Texte intégral
Q. - Et l'axe Paris-Bonn sera renforcé,
R. - Ne parlons pas « d'axe » : les relations franco-allemandes qui ont joué un rôle essentiel dans la construction européenne ce sont développées depuis 35/40 ans alors qu'il y a eu dans les deux pays depuis lors de nombreux changements politiques. Successivement en France : quatre autres Présidents, quatorze Premier ministre ; en Allemagne : cinq chanceliers. Ces relations ont acquis ainsi une force structurelle. Elles étaient devenues néanmoins avec le temps trop formelles, trop rituelles. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons donc souhaité ces dernières semaines que les élections en Allemagne, soient l'occasion d'une relance de ces relations franco-allemandes. A leur sujet, j'utilise plutôt l'expression de « moteur franco-allemand » que celle d'axe ou de couple, car elle traduit bien l'idée « d'entraînement ».
Q. - Mais on parle à présent d'un triangle Grande-Bretagne, France, Allemagne.
R. - Je ne vois pas très bien la signification concrète de cette formule. Que ce soit une bonne chose pour l'Europe si ces trois capitales s'entendent bien : c'est une évidence. Mais, malgré son poids, la Grande-Bretagne ne peut pas encore jouer dans l'Europe un rôle identique à celui des pays qui ont fait l'euro et qui y participent. On a pu constater d'autre part que l'entente franco-allemande était irremplaçable ; quand il n'y a pas d'accord entre ces deux pays, cela handicape toute l'Europe. C'est un fait. Je ne pense pas qu'une combinaison Allemagne/Grande-Bretagne ou France/Grande-Bretagne, ou tout autre binôme puisse remplacer ce moteur. Cela dit, si l'entente franco-allemande est essentielle, elle n'est pas suffisante. Elle doit s'étendre aux autres pays clés comme l'Italie, et à d'autres. On ne peut raisonner à l'ancienne en termes d'alliances excluant ceux qui n'en sont pas. Il s'agit plutôt de savoir qui a la force d'entraînement, de proposition. J'ajoute que vu le mode de décision dans l'Union à Quinze, il n'y a pas en son sein de petit pays.
Q. - Cela va tranquilliser le président du conseil italien, Romano Prodi.
R. - Pourquoi l'Italie aurait-elle besoin d'être tranquillisée ? Elle a mérité sa place dans l'euro, elle occupe dans l'Union depuis l'origine une place majeure. Rappelons-nous les questions qui étaient posées dans la presse allemande sur l'Italie et l'euro. Il n'y en a plus trace aujourd'hui. En France, nous n'avons jamais douté que l'Italie est indispensable à l'équilibre de l'Europe et à celle de la monnaie unique et nous avons agi dans ce sens.
Q. - Que pensez-vous du fait d'avoir un ex-hippie, Joschka Fischer, comme ministre des Affaires étrangères ?
R. - C'est un parcours humain intéressant. L'inverse serait plus singulier.
Q. - Grâce à Schroeder, la politique sociale va-t-elle changer ?
R. - La politique sociale allemande va certainement changer. D'ailleurs l'air du temps change. Les dogmes ultra libéraux sont sur la défensive. Cela va créer, je le répète, un contexte plus favorable à une Europe plus sociale.
Q. - On parle de ressortir le plan Delors…
R. - Lionel Jospin a obtenu l'an dernier que chaque année les Quinze fassent le point et coordonnent leurs politiques pour l'emploi, ce qui devrait accroître leur cohérence et leur efficacité.
Nous travaillons activement à des politiques sociales plus orientées vers la croissance et l'emploi dans chacun des pays européens.
Q. - Et la coordination des politiques économiques ?
R. - La bonne gestion de notre monnaie unique imposera d'elle-même une coordination accrue. L'euro est un élément fédérateur des politiques économiques et créateur de synergies. Des gouvernements ayant des conceptions proches en tireront un meilleur parti.
Q. - Un problème en suspens est celui de la relation entre le Conseil de l'euro et le Conseil des ministres des Finances.
R. - Nous avons obtenu la création d'un Conseil de l'euro. Il reste à déterminer qui sera le mieux placé pour parler à l'extérieur, de façon crédible, pour la zone euro. Faisons ensuite confiance à la pratique pour définir les relations exactes, Conseil de l'euro, Conseil Ecofin, Banque centrale.
Q. - Et les rapports entre les gouverneurs et la Banque centrale européenne ?
R. - Nous avons défini les règles, les principes, les attributions de chacun. Ce sont les faits et la pratique qui fixeront l'équilibre exact.
Q. - Mais la France pense à un « gouvernement économique » de la monnaie unique.
R. - Cela fait partie des mystères du langage. Cette notion de « gouvernement » appliquée à la monnaie est inquiétante en allemand et rassurante en français ! Nous autres, quand nous parlons de gouvernement économique, nous voulons dire que la gestion de la monnaie doit tenir compte de l'ensemble des éléments monétaires et financiers certes, mais aussi économiques, sociaux et politiques et ne pas dépendre aveuglément du seul dogme monétarisme. Les responsables américains n'agissent pas autrement. En allemand au contraire, cette idée de gouvernement économique suggère que la monnaie serait gérée par des personnes qui manquent de sérieux pour les Allemands cela évoque inflation, conflits sociaux et politiques, spectre des années 30… Ce malentendu linguistique peut être surmonté et il l'a été puisque nous voulons tous que l'euro soit géré sérieusement.
Q. - D'accord, nous avons l'euro, mais les problèmes économiques sont loin d'être résolus.
R. - Bien sûr, mais ils le seraient encore moins sans l'euro ! Vous noterez que depuis l'accord essentiel entre Kohl et Mitterrand sur la monnaie unique à Strasbourg, en décembre 1989, ce sont les optimistes qui ont eu raison, et non pas les Cassandre. L'euro représente un tel progrès pour l'Europe - nous le voyons en ce moment, dans le contexte d'instabilité financière mondiale - que je suis persuadé que nous trouverons en nous-mêmes les forces politiques et l'intelligence technique pour résoudre les autres problèmes qui se posent maintenant.
Q. - Comment l'Italie peut-elle participer au grand jeu européen ?
R. - Mais comme elle le fait déjà, en étant elle-même avec son génie de toujours et ses performances nouvelles ! L'Italie a joué, depuis l'origine, un rôle important dans la construction européenne. Elle a toujours été pour l'Europe dans la catégorie des visionnaires et des ambitieux. Ses propositions sont stimulantes. Les Français se sont toujours sentis très proches de l'Italie. Ils souhaitent qu'elle continue à jouer son rôle et à exercer le maximum d'influence.
Q. - Et qu'elle soit politiquement stable…
R. - Et qu'elle soit stable, oui. D'ailleurs, la stabilité est en règle générale à souhaiter…
Q. - Quels seront les points les plus importants du Sommet ? À quels résultats s'attend-on ?
R. - Les relations franco-italienne sont excellentes. Plus important encore : nous sommes d'accord sur la plupart des sujets du moment. Il faut transformer ces convergences en actions communes, passer de la concertation à la coopération. Ce sera l'inspiration de ce Sommet.
Nous parlerons à Florence des grands sujets qui déterminent l'avenir de la construction européenne : l'Agenda 2000 (la réforme du cadre financier et celle des politiques communes), la réforme institutionnelle préalable à l'élargissement, la façon dont doit être conduit celui-ci, c'est-à-dire avec sérieux. Sur tous ces points, un très grand degré de convergence existe. Nous parlerons aussi de la restructuration des industries aéronautiques et de défense en vue de la création d'un pôle européen dans laquelle l'Italie et la France sont très engagées. Nous aborderons aussi des dossiers concrets pour le renforcement de nos relations bilatérales, comme l'amélioration des franchissements transalpins. Enfin, je signerai avec M. Dini et nos collègues de l'éducation, un accord portant création de l'Université franco-italienne, projet qui préfigure l'Europe de la connaissance que l'Italie et la France appellent de leurs voeux.
Q. - Où en sont la France et l'Italie sur le Kosovo ?
R. - Depuis le début de cette crise, la France et Italie ont, au sein du Groupe de contact des conceptions identiques sur la façon de régler cette crise et sur la nécessité urgente d'une autonomie substantielle du Kosovo. Malheureusement, nous n'avons pas encore atteint notre but, la situation sur le terrain se dégrade. Nous devons être prêts à employer tous les moyens nécessaires pour mettre un terme aux drames humanitaires et imposer une solution politique raisonnable, car nous ne pouvons pas laisser la situation continuer à se dégrader.