Interview de M. Alain Deleu, secrétaire général de la CFTC, à France 2 le 15 septembre 1994, sur la privatisation de Renault, sur la nécessité d'un "contrat pour l'emploi" liant tous les partenaires sociaux au lieu du "contrat de confiance" proposé par le gouvernement et sur les mesures pour l'embauche des RMistes.

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Média : France 2

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G. Leclerc : Vous approuvez l'ouverture du capital de Renault ?

A. Deleu : Globalement, oui. Il est nécessaire que des entreprises françaises comme Renault puissent répondre au défi de l'avenir. Il faut le faire.

G. Leclerc : Pourquoi ne pas avoir privatisé purement et simplement, dans cette même logique ?

A. Deleu : On sait bien qu'il y a du passionnel et du politique dans cette affaire-là et après tout, c'est une étape intéressante qui ouvre des perspectives. Il y aura une suite, je pense. L'important est qu'aujourd'hui, les salariés de chez Renault vont pouvoir participer davantage au capital. On voit là une sorte de réponse à la demande des salariés responsables de leur entreprise. C'est une modernisation de Renault qui en vaut une autre.

G. Leclerc : La CGT mobilise. Pensez-vous qu'il y a possibilité d'un conflit ?

A. Deleu : Il y a deux syndicalismes en France : celui de l'avenir et celui de l'opposition un peu systématique. J'espère qu'ils n'obtiendront pas le même résultat que les dockers dans les ports. On a vidé les ports français à force de faire des grèves.

G. Leclerc : La croissance s'annonce de plus en plus importante, on parle même de plus de 3 % en 95. Pensez-vous qu'il y aura automatiquement création d'emplois, comme semble le croire le gouvernement ?

A. Deleu : Automatiquement, oui, mais insuffisamment. On peut avoir plusieurs années de suite 3 % de croissance, on n'aura pas pour autant le retour au plein emploi. C'est une très bonne chose, tant mieux. Mais ça ne suffit pas.

G. Leclerc : E. Balladur a proposé un contrat de confiance État-gouvernement-syndicats-patronat. Vous êtes d'accord pour y participer ?

A. Deleu : Bien entendu. Dans notre discours, à la CFTC, nous marquons les limites de l'économisme et le gouvernement en prend un peu pour lui dans cette affaire. Le discours est perçu comme une contestation par rapport au gouvernement. En fait, nous voulons dire que c'est l'ensemble du corps social qui est concerné et pas tellement le gouvernement. C'est le patronat, notamment, qui est sur la touche en disant : laissons le match se faire entre gouvernement et syndicats.

G. Leclerc : N'y-a-t-il pas non plus un débat politique qui est esquivé à propos de ce contrat de confiance ?

A. Deleu : Nous, nous disons un contrat pour l'emploi. S'il n'y a pas, entre le CNPF et les syndicats, au niveau national interprofessionnel et ensuite dans les branches, décision et volonté réelles de travailler pour l'emploi, non seulement pour la croissance et l'investissement, mais aussi pour l'emploi, nous n'atteindrons pas le résultat. Il faut savoir qu'aujourd'hui, nous avons un tel nombre d'exclus que rien ne permet de penser qu'ils resteront toujours silencieux. C'est l'intérêt de tout le monde, mais c'est un devoir urgent, que d'aller au-delà du simple travail économique de bonne composition, et d'aller à un vrai contrat ensemble pour l'emploi.

G. Leclerc : Dans le cadre de ce contrat de confiance, pensez-vous que l'objectif d'E. Balladur – diminuer, réduire d'un million le nombre de chômeurs – soit réaliste ?

A. Deleu : Ça l'est si on le veut. Si on laisse faire le jeu économique, non. Si tout le monde se dit, dans les négociations d'entreprises et de branches, « on met l'emploi au centre ». Sur le temps de travail, sur les salaires, sur tout ce qui est travail, dans son organisation. Effectivement, en quatre ou cinq ans, je pense que c'est possible, même au-delà peut-être. Mais cela suppose d'abord que l'on change l'optique où l'on traite finalement les salariés un peu comme des gêneurs, à savoir, moins on a de salariés, mieux ça vaut. On investit, on élimine les salariés et ce n'est pas la bonne méthode. Il faut penser maintenant à donner une place à chacun dans cette société.

G. Leclerc : Il y a aussi des mesures qui ont été annoncées par E. Balladur, pour les RMIstes, notamment une aide plus importante aux entreprises qui pourraient embaucher ces RMIstes et les rémunérer au niveau du SMIC. Cette mesure peut-elle être efficace ?

A. Deleu : C'est une bonne mesure car d'une part, elle va rendre plus actives les dépenses publiques à l'égard des personnes en difficulté. Ensuite, parce que le RMIste, il se sent comme étant inutile à la société. Beaucoup de personnes qui n'ont pas d'emploi disent, « moi je sais faire cela ; on me dit, non, ce n'est pas nécessaire, pas besoin de toi ! ». Nous, nous pensons que l'assistance c'est important, mais ce qui est le plus important, c'est de donner à chacun sa chance d'être acteur. Je crois que si en effet, nos mesures pour l'emploi – il en faut d'autres, ça ne suffira pas – ces mesures, peuvent aller dans le sens pour dire, « oui on a besoin de toi, oui, tu peux être acteur de la société », alors ce sera positif pour la société, mais aussi pour la personne.

G. Leclerc : De plus en plus de patrons font actuellement l'objet de mises en examen. Vous acceptez cette action des juges vis-à-vis des grands patrons ?

A. Deleu : Ils ne sont pas hors de portée de la justice. Je remarque simplement que, souvent, un patron est seul dans ses décisions. En France, il y a un peu une sorte de zone autour de lui qui fait que, psychologiquement, on ne dira pas « ne fais pas ceci ou cela ». Il est seul, trop seul, et quand nous parlons participation ou de partenariat, de discussions avec les salariés, il y a toute une ligne, une conception de l'entreprise qui est plus partenariale. Il faut plus de cohabitation d'hommes et non pas d'un homme seul. L'homme seul peut se tromper et s'engager dans des voies qui sont dangereuses pour lui et pour l'entreprise.