux problèmes clairement identifiés : je pense à la bombe à retardement des retraites, par exemple. Défendre la stabilité de la société : la famille, les communautés de base. Les êtres humains, spécialement les enfants et les jeunes en ont besoin. Croire en nos valeurs : nous sommes des humanistes. Nous voulons que les femmes et les hommes se respectent et s’estiment, qu’ils vivent ensemble au lieu de se rejeter les uns les autres. Tout cela forme un projet de société, qui fait confiance aux personnes et ne demande pas tout à l’État.
DNA : Mais l’État, ce n’est pas forcément un rond de cuir gris et mou derrière son bureau… Faut-il donc désespérer de forger un État efficace et proche des citoyens ?
François Bayrou : Il y aura un jour, j’espère un jour prochain, un État réformé, proche des gens, et efficace. Mais cela passe par le rapprochement des centres de décision. La décentralisation, comme Adrien Zeller ou Philippe Richert le disent souvent, est loin d’être achevée.
DNA : À ce propos, on vous dit souvent plus « départementaliste » que « régionaliste »…
François Bayrou : Parce que je suis président de conseil général plutôt que de conseil régional ? Ça me fait sourire. Mon idée est qu’un jour, département et région seront deux échelons de la même collectivité locale et conduiront, chacun à leur échelle des politiques communes. Les mêmes élus pourraient administrer à la fois les régions et les départements. C’est une grande réforme, totalement nouvelle, que j’ai à l’esprit.
DNA : Revenons à l’avenir de l’UDF. Au lendemain des régionales, vous avez pris les devants en proposant une « refondation ». Vous pouviez alors tout faire exploser. Le genre de risque sur lequel on peut bâtir un grand destin. Et puis, vous vous êtes arrêté. Auriez-vous eu peur de tout perdre ?
François Bayrou : Je ne me suis jamais arrêté. Simplement, il fallait que chacun réfléchisse à la gravité de la situation. Aujourd’hui, quelques mois plus tard, tout le monde voit bien qu’il faut reconstruire ou disparaître. Nous y sommes. Et puis il faut un peu d’optimisme : dans les moments de combat. J’aime bien la devise du fondateur des automobiles Ford : « Gagner ou perdre, ça m’est égal… pourvu que je gagne ».
DNA : Vous voulez dire que le départ d’Alain Madelin et de ses troupes vous arrange en rendant le jeu plus clair ?
François Bayrou : Je n’ai jamais souhaité la division et elle ne m’a pas rendu heureux…
DNA : Au-delà de la compétition qui vous oppose à Alain Madelin, quelle sera la véritable différence entre la « Nouvelle UDF » et Démocratie libérale ?
François Bayrou : C’est très simple : l’économie, pour nous, ne peut pas être le seul but de la politique. Le libéralisme, c’est indispensable, mais cela ne répond pas à l’essentiel des questions que les femmes et les hommes ont sur leur avenir et celui de leurs enfants. Il faut d’abord un idéal une morale, des valeurs humaines.
DNA : L’un de vos adversaires pour la présidence de l’UDF se reconnaît dans la stratégie de Charles Millon. Le contraste est rude avec la voie que vous avez choisie…
François Bayrou : Toute alliance, officielle ou secrète, avec le Front national est mortelle pour l’opposition. Toute ambiguïté sur ce sujet nous ferait perdre la confiance sans laquelle on ne gagne jamais. Et puis, il ne faut jamais perdre de vue l’essentiel de ce que l’on croit dans la vie. C’est le seul guide sûr.
DNA : Vous croyez au déclin du FN ?
François Bayrou : Je crois qu’il y a tout dans la société française pour que le FN régresse, à condition que nous nous battions sur nos valeurs, et pas sur les siennes.
DNA : Si vous deviez résumer ces valeurs…
François Bayrou : Croire à l’avenir d’un monde ouvert où l’Europe sera plus que jamais nécessaire. Mettre la défense de la personne humaine et des plus fragiles au cœur même de cette compétition. On ne peut pas dissocier libéralisme et esprit social, sauf à faire un monde impitoyable. Protéger, dans ce monde ouvert, les identités – nationales ou régionales. L’homme a besoin de racines. Défendre les communautés où l’homme échappe à la solitude, où l’on se connaît et l’on se serre les coudes et d’abord la famille.
DNA : Au lendemain des élections de 1993, tout souriait aux hommes politiques de votre génération et de votre camp. L’accession aux plus hautes charges, une majorité qui permettait de voir à long terme. Et tout s’est écroulé en 1997. Comment vivez-vous cela ?
François Bayrou : C’est vrai. Nous assistons à un saut de génération, un changement très rapide. Je suis un quadra, j’ai six enfants, entre dix et vingt-cinq ans. Je vois bien que nous sommes en train de rompre avec une période obsédée par les médias, par le paraître. Nous entrons dans des temps où l’on recherchera davantage l’authenticité et la profondeur des convictions plutôt que l’apparence. Nous entrons dans le temps d’une démocratie profonde, modeste et concrète.
DNA : Vous-même, vous êtes sous les projecteurs depuis plusieurs années et vous savez aussi les utiliser quand cela est nécessaire. Qu’avez-vous appris de ces années flamboyantes ?
François Bayrou : Bien sûr, il faut aussi maîtriser la communication, être professionnels. Mais plus on est sincère et mieux on est entendus. On ne progresse vraiment que dans l’humilité. On n’est jamais obligé d’être déloyal. La vérité des êtres va prendre une dimension essentielle dans la vie politique. « Le principe de la démocratie, c’est la vertu », disait Montesquieu. C’est aussi son avenir.
Lettre de François Bayrou aux militants
Chers amis,
Il est temps de se ressaisir ! L’élection du nouveau président de l’UDF intervient après que l’opposition s’est égarée en plusieurs mois de débats, de querelles, de divisions. La décomposition annoncée par Raymond Barre paraît triompher. Tous ceux qui voudraient la droite et le centre forts et cohérents sont découragés.
Si nous laissons faire, si nous laissons la division l’emporter, alors nous aurons l’impuissance et l’échec. Le socialisme, qui mêle dans l’exercice du pouvoir une vision idéologique de la société et un grand immobilisme, sera au pouvoir pour longtemps.
Il faut que l’élection du nouveau président de l’UDF soit un signal d’entente et de renouveau. Le temps est venu de rendre à notre famille politique la puissance et la fierté. Nous avons besoin d’une nouvelle UDF. La vie politique française tout entière a besoin d’une nouvelle UDF.
Lorsque Valéry Giscard d’Estaing a voulu l’UDF, il y a vingt ans, il avait la conviction que l’avenir de la France en dépendait. Pour que deux Français sur trois puissent un jour se rejoindre pour rénover la démocratie française, il fallait un mouvement puissant. Ce mouvement serait moderne, démocratique, tolérant et réformateur. Il concilierait le choix social et le choix libéral, impossibles à faire réussir l’un sans l’autre. Il offrirait à la France, notre patrie, notre Nation, la plénitude de la chance qu’offre la construction de l’Europe.
Certains prétendent aujourd’hui que cette vision n’est plus d’actualité. Il faudrait que l’UDF disparaisse et se dissolve dans une droite inéluctablement soumise aux diktats d’une extrême droite devenue maître du jeu. Je pense le contraire : non, notre choix démocratique, humaniste, libéral, social et européen n’est pas d’un autre temps ! Il est au contraire le choix même de l’avenir de la France. Il est le seul, si nous avons le courage d’en porter haut les couleurs, avec fierté et combativité, qui puisse permettre à notre pays de faire les choix de son avenir, de rassembler les Français plutôt que de les diviser. C’est un grand débat pour nous. Mais c’est surtout un grand débat pour le XXIe siècle.
Une affirmation politique nouvelle est nécessaire, une grande formation profondément rénovée, rassemblant les sensibilités de la droite modérée et du centre. Elle doit faire entendre et défendre la confiance en la personne, la décision de proximité, la chance d’une Europe qui se fédère, l’esprit d’initiative et d’entreprise, le sens d’une solidarité qui n’est pas l’assistance. Elle doit incarner l’équilibre la volonté de réforme et de modernité, la tolérance. Elle doit montrer que le but de la politique, sa noblesse et la condition de sa réussite, ce n’est pas d’opposer, mais de rassembler.
... pour réussir, elle doit corriger ses erreurs. Jean Lecanuet, Valéry Giscard d’Estaing, François Léotard ont tour à tour mis dans la volonté de faire vivre l’UDF beaucoup d’eux-mêmes, avec leur grand talent et leur vision. J’ai été aux côtés de chacun des trois. J’ai bien vu sur quels récifs leurs efforts se sont brisés. L’UDF est condamnée à l’impuissance si l’on fait passer l’intérêt particulier de chacune de nos chapelles avant l’intérêt général. Unifiée, l’UDF a un grand destin. Divisée, elle disparaîtra.
Nous devons montrer à tous ceux qui doutent de l’opposition que la nouvelle UDF incarne un pôle d’équilibre, où les responsables peuvent s’entendre, se respecter et travailler ensemble. La priorité est donc au travail en équipe, associant tous les talents et toutes les sensibilités, donnant à chacun sa place. C’est le premier engagement que je prends. Nous devons montrer que, même au plus mauvais moment, on peut reconstruire. Cela demande un grand effort et un grand enthousiasme. C’est cet effort et cet enthousiasme que je propose aux démocrates, aux libéraux, aux républicains qui veulent un jour voir leurs idées inspirer l’avenir de la France.
Ce mouvement nouveau, je vous propose de le bâtir ensemble, militants de Force démocrate, du PPDF, du Parti radical, des adhérents directs, de la jeune association du PRIL où se retrouvent les libéraux qui ont fait le choix de l’UDF. Je propose que nous lui donnions les dix principes suivants :
– la nouvelle UDF doit être un mouvement unifié, par la mise en commun de nos moyens et l’exercice en commun de la vie politique quotidienne ;
– la nouvelle UDF doit respecter la diversité et la complémentarité des sensibilités : libéraux, démocrates-chrétiens, démocrates-sociaux, républicains et radicaux ont leur histoire et leur fierté. C’est notre chance ;
– unité et démocratie interne : les statuts votés en 1996 et jamais appliqués encore (cette élection au suffrage universel est une première) nous permettent de rassembler nos forces. Allons plus loin ! Mettons en commun immédiatement nos moyens et notre action militante sur le terrain (permanences, réseaux locaux) ;
– pendant la période qui nous sépare des législatives prochaines, nous nous fixons comme objectif d’inventer et d’expérimenter la grande formation de la démocratie française ;
– un conseil de déontologie proposera une charte de comportement à laquelle devront souscrire tous nos adhérents et responsables ;
– le projet doit être l’œuvre et l’engagement commun de tous nos militants. Chaque trimestre, un grand sujet sera proposé à la réflexion de toutes nos sections et une équipe nationale aura la charge de traduire vos attentes ;
– notre priorité doit être au renouvellement et à l’arrivée de générations nouvelles. La création immédiate d’un institut de formation national permettra aux adhérents et aux candidats de recevoir une formation dans leur région ;
– notre organisation doit se régionaliser. Des fédérations régionales puissantes, dotées de moyens propres, appuyées sur nos parlementaires et leurs équipes, doivent faire entendre la voix du terrain, en particulier en matière d’investitures et de choix des candidats ;
– nos adhérents doivent recevoir une information riche et originale qui nourrisse leur réflexion et leur donne des arguments. Nous créerons un centre de recherches, qui étudiera, à destination de nos adhérents les politiques menées ailleurs dans le monde et en Europe, l’évolution des sociétés et les grands problèmes nationaux ;
– un conseil économique, social et culturel de la nouvelle UDF sera mis en place qui permettra, sur tous les grands sujets, de confronter, avec la compétence du terrain, les expériences professionnelles, syndicales, associatives et culturelles.
Au moment où tant d’autres se déchirent, ou se laissent tenter par le renoncement ou la compromission, nous allons essayer, ensemble, de servir une certaine idée de l’engagement, de la démocratie, de l’intérêt général. C’est une grande tâche, difficile. Ma candidature n’a qu’un sens : je vous propose que nous y consacrions toutes nos forces.
Le Figaro, 1er septembre 1998
Pour bâtir une « nouvelle UDF », dont il souhaite prendre la tête, le numéro un de FD énonce dix « principes ».
Candidat à la succession de François Léotard à la tête de l’UDF, le 16 septembre, le président de Force démocrate, François Bayrou, développe ses ambitions dans une « profession de foi » adressée aux adhérents. Pour faire oublier les divisions passées et présentes, il souhaite bâtir une « nouvelle UDF » au sein de laquelle « la priorité serait donnée au travail en équipe ». Et donne à ce mouvement nouveau dix « principes ».
– La nouvelle UDF doit être un mouvement unifié par la mise en commun de nos moyens et l’exercice en commun de la vie politique quotidienne.
– La nouvelle UDF doit respecter la diversité et la complémentarité des sensibilités : libéraux, démocrates-chrétiens, démocrates-sociaux, républicains et radicaux ont leur histoire et leur fierté. C’est notre chance.
– Mettons en commun immédiatement nos moyens et notre action militante sur le terrain (permanences et réseaux locaux).
– Pendant la période qui nous sépare des législatives prochaines, nous nous fixons comme objectifs d’inventer et d’expérimenter la grande formation de la démocratie française.
– Un conseil de déontologie proposera une charte de comportement à laquelle devront souscrire tous nos adhérents et responsables.
– Le projet doit être l’œuvre et l’engagement commun de tous nos militants : chaque trimestre, un grand sujet sera proposé à la réflexion de toutes nos sections et une équipe nationale aura la charge de traduire vos attentes.
– Notre priorité doit être au renouvellement et à l’arrivée de générations nouvelles. La création immédiate d’un institut de formation national permettra aux adhérents et aux candidats de recevoir une formation dans leur région.
– Notre organisation doit se régionaliser. Des fédérations régionales puissantes, dotées de moyens propres, appuyées sur nos parlementaires et leurs équipes, doivent faire entendre la voix du terrain, en particulier en matière d’investitures et de choix des candidats.
– Nos adhérents doivent recevoir une information riche et originale qui nourrisse leur réflexion et leur donne des arguments. Nous créerons un centre de recherches qui étudiera, à destination de nos adhérents, les politiques menées ailleurs dans le monde et en Europe, l’évolution des sociétés et les grands problèmes nationaux.
– Un conseil économique, social et culturel de la nouvelle UDF sera mis en place, qui permettra sur tous les grands sujets de confronter, avec la compétence du terrain, les expériences professionnelles, syndicales, associatives et culturelles.
Le Bien Public, mercredi 2 septembre 1998
Bien Public/Les Dépêches : Vous êtes candidat à la présidence de l’UDF. Soit. Mais y a-t-il encore une UDF ?
François Bayrou : En 93, on demandait s’il existait encore un Parti socialiste… Aujourd’hui, il gouverne. L’UDF, c’est la droite modérée et le centre : c’est le véritable espace où la France veut être gouvernée, libéral et social à la fois. La France ne veut pas des extrêmes. Elle veut une politique de réforme qui ne brise pas le lien social. Cela, c’est l’UDF qui fait vivre ensemble les libéraux, les démocrates, les républicains. Et pour sortir de la crise, nous avons pris les grands moyens. Pour la première fois dans l’histoire de l’opposition, c’est l’ensemble des adhérents, au suffrage universel, qui vont élire le président de leur mouvement, sur un projet d’unification, avec des valeurs et une ligne. Et pour la première fois depuis longtemps, les querelles ont disparu, c’est une équipe et une entente durable qui se mettent en place. C’est l’opposition tout entière qui avait besoin de cette bonne nouvelle de la renaissance de la nouvelle UDF.
BP/Les Dépêches : Comment vous situez-vous vis-à-vis d’Alain Madelin qui a décidé de faire cavalier seul et de vous priver de Démocratie libérale ?
François Bayrou : Chaque fois qu’il y a des scissions, chaque fois que quelqu’un choisit la division, c’est toute l’opposition qui y perd. Je suis profondément heureux, en revanche, de voir la force et la sérénité de ceux qui ont refusé cette aventure et choisi de construire la nouvelle UDF et son courant libéral et social. J’apprécie, par exemple, tous les jours le travail remarquable et la personnalité de François Sauvadet, volontaire et chaleureux. Il est un exemple de ces nouveaux comportements dont nous avons besoin.
BP/Les Dépêches : Les régionales ont non seulement abouti à l’explosion de l’UDF, mais à la collusion du FN et d’une grosse partie de vos élus. Comment avez-vous réagi ? Quels rapports entretenez-vous avec la droite de Charles Millon ou le mouvement des réformateurs de Jean-Pierre Soisson ?
François Bayrou : Les sentiments personnels, les amitiés anciennes sont une chose. Mais il s’agit de choisir une ligne, il faut parler clairement. Lorsque la droite s’empêtre dans les accords sous la table avec l’extrême droite, elle s’enfonce dans une impasse : elle est piégée. Elle a beau expliquer qu’elle s’allie, mais qu’elle n’est pas d’accord, les faits parlent d’eux-mêmes. Quand on s’allie, c’est qu’on est d’accord sur l’essentiel. Et donc la question est sans cesse remise sur le tapis. Ses valeurs, ses projets n’intéressent plus personne. On ne lui parle plus que du Front national. Cela devient une obsession. Il n’y a qu’un moyen de retrouver la confiance : être clair et net, se battre sur ses propres valeurs et se tenir à l’écart des compromissions. Toute autre attitude est vouée à l’échec. Une partie essentielle de l’opinion française n’acceptera jamais de compromis sur ce sujet, parce que ce sont les raisons de vivre les plus profondes qui sont en cause. Interrogez les jeunes qui vous entourent, de toutes opinions, et vous verrez, sur ce sujet, leur détermination unanime. C’est aussi la mienne.
BP/Les Dépêches : Pensez-vous que la droite est en train de se scinder en deux et qu’on ne pourra pas empêcher cette scission ? Sinon comment ?
François Bayrou : Je n’accepte pas cette perspective. L’Alliance s’est constituée pour que nous nous rassemblions, pas pour aller à la division. Je ne donnerai pas à l’extrême droite la satisfaction suprême, celle dont elle rêve depuis si longtemps, de réussir à dynamiter l’opposition. Ce n’est pas l’extrême droite qui peut proposer une alternance crédible. Un projet solide pour la France, c’est nous. Prenons conscience de notre responsabilité, rassemblons-nous et travaillons ensemble. Alors l’espoir changera de camp.
BP/Les Dépêches : N’avez-vous pas l’arrière-pensée de devenir tôt ou tard « l’ouverture » que recherchera Lionel Jospin ?
François Bayrou : Pour les changements de camp, vous vous trompez d’adresse. Je suis contre toutes les magouilles et contre toutes les compromissions, les ralliements et les accords honteux. J’ai confiance dans notre avenir. La France a besoin d’une force nouvelle qui rassemble la droite modérée et le centre. C’est ce projet qui peut réconcilier la compétition mondiale, le libéralisme, l’esprit d’entreprise et le social. Le XXIe siècle a autant besoin de réalisme que d’humanisme. La gauche ne peut pas apporter cette réponse. Nous, nous pouvons commencer à la préparer. Solidement.
Sud-Ouest, 3 septembre 1998
Sud-Ouest : Vous êtes candidat à la présidence de l’UDF, le 16 septembre. Mais l’UDF existe-t-elle encore, après toutes les dissidences et les secousses du printemps dernier ?
François Bayrou : En 1993, le Parti socialiste était au trente-sixième dessous. Quatre ans après, c’était le triomphe. En politique, comme dans la vie, ce qui compte, c’est de savoir se relever et de construire la France. La France veut à la fois la réforme et l’équilibre. Ce projet, c’est l’UDF. Un grand parti européen, libéral et solidaire, c’est ce qu’attend la majorité des Français. C’est le moment de le construire. C’est pour cette renaissance que je suis candidat à la présidence de la nouvelle UDF.
Sud-Ouest : Êtes-vous satisfait de l’exclusion de l’UDF de Messieurs Millon et Soisson ?
François Bayrou : Quand tous les mouvements de l’opposition arrêtent une ligne commune, il faut qu’elle soit respectée par tous. Pendant six mois, on a espéré que la raison l’emporterait et que les uns et les autres tireraient les conséquences de leur attitude destructrice auprès de l’opinion publique. À la rentrée, on ne pouvait pas faire autrement que de mettre nos actes en conformité avec nos paroles.
Sud-Ouest : L’année sera dominée par le débat européen. Quelle sera votre position sur le traité d’Amsterdam ? Souhaitez-vous une liste unique de l’opposition aux élections européennes (et conduite par qui ?) ?
François Bayrou : Tous les partis ou presque se présentent devant l’Europe comme des chiens battus. Au pire, ils la combattent, au mieux ils s’y résignent. Nous, nous portons le drapeau de l’espoir européen. Regardez ce qui se passe aujourd’hui même : toutes les bourses de la planète s’effondrent, sauf les bourses européennes. Pourquoi ? Parce que nous sommes protégés par le bouclier du futur euro. L’euro n’existe pas encore et il nous aide déjà ! La vérité est simple : dans un monde de grandes puissances, l’Europe est la seule chance de nos Nations moyennes.
Notre ligne sera donc celle de l’espoir et de la volonté européennes. Et quant aux élections, qui sont encore loin, plus nous serons rassemblés sur cette ligne optimiste et mieux ce sera.
Sud-Ouest : Allez-vous combattre le PACS, qui vient en discussion début octobre à l’Assemblée ?
François Bayrou : Il semble qu’à gauche, le débat soit assez vif sur ce point. S’il s’agit d’un mariage bis, nous le combattrons. Si l’État, par l’intermédiaire du maire, est amené à intervenir dans la conclusion du PACS, si les couples homosexuels obtiennent le droit à l’adoption, alors je m’opposerai fermement à ce projet. S’il s’agit de régler de manière purement contractuelle, chez le notaire, les cas difficiles qui existent, en matière fiscale par exemple, le débat est ouvert. En tout état de cause, il ne saurait être question de remettre en cause le mariage. Il reste, au-delà d’un engagement personnel unique, un des fondements de notre société.
Sud-Ouest : Claude Allègre met souvent en cause votre gestion supposée du ministère de l’éducation avec les syndicats. Votre réaction ?
François Bayrou : Je ne souhaite pas polémiquer avec Claude Allègre. Je constate simplement qu’en opposant systématiquement les enseignants et les parents, on n’arrive à rien. Je crois, moi, à la vertu du dialogue, à la négociation, comme des préalables indispensables à la réforme. Cela ne diminue en rien la responsabilité de l’action. Elle appartient, en dernier ressort, à l’homme politique. Mais une réforme sera d’autant mieux acceptée qu’elle aura été préparée avec tous les intervenants. Cette nouvelle manière de faire de la politique, fondée sur l’écoute et le dialogue, cherchant à rassembler plutôt qu’à opposer, sera celle de la nouvelle UDF qui nous sommes en train de construire.
Midi Libre, 4 septembre 1998
Midi libre : Que va être la nouvelle UDF ?
François Bayrou : Le grand mouvement modéré, réformiste, équilibré dont la vie politique française a besoin. Un mouvement unifié, à la différence de ce qui se passait depuis vingt ans : on avait une constellation de mouvements, en réalité opposés les uns aux autres et en concurrence. Enfin un mouvement profondément démocratique : pour la première fois, dans l’histoire de l’opposition, tous les adhérents d’un grand mouvement vont élire leur responsable au suffrage universel. Bref, un mouvement démocratique qui rassemble la droite modérée et le centre.
Midi libre : Mais l’aile libérale, qui distinguait l’UDF du RPR, a disparu ?
François Bayrou : Je ne dirais pas cela : l’aile libérale et sociale a conservé à l’UDF beaucoup d’élus et de responsables qui n’ont pas voulu suivre l’aventure de la scission d’Alain Madelin. C’est précieux, car au XXIe siècle, le défi sera de construire une France compétitive grâce à une option libérale ; mais avec un esprit social et solidaire.
Midi libre : Un raccommodage est-il possible avec Démocratie libérale et la droite ?
François Bayrou : Je favoriserai, autant que je le pourrai, les rapprochements. À condition que cela se fasse sur les bases claires, et non en cultivant l’ambiguïté.
Midi libre : Comment régler la question des rapports de la droite avec le FN, en tout cas avec ses électeurs ?
François Bayrou : Le travail doit être fait en direction de tous les électeurs, considérés à égalité, et notamment ces électeurs dont on sait les difficultés, les angoisses et les exigences. Mais cela est très différent des accords politiques au sommet qui sont source d’ambiguïté et de refus d’une très grande part de l’opinion. Travaillons en direction de tous les électeurs : ceux de gauche, comme ceux de l’extrême droite, qui se trompent et qu’il faut convaincre. Cela peut se faire s’ils ont confiance en nous. Si nous mettons nos actes en harmonie avec nos paroles et si nous proposons des solutions concrètes à leurs problèmes. Il faut que nous changions notre pratique, nos comportements et notre manière d’être.
On ne récupère pas les électeurs du FN en adoptant les thèmes et le langage du Front national : il faut que nous ayons notre ligne de conduite, nos valeurs, et que nous n’en bougions pas, que nous ne soyons pas comme ces girouettes qui tournent à tous les vents…
Midi libre : Que pensez-vous des affaires Blanc et Millon ?
François Bayrou : Ce sont des décisions difficiles à prendre en raison de la situation régionale, de l’exploitation de l’extrême droite par la gauche et des liens personnels.
Mais la politique, c’est la clarté : nous devons être fidèles à ce que nous avons dit. L’Alliance a des valeurs et une ligne. Elle n’accepte ni compromissions, ni connivences.
Midi libre : Fallait-il laisser cette région, ou Rhône-Alpes, tomber entre les mains de la gauche ?
François Bayrou : Si l’on confond la droite et l’extrême droite, alors nous avons perdu pour de longues années tout espoir de pouvoir l’emporter en France. Une partie de l’opinion publique ne l’acceptera jamais. Pour des générations entières, en dessous des 35 ans, le refus de l’extrême droite est une dominante de toutes les opinions politiques, de droite et de gauche. Si on ne se rend pas compte de cela, on met l’opposition en situation de risque pour très longtemps. Faire croire que la droite et l’extrême droite c’est la même chose, est un risque mortel que je refuse de prendre.
Midi libre : L’opposition se déchire et le gouvernement Jospin flotte sur son petit nuage… Quand allez-vous repartir à l’offensive ?
François Bayrou : C’est ce que je propose : il me paraît urgent que nous nous mettions en état de livrer des combats politiques. Car le gouvernement Jospin n’apporte pas de réponse aux principaux problèmes de notre société : il fait des réformes idéologiques, comme les 35 heures ou le PACS, qui ne correspondent pas à l’attente des gens. Quelle réponse apporte-t-il à la dépense publique et au poids de l’impôt ? Quelle réponse au problème des retraites qui va nous exploser à la figure ? Quelle réponse à la décentralisation ? Aucune. Le gouvernement a de bons sondages, mais cela ne durera pas autant que les contributions. La prise de conscience que ces grands problèmes ne trouvent pas de réponse, va progressivement s’imposer dans l’esprit des Français.
Midi libre : Certains trouvent que l’UDF sera trop centriste et manquera de muscles…
François Bayrou : L’UDF, c’est l’équilibre, et pas le parti des « rouleurs des mécaniques ». Dynamique, forte et vigoureuse, elle sera « plus rugby que golf ». Équilibrée, l’UDF sera une opposition constructive qui ne se laissera pas entraîner vers les excès. La France ne veut ni des excès, ni des extrêmes.